BOI n° 184 du 6 octobre 1999
Instruction du 28 septembre 1999
3 D-4-99
Taxe sur la valeur ajoutée - TVA.
Liquidation.
NOR : ECOF9930023J
DROIT A DEDUCTION
PORTEE DES ARRETS DE LA CJCE "INZO" DU 29 FEVRIER 1996 ET "GHENT COAL TERMINAL" DU 15 JANVIER 1998
PRESENTATION.
Cette instruction apporte des précisions sur la portée des arrêts "INZO" (aff C 110/94) du 29 février 1996 et "Ghent Coal Terminal" (aff C 37/95) du 15 janvier 1998 de la Cour de justice des communautés européennes.
La Cour de justice des communautés européennes a précisé la portée du droit à déduction dans deux arrêts rendus respectivement le 29 février 1996 et le 15 janvier 1998.
La première affaire (aff C 110/94 Intercommunale voor zeewaterontzilting (INZO)/Belgische staat) concerne une société qui avait commandé une étude de rentabilité d'un projet de construction d'une installation de dessalement d'eau, qui avait déduit la TVA afférente à cette dépense mais qui, au vu des résultats de l'étude, avait renoncé à son projet et avait été mise en liquidation sans avoir réalisé d'opérations imposables.
La seconde affaire (aff C 37/95 Ghent Coal Terminal NV/Belgische Staat) concerne, quant à elle, une société qui avait acquis des terrains afin de construire des installations portuaires et avait déduit la TVA afférente aux investissements qu'elle y avait entrepris (terminal charbonnier) mais qui avait été contrainte par la municipalité concernée d'échanger ces terrains contre d'autres, avant même que ses investissements aient contribué à la réalisation d'opérations taxées.
La présente instruction a pour objet de commenter ces décisions de la Cour de justice.
A : RAPPELS.
1 Selon la jurisprudence tant communautaire qu'interne et une doctrine constante de l'administration, les entreprises nouvellement constituées sont réputées commencer leur activité au regard de la TVA dès lors qu'elles manifestent, par une déclaration d'existence et par l'acquisition de biens et services nécessaires aux besoins de l'exploitation, l'intention d'effectuer des opérations situées dans le champ d'application de cet impôt, même si aucune vente ou prestation n'a encore été effectuée à la date de dépôt de la déclaration en question (CJCE, Affaire 268/83 , arrêt du 14 février 1985 Rompelman ; DB 3 D 181 n° 2).
2 A partir de leur inscription au fichier des redevables professionnels, les entreprises qui ont pour objet de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction peuvent, dans les conditions de droit commun, imputer ou obtenir le remboursement de la TVA qui leur est facturée au titre des frais préparatoires au lancement de l'activité économique projetée puis, bien entendu, au titre des dépenses exposées pour les besoins de l'exploitation courante.
3 En revanche, aucun droit à déduction ne peut être accordé au titre des dépenses qui, le cas échéant, ont initialement fait l'objet d'une utilisation à des fins privées ou pour les besoins d'opérations situées hors du champ d'application de la TVA, (CJCE, aff C 97/90O arrêt Lennartz du 11 juillet 1991, point 15 ; DB 3 D 183, n° 2 à 4).
B : PRINCIPES POSES PAR LA CJCE DANS LES ARRETS INZO ET GHENT COAL TERMINAL.
1 Si l'administration fiscale a admis la qualité d'assujetti à la TVA d'une société qui a déclaré son intention de commencer une activité économique donnant lieu à des opérations imposables, elle ne peut pas, sauf en cas de situations frauduleuses ou abusives, lui retirer cette qualité de manière rétroactive lorsque la société concernée renonce finalement à réaliser de telles opérations (affaire INZO).
2 De même, le droit à déduction de la taxe afférente à des biens et services destinés à être utilisés dans le cadre d'opérations ouvrant droit à déduction n'est pas, dans son principe, remis en cause lorsque, en raison de circonstances étrangères à sa volonté, l'assujetti ne fait, en définitive, pas usage de ces biens et services pour la réalisation d'opérations ouvrant droit à déduction (affaire Ghent Coal Terminal).
3 Il incombe à celui qui demande la déduction de la TVA d'établir qu'il répond aux conditions pour en bénéficier et, notamment, de prouver qu'il remplit les critères pour être considéré comme un assujetti.
L'administration est en droit d'exiger que l'intention déclarée de commencer une activité économique donnant lieu à des opérations imposables soit confirmée par des éléments objectifs fournis par le contribuable (arrêt Rompelman précité, arrêt INZO précité et arrêt du 26 septembre 1996, aff C 230/94 Renate Enkler).
4 Par ailleurs, dans les cas exposés aux points 1 et 2 ci-dessus, la déduction initialement opérée fait l'objet des régularisations prévues par la sixième directive TVA (arrêt Ghent Coal Terminal précité).
C : PORTEE DE CES PRINCIPES.
I Cas des entreprises qui ne concrétisent pas leur intention déclarée de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction
1 La doctrine administrative, selon laquelle une entreprise était susceptible de perdre rétroactivement sa qualité d'assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction, est rapportée.
Si une entreprise ne concrétisait pas son intention de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction dans un délai normal, fixé à titre de règle pratique à deux ans, elle était tenue de reverser l'intégralité de la taxe dont elle avait initialement obtenu le remboursement (cf DB 3 D 1321 n° 19).
L'entreprise concernée perdait ainsi la qualité d'assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction qui lui avait été reconnue sous la condition résolutoire que de telles opérations soient réalisées dans un délai de deux ans.
2 Désormais, les règles suivantes sont applicables.
a) Lors de la création de l'entreprise
En application de la jurisprudence INZO, la qualité d'assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction est reconnue à une entreprise lorsque deux conditions cumulatives sont remplies :
- l'entreprise déclare son intention de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction ;
- l'administration estime que cette déclaration est suffisamment étayée par des éléments objectifs.
Conformément aux jurisprudences INZO, Rompelman et Renate Enkler précitées, l'administration est en droit de demander à l'entreprise nouvellement créée de lui fournir des éléments d'information précis permettant de justifier qu'elle remplit les critères pour être considérée comme un assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction.
A titre de règle pratique et afin de ne pas alourdir les obligations à la charge des entreprises lors de leur création, la production d'informations détaillées ne sera pas systématiquement exigée.
Sous réserve de l'exercice par l'administration du droit de contrôle prévu à l'article L 10 du livre des procédures fiscales, la sincérité de l'intention de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction pourra, en effet, être présumée dès lors qu'une déclaration d'existence aura été souscrite par l'entreprise auprès du centre de formalités des entreprises compétent ou du greffe du tribunal de commerce (1). Les critères objectifs permettant d'étayer la sincérité et la pérennité de cette intention seront alors examinés par les services à l'occasion de l'instruction des demandes de remboursement de crédits de TVA déposées par les entreprises concernées ou des contrôles sur pièces ou sur place qui seront effectués.
Bien entendu, une procédure de contrôle pourra être engagée à très brève échéance si le service dispose d'éléments le conduisant à émettre des doutes quant à la réalité ou au caractère durable de l'intention de l'entreprise de réaliser effectivement des opérations ouvrant droit à déduction.
b) Lors du dépôt de demandes de remboursement de crédits de TVA
L'instruction de ces demandes doit permettre de recueillir des informations de nature à confirmer le sérieux de l'intention, déclarée par l'entreprise, de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction.
A titre d'exemples de telles informations, peuvent être cités : l'acquisition de moyens d'exploitation propres à la réalisation des opérations projetées, l'embauche de salariés, la réalisation d'une étude de marché, le fait d'effectuer des dépenses de publicité, l'ouverture d'un compte bancaire professionnel, l'accomplissement de stages professionnels par le déclarant, la souscription d'un contrat d'assurance spécifique à l'activité envisagée.
A défaut d'éléments susceptibles de conforter l'intention déclarée par l'entreprise, le remboursement de crédits de TVA ne peut qu'être refusé.
Dans l'hypothèse d'une situation frauduleuse ou abusive (fausses déclarations, par exemple, en vue de récupérer la TVA grevant des biens destinés à entrer dans le patrimoine privé du déclarant), le refus de rembourser est total : le principe même du droit à déduction est remis en cause (article 271 du code général des impôts) dès lors que, dans cette situation, l'entreprise nouvelle se voit, en application de la jurisprudence "INZO", retirer rétroactivement la qualité d'assujetti à la TVA.
Lorsque les éléments recueillis par le service permettent de confirmer que l'entreprise a déclaré de bonne foi son intention de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction mais font également apparaître qu'à compter d'une date postérieure à sa déclaration d'intention, elle a cessé d'effectuer des actes de nature à permettre la réalisation de telles opérations, sans pour autant avoir déclaré sa cessation d'activité (cf c ci-dessous), le refus de rembourser est partiel : la TVA dont le droit à déduction a pris naissance à compter de la date à laquelle l'entreprise a perdu la qualité d'assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction ne peut pas être remboursée (art 271 précité) et le service doit réduire le montant du crédit restant du montant des régularisations qui sont, le cas échéant, exigibles (cf c ci-dessous).
c) Lors de la perte de la qualité d'assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction
- L'obligation de déclarer la perte de la qualité d'assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction.
En application des dispositions des articles 286 du CGI et 36 de son annexe IV, un redevable qui cesse son activité doit en faire la déclaration au service dont il dépend dans un délai de 30 jours. Il doit, par ailleurs, sur le fondement du 1 et du 4 de l'article 287 du code précité souscrire dans le même délai (60 jours pour les entreprises placées sous le régime simplifié d'imposition) la déclaration de TVA et de taxes assimilées afférente aux opérations réalisées.
A partir du moment où une entreprise sait que, pour un motif quelconque, les dépenses qu'elle a exposées ne donneront pas lieu à des opérations ouvrant droit à déduction, elle dispose donc d'un délai de 30 jours pour déclarer sa cessation d'activité.
L'entreprise est tenue de procéder, sur la déclaration de taxes sur le chiffre d'affaires déposée au titre de cette cessation, aux régularisations décrites ci-dessous, et de verser au Trésor, le cas échéant, la TVA y afférente.
- L'obligation de procéder aux régularisations de la TVA antérieurement déduite.
En application de l'article 271 I 1 du CGI, l'entreprise est tenue de procéder au reversement intégral de la TVA ayant grevé les biens acquis ou fabriqués et les services utilisés au titre d'une période postérieure à la date de perte de la qualité d'assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction.
Mais, le constat de la cessation d'activité impose également à l'entreprise de procéder aux régularisations de la taxe qu'elle a déduite au titre de la période antérieure.
Le mécanisme des régularisations du droit à déduction doit être mis en oeuvre selon les modalités suivantes.
Pour les biens immeubles constituant des immobilisations
Les biens de cette nature acquis ou construits avant la date de perte de la qualité d'assujetti réalisant des opérations ouvrant droit à déduction doivent faire l'objet des régularisations prévues à l'article 210 I de l'annexe II au code général des impôts (BOI 3 CA 94, n° 185).
Le reversement est égal au montant de la TVA antérieurement déduite diminué d'un vingtième (2) par année ou fraction d'année écoulée depuis la date à laquelle l'immeuble a été acquis ou achevé.
Pour les biens meubles d'investissement ainsi que pour les biens meubles et immeubles ne constituant pas des immobilisations
En application des dispositions de l'article 257 8° 1 d du code général des impôts, doit faire l'objet d'une livraison à soi-même (LASM) la détention de biens par un assujetti (ou ses ayants-droit) en cas de cessation de son activité économique taxable, lorsque ces biens ont ouvert droit à déduction totale ou partielle.
La base d'imposition de la LASM correspond à la valeur d'achat ou au prix de revient des biens concernés, appréciés le jour de l'événement qui justifie la taxation de la LASM (CGI, art 266 1 c, BOI 3 CA 94, n° 188).
En revanche, pour les biens ne constituant pas des immobilisations qui ont donné lieu à déduction de la TVA mais qui, le cas échéant, ont été utilisés pour les besoins d'opérations n'ouvrant pas droit à déduction, un reversement intégral de la TVA initialement déduite est exigé sur le fondement des articles 271 III du CGI et 221 1 de son annexe II.
Pour les services
Si des services ayant donné lieu à déduction de la TVA ont été utilisés pour les besoins d'opérations n'ouvrant pas droit à déduction, le reversement intégral de la TVA ainsi déduite est exigible sur le fondement des articles 271 III du CGI et 221 1 de son annexe II.
II Cas particulier des entreprises nouvelles chargées de mener un programme de recherche
1 Dans certains domaines, la mise au point de nouveaux produits nécessite d'importants travaux de recherche et de développement dont l'exécution est confiée à des entreprises spécialement créées à cet effet.
Ces travaux peuvent s'étaler sur une longue période.
Corrélativement, le début de l'exploitation industrielle et commerciale, par l'entreprise nouvellement constituée, des produits élaborés dans le cadre du programme de recherche est fixé à une date qui peut être lointaine.
2 Pour autant, conformément à la jurisprudence de la CJCE, les entreprises placées dans cette situation sont autorisées à déduire, dans les conditions de droit commun, la TVA grevant leurs dépenses de recherche dès lors que l'administration leur a reconnu la qualité d'assujetti appelé à réaliser des opérations ouvrant droit à déduction.
Il est donc nécessaire qu'un ensemble d'éléments objectifs soit régulièrement communiqué à l'administration afin de confirmer le sérieux du projet et la pérennité de l'intention de réaliser des opérations ouvrant droit à déduction.
En cas de difficultés, les services en charge des dossiers concernant ces entreprises pourront prendre l'attache de la direction de la législation fiscale, bureau D1.
III Règles applicables aux dépenses qui, en raison de circonstances étrangères à la volonté de l'assujetti, ne sont pas utilisées pour la réalisation d'opérations ouvrant droit à déduction
Ces règles ne sont pas modifiées.
Ainsi, il n'y a pas matière à régularisation :
- en cas de destruction d'un immeuble (DB 3 D 1411 n° 21) ;
- en cas de vol ou de destruction justifié d'un bien meuble (CGI, annexe II, art 210 III, art 221 3 et 221 4 ; BOI 3 CA 94 n° 187).
S'agissant des immeubles constituant des immobilisations, les autres cas d'absence d'utilisation pour les besoins d'opérations ouvrant droit à déduction donnent, en revanche, lieu à régularisations sur le fondement de l'article 210 I de l'annexe II au CGI.
De même, les régularisations prévues au II de ce même article 210 trouvent à s'appliquer aux biens meubles constituant des immobilisations en cas de disparition non justifiée ou en cas de suppression, dans le secteur d'activité concerné, des opérations ouvrant droit à déduction (par l'application d'une nouvelle exonération ou par la remise en cause d'une faculté d'option pour la taxation).
Pour ce qui concerne, enfin, les biens autres qu'immobilisations et les services, le reversement intégral de la TVA initialement déduite est exigé, sur le fondement des articles 271 III du CGI et 221 1 de son annexe II, en cas de disparition non justifiée (pour les biens) ou en cas d'utilisation pour les besoins d'opérations n'ouvrant finalement pas droit à déduction.
(1) Toutefois, dans le cas d'une personne morale qui déclare se constituer sans activité, cette présomption ne pourra jouer qu'à compter du moment où cette entreprise aura précisé qu'elle entend effectivement exercer une activité, en modifiant auprès du CFE ou du greffe sa déclaration d'existence initiale.
(2) Un dixième pour les immeubles livrés, acquis ou apportés avant le 1er janvier 1996 (cf BOI 3 D-1-96).
D : ENTREE EN VIGUEUR.
Cette instruction s'applique à toute demande introduite dans les délais qui tend à obtenir la déduction ou le remboursement de la taxe ainsi qu'aux contrôles et litiges en cours.
Annoter : 3 D 171.
3 D 1321 n° 19.
Le Directeur de la législation fiscale, Hervé LE FLOC'H-LOUBOUTIN.