Jurisprudence : CE Contentieux, 17-03-1978, n° 01525

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 01525

Société anonyme "Entreprise Renaudin"

Lecture du 17 Mars 1978

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)



Sur le rapport de la 5ème Sous-Section
Vu,1°) sous le n° 95 331, la requête présentée par la société anonyme "Entreprise Renaudin", agissant poursuites et diligences de son président directeur général en exercice, dont le siège social est Chemin des Grèves, Châlons-sur-Marne (Marne), ladite requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 juin 1974 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler le jugement, en date du 30 avril 1974, par lequel le Tribunal administratif d'Orléans a, d'une part, condamné l'entreprise requérante à indemniser le sieur Besnard (Jean) du préjudice résultant de l'occupation temporaire de deux parcelles de terrain lui appartenant sur le territoire de la commune de Barjouville, d'autre part, condamné l'Etat à garantir le sieur Besnard en cas d'insolvabilité de l'entreprise Renaudin, et enfin, commis un expert aux fins d'apprécier l'étendue des dommages relatifs à l'occupation temporaire dont le sieur Besnard réclame la réparation;
Vu, 2°) sous le n° 00 014, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés par la société anonyme "Entreprise Renaudin", dont le siège social est indiqué ci-dessus, ladite requête et ledit mémoire enregistrés comme ci-dessus les 9 juillet et 7 novembre 1975, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler le jugement, en date du 16 mai 1975, par lequel le Tribunal administratif d'Orléans a ordonné une reprise des opérations d'expertise prescrites par son précédent jugement du 30 avril 1974, et ordonné la jonction avec le pourvoi n° 95 331;
Vu, 3°), sous le n° 01 525, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés par la société anonyme "Entreprise Renaudin", dont le siège social est indiqué ci-dessus, ladite requête et ledit mémoire enregistrés comme ci-dessus les 23 décembre 1975 et 26 avril 1976, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler le jugement, en date du 24 octobre 1975, par lequel le Tribunal administratif d'Orléans a fixé à la somme de 28 709 F, majorée des intérêts de droit à compter du 7 septembre 1970, le montant de l'indemnité due aux époux Besnard à la suite de l'occupation temporaire de leurs parcelles;

Vu la loi du 29 décembre 1892 modifiée;

Vu la loi du 13 juillet 1967 et le décret du 22 décembre 1967;

Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;

Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977.
Considérant que les requêtes de la société "Entreprise Renaudin" concernent un même litige et ont fait l'objet d'une instruction commune; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision;

Sur la recevabilité des requêtes n° 14 et 1525:
Considérant que si, aux termes de l'article 14 de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, "le jugement qui prononce le règlement judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, assistance du débiteur par le syndic pour tous les actes concernant l'administration et la disposition de ses biens", la règle ainsi posée portant interdiction au débiteur, postérieurement au jugement prononçant le règlement judiciaire, de faire seul, sans l'assistance du syndic, un des actes visés par ce texte, n'est édictée que dans l'intérêt de la masse des créanciers; que, dès lors,seul le syndic peut se prévaloir de cette disposition pour exciper de l'irrecevabilité du débiteur à se pourvoir seul contre un jugement préjudiciable à l'intéressé; que, par suite, le sieur Besnard n'est pas recevable à soutenir que la société requérante, déclarée en état de mise en règlement judiciaire par le jugement du Tribunal de Commerce de Châlons-sur-Marne, en date du 21 novembre 1974, n'aurait pas eu qualité pour interjeter seule appel, sans l'assistance du syndic, des jugements rendus par le Tribunal administratif d'Orléans les 16 mai et 24 octobre 1975 dans l'instance, d'ailleurs ouverte antérieurement au jugement prononçant la liquidation judiciaire, engagée à son encontre par le sieur Besnard;

Sur le bien fondé des condamnations prononcées contre la société "Entreprise Renaudin", en qualité de débiteur principal:
-Sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens des requêtes;
Considérant que la réparation des dommages résultant de l'occupation temporaire des terrains du sieur Besnard incombe en principe à l'Etat en sa qualité de bénéficiaire de l'autorisation d'occupation temporaire; que si l'Etat pouvait, notamment par voie de contrat, transférer l'autorisation d'occuper ces terrains à un entrepreneur, il résulte de l'instruction qu'il n'a pas usé de cette faculté en l'espèce;
Considérant, à la vérité, qu'aux termes de l'article 12 du cahier des charges annexé au marché passé le 22 avril 1966 entre l'Etat et la société "Entreprise Renaudin" pour l'exécution des chaussées de l'autoroute Paris-Poitiers dans la section de la déviation de Chartres, l'Administration se chargera des procédures administratives d'occupation temporaire mais l'indemnisation des propriétaires restera à la charge de l'entrepreneur";
Mais, considérant que cette stipulation ne permet pas à l'Etat de demander sa mise hors de cause; qu'elle lui permettait seulement, comme il l'a fait dans les conclusions subsidiaires dont il a saisi le tribunal administratif, de demander que l'entrepreneur le garantisse des condamnations prononcées à son encontre; qu'il suit de là que c'est à tort que, par le jugement du 30 avril 1974, le Tribunal administratif d'Orléans a, sur la demande du sieur Besnard, condamné envers celui-ci, comme débiteur principal, la société "Entreprise Renaudin", alors que seule la responsabilité de l'Etat pouvait être recherchée en cette qualité par ledit sieur Besnard; qu'il y a lieu d'annuler ce jugement ainsi que, par voie de conséquence, ceux des 16 mai et 24 octobre 1975;

Sur la responsabilité de l'Etat envers le sieur Besnard:
En ce qui concerne l'application de la prescription édictée par l'article 17 de la loi du 29 décembre 1892;
Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la loi du 29 décembre 1892, "L'action en indemnité des propriétaires ou autres ayants-droit, pour toute occupation temporaire de terrains autorisée dans les formes prévues par la présente loi, est prescrite par un délai de deux ans à compter du moment où cesse l'occupation";
Considérant que, par un arrêté préfectoral du 11 août 1966, le service des Ponts et Chaussées a été autorisé à occuper pendant cing années deux parcelles appartenant au sieur Besnard et qu'il n'est pas contesté que l'occupation est devenue effective le 30 août 1966;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'occupation effective des terrains par le service des Ponts et Chaussées a pris fin avant l'expiration de la période de cinq ans pour laquelle elle était autorisée et qu'un procès-verbal de constatation de l'état des lieux après la fin des travaux, dressé contradictoirement le 8 novembre 1968, a été notifié au propriétaire le 21 mai 1969; qu'en admettant même que le point de départ du délai imparti au sieur Besnard, en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, pour saisir le tribunal administratif d'une demande d'indemnité réparant les dommages qui lui ont été causés par l'occupation temporaire puisse être fixé, comme l'allègue l'administration, dès le 8 novembre 1968, cé délai n'était, en tout état de cause, pas expiré le 7 septembre 1970, date à laquelle la demande d'indemnité du sieur Besnard dirigée contre l'Etat a été enregistrée au greffe du Tribunal administratif d'Orléans; xxxxx qu'il suit de là que cette demande ne tombait pas, contrairement à ce que soutient le ministre de l'Equipement, sous le coup de la prescription instituée par la disposition susmentionnée;
En ce qui concerne l'indemnité pour privation de jouissance;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'occupation des parcelles appartenant au sieur Besnard, d'une part, a entraîné une perte d'exploitation qui a duré trois années et, d'autre part, a eu pour conséquence directe de faire supporter au propriétaire la charge de dépenses supplémentaires pour l'entretien du troupeau, pendant une durée de trois mois; qu'il sera fait une exacte appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 7 486 F, conformément aux conclusions de l'expert désigné par le tribunal administratif, le montant de l'indemnité due, de ce chef, au sieur Besnard;
En ce qui concerne la remise en état des parcelles occupées;
Considérant, en premier lieu, que les dépenses exposées par le propriétaire pour le nivellement des terres, leur fumure et leur réensemencement à la fin des travaux, ainsi que pour le remplacement de clôtures et d'une barrière d'entrée, se sont élevées au total à la somme, non contestée, de 9 382 F;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que les apports de déblais, répandus sur les prés du sieur Besnard, d'ailleurs en partie sur sa propre demande, ne sont pas formés de terres stériles et que la remise en état de ces parcelles en nature de pré ne nécessitait que des travaux d'enlèvement de cailloux de peu d'importance; que, dans ces conditions, il sera fait une exacte appréciation de l'ensemble des frais de remise en état des parcelles occupées en allouant, de ce chef, au sieur Besnard, une indemnité totale de 14 382 F;
En ce qui concerne les arbres endommagés;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal de l'état des lieux, dressé contradictoirement le 8 novembre 1968, après la fin de l'occupation, que le nombre des arbres endommagés était limité à 17; qu'en fixant, conformément aux résultats des calculs de l'expert, à 1 841 F, l'indemnité attribuée à ce titre au sieur Besnard, il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice;
En ce qui concerne la déduction d'une plusvalue du montant de l'indemnité;
Considérant qu'aux termes de lharticle 14 de la loi du 29 décembre 1892, "Si l'exécution des travaux doit procurer une augementation de valeur immédiate et spéciale à la propriété, cette augmentation sera prise en considération dans l'évaluation du montant de l'indemnité";
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des constatations de l'expert commis par le tribunal administratif, que si le relèvement du niveau du sol des terrains en cause par des apports de terre, à la suite de l'exécution des travaux, est susceptible d'améliorer les conditions d'exploitation de ces parcelles, tant par un lent accroissement de leur fertilité que par la diminution de la fréquence des inondations auxquelles prête leur situation, à proximité d'une rivière, cette amélioration potentielle n'a procuré aucune augmentation immédiate de la valeur vénale de la propriété; que, dès lors, les conclusions du ministre de l'Equipement et de la société "Entreprise Renaudin" tendant à ce que soit déduite du montant de l'indemnité que au sieur Besnard en réparation du préjudice causé par l'occupation, la plus-value dont bénéficieraient, pour les motifs ci-dessus indiqués, les terrains lui appartenant, doivent être rejetées;
Considérant que, de ce qui précède, il résulte que l'indemnité totale à payer par l'Etat au sieur Besnard doit être fixée à la somme de 23 709 F;

Sur les conclusions de l'Etat tendant à être garanti par la société "Entreprise Renaudin":
Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article 40 de la loi du 13 juillet 1967, d'où résulte l'obligation qui s'impose à l'administration comme à tous autres créanciers, de produire ses créances à compter du jugement portant règlement judiciaire, dans les conditions et délais fixés, ne comportent aucune dérogation aux dispositions régissant les compétences respectives des juridictions administratives et judiciaires; que les dispositions des articles 55 et 56 du décret du 22 décembre 1967 n'ont pas pour objet et n'auraient pu d'ailleurs avoir légalement pour effet d'instituer une telle dérogation;
Considérant, d'autre part, que, s'il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire de statuer éventuellement sur l'admission ou la non-admission au passif de la liquidation judiciaire, des créançes dont se prévaut l'Etat, la juridiction administrative est, par contre, seule qualifiée pour se prononcer sur le recours de l'Etat tendant au maintien en cause de l'entrepreneur en vue de garantir la créance qui serait reconnue au propriétaire, dans les conditions de la loi du 29 décembre 1892, relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution de travaux publics, bien que l'entrepreneur ait, en cours d'instance, été déclaré en état de règlement judiciaire; que, dès lors, la société "Entreprise Renaudin" n'est pas fondée à soutenir que, postérieurement à la date du jugement la déclarant en état de règlement judiciaire, la juridiction administrative, saisie par l'Etat de conclusions tendant à être garanti par ladite société des condamnations prononcées à son encontre en réparation de dommages résultant pour le sieur Besnard de l'occupation temporaire de terrains lui appartenant, aurait été tenue de surseoir à statuer en attendant l'issue de la procédure de règlement ouverte devant l'autorité judiciaire;
Considérant qu'en vertu de l'article 12 du cahier des charges annexé au marché qu'elle a passé avec l'Etat, le 22 avril 1966, la société "Entreprise Renaudin" a pris à sa charge, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'indemnisation des dommages causés par l'occupation temporaire de terrains nécessaires à l'exécution des chaussées de l'autoroute Paris-Poitiers, dans la section de la déviation de Chartres, au nombre desquels se trouvaient les parcelles appartenant au sieur Besnard; qu'en vertu de cette stipulation, l'Etat est fondé à soutenir qu'il doit être garanti par la société "Entreprise Renaudin" des condamnations prononcées contre lui;

Sur les intérêts:
Considérant que le sieur Besnard a droit aux intérêts de la somme de 23 709 F, à compter du 7 septembre 1970, date d'enregistrement de sa demande d'indemnité au greffe du Tribunal administratif d'Orléans;

Sur les sommes qui ont pu être versées, à titre de dépens de première instance, et sur les frais d'expertise:
Considérant, d'une part, que les jugements attaqués ont été rendus avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 1977; qu'il y a lieu de mettre ces sommes à la charge de l'Etat;
Considérant, d'autre part, que, dans les circonstances de l'affaire, il y a également lieu de mettre les frais d'expertise à la charge de l'Etat.
DECIDE
ARTICLE 1er. - Les jugements du Tribunal administratif d'Orléans, en date des 30 avril 1974, 16 mai et 24 octobre 1975, sont annulés.
ARTICLE 2. - L'Etat est condamné à payer au sieur Besnard la somme de 23 709 F avec intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 1970, date d'enregistrement de la demande d'indemnité au greffe du Tribunal administratif d'Orléans.
ARTICLE 3. - La société "Entreprise Renaudin" garantira l'Etat des condamnations prononcées contre lui.
ARTICLE 4. - Le surplus des conclusions du sieur Besnard, le surplus des conclusions des requêtes de la société "Entreprise Renaudin" et du recours incident du ministre de l'Equipement, sont rejetés.
ARTICLE 5. - Les sommes qui ont pu être versées au titre des dépens de première instance et les frais d'expertise sont mis à la charge de l'Etat.

Agir sur cette sélection :