Décision n°99-410 DC du 15-03-1999
A8775ACY
Référence
Publié au Journal officiel du 21 mars 1999, p. 4234
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 16 février 1999, par le Premier ministre, conformément aux dispositions des articles 46 et 61, alinéa 1, de la Constitution, du texte de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie,
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution, et notamment les articles 76 et 77 résultant de la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'accord sur la Nouvelle-Calédonie, signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;
Vu la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 modifiée relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ;
Vu l'avis du Congrès du territoire de la Nouvelle-Calédonie en date du 12 novembre 1998 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que, le 5 mai 1998, a été signé à Nouméa, entre le Gouvernement de la République française et les représentants des principales formations politiques de la Nouvelle-Calédonie, un " accord sur la Nouvelle-Calédonie " qui, outre un " Préambule ", comprend un " Document d'orientation " relatif, en son point 1, à " l'identité kanak ", en son point 2, aux " institutions ", en son point 3, aux " compétences ", en son point 4, au " développement économique et social " et, en son point 5, à " l'évolution de l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie " ;
que, comme le prévoyait le point 6 de ce même document, relatif à " l'application de l'accord ", une loi constitutionnelle a été adoptée par le Parlement réuni en Congrès le 6 juillet 1998, laquelle a rétabli un titre XIII de la Constitution désormais intitulé :
" Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie " et comprenant deux articles 76 et 77 ainsi rédigés :
" Art 76. :
Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française.
" Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988.
" Les mesures nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d'Etat délibéré en conseil des ministres.
" Art 77. :
Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en uvre :
" :
les compétences de l'Etat qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l'échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci ;
" :
les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et notamment les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel ;
" :
les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier ;
" :
les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté.
" Les autres mesures nécessaires à la mise en uvre de l'accord mentionné à l'article 76 sont définies par la loi. "
Considérant qu'en application de l'article 77 précité, le Parlement a adopté, le 16 février 1999, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie soumise au Conseil constitutionnel ;
Sur les normes de référence et l'étendue du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur la loi organique prévue à l'article 77 de la Constitution :
Considérant, en premier lieu, que rien ne s'oppose, sous réserve des prescriptions des articles 7, 16 et 89 de la Constitution, à ce que le pouvoir constituant introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans les cas qu'elles visent, dérogent à des règles ou principes de valeur constitutionnelle, ces dérogations pouvant n'être qu'implicites ;
que tel est le cas en l'espèce ;
qu'il résulte en effet des dispositions du premier alinéa de l'article 77 de la Constitution que le contrôle du Conseil constitutionnel sur la loi organique doit s'exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l'accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle ;
que, toutefois, de telles dérogations ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en uvre de l'accord ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en raison de ce changement des circonstances de droit, il y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de procéder à l'examen de l'ensemble des dispositions de la loi organique, alors même que certaines d'entre elles ont une rédaction ou un contenu identique à ceux de dispositions antérieurement déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ou figurant dans la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998, adoptée par le peuple français à la suite d'un référendum ;
Sur la procédure suivie :
Considérant que la consultation prévue à l'article 76 de la Constitution est intervenue le 8 novembre 1998 ;
que les populations consultées ont approuvé l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;
que le projet dont est issue la loi soumise au Conseil constitutionnel a été transmis au Congrès du territoire de la Nouvelle-Calédonie qui a émis un avis le 12 novembre 1998 ;
que ce projet a été délibéré en conseil des ministres et enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 25 novembre 1998 ;
qu'il a été soumis à la délibération et au vote de l'Assemblée nationale dans les conditions prévues à l'article 46 de la Constitution ;
que son examen par le Parlement a respecté les autres prescriptions constitutionnelles relatives à la procédure législative ;
qu'ainsi, la loi organique soumise au Conseil constitutionnel a été adoptée dans les conditions prévues par la Constitution ;
Sur les articles 1er à 6 :
Considérant que la loi examinée comprend six articles avant son titre Ier ;
Considérant que l'article 1er fixe les limites des trois provinces de la Nouvelle-Calédonie et les conditions dans lesquelles ces limites peuvent être modifiées ;
qu'il dresse également la liste des aires coutumières ;
que l'article 2, en son premier alinéa, désigne ainsi les institutions de la Nouvelle-Calédonie :
le Congrès, le Gouvernement, le Sénat coutumier, le conseil économique et social et les conseils coutumiers ;
que le deuxième alinéa du même article fait du haut-commissaire de la République le dépositaire des pouvoirs de la République et le représentant du Gouvernement ;
qu'aux termes du troisième alinéa :
" La Nouvelle-Calédonie est représentée au Parlement et au Conseil économique et social de la République dans les conditions fixées par les lois organiques " ;
que l'article 3 dispose que les provinces et les communes de la Nouvelle-Calédonie sont des collectivités territoriales de la République et qu'elles s'administrent librement par des assemblées élues au suffrage universel direct, dans les conditions prévues au titre IV en ce qui concerne les provinces ;
que l'article 4 définit la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie ;
que l'article 5 prévoit que la Nouvelle-Calédonie détermine librement les " signes identitaires permettant de marquer sa personnalité aux côtés de l'emblème national et des signes de la République " et " peut décider de modifier son nom " ;
qu'enfin l'article 6 dispose que, en Nouvelle-Calédonie, le droit de propriété s'exerce, en matière foncière, sous la forme de la propriété privée, de la propriété publique et des terres coutumières ;
Considérant, en premier lieu, que, si le premier alinéa de l'article 2 ne mentionne pas les assemblées de province parmi les institutions de la Nouvelle-Calédonie, alors que le point 2 de l'accord de Nouméa fait figurer ces assemblées parmi lesdites institutions, la loi organique ne méconnaît pas pour autant l'obligation que lui fait l'article 77 de la Constitution de déterminer les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie " dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en uvre ", dès lors que l'ensemble de ses dispositions, en particulier de celles de son titre IV consacré aux provinces, confère implicitement mais nécessairement aux assemblées de province les caractéristiques d'une institution de la Nouvelle-Calédonie ;
que, par suite, le premier alinéa de l'article 2 n'est pas contraire à la Constitution ;
Considérant, en deuxième lieu, que, si députés et sénateurs sont élus au suffrage universel, direct pour les premiers, indirect pour les seconds, chacun d'eux représente au Parlement la nation tout entière et non la population de sa circonscription d'élection ;
que le troisième alinéa de l'article 2 de la loi organique doit dès lors être entendu comme se bornant à rappeler que, comme l'a déjà prévu le législateur organique, des élections législatives et sénatoriales se tiennent en Nouvelle-Calédonie ;
que, sous cette réserve, le troisième alinéa de l'article 2 n'est pas contraire à la Constitution ;
Considérant que les autres dispositions des articles 1er à 6 sont conformes à la Constitution ;
Sur le titre Ier :
Considérant que ce titre, qui comprend les articles 7 à 19, est relatif au statut civil coutumier et à la propriété coutumière ;
qu'il met en uvre, conformément à l'article 77 de la Constitution, les stipulations des points 11 et 14 de l'accord de Nouméa ;
Considérant que les articles 10 à 13 déterminent les modes d'acquisition du statut civil coutumier ;
qu'en particulier, aux termes de l'article 10 :
" L'enfant légitime, naturel ou adopté dont le père et la mère ont le statut civil coutumier, a le statut civil coutumier " ;
que cette disposition doit être entendue comme conférant également le statut civil coutumier à l'enfant dont la filiation n'est établie qu'à l'égard d'un seul parent de ce même statut ;
que, si la filiation de cet enfant venait à être établie à l'égard de l'autre parent, il ne saurait conserver le statut civil coutumier que si ce parent a lui-même le statut civil coutumier ;
Considérant que, sous cette réserve, l'article 10 n'encourt aucune critique d'inconstitutionnalité ;
qu'il en va de même des autres dispositions du titre Ier ;
Sur le titre II :
Considérant que ce titre est relatif aux compétences ;
qu'il comprend les articles 20 à 61 ;
Considérant que l'article 24 est ainsi rédigé :
" Dans le but de soutenir ou de promouvoir l'emploi local, la Nouvelle-Calédonie prend au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d'une durée suffisante de résidence des mesures visant à favoriser l'exercice d'un emploi salarié, sous réserve qu'elles ne portent pas atteinte aux avantages individuels et collectifs dont bénéficient à la date de leur publication les autres salariés.
" De telles mesures sont appliquées dans les mêmes conditions à la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et à la fonction publique communale. La Nouvelle-Calédonie peut également prendre des mesures visant à restreindre l'accession à l'exercice d'une profession libérale à des personnes qui ne justifient pas d'une durée suffisante de résidence.
" La durée et les modalités de ces mesures sont définies par des lois du pays. " ;
Considérant, en premier lieu, que le principe de mesures favorisant les personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie, pour l'accès à un emploi salarié ou à une profession indépendante, ou pour l'exercice d'un emploi dans la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie ou dans la fonction publique communale, trouve son fondement constitutionnel dans l'accord de Nouméa ;
que celui-ci stipule en effet, dans son Préambule, qu'" afin de tenir compte de l'étroitesse du marché du travail, des dispositions seront définies pour favoriser l'accès à l'emploi local des personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie " ;
qu'en outre, en vertu du point 2 de l'accord, la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui fonde les restrictions apportées au corps électoral appelé à désigner les " institutions du pays ", sert aussi de " référence pour la mise au point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local " ;
qu'enfin, selon le point 311 de l'accord de Nouméa :
" La Nouvelle-Calédonie mettra en place, en liaison avec l'Etat, des mesures destinées à offrir des garanties particulières pour le droit à l'emploi de ses habitants. La réglementation sur l'entrée des personnes non établies en Nouvelle-Calédonie sera confortée. Pour les professions indépendantes, le droit d'établissement pourra être restreint pour les personnes non établies en Nouvelle-Calédonie. Pour les salariés du secteur privé et pour la fonction publique territoriale, une réglementation locale sera définie pour privilégier l'accès à l'emploi des habitants " ;
Considérant, en second lieu, que les modalités retenues par l'article 24 pour favoriser l'emploi local respectent également l'habilitation donnée à la loi organique par l'article 77 de la Constitution ;
qu'il appartiendra aux " lois du pays " prises en application de l'article 24, et susceptibles d'être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, de fixer, pour chaque type d'activité professionnelle et chaque secteur d'activité, la " durée suffisante de résidence " mentionnée aux premier et deuxième alinéas de cet article en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en relation directe avec la promotion de l'emploi local, sans imposer de restrictions autres que celles strictement nécessaires à la mise en uvre de l'accord de Nouméa ;
qu'en tout état de cause, cette durée ne saurait excéder celle fixée par les dispositions combinées des articles 4 et 188 pour acquérir la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie ;
Considérant que, sous cette réserve, l'article 24 n'est pas contraire à la Constitution ;
qu'il en va de même des autres dispositions du titre II ;