Jurisprudence : CA Montpellier, 30-11-2022, n° 22/03238, Infirmation

CA Montpellier, 30-11-2022, n° 22/03238, Infirmation

A56498XI

Référence

CA Montpellier, 30-11-2022, n° 22/03238, Infirmation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/90434125-ca-montpellier-30112022-n-2203238-infirmation
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COUR D'APPEL DE MONTPELLIER


1re chambre sociale


ARRET DU 30 NOVEMBRE 2022


Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/03238 - N° Portalis DBVK-V-B7G-POSN


Arrêt n° :


Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du 09 JUIN 2022 du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - Formation de référé de Sète - N° RG 22/00003



APPELANTE :


S.A.S RESIDE ETUDES SENIORS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant) et par Me KEMEL, avocat au barreau de Paris (plaidant)


INTIMEE :


Madame [U] [W]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Alexandra SOULIER, avocat au barreau de MONTPELLIER


Ordonnance de clôture du 27 Septembre 2022



COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été débattue le 04 OCTOBRE 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller, chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller


Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL


Ministère public :


L'affaire a été communiquée au ministère public.


ARRET :


- contradictoire ;


- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛 ;


- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.


*

* *



EXPOSÉ DU LITIGE


La société L'YSER, aux droits de laquelle vient la SAS RÉSIDE ÉTUDES SENIORS, a embauché Mme [Aa] [W] suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 14 février 2012 en qualité d'agent technique et d'entretien.


Par avenant du 18 janvier 2021 la salariée a été affectée à la résidence pour personnes âgées [4] à [Localité 5].


Le 21 juillet 2021, l'employeur adressait aux salariés la note suivante :

« Suite aux annonces du Président de la République, en date du 12/07/2021, plusieurs mesures de protection et de prévention vont entrer en vigueur dans les prochaines semaines, notamment la vaccination obligatoire pour le personnel travaillant en contact avec les personnes âgées. Par conséquent, le personnel travaillant dans les résidences seniors devra être impérativement vacciné au 15 septembre 2021. En effet, afin d'assurer votre sécurité (et celle de votre famille) mais aussi celle de nos clients, il est très important que cette obligation soit respectée. Afin de respecter le plus aisément possible cette obligation, les mesures suivantes seront mises en place :

' Organiser dès à présent le recensement des personnes vaccinées au sein de nos établissements :

Pour ce faire, nous vous remercions de bien vouloir vous signaler auprès de vos directeurs ou adjoints ou chefs des ventes et de leur présenter votre certificat de vaccination, seuls ces derniers détiendront cette information donnée à titre confidentiel.

' Organiser et faciliter la vaccination du personnel :

Vos responsables vous communiqueront les centres de vaccination les plus proches de votre lieu de travail et si vous le souhaitez, vous pourrez vous absenter sur votre temps de travail, après autorisation de votre responsable, afin d'aller vous faire vacciner (1 ou 2 doses selon cas). Afin de valider cette absence, le document attestant votre vaccination devra être présenté à votre hiérarchie. Des contrôles de la part des administrations seront organisés à grande échelle, à partir de mi-septembre, afin de vérifier l'exécution de cette mesure obligatoire. Ces mesures sont applicables à tout le personnel de la résidence, permanent et temporaire ou en mission au sein des établissements. »


Le 26 août 2021, l'employeur adressait aux salariés une nouvelle note d'information en ces termes :

« Plusieurs mesures de protection et de prévention sont entrées en vigueur, notamment la vaccination obligatoire pour le personnel travaillant en contact avec les personnes âgées. Par conséquent, le personnel travaillant dans les résidences seniors doit impérativement être vacciné au 15 septembre 2021. En effet, afin d'assurer votre sécurité (et celle de votre famille) mais aussi celle de nos clients, il est très important que cette obligation soit respectée. Afin de respecter le plus aisément possible cette obligation, les mesures suivantes seront mises en place :

' Organiser dès à présent le recensement des personnes vaccinées au sein de nos établissements :

Pour ce faire, nous vous remercions de bien vouloir vous signaler auprès de vos directeurs ou adjoints ou chefs des ventes, seuls ces derniers détiendront cette information donnée à titre confidentiel.

' Organiser et faciliter la vaccination du personnel :

Vos responsables vous communiqueront les centres de vaccination les plus proches de votre lieu de travail et si vous le souhaitez, vous pourrez vous absenter sur votre temps de travail, après autorisation de votre responsable, afin d'aller vous faire vacciner (1 ou 2 doses selon cas). Afin de valider cette absence, le document attestant votre vaccination devra être présenté à votre hiérarchie. Des contrôles de la part des administrations seront organisés à grande échelle, à partir de mi-septembre, afin de vérifier l'exécution de cette mesure obligatoire. Ces mesures sont applicables à tout le personnel de la résidence, permanent ou temporaire ou en mission au sein des établissements. »


Le 5 octobre 2021, l'employeur suspendait le contrat de travail et la rémunération de la salariée pour défaut de vaccination suivant lettre recommandée ainsi rédigée :

« Nous faisons suite à votre refus de présenter votre passe sanitaire en date du 5 octobre 2021 sur l'établissement [4] de [Localité 5]. Comme nous vous l'avons indiqué oralement, la présentation du passe sanitaire est une obligation légale à laquelle nous ne pouvons déroger. Dans ces conditions, nous n'avons d'autre choix que de suspendre votre contrat de travail jusqu'à présentation des justificatifs nécessaires à votre retour, et vous demandons de ne plus vous présenter sur votre lieu de travail jusqu'à nouvel ordre. Nous attirons votre attention sur le fait que vous ne percevrez aucune rémunération pendant toute la période de suspension. Vous avez toutefois la possibilité de poser des congés payés acquis si vous en faites la demande expresse. »


Contestant l'obligation vaccinale ainsi que son application à l'entreprise et sollicitant sa réintégration et le paiement du salaire, Mme [U] [W] a saisi le 24 février 2022 la formation de référé du conseil de prud'hommes de Sète, laquelle, par ordonnance rendue le 9 juin 2022 :


s'est déclarée compétente pour juger du litige ;

a déclaré la salariée recevable et bien fondée en toutes ses demandes ;

a dit que la suspension de contrat litigieuse corroborée d'une suspension de salaire s'analyse en une sanction pécuniaire prohibée ;

a dit que la suspension du contrat de travail à compter du 5 octobre 2021 et l'interruption concomitante du versement de sa rémunération constituent une discrimination prohibée au sens de l'article L. 1132-2 du code du travail🏛 ;

a dit que l'employeur en demandant à la salariée de produire un justificatif de son statut vaccinal a violé le libre consentement éclairé dont elle disposait pour choisir ou non de se vacciner ;

a ordonné la réintégration sans délai de la salariée dans sa fonction ;

a condamné l'employeur à reprendre le versement du salaire à hauteur de 1 788,11 € bruts, sous astreinte de 30 € par jour de retard à compter du 30e jour de la notification de la décision ;

a condamné l'employeur à verser à la salariée les sommes suivantes sous astreinte de 30 € par jour de retard à compter du 30e jour de la notification de la décision :


'8 940,55 € bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 5 octobre 2021 au 5 mars 2022 ;

'  849,05 € bruts au titre des congés payés y afférents ;


a condamné l'employeur à verser à la salariée la somme de 1 200 € au titre des frais irrépétibles ;

a débouté l'employeur de ses demandes ;

a condamné l'employeur aux entiers dépens.



Cette décision a été notifiée le 10 juin 2022 à la SAS RÉSIDE ÉTUDES SENIORS qui en a interjeté appel suivant déclaration du 16 juin 2022.


La salariée ayant transmis à l'employeur un certificat de test positif à la COVID-19 du 11 juillet 2022 ainsi qu'une attestation d'isolement du 11 au 20 juillet 2022, ce dernier lui a indiqué le 19 juillet 2022 qu'elle pourrait reprendre son poste le 21 juillet 2022 au matin et ce pour la durée de validité de son certificat de rétablissement.


L'instruction a été clôturée par ordonnance du 27 septembre 2022 et en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile🏛, l'appel étant relatif à une ordonnance de référé, le président de la chambre a fixé les jour et heure auxquels l'affaire sera appelée à bref délai, soit le 4 octobre 2022.


Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles la SAS RÉSIDE ÉTUDE SENIORS demande à la cour de :


infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :


'déclaré la formation de référé compétente pour juger du litige ;

'déclaré la salariée recevable et bien fondée en toutes ses demandes ;

'dit que la suspension du contrat s'analyse en une sanction pécuniaire prohibée ;

'dit que la suspension du contrat à compter du 5 octobre 2021 et l'interruption concomitante du versement de sa rémunération constituent une discrimination prohibée au sens de l'article L. 1132-2 du code du travail🏛 ;

'dit qu'en demandant à la salariée de produire un justificatif de son statut vaccinal l'employeur a violé le libre consentement éclairé dont la salariée disposait pour choisir ou non de se vacciner ;

infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle :

'a ordonné la réintégration sans délai de la salariée dans sa fonction ;

'l'a condamnée à reprendre le versement du salaire à hauteur de 1 788,11 € bruts, sous astreinte de 30 € par jour de retard à compter du trentième jour de la notification de la décision ;

'l'a condamnée à verser à la salariée la somme de 8 940,55 € bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 5 octobre 2021 au 5 mars 2022, ainsi que la somme de 849,05 € bruts au titre des congés payés y afférents, sous astreinte de 30 € par jour de retard à compter du trentième jour de la notification de la décision ;

'l'a condamnée à verser à la salariée la somme de 1 200 € au titre des frais irrépétibles ;

'l'a déboutée de ses demandes.


in limine litis, dire n'y avoir lieu à référé ;

dire irrecevable la demande de réintégration sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, la salariée sollicitant dans le dispositif de ses conclusions la confirmation de l'ordonnance sur ce chef et limitant sa demande de réformation au montant du rappel des salaires ;

dire que la salariée n'a fait l'objet d'aucune sanction et que la suspension de son contrat de travail est conforme à la loi ;

rejeter la demande de sursis à statuer ;

débouter la salariée de ses demandes ;

ordonner la restitution de l'ensemble des sommes versées à la salariée en exécution de l'ordonnance entreprise sous astreinte de 30 € par jour à compter du 10e jour de l'arrêt ;

ordonner à la salariée de restituer l'ensemble des salaires perçus suite à l'ordonnance entreprise sous astreinte de 30 € par jour à compter du 10e jour de l'arrêt ;

assortir la décision du paiement des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts ;

condamner la salariée au paiement de la somme de 4 000 € au titre des frais irrépétibles ;

condamner la salariée aux entiers dépens.


Vu le mémoire de question prioritaire de constitutionnalité n° 2 déposé et repris par son conseil selon lequel Mme [U] [W] demande à la cour de :


prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la disposition de l'article 14-II issue de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire soit une disposition législative susceptible de faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité pour violation des droits et libertés constitutionnels suivants : principe de sécurité juridique, le droit de propriété, le droit à l'emploi et à la rémunération, le principe d'égalité, le principe de proportionnalité des délits et des peines, la liberté contractuelle, la liberté d'entreprendre, le droit de mener une vie de famille normale, la liberté individuelle, la liberté d'opinion, de conscience et de pensée, la liberté de disposer de son corps, la protection de la santé, la protection de l'intégrité physique, la protection de la dignité humaine ;

constater que la question soulevée est applicable au litige ;

constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques ;

constater que la question soulevée présente un caractère sérieux ;

transmettre à la Cour de cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.


Vu le mémoire en réponse sur la question prioritaire de constitutionnalité déposé et repris à l'audience par son conseil selon lequel la SAS RÉSIDE ÉTUDES SENIORS demande à la cour de :


dire n'y avoir lieu à question prioritaire de constitutionnalité ;

condamner la salariée au paiement de la somme de 4 000 € au titre des frais irrépétibles ;

condamner la salariée aux entiers dépens.


Vu l'avis du ministère public du 30 septembre 2022 qui retient que la demande de question prioritaire de constitutionnalité paraît recevable mais intransmissible comme dépourvue de caractère sérieux.


Vu les écritures n° 3 déposées à l'audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles Mme [U] [W] demande à la cour de :


surseoir à statuer le temps de la transmission de question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation ;

transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation ;

dire que l'article 14 de la loi du 5 août 2021🏛 portant obligation vaccinale sur laquelle se fonde l'employeur n'est pas conforme à la convention (n°95) sur la protection du salaire ;

déclarer inconventionnel l'article 14 de la loi portant obligation vaccinale ;

confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle :


'l'a déclarée recevable en ses demandes ;

'a ordonné sa réintégration sans délai avec reprise du paiement de son salaire corrélatif ;

'a condamné l'employeur au paiement de la somme de 1 200 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens ;


infirmer l'ordonnance entreprise concernant le montant du rappel de salaires auquel l'employeur a été condamné, et notamment, en ce que la formation de référé a condamné l'employeur à lui verser la somme de 8 940,55 € à titre de rappel de salaires pour la période du 5 octobre 2021 au 5 mars 2022 ainsi que la somme de 894 € au titre des congés y afférents, sous astreinte de 30 € par jour de retard ;

la déclarer recevable et bien fondée en toutes ses demandes ;

dire que la suspension de contrat litigieuse corroborée d'une suspension de salaire s'analyse en une sanction pécuniaire prohibée ;

dire que la suspension du contrat de travail à compter du 5 octobre 2021 et l'interruption concomitante du versement de sa rémunération constituent une discrimination prohibée au sens de l'article L. 1132-2 du code du travail🏛 ;

dire que l'employeur s'est rendu coupable de discrimination ;

dire que l'employeur en lui demandant de produire un justificatif de son statut vaccinal a violé le libre consentement éclairé dont elle disposait pour choisir ou non de se vacciner et a généré une violation du secret médical général et absolu et protégé notamment par l'article L. 4624-8 du code du travail🏛 et dont seul le médecin du travail est détenteur et garant ;

ordonner sa réintégration à son poste sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de l'arrêt, au besoin en aménageant son poste de travail ;

condamner l'employeur à reprendre le salaire de 1 788,11 € bruts dès le lendemain de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

condamner l'employeur à lui verser la somme de 16 093,02 € bruts à titre de rappel de salaires pour la période du 5 octobre 2021 au 5 juillet 2022 (à parfaire le jour de l'arrêt), outre la somme de 1 609,03 € bruts au titre des congés payés y afférents sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt ;

condamner l'employeur à délivrer les bulletins de paie régularisés corrélatifs, depuis le mois d'octobre 2021 jusqu'à la date de l'arrêt sous astreinte de 100 € par jour de retard, à compter de la notification de l'arrêt ;

condamner l'employeur à lui verser la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, et avec l'accord des parties recueilli sur l'audience, il convient de joindre le dossier n° 22/03678 concernant la question prioritaire de constitutionnalité au dossier n° 22/03238.


1/ Sur la question prioritaire de constitutionnalité


La salariée sollicite la transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité visant à demander au Conseil constitutionnel de dire si l'article 14-II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ne viole pas les 12 droits et libertés constitutionnels suivants : 1/ le principe de sécurité juridique, 2/ le droit de propriété, 3/ le droit à l'emploi et à la rémunération, 4/ le principe d'égalité, 5/ le principe de proportionnalité des délits et des peines, 6/ la liberté contractuelle, 7/ la liberté d'entreprendre, 8/ le droit de mener une vie de famille normale, 9/ la liberté individuelle, 10/ la liberté d'opinion, de conscience et de pensée, 11/ la liberté de disposer de son corps, 12/ la protection de la dignité, de la santé et de l'intégrité physique.


L'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021🏛 relative à la gestion de la crise sanitaire dispose que :

« I. ' A. ' À compter du lendemain de la publication de la présente loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ou le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret.

B. ' À compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12.

Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret.

II. ' Lorsque l'employeur constate qu'un salarié ne peut plus exercer son activité en application du I du présent article, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. Le salarié qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés. À défaut, son contrat de travail est suspendu.

La suspension mentionnée au premier alinéa du présent II, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que le salarié remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, le salarié conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit.

La dernière phrase du deuxième alinéa du présent II est d'ordre public.

Lorsque le contrat à durée déterminée d'un salarié est suspendu en application du premier alinéa du présent II, le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension.

III. ' Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. À défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail.

La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit.

La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public.

Lorsque le contrat à durée déterminée d'un agent public non titulaire est suspendu en application du premier alinéa du présent III, le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension.

IV. ' Les agences régionales de santé vérifient que les personnes mentionnées aux 2° et 3° du I de l'article 12 qui ne leur ont pas adressé les documents mentionnés au I de l'article 13 ne méconnaissent pas l'interdiction d'exercer leur activité prévue au I du présent article.

V. ' Lorsque l'employeur ou l'agence régionale de santé constate qu'un professionnel de santé ne peut plus exercer son activité en application du présent article depuis plus de trente jours, il en informe, le cas échéant, le conseil national de l'ordre dont il relève. »


L'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958🏛 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel organise la procédure ainsi :

« La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. »


L'employeur ne conteste pas avoir fondé la mesure de suspension du contrat de travail sans rémunération sur les dispositions de l'article 14 II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021🏛. Dès lors, la disposition objet de la question apparaît bien applicable au litige.


Les parties sont communes pour retenir que la disposition contestée n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.


Mais l'employeur et le ministère public s'opposent à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité en faisant valoir qu'elle se trouve dépourvue de caractère sérieux.


Pour apprécier ce caractère sérieux, il convient d'examiner un à un chacun des 12 droits et libertés constitutionnels invoqués par la salariée avant de les considérer encore globalement.


1-1/ Sur le principe de sécurité juridique


La salariée reproche à l'obligation vaccinale d'avoir changé de modalité à plusieurs reprises, dès lors que pour s'y conformer il a d'abord fallu une, puis deux et enfin trois doses de vaccin et que la durée de l'obligation se trouve conditionnée par un décret qui sera pris suite à un avis de la haute autorité de santé qui n'est pas connu à ce jour.


Mais la disposition législative contestée, simple et compréhensible à première lecture, n'a pas varié, et il n'est pas sérieux de soutenir que le fait que son application se trouve conditionnée aux évolutions tant de l'offre vaccinale que de la pandémie elle-même, lesquelles évolutions sont progressivement actées par décrets, introduit une insécurité juridique, dès lors que chaque décret en la matière, largement médiatisé, est susceptible d'être contesté devant le Conseil d'État.


1-2/ Sur le droit de propriété


La salariée soutient que la rémunération constitue un droit qui s'acquiert par l'existence même du contrat de travail et qui ne saurait s'éteindre lorsque le travailleur se trouve privé de son emploi à son insu.


Mais il ne peut être sérieusement soutenu que le droit à rémunération, effectivement protégé par le droit de propriété, découle de l'existence même du contrat de travail, alors qu'au contraire il est constant en droit positif que la rémunération se trouve due du simple fait de l'exécution de la prestation de travail, même en l'absence de contrat, et qu'à l'inverse le défaut d'accomplissement de tout travail ne s'accompagne du maintien de la rémunération que dans les cas limitativement énumérés par la loi ou la jurisprudence, essentiellement à titre de protection du salarié ou de sanction des manquements de l'employeur.


Il sera relevé à ce titre que si le salaire était une conséquence inconditionnelle du contrat de travail, point n'aurait été besoin de prévoir la prise en charge des congés maladie, maternité et parentaux par un mécanisme assurantiel, l'employeur continuant naturellement à verser le salaire durant ces périodes de suspension. Dès lors, ce grief n'apparaît pas sérieux.


1-3/ Sur le droit à l'emploi et à la rémunération


La salariée fait valoir que la suspension sans rémunération du contrat de travail porte une atteinte excessive au droit à l'emploi et à la rémunération de ce dernier.


Mais, pour apprécier le sérieux de l'excès invoqué, il convient de mesurer le risque d'atteinte à la santé et à la vie dont le législateur a entendu protéger les personnes âgées au moyen de l'obligation vaccinale des personnels des entreprises les prenant en charge.


Très rapidement, il est apparu manifeste que la pandémie mettait principalement en grave danger des personnes âgées ou déjà en mauvaise santé. Dès lors, l'instauration d'une obligation vaccinale au sein des établissements accueillant des personnes âgées s'est trouvée réclamée tant par les autorités médicales que par les principaux relais de l'opinion publique. Le pouvoir législatif ne put dès lors se dispenser d'interdire les lieux accueillant principalement ces publics fragiles aux personnes ne présentant pas le plus haut degré de sécurité que permettait l'état de la médecine au temps où il eut à statuer.


La loi aurait pu prévoir le licenciement des salariés non-vaccinés en s'inspirant du droit positif qui autorise le licenciement pour cause réelle et sérieuse, en l'absence de possibilité de reclassement, du chauffeur qui perd son permis de conduire ou de tout salarié qui perd une habilitation légale nécessaire à l'exécution de son travail.


Elle aurait même pu autoriser le licenciement pour faute grave au titre de la mise en danger de la santé et de la vie des pensionnaires pris en charge par l'employeur.


Le législateur fit le choix mesuré d'une simple suspension du contrat de travail en en tirant la conséquence de droit commun de l'absence de rémunération durant la période de suspension. Ainsi ne peut-il être sérieusement soutenu que l'atteinte portée au droit à l'emploi et à la rémunération soit excessive au regard de la nécessité de préserver la santé et la vie des personnes fragiles accueillies dans les établissements concernés par l'obligation vaccinale.


1-4/ Sur le principe d'égalité


La salariée reproche à la disposition légale en cause d'opérer une différence de traitement entre les personnes vaccinées et les personnes non-vaccinées.


Mais cette branche de la question n'est pas sérieuse dès lors qu'elle se fonde elle-même sur la différence objective de statut vaccinal dont les conséquences sur la protection de la santé des résidents apparaissent évidentes au vu des données académiques très largement concordantes concernant les effets de la vaccination sur la transmission de la maladie.


1-5/ Sur le principe de proportionnalité des délits et des peines


La salariée soutient que la suspension du contrat de travail constitue une sanction réprimant la violation de l'obligation vaccinale.


Mais il n'apparaît pas sérieux de prétendre que la suspension du contrat de travail et son corollaire de droit commun de l'absence de rémunération, simple mesure de santé publique rendue nécessaire et possible tant par la pandémie que par la commercialisation du vaccin, constitue une punition réprimant le défaut de vaccination, sauf à étendre sans aucune limite la notion de sanction à toute situation vécue douloureusement par le sujet.


1-6/ Sur la liberté contractuelle


La salariée fait valoir que la suspension du contrat de travail sans rémunération porte atteinte au droit au maintien des contrats légalement conclus.


Mais cette affirmation apparaît dépourvue de sérieux dès lors que le droit du travail constitue une matière d'ordre public qui autorise précisément le législateur, mais aussi les partenaires sociaux, à modifier tant les rémunérations que les conditions de travail sans considération d'un droit à la continuité de l'exécution des contrats en cours, alors qu'en l'espèce le législateur a au contraire prévu une simple suspension du contrat de travail et non un licenciement.


1-7/ Sur la liberté d'entreprendre


La liberté d'entreprendre n'est ni générale ni absolue, elle ne s'exerce que dans les conditions prévues par la loi qui peut y apporter des limitations justifiées par l'intérêt général proportionnées aux objectifs qu'elle poursuit.


En l'espèce, il ne peut être sérieusement soutenu que la protection des personnes âgées ou malades, cibles privilégiées de la pandémie, ne justifie pas une limitation à la liberté d'entreprendre tenant à l'exigence d'une vaccination.


1-8/ Sur le droit de mener une vie de famille normale


La salariée reproche à la suspension du contrat de travail sans rémunération d'avoir porté atteinte à son droit de mener une vie familiale normale. Mais elle n'explique nullement en quoi ce grief serait distinct de celui portant sur le droit à l'emploi et à la rémunération, lequel est dépourvu de sérieux. Ce huitième grief n'apparaît donc pas plus sérieux.


1-9/ Sur la liberté individuelle


La liberté individuelle n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance des droits naturels de chaque homme et ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.


La salariée fait valoir à ce titre que la suspension du contrat de travail sans rémunération annihile sa liberté de se faire vacciner ou non.


Mais il ne peut être sérieusement soutenu que la liberté revendiquée de ne pas se faire vacciner ne puisse être bornée par le droit naturel des personnes âgées à la santé et à la vie.


1-10/ Sur la liberté d'opinion, de conscience et de pensée


La salariée fait valoir que nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.


Mais ce grief se trouve dépourvu de sérieux dès lors que la politique sanitaire qui a conduit à l'adoption de la disposition contestée ne s'est fondée ni sur des opinions ni sur des croyances mais sur des données médicales elles-mêmes basées sur des preuves admises par la majorité de la communauté scientifique. De ce fait, une telle politique, et sa traduction en prescriptions juridiques, ne sauraient avoir d'impact dans le domaine des croyances et des opinions, domaine justement protégé par la liberté de conscience.


1-11/ Sur la liberté de disposer de son corps


La salariée soutient que toute personne est libre d'accepter ou de refuser des soins, en ce compris la vaccination.


Cette affirmation se trouve dépourvu de sérieux dans sa généralité au regard des vaccinations obligatoires imposées à l'ensemble de la population, contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite respectivement depuis 1938, 1940 et 1964, puis, plus récemment, pour les personnes nées après le 1er janvier 2018, contre la coqueluche, la rougeole, la rubéole, les oreillons, les infections invasives à Haemophilus influenzae de type b, l'hépatite B, les infections invasives à pneumocoque, les infections invasives à méningocoque et encore la fièvre jaune en Guyane.


L'obligation vaccinale imposée aux soignants, déjà validée par le Conseil constitutionnel, vient tout autant contredire l'assimilation que propose la salariée de la vaccination à tout autre soin.


En l'espèce, l'obligation vaccinale se trouve liée au caractère contagieux de la maladie, à son évolution pandémique et à la fragilité particulière des personnes malades ou âgées.


Dès lors, il n'apparaît pas sérieux de soutenir que l'obligation vaccinale imposée pour permettre l'exécution normale du contrat de travail des personnels des entreprises recevant un public particulièrement fragile porte atteinte à la liberté de la salariée de disposer de son corps.


1-12/ Sur la dignité et la protection de la santé et de l'intégrité physique


La salariée reproche au législateur d'avoir tenté de porter atteinte à sa dignité, à sa santé et à son intégrité physique en la forçant à se vacciner. Mais ce grief manque particulièrement de sérieux dès lors qu'elle ne s'est pas fait vacciner et que la suspension de son contrat de travail était précisément nécessaire pour qu'elle ne porte pas atteinte elle-même à la dignité, à la santé et à la vie des résidents de l'établissement dans lequel elle travaillait.


1-13/ Sur la globalité des moyens soulevés


Le sérieux des 12 griefs qui viennent d'être examinés les uns après les autres n'a pas été retenu après discussion des seules objections explicitement développées dans le mémoire de la salariée. Toutefois, la cour n'entend pas éluder le débat plus général implicitement contenu dans les écrits de l'intimée mais développé explicitement dans la plaidoirie de son conseil et dans lequel les premiers juges n'ont pas hésité à s'avancer.


La question posée par la salariée retrouve en effet sa logique interne dès lors que l'on envisage :

' que l'innocuité des vaccins mis sur le marché avec une rapidité encore jamais usitée ne serait nullement établie ;

' qu'il ne serait pas plus démontré que ces nouveaux vaccins aient une incidence significative sur la transmission de la maladie dans des conditions de vie réelles ;

' que tant l'opinion publique majoritaire que les pouvoirs publics auraient confondu, dans un mouvement de panique morale, une légère diminution de l'espérance de vie, particulièrement élevée dans les pays avancés, avec un éventuel homicide involontaire des personnes âgées ou fragiles ;

' que la fin de vie de ces dernières se serait trouvée ainsi dramatisée à l'envi ;

' que cette dramatisation aurait travesti l'inéluctable tragédie de l'existence que constitue la mort de ces personnes en un drame qu'une techno-médecine, se disant abusivement fondée sur des preuves, aurait eu la démesure de prétendre éviter, bien en vain, mais au prix d'atteintes inédites aux libertés individuelles auxquelles les démocraties occidentales n'auraient jamais consenti par le passé, malgré plusieurs pandémies comparables, notamment la grippe espagnole de 1918-1919 et celle dite de Hong Kong de 1968 à 1970.


Il apparaît incontestable que ce mouvement de pensée, bien que très minoritaire, agrège différentes réflexions bien plus largement présentes depuis un certain temps dans la société :

' la défiance à l'égard de la médecine académique et de l'industrie pharmaceutique qui la seconde et parfois la précède, défiance qui se nourrit d'un nombre important de scandales sanitaires dont la justice eut à connaître ;

' l'incapacité de plus en plus manifeste du sujet moderne à accepter l'évidence de sa finitude ;

' la servitude plus ou moins volontaire à laquelle conduisent les vaines promesses de la technique, qui loin d'améliorer le sort du sujet, autorisent un contrôle social inédit en son ampleur.


La liberté d'opinion protège sans nul doute de tels raisonnements généraux à supposer même qu'on ne les partage pas.


Pour autant, leur agrégation autour de l'obligation vaccinale contre la covid-19 imposée aux seuls personnels des entreprises prenant en charge des populations fragiles n'est rendue possible qu'au moyen d'un biais intellectuel bien spécifique tenant au prétendu danger des nouveaux vaccins et à la prétendue absence d'impact de la vaccination sur la transmission de la maladie, deux affirmations qui devaient se révéler manifestement erronées.


Une fois admis, comme toutes les données scientifiques aujourd'hui disponibles l'indiquent, que la vaccination contre la covid-19 ne présente que de très faibles risques sanitaires et qu'elle permet bien de diminuer de manière significative la transmission de la maladie, les considérations générales précitées se désolidarisent de la question posée par la salariée et l'examen de cette dernière se réduit à celui des 12 griefs précités tel qu'il vient d'être mené jusqu'à sa conclusion retenant l'absence de sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité.


Il sera enfin surabondamment relevé que depuis la dernière grande épidémie de grippe des années 1968-1969 le développement historique des droits de l'individu, dont la salariée sollicite aujourd'hui la protection, explique en bonne part, et tout à l'inverse de ses prétentions, la vigueur inédite du contrôle social dont elle se plaint.


En conséquence, la cour retient qu'il n'y a pas lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par la salariée, cette question étant dépourvue de caractère sérieux.


2/ Sur la compétence de la formation de référé


L'employeur soutient que la formation de référé n'aurait pas compétence pour connaître des demandes de la salariée faute d'urgence et d'absence de contestation sérieuse.


Mais, par application des dispositions de l'article R. 1455-6 du code du travail🏛, la formation de référé du conseil de prud'hommes est compétente pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, le caractère alimentaire du salaire justifiant l'urgence invoquée.


La formation de référé était donc compétente pour connaître des demandes de réintégration et de maintien du salaire présentées par la salariée.


3/ Sur la conventionnalité de l'obligation vaccinale


La salariée soutient que l'obligation vaccinale n'est pas compatible avec une société démocratique au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme dès lors que les vaccins contre la covid-19 sont récents, que la maladie n'est mortelle que pour une infime partie de la population, laquelle est clairement identifiée, que les effets secondaires du vaccin sont toujours en cours d'évaluation, que les conséquences d'un refus de vaccination sont disproportionnées puisque la suspension ne connaît pas de limite dans le temps et que la perte de toute rémunération constitue une pression psychologique qui conduit à rendre cette vaccination obligatoire telle une injection forcée.


Mais la cour retient, pour les motifs déjà détaillés au regard du droit national, que la salariée dénature les exigences posées par la Cour européenne des droits de l'Homme en soutenant que la maladie en cause ne présenterait pas les critères de gravité exigés pour justifier une vaccination obligatoire limitée à certaines activités et en prétendant que les vaccins proposés ne présenteraient pas les garanties d'efficacité et d'innocuité requises.


Ni l'article 10 de la convention européenne des droits de l'Homme, ni la convention n° 95 sur la protection du salaire de 1949, ni l'article 2 de la convention d'Oviado n'excèdent les droits et libertés reconnus par le droit interne dont il a déjà été dit qu'il n'était pas sérieux de prétendre qu'ils se trouvaient atteints par la suspension du contrat de travail sans rémunération prévue par l'article 14 II de la loi du 5 août 2021🏛. Ce texte n'encourt dès lors pas les critiques conventionnelles qui lui sont adressées.


4/ Sur l'autonomie de l'employeur par rapport à la loi


L'employeur réfute toute contestation de la loi au motif qu'il serait tenu par cette dernière. Mais aucune personne, ni physique ni morale, ne peut s'exonérer, au motif de l'application de la loi, du respect des principes qui sont supérieurs à cette dernière. Dès lors, il appartient bien aux juridictions d'apprécier la conventionnalité de la loi.


5/ Sur la prohibition des sanctions pécuniaires


La salariée fait grief à l'employeur d'avoir usé d'une sanction disciplinaire déguisée en suspendant son salaire. Mais ce grief n'est pas fondé dès lors que le salaire constitue la contrepartie de l'accomplissement du travail.


6/ Sur la discrimination


La salariée se plaint encore d'une discrimination prohibée entre salariés vaccinés et non-vaccinés qui constituerait une discrimination en fonction de l'état de santé.


Mais il appartient à l'employeur de prendre en compte l'état de santé des salariés afin de les protéger et même d'adapter leur poste de travail, sans qu'une telle prise en compte constitue une mesure discriminatoire.


Précisément, en l'espèce, la loi n'a pas entendu distinguer entre les différents services des entreprises visées à son article 12 dans un souci d'efficacité et d'égalité dans la lutte contre la contagion. Dès lors, c'est à tort que la salariée, qui soutient qu'elle n'était pas en contact direct avec des personnes âgées, se plaint d'une discrimination.


7/ Sur le libre consentement à la vaccination


Comme il a déjà été dit, la salariée se prévaut d'un principe de libre consentement à la vaccination qui n'est pas de droit positif. Ce grief sera donc écarté.


8/ Sur le secret médical


La salariée conteste enfin l'application de la loi du 5 août 2021🏛
au motif qu'elle conduirait à de multiples violations du secret médical dès lors que l'employeur, et partant ses collègues et les résidents, se trouveraient informés de son statut vaccinal.


Mais le secret médical n'est pas exclusif des mesures de prophylaxie nécessaires à la lutte contre les maladies contagieuses qui, pour être mises en œuvre utilement, peuvent être confiées à des personnes privées.


Le simple contrôle du statut vaccinal par l'employeur n'apparaît pas constituer une violation du secret médical, dès lors qu'il se trouve tenu à une obligation de sécurité renforcée au profit du public particulièrement fragile qu'il accueille, obligation directement en lien avec la vaccination de ses salariés.


En conséquence, ni la suspension du contrat de travail, ni l'absence de paiement du salaire durant cette suspension, ne constituent le trouble manifestement illicite ni le dommage imminent que la salariée invoque au soutien des demandes donc elle sera dès lors déboutée.


9/ Sur les autres demandes


Il convient de rappeler que le présent arrêt, dans ses dispositions infirmant la décision déférée, constitue un titre exécutoire permettant le recouvrement des sommes versées en vertu de la décision de première instance sans qu'une mention expresse en ce sens soit nécessaire ni aucune mesure d'astreinte. Les intérêts au taux légal sur les sommes à rembourser ne courront qu'à compter du présent arrêt et seront capitalisés pour autant qu'ils soient dus pour une année entière.


Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais par elles exposés en première instance et en appel. Dès lors, elles seront déboutées de leurs demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛.



PAR CES MOTIFS


LA COUR,


Joint la procédure n° 22/03678 à la procédure n° 22/03238.


Dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [U] [W].


Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.


Statuant à nouveau,


Déboute Mme [U] [W] de l'ensemble de ses demandes.


Dit que les sommes que Mme [U] [W] devra rembourser produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.


Dit que les intérêts seront capitalisés pour autant qu'ils soient dus pour une année entière.


Déboute les parties de leurs demandes relatives aux frais irrépétibles de première instance et d'appel.


Condamne Mme [U] [W] aux dépens de première instance et d'appel.


LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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