SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 novembre 2022
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1328 FP-B+R
Pourvoi n° U 20-21.924
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 NOVEMBRE 2022
La société Etablissements Decayeux, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 20-21.924 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à M. [N] [O], domicilié [… …], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, et de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Etablissements Decayeux, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [O], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Techer, conseiller référendaire corapporteur, M. Flores, conseiller corapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine, Monge, Mariette, MM. Rinuy, Pion, Mme Aa Ab, M. Ac, Mme Sommé, M. Sornay, Mme Le Lay, conseillers, M. Le Corre, Mmes Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des
articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 septembre 2020) et les productions, M. [Ad] a été engagé le 4 mai 2009 par la société Etablissements Decayeux (la société), en qualité d'attaché commercial.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 15 janvier 2015 à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
3. Il a été licencié le 19 octobre suivant.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, quatrième et cinquième moyens, ci-après annexés
4. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui, pour les deux derniers, sont irrecevables, pour les deux autres, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à régler au salarié diverses sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité légale forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, de prononcer en conséquence la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts exclusifs et de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice légale de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que le temps de déplacement professionnel pour se rendre du domicile aux lieux d'exécution du contrat de travail n'est pas du temps de travail effectif et n'ouvre droit qu'à une contrepartie financière ou en repos s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ; qu'en condamnant l'employeur au paiement d'un rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents au titre des temps de déplacement effectués par le salarié pour se rendre sur les lieux d'exécution du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'
article L. 3121-4 du code du travail🏛 dans sa rédaction antérieure à celle issue de la
loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'
article L. 3121-1 du code du travail🏛, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
7. Aux termes de l'article L. 3121-4 du même code, dans sa rédaction antérieure à la
loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
8. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 2, point 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du ''temps de travail'', au sens de cette disposition, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur (CJUE, 10 septembre 2015, Tyco, C-266/14).
9. Certes, ainsi que l'a énoncé l'arrêt précité (points 48 et 49), il résulte de la jurisprudence de la Cour que, exception faite de l'hypothèse particulière visée à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE en matière de congé annuel payé, celle-ci se borne à réglementer certains aspects de l'aménagement du temps de travail, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s'appliquer à la rémunération des travailleurs.
10. La Cour de justice considère en outre que la directive ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation d'un État membre, d'une convention collective de travail ou d'une décision d'un employeur qui, aux fins de la rémunération d'un service, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n'est accompli, même lorsque ces périodes doivent être considérées, dans leur intégralité, comme du ''temps de travail'' aux fins de l'application de ladite directive, Ae Af (Période d'astreinte dans un lieu reculé), C 344/19, point 58. (
CJUE, 9 mars 2021, Ag Ah am Main, C-580/19⚖️).
11. La Cour de cassation a jugé que le mode de rémunération des travailleurs dans une situation dans laquelle les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et effectuent des déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur relève, non pas de ladite directive, mais des dispositions pertinentes du droit national et qu'en application de l'
article L. 3121-4 du code du travail🏛, le temps de déplacement qui dépasse le temps normal de trajet, qui n'est pas du temps de travail effectif, doit faire l'objet d'une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière (
Soc., 30 mai 2018, pourvoi n° 16-20.634⚖️, Ai. 2018, V, n° 97).
12. Cependant, dans l'arrêt du 9 mars 2021 (Ae Af, C-344/19), la Cour de justice de l'Union européenne retient que les notions de "temps de travail" et de "période de repos" constituent des notions de droit de l'Union qu'il convient de définir selon des caractéristiques objectives, en se référant au système et à la finalité de la directive 2003/88/CE. En effet, seule une telle interprétation autonome est de nature à assurer à cette directive sa pleine efficacité ainsi qu'une application uniforme de ces notions dans l'ensemble des États membres (point 30). La Cour de justice de l'Union européenne précise que malgré la référence faite aux "législations et/ou pratiques nationales" à l'article 2 de la directive 2003/88/CE, les États membres ne sauraient déterminer unilatéralement la portée des notions de "temps de travail" et de "période de repos", en subordonnant à quelque condition ou restriction que ce soit le droit, reconnu directement aux travailleurs par cette directive, à ce que les périodes de travail et, corrélativement, celles de repos soient dûment prises en compte. Toute autre interprétation tiendrait en échec l'effet utile de la directive 2003/88/CE et méconnaîtrait sa finalité (point 31).
13. Eu égard à l'obligation d'interprétation des
articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail🏛🏛 à la lumière de la directive 2003/88/CE, il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'
article L. 3121-1 du code du travail🏛, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'
article L. 3121-4 du même code🏛.
14. La cour d'appel a constaté que le salarié, qui soutenait, sans être contredit sur ce point par l'employeur, qu'il devait en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre intégré dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de fixer des rendez-vous, d'appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens, exerçait des fonctions de ''technico-commercial'' itinérant, ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l'entreprise pour l'exercice de sa prestation de travail et disposait d'un véhicule de société pour intervenir auprès des clients de l'entreprise répartis sur sept départements du Grand Ouest éloignés de son domicile, ce qui le conduisait, parfois, à la fin d'une journée de déplacement professionnel, à réserver une chambre d'hôtel afin de pourvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées.
15. Elle a ainsi fait ressortir que, pendant les temps de trajet ou de déplacement entre son domicile et les premier et dernier clients, le salarié devait se tenir à la disposition de l'employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
16. Elle a décidé à bon droit que ces temps devaient être intégrés dans son temps de travail effectif et rémunérés comme tel.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Etablissements Decayeux aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Etablissements Decayeux et la condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Marc Lévis, avocat aux Conseils, pour la société Etablissements Decayeux
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Decayeux à régler à M. [Ad] les sommes de 26.103,38 € de rappel de commissions et 2 610,33 € d'incidence congés payés et d'AVOIR, en conséquence, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Decayeux et condamné cette dernière à verser à M. [Ad] les autres sommes de 8. 725,18 € d'indemnité compensatrice légale de préavis, 872,51 d'incidence congés payés, 4.965,10 € d'indemnité légale de licenciement et 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE les parties au contrat de travail peuvent décider de subordonner le versement d'un élément de rémunération variable à la signature d'un avenant ultérieur le prévoyant ; que le contrat de travail conclu entre la société Decayeux et M. [O] prévoyait expressément qu'en l'absence d'accord des parties fixant, par voie d'avenant, des objectifs chiffrés de facturation de commandes aux clients, le salarié percevrait une rémunération fixe mensuelle sans aucune rémunération variable ; qu'en condamnant l'employeur au paiement d'une rémunération variable sur les exercices 2013/2014 après avoir constaté l'absence d'avenant conclu pour ces périodes, la cour d'appel a violé l'
article L. 1221-1 du code du travail🏛 et l'
article 1134 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu 1103 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société Decayeux de sa demande de condamnation de M. [Ad] à lui rembourser la somme de 15.989,62 euros au titre de commissions indues ;
1/ ALORS QUE les parties au contrat de travail peuvent décider de subordonner le versement d'un élément de rémunération variable à la signature d'un avenant ultérieur le prévoyant ; que le contrat de travail conclu entre la société Decayeux et M. [O] prévoyait expressément qu'en l'absence d'accord des parties fixant, par voie d'avenant, des objectifs chiffrés de facturation de commandes aux clients, le salarié percevrait une rémunération fixe mensuelle sans aucune rémunération variable ; qu'en déboutant la société Decayeux de sa demande de remboursement des commissions versées au salarié au titre des exercices 2013/2014 après avoir constaté l'absence d'avenant conclu pour ces périodes, la cour d'appel a violé l'
article L. 1221-1 du code du travail🏛 et l'
article 1134 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu 1103 du code civil ;
2/ ALORS QUE le paiement effectué en connaissance de cause ne fait pas obstacle à l'exercice par son auteur de l'action en répétition de l'indu dès lors que la preuve est rapportée que ce qui avait été payé n'était pas dû ; qu'en retenant, pour débouter la société de sa demande de remboursement des commissions indument perçues, que celle-ci s'était acquittée des sommes considérées en pleine connaissance de cause, la cour d'appel a violé les
articles 1235 et 1376 du code civil🏛🏛, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenus 1302 et 1302-1.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Decayeux à régler à M. [Ad] les sommes de 22.000 euros de rappel d'heures supplémentaires et 2.200 euros au titre des congés payés y afférents, d'AVOIR, en conséquence, condamné la société Decayeux à régler à M. [O] la somme de 24.825,54 euros à titre d'indemnité légale forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié et d'AVOIR, en conséquence, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Decayeux et condamné cette dernière à verser à M. [Ad] les autres sommes de 8.725,18 € d'indemnité compensatrice légale de préavis, 872,51 d'incidence congés payés, 4.965,10 € d'indemnité légale de licenciement et 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE le temps de déplacement professionnel pour se rendre du domicile aux lieux d'exécution du contrat de travail n'est pas du temps de travail effectif et n'ouvre droit qu'à une contrepartie financière ou en repos s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ; qu'en condamnant l'employeur au paiement d'un rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents au titre des temps de déplacement effectués par le salarié pour se rendre sur les lieux d'exécution du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'
article L. 3121-4 du code du travail🏛 dans sa rédaction antérieure à celle issue de la
loi 2016-1088 du 8 août 2016🏛.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION, subsidiaire
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Decayeux à régler à M. [O] la somme de 24.825,54 euros à titre d'indemnité légale forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié ;
ALORS QUE l'élément intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire d'un décompte des heures de travail effectué conformément aux dispositions légales et à la jurisprudence en vigueur à la date de leur réalisation ; qu'en condamnant l'employeur à payer une indemnité pour travail dissimulé au regard de l'absence de comptabilisation des heures correspondant aux temps de trajets dont la prise en compte dans le temps de travail effectif était exclue par les dispositions légales et la jurisprudence en vigueur à la date de leur réalisation, la cour d'appel a violé les
articles L. 8221-1 et L. 8221-5 du code du travail🏛🏛.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Decayeux à payer à M. [O] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée ;
ALORS QUE si le juge qui annule une sanction disciplinaire peut condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts, c'est à la condition de caractériser un préjudice distinct non réparé par l'annulation de la sanction ; qu'en condamnant la société Decayeux à payer à M. [O] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée, sans caractériser de préjudice distinct subi par le salarié, la cour d'appel a violé les
articles L. 1331-1 du code du travail🏛 et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu 1231-1 du code civil.