Jurisprudence : CA Rennes, 01-12-2022, n° 20/04701, Infirmation partielle


7ème Ch Prud'homale


ARRÊT N°518/2022


N° RG 20/04701 - N° Portalis DBVL-V-B7E-Q637


LOGICOURSES SARL


C/


M. [Aa] [L]


Copie exécutoire délivrée

le :


à :


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 01 DECEMBRE 2022



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :


Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,


GREFFIER :


Madame Ab A, lors des débats et lors du prononcé


DÉBATS :


A l'audience publique du 18 Octobre 2022 devant Monsieur Hervé BALLEREAU, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial


En présence de Monsieur [X] [B], médiateur judiciaire


ARRÊT :


Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Décembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats


****



APPELANTE :


LOGICOURSES SARL Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]


Représentée par Me Nicolas MENAGE de la B C, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES


INTIMÉ :


Monsieur [Aa] [L]

né le … … … à [Localité 6] ([Localité 6])

[Adresse 2]

[Localité 4]


Représenté par Me Dominique TOUSSAINT de la SELARL TOUSSAINT DOMINIQUE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES



EXPOSÉ DU LITIGE


M. [V] [Aa] a été engagé par la SARL Logicourses dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée pour la période du 14 novembre 2016 au 17 février 2017.


Le 20 février 2017, M. [Aa] était embauché par la même société en contrat à durée indéterminée. Il exerçait les fonctions de chauffeur livreur à temps plein.


Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective nationale des transports routiers.


Dans la nuit du 09 au 10 mars 2017, M. [Aa] était victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC), puis placé en arrêt maladie du 09 mars au 18 juillet 2017.


Du 18 juillet au 15 novembre 2017, le salarié a repris son travail dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique.


Dans le cadre d'une visite médicale en date du 20 novembre 2017, le médecin du travail déclarait M. [Aa] apte à reprendre son poste à temps plein.


Le 03 octobre 2018, le salarié était de nouveau hospitalisé et placé en arrêt de travail pendant un mois.


Le 05 novembre 2018, dans le cadre d'une visite de reprise, le médecin du travail sollicitait un aménagement de poste, précisant 'pas de port de charge, pas d'utilisation du transpalette manuel'.


Le même jour, la société Logicourses adressait un courriel à M. [Aa], pour lui confirmer qu'il serait en congés entre le 6 et le 15 novembre 2018 et lui indiquer qu'une indemnité de rupture conventionnelle s'élèverait à 2.050 euros, un rendez-vous en cas d'accord sur une telle rupture étant fixé au 7 novembre 2018.


Le 21 janvier 2019, M. [Aa] s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire en raison d'un comportement agressif à l'égard du responsable d'exploitationAc M. [G].


Par courrier en date du 23 janvier 2019, le salarié était convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 1er février 2019.


Par courrier recommandé en date du 27 février 2019, M. [Aa] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave résultant d'un comportement menaçant et injurieux.


***

M. [Aa] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 05 février 2019 afin de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et d'obtenir le paiement de différentes sommes à titre de dommages-intérêts, indemnités et rappels de salaire.


A la suite de son licenciement, le salarié complétait ses demandes pour réclamer, à titre subsidiaire, que son licenciement soit jugé nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse avec les mêmes conséquences indemnitaires.



Par jugement en date du 16 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Rennes a :

- Dit que la Société Logicourses a manqué gravement à ses obligations contractuelles et ordonné la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [Aa] au 29 Février 2019, date de la rupture de son contrat de travail ;

- Dit que cette résiliation correspond à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la SARL Logicourses à verser à Monsieur [Aa] avec intérêts de droit à compter du 08 Février 2019, date de la citation :

- La somme brute de 2 279,62 euros à titre de paiement de la mise à pied conservatoire et la somme de 227,96 euros à titre de paiement des congés payes afférents.

- La somme brute de 3 599,40 euros à titre de paiement de l'indemnité de préavis et la somme brute de 359,94 euros à titre de paiement des congés payés afférents.

- La somme nette de 1 027,12 euros à titre de paiement de l'indemnité de licenciement.

- Dit que l'exécution provisoire est de droit en ce qui concerne les sommes ci-dessus en application de l'article R 1454-8 du code du travail🏛 et fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 1 799,70 euros.

- Condamné la SARL Logicourses à verser à Monsieur [Aa], avec intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent jugement, la somme nette de 6 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Condamné la SARL Logicourses à verser à Monsieur [Aa] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛.

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

- Condamné la SARL Logicourses aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d'exécution.


***



La SARL Logicourses a régulièrement interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 06 octobre 2020.


En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 16 septembre 2022, la SARL Logicourses demande à la cour de :

- Réformer le jugement querellé sauf en ce qui concerne la prime de fin d'année.

- Dire et juger que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la Société Logicourses n'est pas justifiée.

- Débouter Monsieur [Aa] de ses demandes à ce titre.

- Subsidiairement dire et juger que le licenciement pour faute grave de Monsieur [Aa] est pleinement légitime.

- Débouter en conséquence Monsieur [Aa] de toutes ses demandes, en lien avec la rupture de son contrat de travail.

- Très subsidiairement, rappeler, au regard des règles imposées par le 'barème Macron', que les dommages et intérêts auxquels peut prétendre Monsieur [Aa] ne sauraient dépasser 3 mois de salaires au regard de son ancienneté.

- Constater que le comportement de M. [Aa] est assimilable à une faute lourde.

- Dire et juger recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de la Société Logicourses.

- Condamner Monsieur [Aa] au paiement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail🏛, en estimant que celui-ci a commis une faute lourde.


- Condamner Monsieur [Aa] au paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux éventuels dépens d'exécution.

- Débouter Monsieur [Aa] de ses plus amples demandes.


La société Logicourses développe en substance l'argumentation suivante:


- Elle a toujours respecté les préconisations du médecin du travail ; en conformité avec ces préconisations, le salarié ne s'est vu confier que des livraisons avec un véhicule adapté, sans port de charges lourdes et sans utilisation d'un transpalette manuel ;


- M. [Aa] n'a effectué que quelques heures supplémentaires et il était volontaire pour les réaliser ;


- Il travaillait pour des clients (TNT et Géodis) dont l'importance leur permettait de disposer d'agents de quai; il n'y avait aucune obligation pour le salarié de décharger lui-même son véhicule ;


- M. [Aa] n'a formulé aucune réclamation sur l'exécution d'heures supplémentaires ou sur l'utilisation d'un transpalette avant l'entretien préalable du 1er février 2019 ;


- Les photographies prises par M. [Aa] n'ont aucun caractère probant ; s'il avait exécuté le contrat de travail de bonne foi, il aurait alerté son employeur qu'il rencontrait une difficulté dans l'organisation de son travail;


- Il n'existait pas de contre-indication médicale à l'utilisation d'un transpalette à la date du 24 septembre 2018, date à laquelle lui a été confiée une mission à la société Plasteurop à St Jean sur Vilaine ;


- M. [Aa] a menacé son supérieur hiérarchique ainsi que des collègues de travail ; il a commis des excès de vitesse ; il a monté à charge et de façon non contradictoire un dossier prud'homal sans faire état d'une quelconque difficulté auprès de son employeur ; son comportement est assimilable à une faute lourde.


En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 05 août 2022, M. [Aa] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris sur le quantum des dommages-intérêts, s'agissant d'un licenciement nul et en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.


Il sollicite pour le surplus la confirmation du jugement entrepris.


A titre subsidiaire, il demande à la cour de dire que son licenciement est nul pour discrimination en raison de son état de santé et à tout le moins dénué de cause réelle et sérieuse et de lui allouer les indemnités sollicitées ci-dessus au titre de sa demande de résiliation de son contrat de travail.


Il demande encore à la cour de:


- Débouter la société Logicourses de toutes ses demandes

- Confirmer le jugement du conseil des prud'hommes en ce qui a alloué à Monsieur [Aa] une indemnité de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛.

Y additant,

- Condamner la société Logicourses à payer à Monsieur [Aa] une indemnité de 3600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛

- Condamner la société Logicourses aux entiers dépens.


M. [Aa] fait valoir en substance que:


- Lorsqu'il s'est présenté au travail à l'issue de l'arrêt suivant l'intervention cardiaque qu'il a subie au mois d'octobre 2018, l'employeur lui a fait comprendre qu'il ne pouvait pas le conserver et qu'il allait mettre en place une rupture conventionnelle ;


- Son refus d'accepter les conditions de la rupture conventionnelle a entraîné une violation délibérée par l'employeur des préconisations du médecin du travail ; il a été affecté à des livraisons qui impliquaient l'utilisation d'un transpalette et le port de charges lourdes ;


- Les nombreuses heures supplémentaires qu'il a effectué résultent de ses bulletins de paie ; elles sont en contradiction avec les préconisations du médecin du travail ;


- Il était absolument nécessaire de tirer la palette hors du camion à hauteur du quai de déchargement ; la porte latérale du camion ne présente aucun intérêt pour effectuer cette opération ; les photographies qu'il verse aux débats établissent cette réalité ; en revanche, les photos versées aux débats par l'employeur résultent d'une mise en scène qui ne correspond pas à la réalité qu'impose la configuration des lieux ;


- Plusieurs témoins confirment que les déchargements effectués au sein de la société TNT avant 17h ne donnent pas lieu à l'aide d'un cariste ; il n'y avait pas plus d'aide d'un cariste au sein de la société Géodis;


- Il a été victime d'un harcèlement moral lié à son refus d'accepter la rupture conventionnelle ;


- Les faits visés dans la lettre de licenciement ne sont pas établis ; des collègues de travail attestent de ce qu'il s'est montré respectueux envers M. [P] ; les excès de vitesse invoqués ne sont pas prouvés ; il ne peut lui être reproché un non respect des règles en vigueur alors qu'il n'a fait que se photographier lorsqu'il devait effectuer des opérations de déchargement ne respectaient pas les préconisations du médecin du travail ; le licenciement est discriminatoire dès lors qu'il est lié à son état de santé ;


- La demande reconventionnelle invoquée par la société Logicourses est vouée à l'échec en l'absence de faute lourde.


***


La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 27 septembre 2022 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 18 octobre 2022.


Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.



MOTIFS DE LA DÉCISION


1- Sur la demande tendant à la résiliation du contrat de travail:


Il résulte des dispositions des articles 1224 et suivants du code civil🏛, que si une partie n'exécute pas ses engagements contractuels, la résolution peut en être demandée en justice, le juge pouvant, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.


Il appartient au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves par l'employeur à ses obligations contractuelles de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi justifier la rupture à ses torts.


Pour apprécier la gravité des griefs reprochés à l'employeur dans le cadre de la demande de résiliation judiciaire, le juge n'a pas à se placer à la date d'introduction de la demande de résiliation judiciaire et doit tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement.


En l'espèce, le contrat de travail en date du 17 février 2017 stipule en son article 3 'Fonctions':

'Dans le cadre de ses fonctions de chauffeur livreur, le salarié aura la tâche de préparer ses tournées en accord avec le responsable de transport.

Le chargement et le déchargement du véhicule.

Les enlèvements sur ordres de son gestionnaire de transport.

Le nettoyage du véhicule sur demande, extérieur comme intérieur'.


Il est constant que M. [Aa] a été victime d'un accident vasculaire cérébral le 9 mars 2017 et qu'à l'issue d'une période d'arrêt de travail, le médecin du travail préconisait le 20 juillet 2017 une reprise sur un poste aménagé dans les conditions suivantes:

'1- Reprise à temps partiel thérapeutique pour une période de deux mois éventuellement renouvelable, un volume horaire avoisinant un mi-temps hebdomadaire et une organisation de travail idéalement sous forme de demi-journées travaillées.

2- Limiter la manutention manuelle de charges lourdes

3- Privilégier des horaires de travail les plus fixes possible pour débuter'.


Le 25 septembre 2017, le médecin du travail préconisait la poursuite du temps partiel thérapeutique avec faculté d'augmenter l'horaire travaillé au quotidien à hauteur de 6h maximum.


Le 20 novembre 2017, l'état de santé du salarié était jugé compatible avec une reprise du travail à temps plein sous réserve d'une prise de poste à un horaire le plus fixe possible.


Le 5 novembre 2018, après que M. [Aa] ait dû subir une intervention cardiaque, le médecin du travail préconisait en visite de reprise du travail une adaptation du poste de travail dans les termes suivants: 'Pas de port de charge, pas d'utilisation de transpalette manuel. A revoir dans 5 mois par le Dr [I]'.


Le même jour à 18h03, M. [Ad], gérant de la société Logicourses a adressé un mail à M. [Aa] ainsi rédigé:

'[V] [W].

Suite à notre entretien de ce jour:

1. Confirmation qu'à partir de demain le 6 et pendant 8 jours tu es en congés payés, soit jusqu'au jeudi 15 compris.

2. Reste 10,40 jours sur cette année, ils seront payés non pris à la suite du 15 novembre (plus les jours acquis jusqu'à ton départ).

3. Indemnités de rupture conventionnelle de 2.050,00 € soit 1200,00 € de plus que le réglementaire.


Signature de la rupture si accord le mercredi 7 Novembre dans nos bureaux (le matin) (...)'.


Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 6 février 2018, M. [Aa], évoquant les conditions dans lesquelles se présentait sa reprise de travail intervenue la veille, indiquait:

'(...) Vous m'avez entretenu dans la salle de pause pour m'informer que vous vouliez me licencier.

Vous m'avez demandé de prendre le reliquat de mes congés payés 2018 dès le lendemain et de ne plus revenir dans l'entreprise (...)

J'attends donc que vous me convoquiez pour me proposer un emploi en adéquation avec l'avis du médecin du travail'.


Ce même jour, il était de nouveau placé en arrêt de travail jusqu'au 9 novembre 2018.


M. [Aa] affirme que l'employeur a délibérément refusé d'appliquer les restrictions et mesures d'aménagement du poste telles que préconisées par le médecin du travail.


Il invoque en premier lieu la réalisation d'heures supplémentaires.


Il est constant qu'entre le 20 juillet et le 20 novembre 2017, le salarié devait bénéficier d'un mi-temps thérapeutique.


Les bulletins de salaire des mois d'août à novembre 2017 mentionnent une déduction de moitié des heures contractuellement prévues et font également apparaître la réalisation habituelle d'heures supplémentaires à raison de 8 h en août 2017, 8,75 h en septembre, 4,25 h en octobre et 2,50 h en novembre 2017.


Si la réalité de ces heures supplémentaires n'est pas contestable, aucun élément, faute notamment de production par le salarié d'un décompte ou autre élément pouvant mettre en évidence la réalisation d'un temps de travail effectif excédant de façon notable un mi-temps, ne permet de caractériser un non-respect par l'employeur des préconisations du médecin du travail s'agissant du temps de travail durant la période litigieuse.


S'agissant de la période allant du mois de décembre 2017 à septembre 2018, M. [Aa], sur la base des bulletins de paie, met en relief les heures supplémentaires effectuées, variant entre 2,50 h par mois au plus bas (février 2018) à 32,75 h au plus haut (juillet 2018).


Cet élément n'est toutefois pas plus significatif d'un manquement de l'employeur aux préconisations médicales, alors qu'en vertu de l'avis médical du 20 novembre 2017 l'état de santé du salarié était jugé compatible avec une reprise du travail à temps plein sous réserve d'une 'prise de poste à un horaire le plus fixe possible'.


La réalisation des heures supplémentaires visées aux bulletins de paie ne permet pas, en l'absence d'élément de preuve sur ce point, de considérer que la préconisation d'une prise de poste à un horaire le plus fixe possible n'ait pas été respectée.


Dès lors, sur le terrain des heures supplémentaires réalisées, le salarié échoue à rapporter la preuve d'un manquement grave de l'employeur à ses obligations contractuelles.


M. [Aa] invoque en second lieu une violation par l'employeur de la préconisation médicale de n'avoir pas à manoeuvrer des charges lourdes et de n'avoir pas à utiliser un transpalette ; à ce titre et sur la base de photographies prises avec son téléphone portable, il soutient avoir dû effectuer lui-même, sans aide extérieure, des opérations de déchargement de palettes chez différents clients entre le 12 novembre et le 21 décembre 2018.


Il est constant que depuis la reprise de travail du 5 novembre 2018 à la suite de l'intervention cardiaque qu'il avait subie, M. [Aa] voyait ses conditions de travail médicalement encadrées avec la restriction suivante:'Pas de port de charge, pas d'utilisation de transpalette manuel'.


Les photographies versées aux débats montrent un salarié, dont il n'est pas contesté qu'il s'agit bien de M. [Aa], effectuant des opérations de manutention de colis et d'utilisation d'un transpalette, la société appelante soutenant toutefois qu'il s'agit là d'une mise en scène ourdie par le salarié afin d'alimenter un dossier contentieux. La société Logicourses affirme en effet que les entreprises clientes chez lesquelles M. [Aa] était envoyé disposaient d'agents de quai chargés d'effectuer les opérations de déchargement.


Elle se fonde sur une liste mise à jour le 13 mai 2022, des salariés de la société cliente Géodis disposant de l'habilitation CACES leur permettant de conduire des chariots de manutention, ainsi que sur un planning nominatif mis à jour le 16 février 2022, des salariés de la dite société affectés au quai des arrivages et au quai jour.


Elle se fonde également sur une attestation du responsable exploitation de la plate-forme Géodis [Localité 5], datée du 21 février 2019, qui indique que 'les apporteurs à quai n'ont pas ordre de charger ou décharger eux-même' et que 'sauf si l'apporteur décide de son propre chef de vider avant l'arrivée de notre opérateur de quai, tous les chargements et déchargements sont effectués par des opérateurs de quai Géodis'.


Un autre attestation émanant du chef de centre de la société TNT à St Jacques de la Lande, datée du 17 juin 2019, indique qu'en journée 'les collaborateurs formés sont présents dès 7h30" et que: 'Nous pouvons solliciter les services de ces collaborateurs dès que nos partenaires nous en font la demande, afin de pouvoir charger/décharger en toute sécurité des marchandises sur palettes'.


Un salarié (M. [R]), indique que chargé d'effectuer une livraison auprès de la société TNT le 4 avril 2019, il n'a pas eu à utiliser un transpalette, ayant bénéficié de l'aide d'un agent utilisateur d'un chariot élévateur.


Un autre salarié, M. [F], agent d'exploitation, indique qu'il avait été informé par M. [Ac], supérieur hiérarchique de M. [Aa], de ce que ce dernier ne devait plus utiliser de transpalette et manutentionner des charges lourdes depuis le 5 novembre 2018.


En premier lieu, les termes de cette dernière attestation permettent de relever que le retour dans l'entreprise de M. [Aa], à l'issue de l'arrêt de travail dont il avait fait l'objet par suite de la survenance d'une pathologie cardiaque, devait marquer un changement de pratique professionnelle, ce qui tend à démontrer qu'avant cet arrêt, l'intéressé devait utiliser de façon habituelle un transpalette et porter des charges lourdes dans le cadre de son activité.


Cette réalité est confirmée par plusieurs salariés de l'entreprise (MM. [U], [A], [M], [K], [S], [C]) qui attestent de ce que les livraisons effectuées chez le client TNT à St Jacques de la Lande lorsque M. [Aa] était présent dans l'entreprise, s'effectuaient sans aide d'un cariste, les chauffeurs devant utiliser un transpalette pour décharger eux-mêmes les colis transportés.

A cet égard, il ne peut qu'être relevé que le planning et la liste des chauffeurs de chariots élévateurs versés aux débats par l'employeur ne sont pas contemporains des faits objet du litige, ces documents datant de l'année 2022, tandis que la seule possibilité évoquée par le chef de centre de la société TNT de solliciter les services de ses collaborateurs pour effectuer les opérations de chargement/déchargement, de même que l'affirmation du responsable de la société Géodis selon laquelle les chauffeurs-livreurs 'n'ont pas ordre de charger ou décharger eux-même', ne permettent nullement de tirer la conclusion d'une présence systématique et déterminée par des consignées précises et écrites, d'agents des entreprises clientes chargées d'effectuer le déchargement des véhicules confiés Aa M. [L].


Il doit encore être rappelé que le contrat de travail de l'intéressé prévoit expressément au titre des fonctions confiées l'exécution des opérations de chargement et de déchargement du véhicule et qu'aucun avenant ou autre document écrit ne vient établir que l'intéressé ait été, à l'inverse de ce que soutiennent de façon concordante plusieurs autres salariés témoins de la pratique mise en place dans l'entreprise, exempté de ces tâches à compter du 5 novembre 2018, conformément à ce que prévoyait l'avis médical de reprise du travail.


L'attestation de M. [R], relative à une unique livraison qu'il indique avoir effectué chez le client TNT au mois d'avril 2019, soit postérieurement à la rupture du contrat de travail de M. [Aa], comme celle de M. [F], qui évoque des consignes du supérieur hiérarchique, M. [Ac], concernant les restrictions médicales imposées à M. [Aa], ne sont pas de nature à remettre utilement en cause la réalité des conditions de travail du salarié telle qu'elle résulte des attestations susvisées, étant observé qu'il appartient à l'employeur d'assurer l'effectivité de l'obligation légale de sécurité à laquelle il est tenu, ce qui n'a manifestement pas été le cas en l'espèce.


Les photographies dont se prévaut l'employeur, si elles montrent la possibilité de déchargement d'une camionnette de l'entreprise à l'aide d'un chariot élévateur, par l'ouverture latérale ou par l'arrière du véhicule, sont en revanche impropres à démontrer que cette façon de procéder soit constante et qu'elle ait plus particulièrement été appliquée dans le cadre des livraisons confiées à M. [Aa] à compter du 5 novembre 2018, quitte à ce que la nécessité d'une telle méthode de déchargement ait fait l'objet d'une note écrite adressée à ses clients, ce qui n'est pas même allégué.


Ces éléments doivent être mis en relation avec les termes du courriel de l'employeur en date du 5 novembre 2018, lequel, alors que M. [Aa] bénéficiait d'un avis d'aptitude à la reprise du travail avec les réserves susmentionnées, suspendait immédiatement le contrat de travail en plaçant le salarié en congés pour 8 jours et lui fixait, le surlendemain, un rendez-vous pour la signature d'un accord de rupture conventionnelle, alors que manifestement, ni un départ en congés, ni une rupture conventionnelle du contrat n'étaient souhaités par l'intéressé, ainsi que cela résulte des termes de son courrier en réponse du 6 novembre 2018.


Les termes de l'attestation de Mme [Ae], mère du salarié, qui indique avoir parlé au téléphone à l'employeur de son fils, en présence de ce dernier, à l'issue de l'entretien au cours duquel M. [Ad] lui aurait demandé de ne plus se présenter à son poste de travail, sont précis s'agissant des propos alors tenus par ce dernier:

'(...) J'ai donc été témoin auditive de ce qui suit. Son patron m'a confirmé qu'il ne voulait pas garder [V] dans l'entreprise. Je n'ai pas obtenu de motifs précis et concrets. Uniquement qu'il 'ne voulait plus le voir', qu'il fallait qu'il prenne son reliquat de congés payés dès le lendemain et s'en suivrait un licenciement conventionnel, moyennant la somme de 1.800 à 2.000 euros (...)'.


Le propos relatif à la volonté de M. [Ad] de 'ne plus voir' M. [Aa] est contredit par M. [Ac], dont il doit cependant être rappelé qu'il était le supérieur hiérarchique du salarié, tandis que la réalité d'une mise en congés dès la reprise du travail et d'une convocation à un entretien de signature d'une rupture conventionnelle le surlendemain résultent clairement des termes du courriel susvisé du 5 novembre 2018, de telle sorte qu'est établie la volonté de l'employeur de ne pas maintenir à son service M. [Aa] qui venait d'être victime d'un grave incident de santé et qui, après avoir refusé de quitter son emploi dans les conditions proposées, a dû exécuter sa prestation de travail entre les mois de novembre 2018 et janvier 2019 dans des conditions qui ne respectaient nullement les prescriptions du médecin du travail quant à l'interdiction du port de charges lourdes et de l'utilisation d'un transpalette.


Les manquements de l'employeur sont ainsi parfaitement établis et ils sont suffisamment graves pour justifier que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts.


Le jugement entrepris doit être confirmé de ce chef.


M. [Aa] invoque la nullité du licenciement, à titre principal pour harcèlement moral et à titre subsidiaire pour discrimination liée à son état de santé.


En vertu des disposition de l'article L1132-1 du même code, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (...) en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap (...)'.


En application de l'article L1132-4 du même code, le licenciement fondé sur une discrimination est entaché de nullité.


Enfin, il résulte des articles L1132-1 et  L1134-1 du code du travail🏛🏛 que lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.


Au vu des développements qui précèdent, s'il doit être considéré que les éléments de fait dont se prévaut M. [Aa] ne permettent pas de présumer un harcèlement moral devant être caractérisé par des agissements répétés de l'employeur visant, notamment, à dégrader son état de santé, en revanche il présente des éléments qui laissent supposer l'existence d'une discrimination directement liée à la dégradation de son état de santé, tandis que la société Logicourses ne démontre pas, par les pièces dont elle se prévaut, que la rupture qui résulte de ses manquements soit justifiée par des éléments étrangers à cette discrimination.


Il convient donc, réformant de ce chef le jugement entrepris, de dire que la résiliation du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul.


Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit d'une part aux indemnités de rupture et d'autre part à une indemnité au moins égale aux 6 derniers mois de salaires, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise, le barème prévu par l'article L1235-3 du code du travail🏛 n'étant alors pas applicable en vertu de l'article L 1235-3-1 du même code🏛.


Sur la base du salaire de référence (1.799,70 euros), de l'ancienneté du salarié (2 ans), des circonstances de la rupture et des difficultés éprouvées par le salarié pour retrouver un emploi, il est justifié de condamner la société Logicourses à payer à M. [Aa] la somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.


Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.


Il sera confirmé en ce qui concerne le chiffrage non contesté et l'allocation de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents et de l'indemnité de licenciement.


2- Sur la demande au titre de la prime de fin d'année:


Il n'est pas contesté que M. [Aa] a été privé du paiement de la prime de fin d'année, ce que la société Logicourses justifiait en première instance, ainsi que cela résulte des énonciations du jugement querellé, par le fait des absences du salarié.


Or, il est établi que les absences de M. [Aa] sont directement liées à ses problèmes de santé qui ont nécessité plusieurs arrêts de travail.


La société Logicourses ne formule aucune observation en cause d'appel sur la condamnation prononcée à son encontre de ce chef et il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [Aa] la somme de 500 euros au titre de la prime de fin d'année.


3- Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral:


M. [Aa] fait valoir un préjudice moral né des conséquences anxiogènes de l'attitude adoptée à son égard par l'employeur.


Toutefois, alors que la résiliation judiciaire du contrat de travail procède de manquements fautifs de l'employeur dont il résulte l'indemnisation d'un préjudice précisément lié aux circonstances de la rupture, entachée de nullité, du fait de la discrimination dont a fait l'objet le salarié en raison de son état de santé, il n'est pas justifié par des éléments spécifiques d'un préjudice moral distinct de celui qui est déjà indemnisé par l'octroi des dommages-intérêts susvisés.


Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [Aa] de sa demande.


4- Sur la demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts:


Le conseil de prud'hommes a omis de statuer sur cette demande.


Dès lors que la résiliation du contrat de travail repose sur des manquements graves de l'employeur à ses obligations et produit les effets d'un licenciement nul pour les motifs précédemment développés, la demande reconventionnelle de la société Logicourses en paiement de dommages-intérêts fondée sur une prétendue déloyauté du salarié est vouée à l'échec et elle en sera donc déboutée, aucune déloyauté du salarié dans l'exécution du contrat de travail et aucune faute lourde de l'intéressé n'étant établies.


5- Sur les dépens et frais irrépétibles:


En application de l'article 696 du code de procédure civile🏛, la société Logicourses, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.


Elle sera dès lors nécessairement déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile🏛.


L'équité commande en revanche de condamner la société Logicourses à payer à M. [Aa] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.



PAR CES MOTIFS


La cour,


Confirme le jugement entrepris, excepté en ce qui concerne les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail et le quantum des dommages-intérêts alloués à M. [Aa] ;


Statuant à nouveau de ces chefs,


Dit que la résiliation judiciaire du contrat de travail conclu entre la société Logicourses et M. [Aa] produit les effets d'un licenciement nul ;


Condamne la société Logicourses à payer à M. [Aa] la somme de 12.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;


Y ajoutant,


Déboute la société Logicourses de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ;


Déboute la société Logicourses de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;


Condamne la société Logicourses à payer à M. [Aa] la somme de 2.500 euros à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel;


Condamne la société Logicourses aux dépens d'appel.


Le Greffier Le Président

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