CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 150721
M.AMROUNE
Lecture du 12 Avril 1995
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du contentieux, 6ème et 2ème sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 6ème sous-section, de la Section du Contentieux,
Vu la requête, enregistrée le 10 août 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. AMROUNE, demeurant place de l'Eglise à Auberville-la-Renault (76110) ; M. AMROUNE demande au président de la section du Contentieux du Conseil d'Etat : 1°) d'annuler le jugement du 11 juillet 1993 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 8 juillet 1993 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé sa reconduite à la frontière ; 2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales ;
Vu le code civil ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, notamment par la loi du 2 août 1989, la loi du 10 janvier 1990 et la loi du 26 février 1992 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de Mlle de Silva, Auditeur, - les conclusions de M. Sanson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu du dernier alinéa de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée susvisée, les étrangers mentionnés aux 1° à 6° dudit article ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application de l'article 22 de la même ordonnance ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de l'ordonnance précitée du 2 novembre 1945 : "Les étrangers sont, en ce qui concerne leur entrée et leur séjour en France, soumis aux dispositions de la présente ordonnance, sous réserve des conventions internationales (...)" ; que si l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France, ainsi que les règles concernant la nature et la durée de validité des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, les dispositions des 1° à 6° de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 peuvent, en l'absence dans l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié de toute stipulation ayant la même portée, être utilement invoquées par les ressortissants algériens qui font l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pris sur le fondement de l'article 22 de ladite ordonnance ;
Considérant qu'il résulte du rapprochement du dernier alinéa de l'article 25 de l'ordonnance précitée et du 5° du même article que ne peut faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière "l'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins" ;
Considérant que, dans sa rédaction issue de l'article 38 de la loi du 8 janvier 1993 susvisée, l'article 372 du code civil énonce, dans son premier alinéa, que "l'autorité parentale est exercée en commun par les deux parents s'ils sont mariés" et dispose, dans son deuxième alinéa, qu'"elle est également exercée en commun si les parents d'un enfant naturel, l'ayant tous deux reconnu avant qu'il ait atteint l'âge d'un an, vivent en commun au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance" ; que, selon l'article 46 de la loi du 8 janvier 1993 précitée, par dérogation à l'article 372 du code civil, le parent d'un enfant naturel reconnu avant la date d'entrée en vigueur de la loi, par ses père et mère, avant qu'il ait atteint l'âge d'un an et si ces derniers vivaient en commun au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance, conservera cependant l'exercice exclusif de l'autorité parentale si à cette date il exerce seul cette autorité et si l'enfant réside habituellement chez lui seul ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a introduit l'exercice de plein droit de l'autorité parentale conjointe dans la famille naturelle pour autant que sont remplies les conditions mentionnées au deuxième alinéa de l'article 372 nouveau du codecivil et sous réserve des dispositions transitoires prévues par l'article 46 de la loi du 8 janvier 1993 précitée;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. AMROUNE, ressortissant algérien, est père d'un enfant naturel, né en France le 1er novembre 1992 d'une mère française, et qui a été reconnu par sa mère et son père avant que cet enfant ait atteint l'âge d'un an ; qu'à la date de la reconnaissance concomitante comme à celle de l'entrée en vigueur de l'article 38 de la loi du 8 janvier 1993, les parents vivaient en commun ; que, dans ces conditions, M. AMROUNE, père d'un enfant français sur lequel il exerçait l'autorité parentale, en application des dispositions susmentionnées de l'article 372 du code civil, ne pouvait légalement faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. AMROUNE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté en date du 8 juillet 1993 du préfet de la Seine-Maritime ordonnant sa reconduite à la frontière ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement susvisé du 11 juillet 1993 du tribunal administratif de Rouen et l'arrêté susvisé du préfet de la Seine-Maritime en date du 8 juillet 1993 ordonnant la reconduite à la frontière de M. AMROUNE sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Ali AMROUNE, au préfet de la SeineMaritime et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.