CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 776 F-D
Pourvoi n° N 21-21.577
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
La société Le Joint français, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-21.577 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant à la société STMO-CTMP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de Me Soltner, avocat de la société Le Joint français, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société STMO-CTMP, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juillet 2021), la société Le Joint français (la société LJF) a chargé la société Suppléance technique méthode organisation (la société STMO-CTMP) de la conception et de la fabrication d'un sommier destiné à supporter une presse à vulcaniser.
2. L'assemblage et la pose du sommier ayant été terminés le 19 juin 2018, une facture d'un montant de 46 158,36 euros a été émise le 20 juin 2018. Elle n'a pas été payée et la société STMO-CTMP a assigné la société LJF en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. La société LJF fait grief à l'arrêt de la condamner à payer diverses sommes à la société STMO-CTMP et de rejeter ses demandes, alors « que la qualification d'une réception tacite nécessite la caractérisation de la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux ; que la contestation des travaux exclut une quelconque réception tacite ; que la cour d'appel constatait que la société STMO-CTMP était intervenue à la demande de la société Le Joint français à la suite de difficultés rencontrées par cette dernière dans l'installation de la presse à vulcaniser sur le sommier en béton livré par la société STMO-CTMP, que la société Le Joint français avait refusé le devis relatif à cette intervention ; que la cour d'appel constatait encore que la société Le Joint français avait fait établir un constat par un huissier de justice établissant les malfaçons ; que la cour d'appel constatait enfin que société Le Joint français avait formellement contesté le paiement de la facture établie par la société STMO-CTMP ; que de ces éléments il ressortait que la société Le Joint français contestait les travaux ce qui excluait qu'elle puisse les avoir, même tacitement, réceptionnés ; qu'en jugeant pourtant que la société Le Joint français avait accepté tacitement l'ouvrage, sans relever aucun élément de nature à caractériser une réception de cette nature à la date du 19 juin 2018, la cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatation et, ce faisant, a violé l'
article 1792-6 du code civil🏛. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article 1792-6 du code civil🏛 :
4. Il résulte de ce texte que la réception de l'ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter cet ouvrage est établie.
5. Pour constater la réception tacite à la date du 19 juin 2018 et condamner la société LJF à payer diverses sommes à la société STMO-CTMP, l'arrêt retient que, nonobstant sa contestation tardive du 10 octobre 2018, la société LJF est entrée en possession de l'ouvrage le 19 juin 2018, qu'elle l'a accepté sans réserve à cette date et ne peut pas arguer du non-paiement du prix pour justifier l'absence de réception puisque celui-ci n'est devenu exigible que le 20 août 2018.
6. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société LJF n'avait pas payé le prix des travaux, qu'elle avait refusé de payer le prix de l'intervention complémentaire de la société STMO-CTMP du 11 juillet 2018 et qu'elle avait fait constater par un huissier de justice, le 16 juillet suivant, les désordres affectant le sommier, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux et n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société STMO-CTMP aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Le Joint français
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce qu'il avait condamné la société Le Joint Français à payer à la société STMO-CTMP la somme de 46.158,36 euros TTC majorée des intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2018, ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'
article 1343-2 du Code civil🏛, débouté la société Le Joint Français de l'ensemble de ses demandes et condamné la société Le Joint Français à payer à la société STMO-CTMP la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'
article 700 du Code de procédure civile🏛 ET D'AVOIR condamné la société Le Joint Français à payer à la société STMO-CTMP la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'
article 700 du Code de procédure civile🏛.
AUX MOTIFS QUE « Les parties s'accordent pour qualifier leurs relations contractuelles de contrat d'entreprise. Selon l'article 1292-6 du code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Seules les conditions générales de vente de la société STMO-CTMP sont produites. Elles ne prévoient aucun formalisme particulier pour la réception. Il n'est justifié d'aucun procès-verbal de réception signé contradictoirement par les parties. Il appartient par conséquent à la société STMO-CTMP, qui l'invoque, de rapporter la preuve d'une réception tacite. Nonobstant le caractère partiellement illisible des copies produites par les parties, il n'est pas contesté que le sommier destiné à supporter la presse a été livré le 18 juin 2018. Une fiche d'intervention et trois bons de livraison relatifs aux commandes n°033769 (devis DV6396) et 033754 (devis DV6242 et DV6389) ont été signés le lendemain par un employé de la société LJF, la première précisant "L'acceptation de la présente fiche par votre signature valide l'intervention et les heures effectuées". Il est constant que la société STMO-CTMP est intervenue à nouveau le 11 juillet 2018 à la demande de la société LJF en raison des difficultés que celle-ci rencontrait dans l'installation de la presse à vulcaniser sur le sommier livré. Le devis N°DV6516 du 12 juillet 2018, d'un montant de 4 428 euros, refusé par la société LJF, mentionne notamment : "Problème rencontré par Le joint francais :
- les 4 tirants M45 ne se vissent pas à fond sur le sommier fabriqué par STMO - la direction Le joint francais demande une intervention de STMO dans les plus brefs délais" et les constatations suivantes :
"- Présence de remontée de béton par le centre des écrous
- Présence de chocs légers sur les tirants lors du montage
- Présence de remontée de béton par le centre des écrous comblant ainsi le centre des écrous
- Un perçage ou enfoncement d'une pige pour dégager le centre de l'écrou a dû être réalisé
- Les filets de ces écrous restent remplis de béton
- Le béton étant remonté à fleur du dessous de l'aile de l'IPE et du taraudage, la profondeur de vissage devient insuffisante selon M. [O]."
Le 16 juillet suivant, la société LJF a fait constater par un huissier de justice la présence de béton au niveau du taraudage des trous de fixation ainsi que de copeaux métalliques dans deux des trous de fixation. Celui-ci a également noté que la largeur de la portion centrale de l'ouvrage est de 41 centimètres. Il se déduit de ces éléments que, nonobstant sa contestation tardive du 10 octobre 2018, la société LJF est entrée en possession de l'ouvrage livré et installé par la société STMO-CTMP le 19 juin 2018 et qu'elle l'a accepté sans réserve à cette date. Elle ne peut pas arguer du non paiement du prix pour justifier l'absence de réception puisque celui-ci n'est devenu exigible que le 20 août 2018. Les désordres apparus postérieurement à cette réception ne permettent pas de l'exonérer du paiement du prix. Il convient dans ces conditions de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société LJF à payer la somme de 46 158,36 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2018.»
1°) ALORS QUE seule la réception exprès, judiciaire ou tacite, avec ou sans réserves, de l'ouvrage rend le paiement du prix exigible et que la qualification d'une réception tacite nécessite la caractérisation de la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux ; que la prise de possession de l'ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves ; qu'en l'espèce pour qualifier une réception tacite, la Cour d'appel a jugé que « nonobstant sa contestation tardive du 10 octobre 2018, la société LJF était entrée en possession de l'ouvrage livré et installé par la société STMO-CTMP le 19 juin 2018 et qu'elle l'a accepté sans réserve à cette date » motif pris de ce que les trois bons de livraison ont été signés par un employé de la société Le Joint Français ; qu'elle a encore jugé que la société Le Joint Français ne pouvait pas « arguer du non paiement du prix pour justifier l'absence de réception puisque celui-ci n'est devenu exigible que le 20 août 2018 » ; qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser une réception tacite de la part de la société Le Joint Français, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'
article 1792-6 du Code civil🏛 2°) ALORS QUE la qualification d'une réception tacite nécessite la caractérisation de la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux ; que la contestation des travaux exclut une quelconque réception tacite ; que la Cour d'appel constatait que la société STMO-CTMP était intervenue à la demande de la société Le Joint Français à la suite de difficultés rencontrées par cette dernière dans l'installation de la presse à vulcaniser sur le sommier en béton livré par la société STMO-CTMP, que la société le Joint Français avait refusé le devis relatif à cette intervention ; que la Cour d'appel constatait encore que la société Le Joint Français avait fait établir un constat par un huissier de justice établissant les malfaçons ; que la Cour d'appel constatait enfin que société Le Joint Français avait formellement contesté le paiement de la facture établie par la société STMO-CTMP ; que de ces éléments il ressortait que la société Le Joint Français contestait les travaux ce qui excluait qu'elle puisse les avoir, même tacitement, réceptionnés ; qu'en jugeant pourtant que la société Le Joint Français avait accepté tacitement l'ouvrage, sans relever aucun élément de nature à caractériser une réception de cette nature à la date du 19 juin 2018, la Cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatation et, ce faisant, a violé l'
article 1792-6 du Code civil🏛.