Jurisprudence : CAA Lyon, 4e, 24-11-2022, n° 20LY03771

CAA Lyon, 4e, 24-11-2022, n° 20LY03771

A33888UZ

Référence

CAA Lyon, 4e, 24-11-2022, n° 20LY03771. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/90063592-caa-lyon-4e-24112022-n-20ly03771
Copier

Abstract

► L'irrégularité tenant à la conclusion de nouveaux contrats en application des clauses de tacite reconduction n'est pas d'une gravité telle que le litige ne puisse être réglé sur le terrain contractuel.


Références

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON

N° 20LY03771

4ème chambre
lecture du 24 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures

La commune de Marnaz a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société Original Tech France à lui verser la somme de 18 810 euros, la société IDSys à lui verser la somme de 18 810 euros et la société Locam à lui verser la somme de 57 480,30 euros et, à titre subsidiaire, la somme de 21 690 euros.

Les sociétés IDSys et Original Tech France ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le titre exécutoire n° 429 d'un montant de 18 810 euros émis le 29 juin 2018 par la commune de Marnaz à l'encontre de la société Original Tech France et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.

Par jugement n os 1802348, 1807354 du 19 novembre 2020, le tribunal a condamné la société Original Tech France à verser à la commune de Marnaz la somme de 1 710 euros, a annulé le titre exécutoire n° 429 émis le 29 juin 2018 à l'encontre de la société Original Tech France, a déchargé cette société de l'obligation de payer cette somme et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés le 22 décembre 2020, le 26 janvier 2022 et le 20 septembre 2022, la commune de Marnaz, représentée par la SELARL cabinet Sébastien Plunian, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires dirigées contre les sociétés IDSys et Locam et qu'il a annulé le titre exécutoire n° 429 du 29 juin 2018 ;

2°) de condamner la société IDSys à lui verser la somme de 18 810 euros, ou subsidiairement la somme de 11 970 euros ;

3°) de condamner la société Locam à lui verser la somme de 57 480,30 euros, ou subsidiairement la somme de 21 690 euros ;

4°) de rejeter les conclusions aux fins d'annulation du titre exécutoire n° 429 ;

5°) de mettre solidairement à la charge des sociétés IDSys et Locam la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- le juge administratif est compétent pour statuer sur ce litige ;

- le privilège du préalable ne fait pas obstacle en matière contractuelle à ce que l'administration soit émette un titre exécutoire, soit soumette le litige au juge ;

- c'est à juste titre que le tribunal a condamné la société Original Tech France à lui verser la somme de 1 710 euros ;

- la société Original Tech France a encaissé les loyers prévus par le contrat conclu avec la société IDSys sans disposer d'aucun titre pour ce faire ;

- le contrat qu'elle a signé en mars 2014 avec la société IDSys doit être écarté compte tenu de sa nullité qui résulte de l'illégalité de la présence d'une clause de tacite reconduction dans un marché public, du fait que ce contrat est dépourvu de cause et que son consentement a été vicié par l'erreur commise sur l'objet du contrat ;

- en conséquence, la société IDSys, qui n'a exposé aucune dépense utile à la commune puisqu'aucun équipement n'a été fourni et que la prestation de maintenance n'a quasiment pas été réalisée, s'est enrichie sans cause et doit lui reverser la somme de 18 810 euros correspondant aux sommes qu'elle lui a versées ;

- subsidiairement, à supposer que la clause de tacite reconduction soit divisible du contrat, le contrat n'a pu être tacitement reconduit sur la base d'une clause illégale et les sommes versées postérieurement au 1er avril 2015, soit 11 970 euros, doivent lui être remboursées sur le fondement de la répétition de l'indu ou de l'enrichissement sans cause ;

- encore plus subsidiairement, la reconduction tacite du contrat est illégale dans la mesure où cette clause a été introduite dans le contrat en méconnaissance des dispositions des articles L. 215-1 à 4 du code de la consommation🏛 ;

- la société Locam doit, pour les mêmes motifs, être condamnée à lui verser la somme de 57 480,30 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause compte tenu de la nullité du contrat qui les lie et qu'elles ont signé le 12 novembre 2008 ;

- elle doit, subsidiairement, pour les mêmes motifs que ceux exposés en ce qui concerne la société IDSys, à savoir la nullité de la clause de tacite reconduction et le non-respect du code de la consommation, être condamnée à lui verser la somme de 21 690 euros ;

- la société Locam n'a subi aucun appauvrissement du fait de l'exécution de ce contrat.

Par mémoires enregistrés le 7 janvier 2022 et le 13 octobre 2022, non communiqué, la société Locam, représentée par Me Riva, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, outre la mise à la charge de la commune de Marnaz d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛, que dans le cas où la nullité du contrat serait prononcée, de condamner la commune à lui verser sur le fondement de l'enrichissement sans cause la somme de 57 480,30 euros, ou subsidiairement la somme de 21 690 euros, outre intérêts au taux de la principale facilité de refinancement appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majorée de huit points, et capitalisation des intérêts.

Elle fait valoir que :

- les moyens soulevés par la commune de Marnaz ne sont pas fondés ;

- en cas d'annulation du contrat, la commune devrait, au titre de l'enrichissement sans cause, être condamnée à lui verser les sommes qu'elle a versées en exécution du contrat.

Par mémoires enregistrés le 26 août 2022 et le 28 septembre 2022, la société IDSys et la société Original Tech France, représentées par Me Baffert, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de la commune de Marnaz une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elles soutiennent que :

- la demande de nullité du contrat présentée par la commune de Marnaz sur le fondement de l'erreur est prescrite ;

- les autres moyens soulevés par la commune de Marnaz ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la consommation ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,

- les observations de Me Dallenne pour la commune de Marnaz, et celles de Me Cadet pour la société Locam ;

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Marnaz a conclu le 12 novembre 2008 avec la société Locam, établissement financier habilité, un contrat de crédit-bail d'un afficheur électronique fourni par la société IDSys moyennant le versement d'un loyer de 1 425 euros HT par trimestre, pendant vingt-et-un trimestres, avec une option d'achat à l'issue de ce délai. Le contrat prévoyait qu'il serait renouvelable, au-delà de cette date, par tacite reconduction. Après la livraison de l'afficheur électronique par la société IDSys le 18 novembre 2008, la commune de Marnaz a signé, avec la société IDSys, le 21 juillet 2009 un " contrat d'implantation " qui décrit l'équipement installé, rappelle le tarif de location et précise que la livraison de l'équipement inclut une garantie de quatre ans, avec pièces et main d'œuvre. Le 1er avril 2014, alors que cette période de garantie était échue, et que le contrat de novembre 2008 se poursuivait par tacite reconduction, la commune de Marnaz a signé un contrat de " location-maintenance " avec la société IDSys portant sur le même afficheur électronique moyennant le versement d'un loyer de 1 425 euros HT par trimestre.

2. Au cours du dernier trimestre 2016, la société Original Tech France a assuré la maintenance de l'afficheur à la demande de la société IDSys. Cette société a émis deux factures à l'encontre de la commune de Marnaz en date des 23 janvier et 4 avril 2017 pour un montant de 1 710 euros TTC chacune. La commune a réglé la première de ces deux factures.

3. Par courrier du 3 février 2017 adressé à la société IDSys, la commune de Marnaz a résilié le contrat de location maintenance du 1er avril 2014 et a informé le 26 juillet 2017 la société Locam qu'elle avait résilié à cette date le contrat du 12 novembre 2008.

4. Estimant avoir payé au cours de cette période la même prestation, à savoir la location et la maintenance de l'afficheur électronique, à plusieurs sociétés différentes, la commune de Marnaz a demandé le 13 avril 2018 au tribunal administratif de Grenoble de condamner la société Original Tech France à lui verser la somme de 18 810 euros, la société IDSys à lui verser cette même somme et la société Locam à lui verser à titre principal la somme de 57 480,30 euros et à titre subsidiaire la somme de 21 690 euros. La commune de Marnaz a par ailleurs émis le 29 juin 2018 un titre exécutoire à l'encontre de la société Original Tech France d'un montant de 18 810 euros que cette dernière et la société IDsys ont contesté devant le tribunal administratif de Grenoble. Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal, après avoir joint ces deux demandes, a annulé le titre exécutoire émis le 29 juin 2018 à l'encontre de la société Original Tech France, a déchargé cette société de l'obligation de payer cette somme mais l'a condamnée à verser à la commune de Marnaz la somme de 1 710 euros. Le tribunal a rejeté le surplus des conclusions des parties. La commune de Marnaz relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé le titre exécutoire du 29 juin 2018 et qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre les sociétés Locam et IDSys.

Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il a annulé le titre exécutoire :

5. Le tribunal a annulé le titre exécutoire d'un montant de 18 810 euros émis par la commune de Marnaz à l'encontre de la société Original Tech France au motif qu'il ne résultait pas de l'instruction qu'exceptée la somme de 1 710 euros que le tribunal a condamné la société à restituer à la commune, la société Original Tech France aurait perçu des versements effectués par la commune de Marnaz. Pas plus en appel qu'en première instance, la commune ne justifie que tel aurait été le cas. Par suite, sa demande d'annulation du jugement en tant qu'il a prononcé l'annulation du titre exécutoire ne peut qu'être rejetée.

Sur les conclusions indemnitaires dirigées contre les sociétés Locam et IDSys :

6. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

7. En premier lieu, si les contrats signés avec les sociétés Locam et IDSys contiennent une clause prévoyant leur tacite reconduction pour des durées d'un an, la présence de telles clauses, qui sont détachables de ces contrats, est en principe sans incidence sur la légalité des contrats initiaux. Par ailleurs, si la conclusion d'un contrat en application d'une clause de tacite reconduction, en méconnaissance des obligations de mise en concurrence préalable issues des dispositions du code des marchés publics, constitue un manquement aux règles de passation de ces contrats, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment des montants des contrats en cause, l'irrégularité tenant à la conclusion, en février 2014, 2015 et 2016 de nouveaux contrats avec la société Locam et les 1er avril 2015 et 2016 de nouveaux contrats avec la société IDSys en application des clauses de tacite reconduction n'est pas d'une gravité telle que le litige ne puisse être réglé sur le terrain contractuel.

8. En deuxième lieu, s'il résulte de l'instruction que le contrat signé le 1er avril 2014 par la commune de Marnaz avec la société IDSys, indiquait qu'il s'agissait d'un contrat de location maintenance et prévoyait le versement de loyers, ce contrat, qui ne pouvait pas porter sur la location du panneau d'affichage électronique qui était déjà loué par la société Locam, ne pouvait porter, malgré ses termes ambigus, que sur la maintenance de ce panneau qui n'était plus prise en charge au titre de la garantie dont le délai était échu. Il est d'ailleurs constant que la société IDSys a assuré la maintenance dudit panneau en exécution du nouveau contrat. Il ne résulte pas de l'instruction que le prix acquitté par la commune de Marnaz en contrepartie de la prestation de maintenance, fixée, comme la location du panneau lui-même, à la somme de 1 425 euros HT, était manifestement disproportionné. Dans ces conditions, la commune de Marnaz n'est pas fondée à soutenir que le contrat de " location-maintenance " étant partiellement dépourvu de cause, il convient d'en écarter l'application.

9. En troisième lieu, si la commune fait valoir que lors de la signature le 1er avril 2014 avec la société IDSys du contrat de location maintenance, son consentement a été vicié par l'erreur sur l'objet de ce contrat, toutefois, il résulte de ce qu'il vient d'être indiqué que cette erreur n'a pas eu un caractère déterminant pour la passation du contrat. Par suite, le moyen tiré de ce que ce contrat passé avec la société IDSys doit être écarté eu égard aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement n'est pas fondé.

10. En dernier lieu, les dispositions du code des marchés publics, désormais reprises dans le code de la commande publique, régissent la passation et l'exécution des marchés passés par les personnes publiques mentionnées à son article 2 avec des professionnels pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. Par suite, la commune de Marnaz ne peut utilement invoquer, pour contester les clauses de tacite reconduction présentes dans les contrats litigieux, les dispositions des articles L. 215-1 et suivants du code de la consommation🏛 qui ne s'appliquent qu'aux relations entre un professionnel et un non-professionnel ou un consommateur.

11. Il résulte des points précédents, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens en défense, que la commune de Marnaz n'est pas fondée à demander à la cour d'écarter les contrats en litige ou certaines de leurs clauses, qui ne sont ni illicites, ni entachés d'un vice d'une particulière gravité, et de régler le litige sur le terrain extracontractuel en condamnant les sociétés Locam et IDSys à lui reverser les sommes qu'elle a versées en application de ces contrats.

12. Il résulte de ce qui précède que la commune de Marnaz n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé le titre exécutoire du 29 juin 2018 qu'elle a émis à l'encontre de la société Original Tech France et qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires dirigées contre les sociétés Locam et IDSys.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce que les sociétés IDSys et Locam qui n'ont pas, dans la présente instance, la qualité de parties perdantes, versent à la commune de Marnaz la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la commune de Marnaz une somme à verser aux sociétés Locam, IDSys et Original Tech France.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Marnaz et les conclusions présentées par les sociétés Locam, IDSys et Original Tech France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Marnaz, à la société Locam et à la société IDSys, première dénommée du mémoire en défense en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative🏛.

Délibéré après l'audience du 3 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président,

Mme Evrard, présidente assesseure,

Mme Duguit-Larcher, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2022.

La rapporteure,

A. ALe président,

Ph. Arbarétaz

Le greffier,

J. Billot

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

Agir sur cette sélection :