Jurisprudence : TA Marseille, du 16-12-2022, n° 2210066

TA Marseille, du 16-12-2022, n° 2210066

A263483X

Référence

TA Marseille, du 16-12-2022, n° 2210066. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/90809358-ta-marseille-du-16122022-n-2210066
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Abstract

► Les associations luttant contre la pollution maritime des ferries, navires de croisière, cargos et porte-conteneurs dans le port de Marseille n'apportent pas à l'appui de leur argumentation des justifications suffisantes de nature à établir l'existence d'une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu'elles entendent défendre.


Références

Tribunal Administratif de Marseille

N° 2210066


lecture du 16 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2022, les associations " Mieux Respirer ", " Cap au Nord ", " Action Estaque Environnement ", ainsi que Mme B C et Mme D A, représentées par Me Candon, demandent au juge des référés du Tribunal d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 :

1°) la suspension des décisions implicites de refus nées du silence gardé par le préfet des Bouches-du-Rhône, le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) et la Ville de Marseille, sur leurs demandes du 19 août 2022 ;

2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, au GPMM et à la Ville de Marseille, de prendre les mesures sollicitées dans un délai d'un mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 1 000 euros à verser à chacune, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elles soutiennent que :

Sur l'urgence :

- elle est caractérisée par l'atteinte grave et immédiate que porte le refus d'adopter les mesures sollicitées, à l'atmosphère, à la santé des habitants de Marseille, à l'état de la végétation, et aux intérêts des requérantes ;

- l'électrification complète des navires permettrait de réduire les émissions de polluants, notamment l'oxyde d'azote ;

- l'ouverture d'un terminal de connexion électrique des navires à quai (CENAQ) du Cap Janet et le raccordement électrique des paquebots de croisière, ayant fait l'objet d'une délibération du Grand Port Maritime de Marseille le 28 juin 2019, ont pris du retard ;

- l'urgence climatique implique que le juge des référés enjoigne urgemment la mise en œuvre de l'électrification complète des navires ;

- les mesures sollicitées ne se heurtent à aucun intérêt public.

Sur le doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées :

- au préalable, les données relatives aux taux limites d'émission des différents polluants, prévues par les dispositions de l'article R. 221-1 du code de l'environnement🏛 n'ont pas été actualisées depuis 2010, alors que l'article L. 221-1 du même code🏛 prévoit qu'elles doivent être régulièrement réévaluées ; le dépassement des valeurs actualisées méconnait les stipulations de l'article 1er et 3 de la Charte de l'environnement ;

- le refus de prendre des mesures appropriées méconnait ainsi l'article R. 221-1 du code de l'environnement🏛 et l'annexe XI de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 ;

- il méconnait également l'article 1er du décret n° 2017-949 du 10 mai 2017, l'article L. 222-9 du code de l'environnement🏛 et l'article 4.1 de la directive UE n° 2016/2284⚖️ du 14 décembre 2016, qui fixent un objectif de réduction de moitié des émissions de dioxyde d'azote d'ici 2025 ;

- il méconnait les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) 2018/842⚖️ du 30 mai 2018, l'article L. 100-4 du code de l'énergie🏛 et l'article L. 222-1 du code de l'environnement🏛, qui fixent l'objectif de réduire les émissions des gaz à effet de serre ;

- il méconnait l'article 3 de la directive UE n° 2018/2001⚖️ du 11 décembre 2018 pour la promotion des énergies renouvelables, qui prévoit d'atteindre une part d'énergie renouvelable de 23 % ;

- les articles 2 et 3 de la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 et l'article 2 et 4 de l'Accord de Paris du 12 décembre 2015 qui rappellent l'objectif de lutte contre le changement climatique, n'ont pas été pris en compte ;

- il méconnait l'article L. 220-1 du code de l'environnement🏛, en ce qu'il prévoit une obligation de moyen pour lutter contre la pollution atmosphérique ;

- il méconnait le principe de précaution posé par l'article 5 de la charte de l'environnement ;

- il méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce que le droit à la vie privée et familiale comprend un droit à un air sain et la protection du domicile ;

- le refus de mettre en œuvre les mesures sollicitées traduit la carence du maire de la ville de Marseille et du préfet des Bouches-du-Rhône à faire usage de leurs pouvoirs de police administrative en application des articles L. 2212-2 et L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales🏛🏛.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête au fond enregistrée sous le n° 2210065.

Vu :

- la Charte de l'environnement ;

- la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 ;

- l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 2018/842⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 ;

- la directive (UE) 2018/2001⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;

- la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'énergie ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Laso, vice-président, pour statuer sur les demandes de référés.

Considérant ce qui suit :

1. Constatant que le programme d'électrification des bateaux à quai mis en place au GPMM était " en dessous des besoins existant et à venir " et des actions prévues par le plan de protection de l'atmosphère des Bouches-du-Rhône (PPA 13) approuvé le 2 mai 2022, les associations " Mieux Respirer ! ", " Cap au Nord " et " Action Estaque Environnement " ainsi que Mmes C et A ont demandé, par courriers du 19 août 2022, au préfet des Bouches-du-Rhône, au président du conseil de surveillance du GPMM et au maire de Marseille de prendre plusieurs mesures pour limiter la pollution maritime. Ces mesures consistent notamment à créer des postes CENAQ (connexion électrique des navires à quais) supplémentaires, à accélérer la mise en place des postes prévus et à réguler les escales des navires dépourvus de raccordement électrique. Elles visent les ferries effectuant les trajets Marseille/Corse et Marseille/Maghreb, les navires de croisière, les cargos et les porte-conteneurs, ainsi que les activités de réparation navales pour lesquelles il est en outre demandé de recourir au bâchage des parois des navires en cours de travaux. Par la présente requête, les associations requérantes et Mmes C et A demandent au juge des référés la suspension de l'exécution des décisions contestées et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, au GPMM et au maire de Marseille de prendre de nouvelles décisions dans un délai d'un mois.

2. Aux termes de l'article de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. () ". Selon les termes de l'article L. 522-1 du même code🏛 : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique ". L'article L. 522-3 du même code🏛 dispose : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1. ".

3. La possibilité pour le juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution d'une décision administrative est subordonnée notamment à la condition qu'il y ait urgence. Il lui appartient d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à porter à un intérêt public, à sa situation ou aux intérêts qu'il entend défendre une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit, enfin, être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés statue.

4. Pour justifier l'urgence qu'il y aurait à suspendre l'exécution des décisions contestées, les requérantes soutiennent que celles-ci portent une atteinte grave et immédiate à l'atmosphère, à la santé des habitants de Marseille notamment ceux des quartiers proches du port, à l'état de la végétation et à leurs intérêts, en ce que les mesures sollicitées participent à la lutte contre la pollution atmosphérique et le réchauffement climatique qui sont des objectifs d'intérêt général relevant de "l'urgence climatique". Selon les requérantes, les émissions de polluants des navires à quai ou au sein du port constituent la quasi-totalité des émissions du secteur maritime lesquelles constituent, pour chacun des polluants, bien plus que chacun des autres secteurs de transports en raison de l'utilisation du gazole marin consommé à quai. Elles ajoutent que, si elles étaient prises, les mesures sollicitées auraient un impact significatif. A cet égard, les requérantes invoquent notamment la réduction 1 500 tonnes d'oxydes d'azote par an et l'économie de 32 473 tonnes de fuel par an. Toutefois, il est constant que les niveaux des émissions de polluants au niveau du port de Marseille ne peuvent être estimés de façon parfaitement précise et certaine et qu'il est difficile de les isoler compte tenu de l'impact du vent sur la destination des polluants. La commission d'enquête publique a ainsi considéré en 2021, lors de la révision du PPA 13, que les mesures effectuées tendent à démontrer que les valeurs des émissions (du transport maritime) répondent aux normes en vigueur actuellement. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que quatre CENAQ ont d'ores et déjà été installés pour les ferries pour la Corse et deux sont prévus pour les ferries pour le Maghreb selon la délibération du GPMM du 27 novembre 2020. De même, un premier CENAQ est prévu pour les navires de croisières pour 2023 ou 2024 et un second est à l'étude selon les délibérations du GPMM. En outre, il est constant que des mesures sont prévues pour développer l'avitaillement des navires à quai en gaz naturel liquéfié et il ne ressort pas des pièces du dossier que cette solution soit d'une nature à créer ou à aggraver les émissions de polluants ni que les émissions des autres polluants invoquées par les requérantes soient suffisamment graves pour caractériser une situation d'urgence. Ainsi, les requérantes n'apportent pas à l'appui de leur argumentation des justifications suffisantes de nature à établir l'existence à la date la présente ordonnance d'une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu'elles entendent défendre pour caractériser une situation d'urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, la mesure de suspension des décisions sollicitée soit ordonnée laquelle ne résulte pas davantage de la nature et de la portée des décisions contestées.

5. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées, la requête de l'association " Mieux respirer ! " et autres, doit être rejetée en toutes ses conclusions, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative🏛.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête des associations " Mieux respirer ! ", " Cap au Nord ", " Action Estaque Environnement ", et Mme B C et Mme D A est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée aux associations " Mieux respirer ! ", " Cap au Nord ", " Action Estaque Environnement ", et à Mme B C et Mme D A.

Fait à Marseille, le 16 décembre 2022.

Le vice-président désigné,

Juge des référés

J-M. LASO

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Le greffier,

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