Jurisprudence : CE 8/9 SSR, 30-09-1996, n° 139846

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 139846

MINISTRE DU BUDGET
contre
M. Leboeuf

Lecture du 30 Septembre 1996

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du contentieux, 8ème et 9ème sous-sections réunies), Sur le rapport de la 8ème sous-section, de la Section du Contentieux,
Vu le recours du MINISTRE DU BUDGET, enregistré le 28 juillet 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DU BUDGET demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2 et 3 de l'arrêt du 4 juin 1991 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a accordé à M. Pierre-Louis Leboeuf une réduction des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1981, 1982, 1983 et 1984 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de Mlle Mignon, Auditeur, - les observations de la SCP Lesourd, Baudin, avocat de M. PierreLouis Leboeuf, - les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces soumis aux juges du fond que M. Leboeuf, qui, durant les années 1981 à 1984, exerçait à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) les fonctions de receveur principal des PTT, était chargé, en cette qualité, de placer auprès du public des emprunts d'Etat, dans la limite d'un "contingent" annuel de 500 000 F, et percevait, à ce titre, une rétribution comprise entre 1,4 et 2 % du montant des souscriptions reçues dans cette limite ; que, lorsque des investisseurs s'adressaient à lui pour des placements de plus de 500 000 F, M. Leboeuf faisait appel à d'autres receveurs n'ayant pas épuisé leur "contingent" annuel, sur les comptes desquels il faisait, avec leur accord, virer l'excédent des souscriptions effectuées qu'il n'était pas habilité à recevoir lui-même et se faisait verser, par ces autres receveurs, une rémunération prélevée par ceux-ci sur la rétribution qui leur était allouée au titre des placements qu'ils avaient pu ainsi réaliser par l'entremise de M. Leboeuf ; qu'à la suite d'une vérification approfondie de la situation fiscale d'ensemble de ce dernier, le service des impôts, estimant que les rémunérations qui lui avaient été de la sorte payées au cours des années ci-dessus indiquées et qu'il n'avait pas déclarées avaient la nature de revenus imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, en a évalué d'office le montant et a assujetti M. Leboeuf aux suppléments d'impôt sur le revenu correspondants ;
Considérant que, s'il incombe à l'administration d'informer le contribuable dont elle envisage d'arrêter tout ou partie des bases d'imposition par voie de taxation ou d'évaluation d'office, de la teneur des renseignements qu'elle a pu recueillir dans l'exercice de son droit de communication afin que l'intéressé soit mis à même de demander, avant la mise en recouvrement des impositions, que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition, elle n'est tenue à cette obligation qu'ence qui concerne ceux de ces renseignements qu'elle a effectivement utilisés pour procéder aux redressements ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les redressements qui sont à l'origine des impositions complémentaires mises à la charge de M. Leboeuf ont été opérés, non sur la base des renseignements contenus dans les "carnets" tenus par l'intéressé dont l'administration fiscale a eu communication par l'autorité judiciaire qui les avait saisis, mais après examen des comptes bancaires de M. Leboeuf et des réponses qu'il avait apportées aux demandes de justifications du service ; que, par suite, en jugeant que la procédure d'imposition suivie à l'encontre de M. Leboeuf avait été irrégulière en ce que celui-ci n'avait pas été remis en possession de ses "carnets" alors même que les renseignements qu'ils contenaient n'avaient pas été utilisés pour effectuer les redressements contestés, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit au recours du ministre dont les conclusions tendent à l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond, dans la limite de cesconclusions ;
Sur le principe et la base légale de l'imposition : Considérant, d'une part, que M. Leboeuf soutient que les membres du "réseau" de placement dont il faisait partie avec d'autres receveurs avaient constitué une société en participation occulte, à laquelle les bénéfices imposés à son nom auraient dû, en réalité, être imputés ; que M. Leboeuf en déduit que, par application de l'article 206.4 du code général des impôts, les sommes dont il s'agit auraient dû être soumises à l'impôt sur les sociétés au nom de la société en participation ; Mais considérant qu'en raison, précisément, de son caractère occulte, l'existence alléguée de cette société n'était pas opposable à l'administration ; Considérant, d'autre part, que M. Leboeuf fait subsidiairement valoir que son activité d'entremise était exercée sous le contrôle de l'administration des PTT et qu'elle lui procurait une rémunération échappant par nature à l'impôt dès lors qu'elle était prélevée par les receveurs qui la lui versaient sur la part non imposée des rétributions qui leur était allouée ; qu'il ressort, toutefois, des pièces du dossier que cette activité n'était, ni organisée, ni contrôlée par l'administration des PTT et que les receveurs au concours desquels M. Leboeuf faisait appel rémunéraient librement les services qui leur étaient rendus par ce dernier, par emploi de revenus qui leur étaient propres ; qu'ainsi, les produits de l'activité d'entremise exercée, à titre indépendant et habituel, par M. Leboeuf au cours des années 1981 à 1984 ont été à bon droit imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant que le moyen tiré par M. Leboeuf de ce que l'administration aurait, en l'espèce, irrégulièrement exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire qui avait saisi ses "carnets" est inopérant, dès lors que ces documents n'ont pas été, ainsi qu'il a été dit, utilisés pour établir les impositions contestées ;
Considérant que M. Leboeuf n'a pas produit la demande de renseignements qui lui aurait été adressée par l'administration le 14 février 1985 ; que le moyen selon lequel l'auteur de cette demande lui aurait à tort conféré un caractère contraignant doit donc, en tout état de cause, être écarté ;
Considérant qu'avant l'entrée en vigueur de la loi n° 86-317 du 30 novembre 1986, l'administration n 'était pas tenue de mettre en demeure le contribuable de déposer une déclaration annuelle de ses bénéfices industriels et commerciaux avant de pouvoir, le cas échéant, procéder à l'évaluation d'office de ces derniers ; qu'ainsi, le fait que l'administration a néanmoins mis en demeure M. Leboeuf, le 26 avril 1985, de déposer une telle déclaration et n'a pas ensuite répondu à l'argumentation de l'intéressé suivant laquelle la loi ne lui faisait pas obligation de la souscrire n'est pas de nature à affecter, en l'espèce, la régularité de la procédure d'imposition ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de maintenir à la charge de M. Leboeuf les suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1981, 1982, 1983 et 1984, à raison des sommes de 2 319 975 F, 1 317 482 F, 1 820 545 F et 579 287 F qu'il a respectivement perçues au cours de ces années dans l'exercice de son activité d'entremise ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt du 4 juin 1991 de la cour administrative d'appel de Nancy sont annulés.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. Leboeuf devant la cour administrative d'appel de Nancy aux fins de décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1981, 1982, 1983 et 1984 à raison des sommes mentionnées dans les motifs de la présente décision, qu'il a respectivement perçues au cours de ces années dans l'exercice de son activité d'entremise, sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à M. Leboeuf.

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