Jurisprudence : CA Versailles, 10-11-2022, n° 20/02920, Infirmation partielle


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES


Code nac : 80A


21e chambre


ARRET N°


CONTRADICTOIRE


DU 10 NOVEMBRE 2022


N° RG 20/02920 - N° Portalis DBV3-V-B7E-UHEB


AFFAIRE :


[D] [F]


C/

S.A.S. ETABLISSEMENTS DOITRAND


Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 10 Décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Chambre :

N° Section : I

N° RG : F 19/00155


Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :


la SELARL GINISTY MORIN LOISEL JEANNOT


Me Didier CIEVET


le :


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LE DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :


Madame [D] [F]

née le … … … à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]


Représentant : Me Claire GINISTY MORIN de la SELARL GINISTY MORIN LOISEL JEANNOT, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000057 - Représentant : Me Oriane DONTOT de l'AARPI JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20200966



APPELANTE

****************


S.A.S. ETABLISSEMENTS DOITRAND

N° SIRET : 406 580 332

[Adresse 2]

[Adresse 2]


Représentant : Me Didier CIEVET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 187


INTIMEE

****************



Composition de la cour :


En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :


Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,


Greffier lors des débats : Monsieur Aa A B,



FAITS ET PROCÉDURE


Selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 7 décembre 2010, Mme [F] a été engagée, en qualité de secrétaire, par la société Etablissement Doitrand qui est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de portes de garage individuel, de portails, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective du bâtiment.


La salariée travaillait au sein de l'agence Île de France dirigée paAb M. [N].


Le 25 novembre 2016, Mme [F] a transmis au siège de l'entreprise, la copie du mail qu'elle avait adressé un peu plus tôt à M. [N], aux termes duquel elle dénonçait les gestes déplacés qu'il avait eus sur sa personne.


Le même jour, Mme [F] a dénoncé ces faits à la brigade de gendarmerie de [Localité 3] qui diligentait une enquête, à l'issue de laquelle, M. [N] était convoqué devant le délégué du procureur de la République qui lui notifiait un rappel à la Loi.


À compter du 26 novembre 2016, la salariée était placée en arrêt de travail qui se prolongeait jusqu'au 24 octobre 2017. Par décision en date du 18 janvier 2017, la CPAM des Yvelines reconnaissait le caractère professionnel de l'accident du 25 novembre 2016.


Mme [F] a saisi, le 14 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie aux fins d'entendre prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.


Le 25 octobre 2017, Mme [F] a fait l'objet d'un avis d'inaptitude à tout poste de l'agence.


Contestant cet avis, la société a sollicité, en référé, la désignation d'un médecin-expert judiciaire. Le 14 décembre 2017, la formation des référés du conseil de prud'hommes a déclaré sa demande irrecevable au motif qu'elle n'avait pas agi dans le délai de 14 jours de l'avis d'inaptitude. Par arrêt avant dire droit du 31 janvier 2019, la cour d'appel de Versailles a jugé que le délai de recours courait à compter de la date de l'avis d'inaptitude et a ordonné la réouverture des débats. Suivant arrêt en date du 3 octobre 2019, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance de référé.


Le 2 juin 2021, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre le premier arrêt en date du 31 janvier 2019 mais a accueilli le pourvoi dirigé contre l'arrêt rendu le 3 octobre 2019 s'agissant de l'intérêt à agir de la société. La société Etablissement Doitrand n'a pas saisi la cour d'appel de renvoi désignée.


Le 26 décembre 2017, la société a licencié Mme [F] pour inaptitude et impossibilité de reclassement.


Par jugement rendu le 10 décembre 2020, notifié le 14 décembre 2020, le conseil a statué comme suit :


Dit et juge que la société n'a pas failli à l'obligation de sécurité de résultat qui lui incombe,


Dit et juge qu'il n'y a pas lieu à prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,


Déboute Mme [F] de l'intégralité de ses demandes,


Fixe les dépens éventuels à la charge de Mme [F].


Le 23 décembre 2020, Mme [F] a relevé appel de cette décision par voie électronique.



Par ordonnance rendue le 7 septembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 20 septembre 2022.


' Selon ses dernières conclusions notifiées le 2 septembre 2022, Mme [F] demande à la cour d'infirmer dans toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes et statuant à nouveau, de :


À titre principal :

Constater la violation par la société de son obligation de sécurité,

Prononcer en conséquence la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société et condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- 761,30 euros au titre du solde de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 76,13 euros au titre des congés payés y afférents,

- 196,34 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 17 112 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul ; à titre subsidiaire : 17 112 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'agression sexuelle subie,


À titre subsidiaire :

Dire et juger nul le licenciement pour inaptitude prononcé par la société le 26 décembre 2017 en raison de l'agression sexuelle subie par cette dernière sur son lieu de travail qui est directement à l'origine de son inaptitude professionnelle,

En tout état de cause, dire et juger le licenciement par la société sans cause réelle et sérieuse,

Condamner en conséquence la société à lui verser les sommes (ci-dessus détaillées),


En tout état de cause :

Condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

- 761,30 euros au titre du solde de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 76,13 euros au titre des congés payés y afférents,

- 196,34 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'agression sexuelle subie,

Fixer le salaire moyen des trois derniers mois à la somme brute mensuelle de 2 139 euros,

- 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 pour l'instance en cause d'appel,


Ordonner la remise sous astreinte de 75 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir des bulletins de salaire afférents au préavis ainsi que des documents afférents à la rupture du contrat de travail rectifiés (certificat de travail, attestation destinée à Pôle Emploi), le conseil se réservant expressément le droit de liquider l'astreinte,

Dire que l'intégralité des sommes sus énoncées sera augmentée des intérêts au taux légal et ce, à compter du jour de l'introduction de la demande en application des articles 1146 et 1153 du code civil🏛🏛,

Débouter la société de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

Condamner la société aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce notamment compris le coût des significations et de l'exécution forcée, dont distraction au profit de Maître Oriane Dontot, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


' Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 31 août 2022, la société Etablissement Doitrand demande à la cour de :

Déclarer recevable mais infondé l'appel interjeté par Mme [F] à l'encontre du jugement rendu le 10 décembre 2020 qui l'a déboutée de toutes les demandes qu'elle formulait, la société n'ayant pas failli à son obligation de sécurité à l'égard de sa salariée,

Rejeter la demande formulée par Mme [F] de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son ancien employeur,

Rejeter les demandes formulées à ce titre,

Débouter également Mme [F] de la demande nouvelle qu'elle formule à titre subsidiaire de voir prononcer la nullité de son licenciement prononcé pour inaptitude physique à l'emploi, conformément à l'avis émis par la médecine du travail dans des conditions irrégulières, mais qui n'est plus aujourd'hui possible pour la société de contester vu les termes de l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la Cour de cassation qu'elle avait saisie,

Constater que la société a respecté les dispositions légales qui lui imposaient de consulter les délégués du personnel avant de prendre sa décision de licenciement pour inaptitude physique à l'emploi, après que Mme [F] a refusé la proposition de reclassement au siège qui lui avait été faite,

Rejeter par voie de conséquence ses demandes de condamnations indemnitaires complémentaires formulées dans les suites de cette demande de prononcé d'une nullité,

Rejeter en tout état de cause l'ensemble des demandes d'indemnité complémentaire présentées par Mme [F] totalement infondées pour avoir été réglée de ce qui lui était dû dans les suites de son licenciement pour inaptitude physique à l'emploi,

Rejeter de ce chef sa demande de condamnation aux fins d'obtenir une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'agression sexuelle qu'elle déclare avoir subie sur son lieu de travail,

Rejeter les demandes qu'elle formule sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛, aux fins d'obtenir la condamnation de la concluante à lui payer la somme de 6 000 euros,

Accueillir en revanche sa demande reconventionnelle à l'encontre de Mme [F] à lui payer une somme de 1 000 euros sur le fondement de ce texte,

Condamner la même à supporter les éventuels dépens qui auraient pu être exposés ou qui le seront dans les suites de l'arrêt à intervenir.


Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.



MOTIFS


I - Sur les faits du 25 novembre 2016 et la demande de dommages-intérêts pour agression sexuelle :


Au soutien de la demande d'indemnisation qu'elle présente de ce chef, Mme [F], tout en critiquant la décision du conseil de prud'hommes 'en ce qu'il a commis une erreur de droit en jugeant que « l'agression subie est un acte isolé qui ne correspond pas à la définition du harcèlement sexuel », alors même qu'elle avait sollicité la condamnation de la société à des dommages-intérêts sur le fondement de l'agression sexuelle et non sur celui du harcèlement sexuel', se prévaut d'un arrêt de la Cour de cassation énonçant que l'indemnisation du licenciement pour absence de cause réelle et sérieuse ne fait pas obstacle à une demande distincte de dommages-intérêts pour harcèlement (10.30-483), et fait valoir que le conseil a 'totalement éludé les conséquences morales et psychiques de l'agression sexuelle subie par elle'. Au visa des dispositions de l'article 222-22 du Code Pénal🏛, selon lesquelles « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise », et de celles de l'article L.1142-2-1 du code du travail🏛, qui énoncent que « nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant », Mme [F], qui indique n'avoir 'jamais obtenu réparation pour le préjudice subi du fait de cette agression sexuelle', s'estime fondée à solliciter l'indemnisation des préjudices résultant de cette agression.


La société Doitrand s'oppose à cette réclamation et objecte n'avoir pas manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de la salariée, dans la mesure où celle-ci ne l'a informée qu'en fin d'après-midi, après la fermeture de l'agence, du comportement inapproprié de M. [N] remontant à la fin de la matinée, faits contestés par celui-ci, contre lequel la salariée n'a pas estimé devoir déposer une plainte pénale pour une prétendue agression sexuelle, préférant s'en remettre à l'appréciation du Procureur de la République, qui pour sa part n'a pas estimé devoir donner une suite aux faits rapportés par elle.


Il est de droit que le rappel à la loi auquel procède le procureur de la République en application de l'article 41-1 du code de procédure pénale🏛 est dépourvu de l'autorité de la chose jugée et n'emporte pas, par lui-même, preuve du fait imputé à un auteur et de sa culpabilité. Il appartient au juge prud'homal, en appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui sont soumis si les faits ayant donné lieu à ce rappel à la Loi sont ou non établis.


Cependant, il n'appartient pas à la présente juridiction, statuant en matière prud'homale, de caractériser si les faits constituent ou non l'infraction d'agression sexuelle invoquée par la salariée, qui, dans ses conclusions, écarte expressément le moyen fondé sur le harcèlement sexuel et n'invoque pas les dispositions de l'article L. 1153-1 2° du code du travail🏛 relatif aux faits 'assimilés au harcèlement sexuel'.


Il convient de relever que :

- la salariée a transféré à la direction de l'entreprise le message suivant qu'elle avait adressé à M. [N] :

« En tant que responsable d'agence tu nous conseilles de parler et dialoguer quand quelque chose ne va pas c'est donc ce que je vais faire :

tu as eu des gestes déplacés envers moi ce matin dans la salle à archives lorsque tu m'as demandé de te donner un carnet de bons de commandes, que je ne tolère pas et n'accepte pas.

Je te conseille vivement de ne pas recommencer. Cela ne m'a pas fait rire du tout bien au contraire, je suis même très en colère.

Nous pouvons plaisanter et rire de beaucoup de choses entre collègues, ce que nous faisons chaque matin au café, par contre éteindre la lumière de la pièce et m'attraper par les hanches quand je suis retournée et te coller à moi, c'est pas des attitudes à avoir entre collègues même si pour toi cela fait visiblement partie de la plaisanterie ' ' j'ai beaucoup d'humour mais pas quand il s'agit de gestes de ce genre [...] ».

- le jour même, la salariée s'est rendue à la brigade de gendarmerie de [Localité 3] pour dénoncer 'l'action déplacée de la part de son responsable d'agence M. [N] survenue ce jour à 11h30" et a déclaré à l'enquêteur ceci :

« J'étais à mon bureau [...] [K] [N] est rentré dans le bureau [...] il m'a demandé de lui fournir un carnet de bons de commandes dans le stock de papeterie que je gère. Je me suis levée et je me suis dirigée vers la salle des archives où se trouve l'armoire contenant la papeterie. J'ai allumé la lumière et ouvert la porte de l'armoire coulissante sous la machine à café. [K] m'a suivie rapidement, a éteint la lumière et fermé la porte. Il s'est approché de moi pendant que j'essayais d'ouvrir l'armoire, il m'a saisi par les hanches et m'a donné un coup de reins avec son bassin dans les fesses. Je me suis redressée, je me suis retournée et je lui ai dit 'touche ton cul, n'éteins pas la lumière, ne me laisse pas dans le noir, j'ai peur du noir' puis je suis sortie. Il m'a dit 'oh non c'est pour rire'. [...] (pièce n°26 de la société intimée),

- entendu par les militaires de la gendarmerie, M. [N] a déclaré avoir suivi Mme [F] à qui il avait demandé un carnet de commandes, dans la salle des archives, avoir fermé la porte, éteint la lumière et l'avoir saisie par les hanches afin de la surprendre pour rigoler, concédant que le 'fait de l'avoir prise par les hanches ait pu être pris pour un geste déplacé, mais pas une agression sexuelle'. Il a contesté lui 'avoir donné un coup de rein en expliquant que dans l'affirmative elle l'aurait giflé et il ne l'aurait pas volé'.

- dans le cadre de l'enquête interne, M. [N] a maintenu cette présentation des faits en contestant toute intention sexuelle (pièce n°6-3 de l'intimé),

- par lettre recommandée avec avis de réception en date du 22 décembre 2016, l'employeur a sanctionné M. [N] d'un avertissement par lettre ainsi libellée :

« Mme [F] nous a expliqué qu'elle s'était rendue à votre demande en salle d'archives pour aller récupérer un carnet de bons de commandes. Vous l'avez suivie, vous êtes entré dans la salle après avoir éteint la lumière. Elle a précisé que vous l'aviez attrapé fortement par les hanches et vous vous étiez collé à elle.

Vous avez reconnu l'avoir suivie en salles d'archives, avoir éteint la lumière et l'avoir prise par les hanches pour lui faire peur. Lors de notre entretien vous avez mimé la scène en précisant ne pas vous être frotté à elle. [...] Il s'agissait pour vous d'une blague envers une collègue.

[...] Le comportement que vous avez eu à cette occasion n'est pas compatible avec les responsabilités que vous exercez au sein de l'entreprise. En conséquence la présente constitue un avertissement tel que prévu à l'échelle des sanctions de notre règlement intérieur. »


L'examen comparé du mail adressé par la salariée le 25 novembre, de sa déclaration à la gendarmerie et du compte-rendu de son audition par la directrice des ressources humaines, le 28 novembre 2016, aux termes duquel il est noté sur les gestes déplacés que 'M. [N] l'a attrapée par les hanches et s'est collée à elle', ne révèle aucune contrariété ou incohérence. En effet, faire 'un geste du bassin' ou 'se coller' par derrière contre une personne penchée en avant pour se saisir d'un objet placé dans une armoire basse, décrit le même geste déplacé.


Compte tenu des circonstances entourant 'l'incident', à savoir les instructions données à la salariée de lui fournir un carnet, le fait d'avoir suivi Mme [F] dans la salles des archives où sont entreposées les fournitures, d'avoir fermé la porte puis d'avoir éteint la lumière et de s'être approché d'elle, conduisent à considérer que le geste accompli par M. [N] sur Mme [F], consistant à la saisir par les hanches avant d'établir un contact entre leurs corps au niveau du bassin, caractérise un geste, non seulement 'inapproprié', ainsi que le reconnaît l'employeur dans ses conclusions, mais qui présente une connotation sexuelle, lequel caractérise à tout le moins un manquement aux dispositions de l'article L.1142-2-1 du code du travail🏛.


Pour autant, alors que ces faits ont été reconnus par la Caisse primaire d'assurance maladie comme caractérisant un accident du travail, que Mme [F] avait en outre la faculté de saisir une juridiction pénale ou civile afin d'obtenir de M. [N] l'indemnisation des préjudices résultant de ces faits et qu'aucun manquement précédant ceux-ci n'est allégué à l'encontre de l'employeur, la demande de condamnation de la société Etablissement Doitrand au paiement de la somme de 10 000 euros pour agression sexuelle n'est pas fondée.


Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'en a déboutée.


II - Sur le manquement à l'obligation de sécurité :


Selon l'article L. 4121-1 du code du travail🏛, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° des actions d'information et de formation ; 3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.


Ces mesures sont mises en oeuvre selon les principes définis aux articles L. 4121-2 et suivants du même code🏛.


En l'espèce, il est constant que dans un premier temps, l'employeur a pris les mesures utiles en relevant M. [N] de ses fonctions à titre conservatoire (pièce n°6-4 de l'intimé), en diligentant une enquête afin de circonscrire les faits dénoncés par Mme [F], avant de notifier à M. [N] un avertissement le 22 décembre 2016.


Dans un second temps, l'employeur a informé la salariée, par lettre du 30 janvier 2017, des mesures qu'il avait adoptées afin de lui permettre de reprendre son travail au sein de l'agence, lesquelles consistaient en un simple aménagement des horaires de M. [Ab], qui se voyait contraindre de travailler pour l'essentiel depuis son domicile et interdire l'accès aux locaux de l'agence aux horaires de Mme [F]. Ce faisant, la société considère rapporter la preuve du respect de son obligation de sécurité à l'égard de sa collaboratrice.


Toutefois, alors qu'il n'est nullement établi, comme le prétend l'employeur, que M. [Ab] se soit vu retirer ses fonctions contractuelles de responsable d'agence, en l'état de la sanction prononcée contre lui le 22 décembre 2016 qui se limite en un avertissement, de la lettre du 30 janvier 2017 qui ne fait nullement état d'un changement de responsable ni de la personne sous l'autorité de laquelle Mme [F] serait dorénavant placée, de l'avenant signé le 20 janvier 2017 par M. [N] (figurant dans l'enquête de gendarmerie) lequel se borne à entériner l'aménagement de ses horaires, et du message dépourvu de force probante de Mme [V], présidente de la société par lequel elle affirme que M. [Ac] a été maintenu en qualité de responsable d'agence (pièce n°27 de l'intimée), l'organisation mise en place par la société 'afin que Mme [F] et M. [N] puissent travailler sans être ensemble à l'agence' ne saurait répondre complètement et de manière satisfaisante à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu vis-à-vis de sa collaboratrice et ce sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure de licenciement.


En effet, compte tenu de l'effectif réduit de l'agence, du fait que M. [N] conservait les clés et badges lui permettant d'accéder aux locaux de l'entreprise, et des contraintes liées à l'activité de l'agence et des fonctions de la salariée, assistante administratif, rendant un tel aménagement horaire dépourvu d'efficience dans la durée, cet aménagement qui autorisait la personne mise en cause dans ces gestes déplacés à connotation sexuelle, vécus par Mme [F] comme une agression sexuelle, à se rendre dans les locaux de l'agence, le matin avant 8h15, le mercredi après-midi, et les autres soirs après 16h15, n'était pas de nature à garantir à la salariée qu'elle ne croiserait plus l'intéressé dans le cadre de son activité professionnelle.


La société n'ayant pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de Mme [F], le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé que l'employeur a satisfait à son obligation de sécurité une fois informé de la survenance des faits commis par M. [N] sur Mme [F].


III - Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :


Conformément aux dispositions de l'article 1184 du code civil🏛, le salarié peut demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution suffisamment grave par l'employeur de ses obligations contractuelles. Il lui appartient alors de rapporter la preuve des faits qu'il allègue.


Si les manquements invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sont établis et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de ce contrat, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date


Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant de travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée et dans le cas contraire, il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.


Il suit de ce qui précède que Mme [F] justifie avoir subi de la part de son supérieur hiérarchique des faits caractérisant à tout le moins un manquement au principe édicté par l'article L. 1242-2-1 du code du travail puis, ultérieurement, un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, lesquels présentaient une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.


Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de résiliation judiciaire de ce contrat laquelle produit les effets d'un licenciement à tout le moins sans cause réelle et sérieuse au jour du licenciement pour inaptitude prononcé le 26 décembre 2017.


Si la salariée a dénoncé à l'employeur les agissements de son supérieur qu'elle considérait caractériser une infraction pénale, il ne résulte pas des éléments de la cause qu'un lien puisse être fait entre cette dénonciation et la rupture du contrat de travail.


En l'absence d'un texte prévoyant la nullité d'un licenciement dans l'hypothèse où le salarié subirait une infraction pénale, laquelle n'est au demeurant pas juridiquement démontrée en l'état du simple rappel à la loi ordonné par le procureur de la République, la demande tendant à voir juger que la résiliation produit les effets d'un licenciement nul sera rejetée.


IV - Sur l'indemnisation de la rupture :


Au jour de la rupture, Mme [F] totalisait une ancienneté supérieure à sept années au sein d'une entreprise employant plus de dix salariés.


Contrairement à ce que soutient la salariée, son salaire mensuel brut de base s'établissait à la somme de 1 791,37 euros bruts et non à la somme de 2 139 euros, qui correspond au salaire de référence sur les trois derniers mois travaillés.


Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [F] est bien fondée à obtenir le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis correspondant, conformément à l'article L. 1234-5 du code du travail🏛, à la rémunération brute qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant la période du délai-congé. En l'espèce, l'employeur justifie lui avoir versé à l'occasion de la rupture la somme de 3 516, 70 euros bruts, et ce au titre de l' 'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité de préavis', prévue par l'article L. 1226-14 du code du travail🏛 laquelle n'ouvre pas droit à congés payés, alors même que la salariée pouvait prétendre à la somme de 3 582,74 euros outre la somme de 358,27 euros au titre des congés payés.


Dans la limite de sa demande, il lui sera allouée de ce chef un rappel de 66,04 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 76,13 euros bruts au titre des congés payés sur préavis.


En ce qui concerne l'indemnité spéciale de licenciement, l'employeur s'oppose à la demande de rappel formée de ce chef par la salariée en plaidant que la salariée n'est pas fondée à se prévaloir du calcul du salaire de référence sur les trois derniers salaires, dès lors qu'il a respecté les dispositions de l'article 8.5 de la convention collective applicable qui prévoit que le montant de cette indemnité se calcule par référence aux douze mois de salaire précédents la notification du licenciement.


Par application des dispositions légales, plus favorables, la demande de rappel d'indemnité spéciale de licenciement formée par la salariée est justifiée et la société Etablissement Doitrand sera condamnée à lui verser la somme de 196,34 euros sur ce point.


En vertu de l'article L. 1235-3-1 du code du travail🏛, issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017🏛, et compte tenu de son ancienneté accomplie de huit années au jour de la rupture, la salariée peut prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de trois mois de salaire brut et un montant maximal de huit mois de salaire brut.


Eu égard à son ancienneté dans l'entreprise, à son âge lors de la rupture du contrat et à sa rémunération, il lui sera alloué la somme de 17 112 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.


Il sera fait application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail🏛.


Il sera ordonné à l'employeur de remettre à la salariée les documents de fin de contrat régularisés, mais sans astreinte laquelle n'est pas nécessaire à assurer l'exécution de cette injonction.


Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil🏛🏛 prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.


PAR CES MOTIFS


La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,


Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme [F] de sa demande de condamnation de la société Etablissement Doitrand en paiement de la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts pour agression sexuelle,


Infirme le jugement pour le surplus,


Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 26 décembre 2017,


Condamne la société Etablissement Doitrand à verser à Mme [F] les sommes suivantes :


- 17 112 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,


- 66,04 euros bruts à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis, outre 76,13 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,


- 196,34 euros à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement,


Ordonne, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail🏛, le remboursement par l'employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, et dit qu'une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes,


Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,


Ordonne à la société Etablissement Doitrand de délivrer à Mme [F] les documents de fin de contrat conformes à la présente décision, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,


Rejette la demande d'astreinte,


Condamne la société Etablissement Doitrand à verser à Mme [F] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.


Condamne la société Etablissement Doitrand aux entiers dépens étant précisé que les frais d'exécution, dont le sort est réglé par le code des procédures civiles d'exécution, n'entrent pas dans les dépens qui sont définis par l'article 695 du code de procédure civile🏛, dont distraction s'agissant des dépens d'appel au profit de Maître Oriane Dontot, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Morgane BACHÉ, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Le greffier, Le président,

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