Jurisprudence : TA Orléans, du 29-12-2022, n° 1900678


Références

Tribunal Administratif d'Orléans

N° 1900678

1ère chambre
lecture du 29 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 22 février 2019 et le 4 novembre 2020 et un mémoire déposé le 3 septembre 2021, M. B A, représenté par Me Labrunie, demandait au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation, présentée au titre de la loi du 5 janvier 2010🏛 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

2°) de condamner le CIVEN à lui verser la somme totale de 275 587 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2015, date de la demande d'indemnisation, avec capitalisation, en réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis ;

3°) dans l'hypothèse où le tribunal ordonnerait une expertise médicale, de mettre les entiers dépens à la charge du CIVEN et de le condamner à verser une indemnité provisionnelle d'un montant de 40 000 euros ;

4°) de mettre à la charge du CIVEN la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 avril 2019 et le 3 novembre 2020, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, à titre principal, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, demande au tribunal d'ordonner une expertise sur l'évaluation des préjudices subis par le requérant.

Par un jugement avant dire droit rendu le 21 septembre 2021, le tribunal a annulé la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le CIVEN a rejeté la demande d'indemnisation de M. B A, présentée au titre de la loi du 5 janvier 2010🏛 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, jugé que M. A est en droit d'obtenir l'indemnisation de l'intégralité de ses préjudices en tant que victime des essais nucléaires français, décidé d'une expertise médicale avant dire droit afin d'apprécier la nature et l'étendue des préjudices qui sont directement dus à la maladie radio-induite dont M. A a souffert et mis à la charge du CIVEN le versement d'une indemnité provisionnelle de 20 000 euros.

Par ordonnance du 28 septembre 2021, le président du tribunal administratif d'Orléans a désigné un expert qui a remis son rapport le 31 mai 2022.

Par ordonnance du 29 août 2022, les frais et honoraires de l'expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 1 800 euros.

Par un mémoire enregistré le 17 juin 2022, M. A, sur la base du rapport d'expertise, demande au tribunal de condamner le CIVEN à lui verser la somme totale de 163 599,51 euros en réparation de ses préjudices, somme majorée des intérêts de droit à compter du 1er juillet 2015, date de la demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même date et de mettre à la charge du CIVEN les dépens et la charge définitive des frais d'expertise ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Il soutient que :

- l'assistance à tierce personne doit être indemnisée à hauteur de 1 782 euros car pendant la période des traitements il a eu besoin de l'aide de son épouse dans les gestes de la vie quotidienne à raison du 17 au 19 septembre 2013 de 5 heures par jour en journée et du 20 septembre 2013 au 17 octobre 2013 de 3 heures par jour en journée et le taux horaire à retenir doit être de 18 euros s'agissant d'une assistance active ;

- l'indemnité due en réparation du déficit fonctionnel temporaire sur la base de 40 euros par jour doit être de 6 290 euros ;

- ses souffrances doivent être indemnisées à hauteur de 40 000 euros ;

- son préjudice fonctionnel permanent de 15% doit être indemnisé à hauteur de 45 329,37 euros ;

- il vit dans l'angoisse permanente et légitime d'une récidive, de l'aggravation de son état et d'une issue fatale, préjudice qui doit être indemnisé à hauteur de 50 000 euros ;

- il a engagé des frais postaux de demande de dossier médical et de retransmission et des frais de communication du dossier médical par l'hôpital à hauteur de 76,51 euros ;

- il a engagé des frais de déplacement au rendez-vous d'expertise à hauteur de 216 euros.

Par un mémoire enregistré le 25 juillet 2022, le CIVEN indique au tribunal accepter verser une indemnisation à hauteur totale de 44 144 euros ainsi décomposée :

- 216 euros au titre des frais de déplacement pour se rendre à l'expertise médicale ;

- 77 euros au titre de frais postaux, de reproduction et de transmission du dossier médical ;

- 1 020 euros au titre de l'assistance par tierce personne avant consolidation ;

- 3 931 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- 13 000 euros au titre des souffrances endurées ;

- 18 900 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

- 7 000 euros au titre du préjudice lié à une pathologie évolutive et conclut au rejet du surplus des demandes.

Vu :

- le jugement avant dire droit rendu le 21 septembre 2021 ;

- le rapport de l'expert désigné par ordonnance du président du tribunal du 28 septembre 2021 ;

- l'ordonnance du 29 août 2022 par laquelle le président du tribunal a taxé et liquidé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 1 800 euros toutes taxes comprises ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010🏛 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018🏛 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020🏛 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C ;

- et les conclusions de Mme Best-De Gand, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B A, né le 28 février 1949, a été affecté en Polynésie française en qualité de cuisinier du 9 avril 1968 au 12 juin 1969. Il a développé par la suite un cancer bronchique, diagnostiqué en 2013. Estimant que sa pathologie est due à son exposition aux radiations induites par les expérimentations nucléaires menées par la France en Polynésie française, il a déposé, le 1er juillet 2015, une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires en vue d'obtenir réparation des préjudices subis. Par une décision du 20 décembre 2018, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande. M. A a demandé au tribunal l'annulation de cette décision et l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis. Par un jugement avant dire droit rendu le 21 septembre 2021, le tribunal a annulé la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le CIVEN a rejeté la demande d'indemnisation de M. A, présentée au titre de la loi du 5 janvier 2010🏛 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, jugé que M. A est en droit d'obtenir l'indemnisation de l'intégralité de ses préjudices en tant que victime des essais nucléaires français, décidé d'une expertise médicale avant dire droit afin d'apprécier la nature et l'étendue des préjudices qui sont directement dus à la maladie radio-induite dont M. A a souffert et mis à la charge du CIVEN le versement d'une indemnité provisionnelle de 20 000 euros. Par ordonnance du 28 septembre 2021 le président du tribunal a désigné un expert qui a remis son rapport le 31 mai 2022. Dans le dernier état de ses écritures, M. A demande au tribunal de condamner le CIVEN à lui verser la somme totale de 163 599,51 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 1er juillet 2015, date de sa demande d'indemnisation, avec capitalisation de ces intérêts et de mettre à la charge du CIVEN les dépens et la charge définitive des frais d'expertise.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimoniaux :

2. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

3. Il résulte du rapport d'expertise que l'état de santé de M. A, qui a développé un cancer bronchique, diagnostiqué en 2013, a justifié pour la période du 17 au 19 septembre 2013 à raison de 5 heures par jour et du 20 septembre 2013 au 17 octobre 2013 à raison de 3 heures par jour, la présence de son épouse pour tous les gestes de la vie courante. Dans ces conditions, sur la base d'une indemnisation au regard d'un taux horaire de 13 euros, il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 1 287 euros.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. A, dont l'état de santé en lien avec le cancer bronchique radio-induit est, aux termes du rapport d'expertise, regardé comme consolidé depuis le 30 septembre 2014, a subi un déficit fonctionnel temporaire total le 6 juin 2013 puis du 13 au 18 août 2013 soit pendant 7 jours et un déficit fonctionnel temporaire partiel de 75% du 17 au 19 septembre 2019 soit 3 jours, de 50% du 20 septembre 2013 au 17 janvier 2014 soit 120 jours et de 25% du 7 juin 2013 au 12 août 2013 puis du 19 août 2013 au 16 septembre 2013 et du 18 janvier 2014 au 30 septembre 2014, date de consolidation de son état de santé, soit 352 jours. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en retenant la somme de 3 931 euros proposée par le CIVEN au titre du déficit fonctionnel temporaire.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. A a un taux d'incapacité permanente de 15% et que la date de consolidation a été fixée au 30 septembre 2014, date à laquelle M. A, né le 28 février 1949, était âgé de 65 ans. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en retenant la somme de 18 900 euros proposée par le CIVEN au titre du déficit fonctionnel permanent.

6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que les souffrances endurées en lien avec le cancer bronchique radio-induit dont a souffert le requérant se sont élevées à 4 sur une échelle de 7 au titre des douleurs physiques et psychologiques. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en retenant la somme de 13 000 euros proposée par le CIVEN à ce titre.

7. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que M. A a, d'une part, conscient de son état, subi, du fait d'une espérance de vie réduite en raison de la pathologie radio-induite dont il était atteint, un préjudice d'angoisse, d'autre part, subi des troubles dans ses conditions d'existence en raison des bilans à répétition et des traitements qui ont engendré de nombreuses contraintes. Il en sera fait une juste appréciation en retenant la somme de 7 000 euros proposée par le CIVEN à ce titre.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le CIVEN doit être condamné à verser à M. A en réparation des préjudices qu'il a subis la somme totale de 44 118 euros, de laquelle il convient de déduire la provision de 20 000 euros allouée par le jugement avant dire droit du 21 septembre 2021.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

9. M. A a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 44 118 euros à compter du 1er juillet 2015, date non contestée de réception de la demande d'indemnisation par le CIVEN. Par ailleurs, la capitalisation des intérêts a été demandée le 22 février 2019, date de l'enregistrement de la requête. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 1er juillet 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les dépens :

10. Il y a lieu de mettre à la charge définitive du CIVEN les frais et honoraires de l'expertise prescrite avant dire droit par jugement du 21 septembre 2021 du tribunal, liquidés et taxés à la somme de 1 800 euros par l'ordonnance susvisée du président du tribunal du 29 août 2022.

11. Par ailleurs, il y a lieu de mettre à la charge du CIVEN la somme totale de 292,51 euros au titre des dépens correspondant aux frais non contestés que M. A a exposés pour se rendre avec son véhicule personnel au rendez-vous d'expertise ainsi que les frais relatifs à la communication de son dossier médical.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CIVEN une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires est condamné à verser à M. A la somme de 44 118 euros, déduction faite de la provision de 20 000 euros allouée par le jugement avant dire droit du 21 septembre 2021 en réparation de ses préjudices. La somme de 44 118 euros portera intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2015. Les intérêts échus à la date du 1er juillet 2016 puis à chaque échéance annuelle seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 800 euros, sont mis à la charge définitive du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Article 3 : Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires versera à M. A une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 ainsi qu'une somme de 292,51 euros en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Copie en sera adressée au ministre des armées et à l'expert.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente,

Mme Defranc-Dousset, première conseillère,

Mme Bernard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2022.

La présidente-rapporteure,

Anne C

L'assesseure la plus ancienne,

Hélène DEFRANC-DOUSSET

La greffière,

Lucie BARRUET

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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