CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 décembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 885 FS-B+R
Pourvoi n° S 21-21.305
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 DÉCEMBRE 2022
1°/ la société Architecture technique environnement (ATE), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° S 21-21.305 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Archibald, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Arcade Ingénierie,
2°/ à la société Arcade ingénierie, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à la société l'Auxiliaire, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Architecture technique environnement et de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société l'Auxiliaire, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme A, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance du pourvoi examinée d'office
1. Après avis donné aux parties conformément à l'
article 1015 du code de procédure civile🏛, il est fait application de l'article 978 du même code.
Vu l'
article 978 du code de procédure civile🏛 :
2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.
3. La société Architecture technique environnement (la société ATE) et la Mutuelle des architectes français (la MAF) n'ont pas signifié le mémoire ampliatif à la société Arcade ingénierie ni à la société Archibald, prise en sa qualité de liquidateur de la société Arcade ingénierie.
4. Il s'ensuit que la déchéance du pourvoi principal doit être constatée à l'égard de ces sociétés.
Faits et procédure
5. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2021), l'office public de l'habitat d'Aubervilliers (l'OPH) a confié au groupement constitué notamment de la société ATE, assurée auprès de la MAF, la maîtrise d'oeuvre de travaux de restructuration et de réhabilitation d'un immeuble.
6. La société Arcade développement, devenue Arcade ingénierie, assurée auprès de la société L'Auxiliaire, est intervenue en qualité de sous-traitant de la société ATE.
7. La réception a eu lieu le 2 novembre 2008.
8. Se plaignant de désordres, l'OPH a, sur requête adressée le 13 septembre 2011 au tribunal administratif, obtenu la désignation d'un expert par ordonnance du 1er décembre 2011.
9. Par jugement du 19 janvier 2016, confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel du 15 mars 2018, la société ATE a été condamnée, avec d'autres constructeurs, à payer à l'OPH une certaine somme pour remédier aux désordres.
10. Par acte du 6 mars 2018, la société ATE et la MAF ont assigné la société Archibald, ès qualités, et la société L'Auxiliaire pour que celle-ci soit condamnée à leur rembourser les sommes qu'elles avaient payées à l'OPH.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
11. La société ATE et la MAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes formées contre la société L'Auxiliaire, alors « que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a fait l'objet de la demande indemnitaire qui motive ce recours ; que ce délai ne peut courir à compter d'une requête en référé expertise ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour déclarer irrecevable l'action exercée par la société ATE et la MAF contre la compagnie l'Auxiliaire au mois de mars 2018, que la prescription avait commencé à courir à compter de la requête en référé-expertise adressée par l'OPH d'Aubervilliers au tribunal administratif de Montreuil, soit le 13 septembre 2011 ; qu'en statuant ainsi, alors que le point de départ du délai était la date à laquelle l'OPH d'Aubervilliers avait formé contre la société ATE une demande indemnitaire devant le tribunal administratif de Montreuil, soit le 28 novembre 2014, de sorte que l'action formée au mois de mars 2018 n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé l'
article 2224 du code civil🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 2219 et 2224 du code civil🏛🏛 et l'
article L. 110-4, I, du code de commerce🏛 :
12. Aux termes du premier de ces textes, la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.
13. Il résulte des deux derniers que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
14. Par un arrêt rendu le 16 janvier 2020 (
3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.915⚖️, publié), la troisième chambre civile a jugé, d'une part, que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relevait des dispositions de l'
article 2224 de code civil🏛 et se prescrivait par cinq ans à compter du jour où le premier avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, d'autre part, que tel était le cas d'une assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur principal, laquelle mettait en cause la responsabilité de ce dernier.
15. Cette dernière règle oblige cependant les constructeurs, dans certains cas, à introduire un recours en garantie contre d'autres intervenants avant même d'avoir été assignés en paiement par le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, dans le seul but d'interrompre la prescription. En effet, même lorsqu'ils ont interrompu la prescription en formant eux-mêmes une demande d'expertise contre les autres intervenants à l'opération de construction, le délai de cinq ans qui, après la suspension prévue par l'
article 2239 du code civil🏛, recommence à courir à compter du jour où la mesure d'expertise a été exécutée, peut expirer avant le délai de dix ans courant à compter de la désignation de l'expert, pendant lequel le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage peuvent agir en réparation de leurs préjudices.
16. La multiplication de ces recours préventifs, qui nuit à une bonne administration de la justice, conduit la Cour à modifier sa jurisprudence.
17. Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution de l'obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l'application de la prescription extinctive, avant l'introduction de ces demandes principales.
18. Dès lors, l'assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures.
19. La jurisprudence nouvelle s'applique à l'instance en cours, dès lors qu'elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à la sécurité juridique de la société L'Auxiliaire tout en préservant le droit d'accès au juge de la société ATE et de la MAF.
20. Pour déclarer irrecevables les demandes de la société ATE et de la MAF, l'arrêt relève que ces sociétés ont assigné la société L'Auxiliaire en mars 2018, plus de cinq années après le 13 septembre 2011, date à laquelle la requête aux fins d'expertise les concernant avait été adressée au tribunal administratif par le maître de l'ouvrage, sans qu'il soit fait état d'aucun acte interruptif entre ces deux dates.
21. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'assignation avait été délivrée à la société L'Auxiliaire par la société ATE et la MAF moins de cinq ans après la requête de l'OPH adressée à la juridiction administrative aux fins d'indemnisation de ses préjudices, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CONSTATE la déchéance du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la société Arcade ingénierie et la société Archibald, prise en sa qualité de liquidateur de la société Arcade ingénierie ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes formées par la Mutuelle des architectes français et la société Architecture technique environnement pour prescription, l'arrêt rendu le 28 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société l'Auxiliaire aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour la société Architecture technique environnement et la société Mutuelle des architectes français
La société Ate et la Maf font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables comme prescrites les demandes formées contre la société l'Auxiliaire ;
Alors que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a fait l'objet de la demande indemnitaire qui motive ce recours ; que ce délai ne peut courir à compter d'une requête en référé expertise ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour déclarer irrecevable l'action exercée par la société Ate et la Maf contre la compagnie l'Auxiliaire au mois de mars 2018, que la prescription avait commencé à courir à compter de la requête en référé-expertise adressée par l'OPH d'Aubervilliers au tribunal administratif de Montreuil, soit le 13 septembre 2011 ; qu'en statuant ainsi, alors que le point de départ du délai était la date à laquelle l'OPH d'Aubervilliers avait formé contre la société ATE une demande indemnitaire devant le tribunal administratif de Montreuil, soit le 28 novembre 2014, de sorte que l'action formée au mois de mars 2018 n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé l'
article 2224 du code civil🏛.