Jurisprudence : CA Fort-de-France, 16-12-2022, n° 19/00029, Infirmation

CA Fort-de-France, 16-12-2022, n° 19/00029, Infirmation

A005484R

Référence

CA Fort-de-France, 16-12-2022, n° 19/00029, Infirmation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/91102230-ca-fortdefrance-16122022-n-1900029-infirmation
Copier

ARRET N° 22/260


R.G : N° RG 19/00029 - N° Portalis DBWA-V-B7D-CB5R


Du 16/1Aa/2022


[O]


C/


S.C.P. [S] [B] ET ABAUTRET MARIELLE


COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE


CHAMBRE SOCIALE


ARRET DU 16 DECEMBRE 2022


Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 06 Février 2019, enregistrée sous le n° 14/00493



APPELANTE :


Madame [K] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]


Représentée par Me Mark BRUNO, avocat au barreau de MARTINIQUE


INTIMEE :


S.C.P. MICHEL CORENTIN ET ABAUTRET MARIELLE

[Adresse 1]

[Localité 3]


Représentée par Me Jean MACCHI, avocat au barreau de MARTINIQUE



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE


En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 novembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Conseillère présidant la chambre sociale, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :


- Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente

- Madame Anne FOUSSE, Conseillère

- Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller


GREFFIER LORS DES DEBATS :


Madame [R] [V],


DEBATS : A l'audience publique du 25 novembre 2022,


Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile🏛, de la date du prononcé de l'arrêt fixée au 16 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la cour.


ARRET : Contradictoire


******************


EXPOSE DU LITIGE :

Mme [K] [Aa] a été embauchée en 1991 en qualité de secrétaire 1er échelon dans l'étude d'huissiers de justice reprise postérieurement par la SCP [S] ET ABAUTRET. Son contrat de travail a été maintenu avec reprise de son ancienneté au 16 septembre 1991.

Le 1er décembre 1999, la salariée a été victime d'un accident de trajet et a bénéficié de différents arrêts de travail.

A l'issue d'une visite médicale de reprise, le 24 janvier 2011, Mme [Aa] a été déclarée apte avec aménagement de poste par le médecin du travail.

Après visite du poste de travail de la salariée, le 3 février 2011, et à l'issue de la seconde visite médicale, le 9 février 2011, le médecin du travail a précisé : «inapte au poste mais apte à un autre; un poste de travail aménagé : sans réception du public, alternant position assise/debout selon besoin de la salariée, sans déplacement (ni marche, ni conduite), avec un temps partiel thérapeutique permettant la poursuite des soins peut être envisagé».

Par lettre simple du 21 février 2011, la SCP [S] ET ABAUTRET a proposé à la salariée un poste ainsi décrit : «poste de secrétaire polyvalente en charge d'assister les clercs et huissiers de l'Etude, dans la préparation des dossiers».

Mme [Aa] n'a pas répondu à cette offre de reclassement et l'employeur a cessé de payer le salaire à compter du mois de mars 2011.


Le 26 août 2014, Mme [K] [Aa] a saisi le conseil de prud'hommes de Fort de France pour obtenir la condamnation de la SCP [S] ET ABAUTRET au paiement d'un rappel de salaire, indemnités, et dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 6 février 2019, le conseil de prud'hommes a jugé le reclassement de Mme [Aa] conforme à la règlementation, a débouté la salariée de ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 2 000,00 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛.

Par déclaration électronique du 14 mars 2019, Mme [Aa] a relevé appel du jugement.

Par arrêt du 19 février 2021, la cour a ordonné le rabat de la clôture prononcée le 29 mai 2020 et la réouverture des débats afin de permettre à Mme [Aa] de conclure à nouveau au fond.


Par conclusions n° 5 transmises par la voie électronique le 16 décembre 2021, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :


déclarer ses prétentions recevables,

prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de son employeur et dire qu'il est tenu au paiement des salaires,

dire que les manquements de la SCP [S] ET ABAUTRET s'analysent comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

condamner en conséquence la SCP d'huissiers à lui payer :

235 237,50 euros, au titre des salaires du 10 mars 2011 au 31 mai 2021, somme à parfaire,

23 523,75 euros, à titre de rappel de congés payés,

45 900,00 euros, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

23 507,00 euros, à titre d'indemnité spéciale de licenciement,

5 737,50 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

573,75 euros, à titre de congés payés du préavis,

1 912,50 euros, à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,

15 000,00 euros, pour dommages et intérêts pour rupture vexatoire et préjudice moral,

dire que les sommes sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

condamner la SCP [S] ET ABAUTRET à lui payer la somme de 5 000,00 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

condamner la même aux dépens de première instance et d'appel.


Au soutien de ses demandes, et à titre liminaire, elle expose que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail n'est pas nouvelle et tend aux mêmes fins que la demande relative au licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle fait valoir ensuite que la demande en répétition des salaires et les demandes au titre du licenciement ne sont pas prescrites.

Elle souligne encore que faute de preuve par l'employeur de l'envoi et de la réception de la lettre du 21 février 2011, ce dernier n'a pas respecté l'obligation de reclassement de l'article L 1226-10 du code du travail🏛.

Elle affirme que l'employeur doit lui verser son salaire sans pouvoir déduire les prestations de la sécurité sociale au motif que le salaire de remplacement a un caractère forfaitaire.

Elle expose qu'au regard des manquements graves imputables à son employeur, le juge doit prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et que celle-ci produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle énonce donc les différentes indemnités auxquelles elle estime avoir droit à ce titre.

Au soutien de sa demande de dommages et intérêts, elle fait valoir que l'attitude de son employeur est irrespectueuse et dévalorisante, compte tenu de son ancienneté.


Par conclusions remises au greffe le 16 septembre 2021, la SCP [S] ET ABAUTRET demande à la cour de déclarer la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et toutes les demandes qui en découlent irrecevables.

A titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et la condamnation de Mme [Aa] aux entiers dépens et à lui verser la somme de 2 500,00 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛.

A l'appui de ses prétentions, elle expose que, ni dans ses écritures de première instance, ni dans les conclusions de motivation d'appel, Mme [Aa] a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Elle rappelle que Mme [Aa] n'a jamais pris acte de la rupture de son contrat de travail et ne peut demander à la juridiction de constater son licenciement.

Elle expose avoir respecté l'obligation de reclassement par l'envoi du courrier proposant un poste respectant les préconisations du médecin du travail. Elle souligne qu'elle a réitéré son offre par courrier du 22 septembre 2014, que Mme [Aa] ne conteste pas avoir reçu.

Elle affirme que la salariée ne cherche qu'à battre monnaie alors qu'elle bénéficie du statut d'invalide de catégorie 2 et qu'elle perçoit à ce titre une pension d'invalidité de la sécurité sociale et un complément de pension versé par la CARCO, lui permettant de percevoir l'équivalent de 100% de son salaire net. Elle souligne également que dès le 4 juin 2010, Mme [Aa] déclarait qu'elle ne travaillerait plus. Elle rappelle que Mme [Aa] ne travaille plus et est restée hors de l'entreprise sans justifier de son absence. Elle indique qu'en l'absence de travail, aucun salaire n'est dû.

Elle insiste que, par ses man'uvres, la salariée a empêché l'employeur de déterminer quelle était sa position et donc de procéder à son reclassement ou à son licenciement.


L'ordonnance de clôture est intervenue le 2021.


Par arrêt contradictoire du 24 juin 2022, la présente cour a, avant dire droit et d'office, proposé aux parties une mesure de médiation judiciaire et renvoyé l'affaire à l'audience du 16 septembre 2022.


A l'audience, les parties ont indiqué leur accord pour la mesure de médiation judiciaire.


Par ordonnance du 16 septembre 2022, la mesure de médiation judiciaire a été ordonnée et confiée à M. [Ab] [H] ; l'affaire a été renvoyée à l'audience du 25 novembre 2022 pour homologation de l'accord des parties ou, en cas d'échec de la mesure, plaidoiries des parties.


A l'audience du 25 novembre 2022, les parties ont averti la cour du refus de Mme [Aa] à signer le protocole d'accord tel que rédigé par le médiateur judiciaire.



MOTIFS DE L'ARRET :


Sur la mesure de médiation :


Vu les dispositions des articles 131-11 et 131-12 du code de procédure civile🏛🏛,

Lors de l'audience de plaidoiries, le conseil de la SCP intimée soutient qu'en dépit de l'absence de signature du protocole d'accord rédigé par le médiateur judiciaire, Mme [Aa] a donné son accord à la perception d'une «indemnité transactionnelle et forfaitaire de 80 000,00 euros, nets de toutes charges sociales (') qui éteindra tout litige ('). Il en conclut que Mme [Aa] n'est plus recevable à former des demandes devant la cour.

Cependant, l'accord ainsi signé par Mme [Aa], en présence du médiateur, le 14 novembre 2022 prévoyait que «cet accord intervenu en présence de M. [Ac], médiateur, fera l'objet d'un protocole transactionnel, soumis à la signature des parties en vue de son homologation, signature du protocole qui éteindra le litige».

Dès lors, le conseil de la SCP [S] et A ne saurait prétendre à bon droit que la mesure de médiation est arrivée à son terme et que Mme [Aa] ne peut plus revenir sur l'accord donné le 14 novembre 2022.

La cour ne peut que constater l'échec de la mesure de médiation et, conformément aux dispositions de son arrêt du 24 juin 2022 et l'ordonnance du 16 septembre 2022 statuer sur le litige.


Sur la recevabilité des demandes deAaMme [O] :


Aux termes des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile🏛, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions (').

Suivant les dispositions de l'article suivant, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

Selon l'article 910-4, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures (').

L'intimée soulève l'irrecevabilité de la demande nouvelle de résiliation judiciaire formée par Mme [Aa] en cause d'appel et l'irrecevabilité des demandes en paiement formulées en conséquence de la demande principale.

En première instance, Mme [Aa] a contesté le respect par son employeur de son obligation de reclassement, faute duquel il est tiré pour conséquence que le licenciement de la salariée est sans cause réelle et sérieuse. Elle a ainsi développé des demandes en paiement d'indemnités à ce titre.

Dans ses premières écritures d'appel, la salariée a repris ces mêmes prétentions.

Dans les conclusions remises au greffe suite à la réouverture des débats, Mme [Aa], en sus des demandes précédentes, réclame le prononcé par la cour de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur suite au non-respect de l'obligation de reclassement.

Outre que cette demande est proprement redondante à celles déjà formées, il est constant qu'une telle résiliation si elle était prononcée aurait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dès lors, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et les demandes en paiement formées par Mme [Aa] sont recevables.


Aux termes de l'article L 3245-1 du code du travail🏛, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par 3 ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'intimée soulève la prescription d'une partie de la demande en paiement du salaire et des congés payés formée parAaMme [O].

Les dispositions ci-dessus rappelées sont issues de la loi du 14 juin 2013🏛; elles s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

En l'espèce, le point de départ du délai de prescription est le 10 mars 2011, date à laquelle, à l'issue du délai d'un mois suivant l'examen médical de reprise, l'employeur devait, faute de reclassement ou de licenciement de la salariée, payer le salaire. Ce point de départ de prescription étant antérieur au 16 juin 2013, il convient d'appliquer les règles énoncées ci-avant. La prescription a donc couru du 10 mars 2011 au 16 juin 2013, suivant le délai antérieur de 5ans, qui devait se terminer le 10 mars 2016. Au 16 juin 2013, le nouveau délai de 3 ans a commencé à s'appliquer, pour s'arrêter au 16 juin 2016. La durée totale de prescription ne pouvant excéder la durée prévue par la loi antérieure, la prescription de l'action en répétition du salaire de Mme [Aa] s'achevait donc, le 10 mars 2016. Mme [Aa] a saisi le conseil de prud'hommes par une requête du 26 août 2014, soit avant la fin du délai de prescription.

La demande en paiement du salaire et des congés payés est donc recevable.


Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :


Aux termes de l'article L 1231-1 du code du travail🏛, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord.

Suivant le droit commun du contrat (article 1224 du code civil🏛) une inexécution suffisamment grave du contrat peut entraîner sa résiliation par notification du créancier ou décision de justice.

La juridiction doit rechercher si cette demande de résiliation formée par la salariée est justifiée et, dans l'affirmative, prononcera la résiliation du contrat de travail aux torts de la SCP [S] ET ABAUTRET et la condamnation de cette dernière aux indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [Aa] motive sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sur trois manquements commis par son employeur et relatifs à l'obligation de reclassement, l'obligation de paiement de salaire et l'obligation d'information du salarié.


Sur l'obligation de reclassement :


Aux termes de l'article L 1226-10 du code du travail🏛 dans sa rédaction applicable au litige, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.

Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail.

Il est constant que l'accident subi par Mme [Aa] a été qualifié d'accident du travail (cf l'expertise médicale du 19 avril 2011, courrier de la CGSSM).

Pour preuve du respect de son obligation de reclassement de Mme [Aa], la SCP [S] ET ABAUTRET se fonde sur la lettre du 9 février 2011 adressée à Mme [Aa] et selon laquelle il était proposé à la salariée un poste aménagé suivant les prescriptions du médecin du travail. Or, ce courrier aurait été envoyé à Mme [Aa] en lettre simple. La salariée nie l'avoir reçu.

Faute pour l'employeur de justifier de l'envoi à la salariée et de la réception par celle-ci de ce courrier, il échoue à démontrer qu'il a respecté l'obligation de reclassement qui était la sienne en application des textes légaux sus rappelés.

De même, le courrier recommandé avec accusé de réception du 22 septembre 2014 par lequel la SCP [S] ET ABAUTRET, après réception de sa convocation devant le conseil de prud'hommes, s'étonne de l'attitude de la salariée et lui confirme son offre de reclassement dans un emploi conforme aux préconisations de la médecine du travail, ne saurait démontrer que l'employeur a respecté son obligation puisque, l'absence de réponse de la salariée à cette proposition de reclassement aurait dû le conduire à notifier à Mme [Aa] son licenciement, ce qui n'a pas été fait.

Au demeurant, ce courrier se contente de reprendre les termes de l'avis du médecin du travail et ne précise pas à la salariée les caractéristiques du poste qui lui est réservé.

Enfin, il ressort des termes de l'article L 1226-11 du code du travail🏛 (dont les dispositions sont reprises au titre de l'obligation de payer le salaire), ce reclassement devait intervenir dans le délai d'un mois suivant la date de l'examen médical de reprise du travail, soit avant le 10 mars 2011. Il est constant que la SCP [S] ET ABAUTRET a manqué à son obligation de reclassement de Mme [Aa] dans le délai requis.

Le grave manquement ainsi commis par la SCP [S] ET ABAUTRET justifie le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.


Sur l'obligation de paiement du salaire :


Suivant les dispositions de l'article L 1226-11 du même code🏛, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

La SCP [S] ET ABAUTRET n'a pas respecté son obligation de reclassement mais n'a pas non plus notifié à Mme [Aa] son licenciement. Celle-ci a donc droit au paiement du salaire correspondant à l'emploi qu'elle occupait avant l'arrêt de travail, à compter du 10 mars 2011.

L'absence de paiement du salaire n'est pas contestée par l'employeur.

Ce dernier justifie que Mme [Aa], percevant une rente invalidité et un complément de pension servi par l'ARCO, perçoit une somme équivalente à son salaire et ne subit aucun préjudice du fait de la situation.

Or, au regard de l'employeur, la salariée peut cumuler son salaire avec le revenu de remplacement servi par la sécurité sociale et un régime de prévoyance. Dès lors, il importe peu que la SCP [S] ET ABAUTRET établisse que Mme [Aa] perçoit depuis le 1er février 2010 une rente invalidité par la sécurité sociale et a fait valoir ses droits auprès de la CARCO.

Le manquement de l'employeur à son obligation de reprendre le paiement des salaires est dès lors patent.

Or, le paiement du salaire reste l'une des obligations principales de l'employeur.

Le grave manquement ainsi commis par la SCP [S] ET ABAUTRET justifie le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.


Sur l'obligation d'information de la salariée :


Mme [Aa] allègue que la SCP intimée aurait dû lui faire connaître par écrit les motifs s'opposant à son reclassement.

Or, se faisant, l'appelante fonde sa prétention sur des dispositions légales inapplicables (ancien article L122-32-5 du code du travail🏛 en vigueur jusqu'au 1er mai 2008).

Au surplus, il est démontré que la SCP [S] ET ABAUTRET ne s'opposait pas au reclassement de la salariée conformément aux préconisations du médecin du travail.

Dès lors, ce dernier manquement n'est pas caractérisé.


Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur :


A titre liminaire, il est relevé que la SCP [S] ET ABAUTRET ne soulève pas la prescription au titre du licenciement et de ses conséquences. La cour ne statue donc pas sur ce moyen.

Les deux manquements commis par la SCP [S] ET ABAUTRET sont d'une gravité telle qu'ils justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur. Dans cette hypothèse, la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L 1226-14 du code du travail🏛, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au 2ème alinéa de l'article L 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue à l'article L 1234-9 (')

Suivant les dispositions de l'article L 1226-15 du même code🏛, lorsque le licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement d'un salarié inapte ('), le juge peut proposer la réintégration du salarié.

En cas de refus de la réintégration par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie une indemnité au salarié dont le montant est fixé conformément aux dispositions de l'article L 1235-3-1. Elle se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant avec l'indemnité spéciale de licenciement prévues à l'article L 1226-14.

Lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions du dernier alinéa de l'article L 1226-12, il est fait application des dispositions prévues par l'article L 1235-2 en cas d'inobservation de la procédure de licenciement.

Indemnité compensatrice de préavis: conformément aux dispositions des articles L 1234-1 et L 1234-5, et de la convention collective des huissiers de justice, Mme [Aa] a droit à une indemnité équivalente à 3 mois de salaire, soit la somme de 5 737,50 euros, outre la somme de 573,75 euros au titre des congés payés sur le préavis

Indemnité spéciale de licenciement : les dispositions de la convention collective des huissiers de justice étant plus favorables, il convient d'en faire application. Le calcul effectué par Mme [Aa] est donc exact. Il est fait droit à sa demande.

Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (dite en cas d'inobservation de la procédure de licenciement par l'article L 1226-15) : Mme [Aa] peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 mois et 20 mois de salaire, en application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail🏛. La cour lui alloue donc la somme de 5 737,50 euros. La somme demandée à ce titre par Mme [Aa] est parfaitement excessive au regard du contexte particulier de l'affaire.

Indemnité pour non-respect de la procédure : Il est rappelé que la salariée ne peut cumuler cette indemnité avec celle accordée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. La demande de Mme [Aa] est rejetée.

Sur le paiement des salaires : au regard des développements précédents, Mme [Aa] est en droit d'obtenir de la SCP intimée le paiement de son salaire du 10 mars 2011 à la date où la relation salariale est rompue. Faute d'éléments relatifs à une mise à la retraite de la salariée (aujourd'hui âgée de 63 ans), la cour considère que le salaire est dû jusqu'à la date du prononcé de son arrêt. Il est donc fait droit à la demande deAaMme [O].

Sur l'indemnité compensatrice de congés payés sur les salaires dus : Il est encore fait droit à la demande de la salariée.

Conformément à la demande de l'appelante, les intérêts sur ces sommes sont dus à compter du présent arrêt.


Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire :


Loin des allégations de l'appelante, il est démontré que la SCP [S] ET ABAUTRET a surtout été victime de sa négligence en ne s'assurant pas de la réception de la lettre de proposition de reclassement par la salariée en février 2011et en cessant le versement du salaire. Mme [Aa], percevant l'équivalent de son salaire du fait du versement effectué par la sécurité sociale et la caisse de prévoyance, a attendu le mois d'août 2014 pour clarifier la situation alors qu'il est démontré que lors de la décision d'invalidité, elle a indiqué ne plus souhaiter travailler.

Au regard de ces éléments particuliers, et faute de preuve par la salariée d'un préjudice distinct, sa demande est rejetée.


Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 :


La SCP [S] ET ABAUTRET est condamnée aux dépens.

Mme [Aa] est déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛.


PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Constate l'échec de la mesure de médiation judiciaire,

Déclare la demande de Mme [K] [Aa] au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la SCP [S] ET ABAUTRET et l'ensemble des demandes formées par Mme [K] [Aa] recevables,

Déboute la SCP [S] ET ABAUTRET de sa demande au titre de la prescription d'une partie de la prétention de Mme [K] [Aa] au titre des salaires et congés payés,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] [Aa] aux torts de la SCP MICHEL et ABAUTRET,

Dit que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne, en conséquence, la SCP [S] ET ABAUTRET à verser à Mme [K] [Aa] les sommes suivantes :


235 237,50 euros, au titre du rappel de salaire du 10 mars 2011 au 31 mai 2021, somme à parfaire à la date du présent arrêt,

23 523,75 euros, au titre de l'indemnité de congés payés du 10 mars 2011 au 31 mai 2021, somme à parfaire à la date du présent arrêt,

5 737,50 euros, au titre de l'indemnité de préavis,

573,75 euros, au titre des congés payés sur préavis,

23 507,00 euros, au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

5 737,50 euros, au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,


Déboute Mme [K] [Aa] de ses demandes au titre de l'indemnité de licenciement pour non-respect de la procédure,

Déboute Mme [K] [Aa] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,

Y ajoutant,

Condamne la SCP [S] ET ABAUTRET aux entiers dépens,

Déboute Mme [K] [Aa] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛.

Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier


LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus