Jurisprudence : CA Toulouse, 14-10-2022, n° 21/00380, Infirmation partielle




ARRÊT N° 2022/461


N° RG 21/00380 - N° Portalis DBVI-V-B7F-N56X

SB/KS


Décision déférée du 16 Décembre 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( 18/01876)

J MAYET

SECTION ACTIVIVES DIVERSES


[V] [R]


C/


S.A.S. PICTARINE


INFIRMATION PARTIELLE


Grosse délivrée


le 14/10/2022


à Me Cyrille PERIGAULT

Me Philippe ISOUX


ccc Me Cyrille PERIGAULT

Me Philippe ISOUX, Pôle emploi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1


***

ARRÊT DU QUATORZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

***



APPELANTE


Madame [V] [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]


Représentée par Me Cyrille PERIGAULT, avocat au barreau de TOULOUSE


INTIMÉE


S.A.S. PICTARINE

[Adresse 2]

[Localité 4]


Représentée par Me Philippe ISOUX de la SELARL CABINET PH. ISOUX, avocat au barreau de TOULOUSE



COMPOSITION DE LA COUR


En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été débattue le 21 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant S.BLUME et N.BERGOUNIOU, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :


S. BLUME, présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles


Greffier, lors des débats : C. A


ARRET :


- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.



FAITS - PROCÉDURE - PRÉTENTIONS DES PARTIES


Mme [V] [R] a été embauchée le 5 septembre 2016 par la SAS Pictarine en qualité d'assistante administrative suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des bureaux d'études techniques.


Le 8 novembre 2017, Mme [R] a été placée en arrêt de travail.


Après avoir été convoquée par courrier du 8 novembre 2017 à un entretien préalable au licenciement fixé au 20 novembre 2017, Mme [R] a été licenciée par courrier du 23 novembre 2017 pour cause réelle et sérieuse.


Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 20 novembre 2018 pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.


Le conseil de prud'hommes de Toulouse, section activités diverses, par jugement du 16 décembre 2020, a :

-jugé que le licenciement de Mme [V] [R] n'encourt pas la nullité et l'a déboutée de sa demande indemnitaire sur ce fondement,

-jugé que le licenciement de Mme [V] [R] est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'a déboutée de sa demande indemnitaire sur ce fondement subsidiaire,

-jugé qu'il n'est établi aucun manquement de la société Pictarine à ses obligations en matière de sécurité et débouté Mme [V] [R] de sa demande présentée sur ce fondement,

-débouté les parties de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

-condamné Mme [V] [R] aux entiers dépens de l'instance.


***



Par déclaration du 21 janvier 2021, Mme [R] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 24 décembre 2020, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.


***


Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 13 avril 2021, Mme [V] [R] demande à la cour de :

-infirmer, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu,

-à titre principal, juger que le licenciement de Mme [R] est nul,

-à titre subsidiaire, juger que le licenciement de Mme [R] est sans cause réelle et sérieuse,


-en toutes hypothèses :

*juger que l'employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité de résultat,

*juger que Mme [R] a subi un préjudice conséquent,

-à titre principal, condamner l'employeur à verser à Mme [R] la somme

de 22 090 euros nette de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

-à titre subsidiaire, condamner l'employeur à verser à Mme [R] la somme

de 22 090 euros nette de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-en toutes hypothèses :

*condamner l'employeur à verser à Mme [R] la somme de 22 090 euros nette de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation

de sécurité de résultat,

*condamner l'employeur à verser à Mme [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛, ainsi qu'aux entiers dépens.


***


Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 7 juin 2021, la SAS Pictarine demande à la cour de :

-confirmer le jugement dans l'ensemble de ses dispositions,

-juger que le licenciement de Mme [R] n'encourt pas la nullité,

-juger que ce licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

-débouter dès lors Mme [R] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement prétendument abusif,

-juger que la société n'a pas manqué à son obligation de sécurité à l'encontre de Mme [R] et débouter cette dernière de sa demande indemnitaire sur ce fondement,

-condamner Mme [R] à lui régler la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.


***


La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 10 juin 2022.


***


Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛.



MOTIFS DE LA DECISION


La salariée appelante sollicite la réformation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à voir juger nul son licenciement pour des agissements de harcèlement moral dont elle a été victime ainsi que pour discrimination à raison de son état de santé, et de sa demande pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité.


1-Sur les demandes au titre de la nullité du licenciement


1-1 Sur le harcèlement moral


En application des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail🏛, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits à et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.


L'article 1154-1 du code de travail🏛 dispose qu'il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il en résulte que s'il appartient au salarié d'établir la matérialité des faits qu'il invoque, les juges doivent quant à eux appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s'ils permettent de présumer l'existence du harcèlement allégué. En ce cas alors, il revient à l'employeur d'établir qu'ils ne caractérisent pas une situation de harcèlement.


En l'espèce, Mme [R] invoque des faits de harcèlement moral à compter d'octobre 2017 résultant d'une mise à l'écart de projets importants de l'entreprise, notamment un projet 'Branding/entretien' auquel toute l'entreprise est amenée à participer', de ses convocations à des entretiens informels répétés par ses supérieurs hiérarchiques sans qu'elle soit assistée, de la pression exercée à son égard lors d'un entretien

du 7 novembre 2017en vue de la régularisation d'une rupture conventionnelle, la décision ayant été prise de la licencier avant même l'entretien préalable, tous éléments qui ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail et une altération de son état de santé.


Elle produit au soutien de son argumentation les éléments suivants:

- sa convocation le 6 novembre 2017 à un entretien le jour même par Mme [X] (son N+1)

- sa convocation à un entretien fixé le 7 novembre 2017 avec Mme [X] et M.[U] [E] (son N+2).

- un compte rendu d'entretien d'évaluation annuelle du 12 septembre 2017 soulignant une bonne performance globale qui a motivé son augmentation de salaire de 6%.

- des avis d'arrêt de travail des 8 novembre, 20 novembre et 14 décembre 2017, les deux derniers mentionnant un syndrôme anxieux.

- deux ordonnances de prescription médicamenteuse de médecins généralistes

des 29 octobre 2017 pour des problèmes oculaires et 8 novembre 2017 (Passiflora, Magnesium, Colecalciferol).


- un courriel adressé à son employeur le 9 novembre 2017 dans lequel elle déclare avoir décidé de recourir à une rupture conventionnelle , comme suggéré lors de l'entretien du 7 novembre 2017 et indique reprendre son poste à la fin de son arrêt de travail

le 15 novembre 2017.

- une attestation d'un psychologue du 25 septembre 2018 évoquant un suivi psychothérapique de Mme [R] depuis le 19 juin 2018 pour un état d'anxiété 'Qui serait dû à son licenciement', évoquant les symptômes d'un stress post traumatique ainsi que d'autres souvenirs traumatiques.


La cour relève que la mise à l'écart déplorée par la salariée à compter d'octobre 2017 n'est étayée par aucun élément précis et qu'aucune information n'est fournie sur le ou les projets auxquels toute l'entreprise aurait été associée, à l'exception de la salariée.

Le compte rendu d'entretien annuel du 12 septembre 2017 ne comporte l'énoncé d'aucun propos critique, ou dénigrant à l'égard de la salariée et comporte une évaluation plutôt favorable de son travail.

Par ailleurs la convocation de la salariée par ses supérieurs hiérarchiques à deux entretiens les 6 et 7 novembre 2017, dont le contenu n'est pas rapporté de façon précise mais ayant trait, d'après les indications fournies de part et d'autre, à des erreurs et omissions, relève du pouvoir de direction de l'employeur.


La proposition de rupture conventionnelle, à supposer qu'elle émane de l'employeur ainsi que le soutient l'appelante, relève de la liberté des parties et ne vicie pas en soi le consentement de la salariée, celle-ci ayant du reste renoncé à cette procédure qu'elle avait dans un premier temps envisagée


Quant aux éléments médicaux, les avis d'arrêt de travail tels que remis à l'employeur ne comportent aucune précision sur le motif médical de l'arrêt de travail (pièce 5) et, s'agissant du syndrôme anxieux mentionné sur le volet adressé au service médical, aucun élément ne permet de le relier aux conditions de travail de la salariée. L'attestation du psychologue établie 10 mois après le licenciement de la salariée évoque au conditionnel un lien entre le suivi psychologique de la salariée mis en place 7 mois après la rupture et le licenciement , en indiquant expressément relater sur ce point les propos tenus par la salariée. Les doléances ainsi rapportées de la salariée sont insuffisantes à établir un lien entre l'état de santé psychologique dégradé et une souffrance au travail imputable à l'employeur.


Les éléments produits par la salariée , pris dans leur ensemble ne permettent pas de présumer une situation de harcèlement moral.

Le jugement entrepris est donc confirmé en ses dispositions ayant écarté la nullité du licenciement fondée sur le harcèlement.


1-2 Sur la discrimination


Par application de l'article L.1132-1 du code du travail🏛, dans sa rédaction applicable au litige, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi du 27 mai 2008🏛, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, (...) ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Il appartient à la personne faisant l'objet d'une discrimination de présenter au juge les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination, directe ou indirecte.

Au vu de ces éléments, l'employeur doit présenter des éléments attestant que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination.

Le juge prend une décision après avoir ordonné toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles, en cas de besoin.


Il résulte des éléments de procédure que Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement par courrier recommandé envoyé par l'employeur le 8 novembre 2017, qu'elle a informé le jour même l'employeur par mail d'un arrêt de travail pour maladie et que l'avis médical serait transmis par courrier.

Il s'évince de ses propres conclusions et d'un courriel adressé à son employeur par Mme [R] le 9 novembre 2017 que des griefs formulés sur son travail par l'employeur lui avaient été exposés lors des entretiens des 6 et 7 novembre avec sa hiérarchie, et qu'une rupture envisagée des relations contractuelles avait été débattue par les parties dès l'entretien du 7 novembre. Il s'ensuit que l'engagement de la procédure de licenciement par l'envoi d'une lettre de convocation à entretien préalable n'était pas fondé sur l'état de santé de la salariée - la preuve n'étant pas rapportée d'une remise de l'avis d'arrêt de travail à l'employeur le 8 novembre - mais sur des reproches clairement exposés à la salariée avant son arrêt de travail et repris dans la lettre de licenciement.

Les éléments produits par la salariée , soit les avis d'arrêt de travail à compter du 8 novembre 2017 et les pièces médicales postérieures à l'engagement de la procédure, notamment l'attestation du psychologue établie 10 mois après le licenciement, ne permettent pas de présumer que la procédure de licenciement a été diligentée par l'employeur à raison de l'état de santé de la salariée.

Les premiers juges seront donc approuvés en ce qu'ils ont écarté la nullité du licenciement fondée sur la discrimination.


3- Sur l'obligation de sécurité


Au vu de l'analyse susvisée des pièces produites par la salariée au soutien de sa demande formée au titre du harcèlement moral et du rejet de celle-ci, il n'est pas justifié d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention.

Mme [R] sera déboutée de sa demande indemnitaire, par confirmation du jugement entrepris.


4- Sur les demandes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse


En application des articles L.1232-1, L. 1232-6 et L.1235-1 du Code du travail🏛🏛🏛, lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception qui doit comporter l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

Tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige et il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.


La lettre de licenciement du 23 novembre 2017 énonce les griefs en ces termes :


'(...)Vous êtes entrée au service de notre société le 05 septembre 2016 en qualité d'assistante administrative office manager.

Vos attributions, qui figurent, dans leurs grandes lignes, à l'article 1 de votre contrat de travail, vous ont été précisées par fiche de poste.

Vous êtes rattachée hiérarchiquement à la direction administrative et financière.

La nature même de votre fonction fait de votre poste un maillon important de notre organisation.

Ce poste requiert organisation, rigueur, hiérarchisation des tâches ainsi qu'une communication fluide tant avec votre responsable hiérarchique direct qu'avec les différents acteurs pour lesquels vous pouvez être amenée à intervenir.


Nous déplorons, depuis plusieurs mois, un manque de rigueur très dommageable à l'entreprise.

Nous vous avions fait part de notre insatisfaction lors d'un premier recadrage fin d'année dernière. Notre démarche était à l'époque d'attirer votre attention dans l'espoir d'un ressaisissement.

Nous vous avons à nouveau fait part du besoin de rigueur et de travail nécessaire à ce poste lors de notre entretien annuel qui s'est tenu au début du mois de septembre de cette année.

Or, nous n'avons pu que constater, depuis cet entretien, un relâchement important qui s'est traduit par d'innombrables erreurs et dysfonctionnements.


Ainsi, et à titre non limitatif :

-erreurs multiples dans la saisie des documents (noms patronymiques, adresses mail, etc...),

-documents transmis à votre responsable truffés de fautes d'orthographe (DUER, note d'entreprise pour la BNP, etc...) faisant apparaître clairement une absence de relecture par vos soins,

-des copier-coller intempestifs, oubli d'envoi de documents de résiliation de contrat (Swisslife) qui, sans le rappel de notre fournisseur, aurait contraint la société Pictarine à maintenir son engagement pour une année supplémentaire,

-suivi d'échéancier de facturation Swisslife non effectuée avec rigueur, ce qui a amené l'entreprise à régler environ 10 000 euros de trop.


Cette situation est d'autant moins acceptable qu'il est devenu de plus en plus difficile d'échanger avec vous dans la mesure ou vous vous braquez et vous perdez en polémiques sans fin.

A ces erreurs s'ajoutent des directives non respectées.

Ici encore, à titre non exhaustif :

-fichiers de travail non mis à jours (cours anglais/fichier de suivi factures),

-tâches non réalisées (listing téléphones entreprise) (votre responsable hiérarchique a finalement dû faire ce travail à votre place),

-enregistrement de certains travaux sur votre bureau (et non sur le réseau) rendant impossible le contrôle de vos réalisations par votre responsable hiérarchique.


Enfin, nous constatons une totale désaffection par rapport à votre fonction et aux besoins de l'entreprise illustrée, notamment, par des délais invraisemblables pour transférer certaines informations importantes (deux jours pour le transfert d'un mail attendu, après relance), pauses déjeuner de plus de deux heures.


La société Pictarine peut parfaitement admettre certaines erreurs, comme nous en commettons tous.

Cependant, la fréquence de vos erreurs est devenue excessive et vos réactions, lorsque nous attirons votre attention à leur sujet, ne nous laissent guère d'espoir quant à votre volonté d'améliorer votre prestation.


Nous considérons, dans ces conditions, qu'il existe une situation d'insuffisance professionnelle avérée et que votre comportement au travail n'est pas conforme à ce que nous pensons être en droit d'attendre de votre part.

Au cours de notre entretien préalable, vous n'avez formulé aucune observation nous permettant de tempérer notre appréciation de la situation.


C'est la raison pour laquelle, et pour l'ensemble des motifs ci dessus, nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.


Ce licenciement prend effet dès la première présentation de cette lettre qui marque le point de départ de votre préavis d'une durée d'un mois.

Nous vous dispensons dès à présent d'effectuer ce préavis qui donnera lieu au maintien de votre rémunération.

A son terme, il vous sera délivré l'ensemble des documents sociaux obligatoires ainsi que le solde de votre compte (...)'


Aux termes des motifs exposés, Mme [R] a été licenciée pour insuffisance professionnelle consistant dans une exécution insatisfaisante de ses fonctions, du fait d'erreurs répétées et d'un manque de rigueur et d'implication dans le travail.


L'insuffisance professionnelle, qui n'est jamais une faute disciplinaire, peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu'elle repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié, ayant des répercussions sur la marche ou le fonctionnement de l'entreprise, constitués non par une violation des obligations résultant du contrat de travail mais par une mauvaise exécution par le salarié de ses obligations caractérisée notamment par des erreurs, des omissions ou par un volume de travail insuffisant en raison, non pas d'un acte volontaire ou d'un manquement volontaire mais, par exemple, du fait de son insuffisance professionnelle dans les tâches accomplies, de son incompétence dans l'exécution de ses tâches ou de son inadaptation professionnelle à l'emploi exercé.


A l'appui de ses allégations d'insuffisance professionnelle, la société Pictarine verse aux débats:

- une attestation de Mme [X] , dans laquelle cette directrice administrative et financière indique avoir dû recadrer verbalement la salariée suite à des erreurs. Sa difficulté à gérer son emploi du temps a nécessité la mise en place d'un suivi des tâches à accomplir quotidiennement afin qu'elle n'en oublie pas certaines, essentielles, telles que les virements aux fournisseurs. Elle évoque une amélioration

jusqu'en septembre 2017 qui a motivé une augmentation de salaire de 6% pour l'encourager, même si le compte rendu de son évaluation annuelle du 12 septembre 2017 attirait son attention sur des progrès à accomplir, notamment en raison d'un 'manque de rigueur parfois'. Elle précise que l'augmentation de salaire moyenne dans l'entreprise a été de 12%. Elle souligne la dégradation constatée quelques semaines après cette évaluation annuelle avec un manque d'implication dans le travail de la salariée et déclare avoir constaté que des tâches précises qui lui avaient été confiées durant deux jours fin octobre 2017 n'ont pas été effectuées en dépit de l'affirmation contraire de la salariée ( travail non enregistré sur les dossiers électroniques de la société). Elle a constaté qu'un prélèvement de 10 000 euros avait été effectué à tort par la société Swisslife, après l'oubli par la salariée d'une résiliation du contrat.


- un tableau des tâches à accomplir quotidiennement avec suivi du temps consacré à ces tâches.


- le compte rendu d'entretien annuel du 12 septembre 2017 qui mentionne des axes de progrès sur la rigueur, le sens de l'initiative, l'autorité sur le groupe, la capacité d'écoute.


-des mails de relances de fournisseurs non payés en date des 10 octobre 2016(facture du 31 aout 2016 à payer avant le 30 septembre 2016), et 19 mai 2017.


- un mail de Mme [X] du 27 décembre 2016 demandant à la salariée de vérifier le paiement des factures


- des courriels échangés avec Swisslife le 30 octobre 2017 faisant apparaître l'absence de résiliation d'un contrat de prévoyance.


Ces griefs sont contestés par la salariée qui argue de son augmentation de salaire consécutivement à son évaluation annuelle positive, de la rectification le jour même de l'omission de résiliation du contrat Swisslife dont atteste son courriel

du 30 octobre 2017, et de l'accomplissement des tâches demandées fin octobre, notamment l'établissement du listing des téléphones qu'elle avait enregistré sur son bureau et non les fichiers de l'entreprise .


La cour retient que les reproches susévoqués sont articulés contre la salariée un mois et demi après une évaluation annuelle dont le compte rendu du 12 septembre 2017 mentionne les 'points forts de la salariée'(dynamique, sérieuse, volontaire, écoutant les remarques, sachant articuler les deux aspects du poste et appliquer les diverses méthodologies, notamment le suivi des temps par tâche). Il convient de noter que cette évaluation globalement positive s'est accompagnée d'une augmentation de salaire significative de 6%. Si le témoignage de Mme [X] ne saurait être écarté au seul motif qu'il émane de la supérieure hiérarchique directe de la salariée, il ne saurait seul justifier de la matérialité des griefs formulés par l'employeur , lesquels doivent être étayés par des éléments matériels précis et vérifiables. A cet égard le tableau de suivi quotidien des tâches produit aux débats par l'employeur est incomplet et omet toutes données afférentes aux mois de septembre et octobre 2017, période pourtant concernée par les griefs, privant ainsi la cour de toute vérification de l'accomplissement des tâches et du manque d'implication reprochés. Il en résulte un doute sur un défaut d'accomplissement des tâches confiées fin octobre 2017 qui n'est par ailleurs objectivé par aucun élément matériel. Quant aux courriels précités des 27 décembre 2016, 10 octobre 2016 et 19 mai 2017 relatifs à des erreurs ou omissions de la salariée, ils sont antérieurs à son évaluation annuelle favorable et à son augmentation de salaire, laquelle traduit une satisfaction de l'employeur à l'égard du travail fourni par la salariée . Le recadrage verbal de la salariée auquel la supérieure hiérachique affirme avoir procédé avant l'évaluation annuelle est contesté et n'est pas corroboré par des éléments précis.

En outre il n'est pas justifié de fautes d'orthographe, autres que des fautes sporadiques que comportent certains courriels sur des prénoms ([Z] et non [I]), sur des documents ou courriers importants pour l'entreprise.

Il ressort enfin des courriels du 30 octobre 2017 que la salariée a remédié le jour même de son signalement, à l'omission de résiliation d'un des contrats Swisslife. Cette erreur qui lui est manifestement imputable, ne saurait à elle seule caractériser une insuffisance professionnelle au regard des appréciations positives sur le travail de la salariée et de son augmentation de salaire moins de deux mois plus plus tôt. Les insuffisances et la dégradation rapide de l'implication de la salariée dans l'exécution de son travail , ne sont pas caractérisées par les pièces produites sur la période de septembre -novembre 2017.


Il en résulte que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et ouvre droit à réparation au profit de la salariée.


En application de l'article L1235-3 du code du travail🏛, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 22 septembre 2017, Mme [R] qui bénéficiait d'une ancienneté d'un an dans l'entreprise employant plus de 11 salariés, est fondée à prétendre à une indemnité comprise entre un et deux mois de salaire.

Elle bénéficiait d'un salaire mensuel moyen de 2084 euros et justifie avoir retrouvé un emploi en contrat à durée déterminée de 8 mois en janvier 2018 suivi d'un emploi à l'étranger.


Au vu de ces éléments, il est justifié d'allouer à la salariée la somme de 4 168 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.


Sur les demandes annexes


La société Pictarine, partie principalement perdante, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel

Mme [R] est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer à l'occasion de cette procédure. La SAS Pictarine sera donc tenue de lui payer la somme globale de 3000 € euros en application des dispositions de l'article 700 al.1er 1° du code de procédure civile.


Le jugement déféré est infirmé en ses dispositions concernant les frais et dépens de première instance.



PAR CES MOTIFS


La cour, statuant publiquement , contradictoirement, en dernier ressort


Infirme le jugement déféré en ses dispositions ayant débouté Mme [R] de ses demandes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'en celles relatives aux frais et dépens de première instance


Le confirme pour le surplus


Statuant à nouveau des chefs infirmés


Condamne la SAS Pictarine à payer à Mme [V] [R]:

- 4 168 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 3 000 euros au titre de l'article 700 alinéa 1 du code de procédure civile🏛


Condamne la SAS Pictarine aux entiers dépens de première instance et d'appel


Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.


LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


C.DELVER S.BLUMÉ


.

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