Décision n°96-385 DC du 30-12-1996
A8348AC8
Référence
Publié au Journal officiel du 31 décembre 1996, p. 19557
Rec. p. 145
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 19 décembre 1996, par MM Laurent Fabius, Gilbert Annette, Léo Andy, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Didier Boulaud, Jean-Pierre Braine, Mme Frédérique Bredin, MM Laurent Cathala, Camille Darsières, Henri d'Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Maurice Depaix, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Jean-Jacques Filleul, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Fromet, Pierre Garmendia, Kamilo Gata, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Maurice Janetti, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Martin Malvy, Marius Masse, Didier Mathus, Louis Mexandeau, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Michel Pajon, Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Jean-Marc Salinier, Roger-Gérard Schwartzenberg, Henri Sicre, Bernard Seux, Patrice Tirolien et Daniel Vaillant, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances pour 1997 ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 modifiée instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés et la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 modifiée d'orientation du commerce et de l'artisanat ;
Vu la loi n° 82-1091 du 23 décembre 1982 modifiée relative à la formation professionnelle des artisans ;
Vu la loi n° 82-939 du 4 novembre 1982 modifiée relative à la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur des travailleurs privés d'emploi ;
Vu la loi de finances pour 1985 (n° 84-1208 du 29 décembre 1984 modifiée) et la loi de finances rectificative pour 1986 (n° 86-1318 du 30 décembre 1986 modifiée) ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications et la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code du travail :
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code rural ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 24 décembre 1996 ;
Vu les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 27 décembre 1996 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi de finances pour 1997, et notamment en tout ou partie ses articles 2, 4, 31, 39, 40, 46, 87, 88, 123, 124, 125, 130, 132, 136, 137 et 138 ;
qu'au surplus, dans leur mémoire en réplique, ils mettent en cause l'article 81 de la loi ;
Sur les articles 2, 39 et 81 de la loi :
Considérant que, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, l'avant-dernier alinéa du I de l'article 2 limite à 13 000 F, à compter de l'imposition des revenus de 1996, le plafond de la réduction d'impôt accordée jusque-là uniformément aux contribuables veufs, célibataires et divorcés remplissant les conditions prévues aux a et b du 1 de l'article 195 du code général des impôts, pour les seuls contribuables célibataires et divorcés alors que les veufs bénéficient au titre des revenus de 1996 en vertu du même article de la loi d'un plafond fixé à 16 200 F ;
que l'article 39 étend le plafonnement de 13 000 F aux contribuables célibataires et divorcés lorsqu'ils ont adopté un enfant dans les conditions visées au e du 1 de l'article 195 ;
que le 2 du II inséré dans l'article 197 du code général des impôts par l'article 81 de la loi déférée abaisse le montant du plafond de 13 000 F à 10 000 F à compter de l'imposition des revenus de 1997 ;
Considérant que les auteurs de la saisine allèguent qu'à charge familiale strictement égale, un contribuable célibataire ou divorcé sera traité plus défavorablement qu'un contribuable veuf ;
que la différence de situation qui les distingue ne saurait être considérée comme comportant une justification au regard de l'objet du mécanisme du quotient familial ;
que les dispositions ci-dessus analysées des articles 2, 39 et 81 de la loi sont dès lors contraires au principe d'égalité ;
Considérant que si le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur décide de différencier l'octroi d'avantages fiscaux, c'est à la condition que celui-ci fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ;
Considérant que les dispositions contestées s'inscrivent dans le cadre d'une réforme de l'impôt sur le revenu que le législateur a entendu mettre en uvre à l'occasion du vote de la loi de finances pour 1997 et que celui-ci a décidé notamment de réexaminer certaines réductions d'impôt comportant des avantages qui ne lui apparaissaient pas véritablement justifiés ;
Considérant toutefois qu'au regard de la demi-part supplémentaire qui leur est accordée, les contribuables veufs, divorcés ou célibataires ayant élevé un ou plusieurs enfants sont placés dans une situation identique ;
qu'en effet l'octroi de cet avantage fiscal est lié pour l'ensemble d'entre eux à des considérations tirées à la fois de l'isolement de ces contribuables et de la reconnaissance de leurs charges antérieures de famille ;
Considérant dès lors qu'en limitant aux seuls divorcés et célibataires l'abaissement du plafond de la réduction d'impôt résultant de l'octroi de la demi-part supplémentaire accordée dans des conditions identiques aux veufs, divorcés et célibataires ayant élevé au moins un enfant, le législateur a méconnu le principe de l'égalité devant l'impôt ;
que par suite doivent être déclarés contraires à la Constitution l'avant-dernier alinéa du I de l'article 2, l'article 39 et, au quatrième alinéa de l'article 81, les mots :
" toutefois, par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la réduction d'impôt résultant de l'application du quotient familial ne peut excéder 10 000 F par demi-part s'ajoutant à une part pour les contribuables célibataires et divorcés qui bénéficient des dispositions des a, b et e du I de l'article 195 " ;
Considérant que la censure de l'avant-dernier alinéa du I de l'article 2 et de l'article 39 ne remet pas en cause les données générales de l'équilibre budgétaire, bien que ces dispositions figurent en première partie de la loi de finances ;
Sur l'article 4 de la loi :
Considérant que l'article 4 qui modifie l'article 158 du code général des impôts a pour objet de porter à 680 000 F le plafonnement de l'abattement de 20 p 100 applicable pour déterminer le revenu net retenu dans les bases de l'impôt sur le revenu, d'une part, sur l'ensemble des salaires et indemnités accessoires alloués par une ou plusieurs sociétés à une personne qui détient, directement ou indirectement, plus de 35 p 100 des droits sociaux et, d'autre part, sur les bénéfices des artisans, commerçants, professionnels libéraux et agriculteurs adhérents des centres et associations de gestion, en les alignant ainsi sur les revenus provenant des traitements publics et privés, indemnités, émoluments, salaires et pensions et rentes viagères à titre non onéreux ;
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent qu'en faisant bénéficier la quasi-totalité des non-salariés d'un abattement destiné à compenser la transparence fiscale s'attachant aux revenus des salaires, le législateur a violé le principe de l'égalité devant l'impôt ;
Considérant que le législateur a entendu aligner la situation de certains contribuables, dont la transparence des revenus a pu lui apparaître de mieux en mieux assurée, sur celle de l'ensemble des salariés au regard de l'abattement plafonné à 680 000 F, lequel a précisément pour objet de prendre en compte la meilleure connaissance par l'administration fiscale des revenus salariaux ;
qu'en appliquant les mêmes règles à des contribuables placés dans des situations analogues, le législateur n'a pas méconnu les exigences constitutionnelles tirées du principe d'égalité ;
Sur l'article 40 de la loi :
Considérant que l'article 40 de la loi institue pour 1997 un prélèvement au profit du budget de l'Etat sur les excédents financiers des organismes paritaires collecteurs agréés pour recevoir les contributions des employeurs à la formation en alternance en soumettant le compte unique, prévu par le I de l'article 45 de la loi de finances rectificative pour 1986, à une contribution exceptionnelle égale à 40 p 100 de sa trésorerie nette au 31 juillet 1997 ;
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent tout d'abord que la formation professionnelle constitue une des garanties sociales dont les salariés ont le droit de discuter dans le cadre d'une négociation collective ;
qu'ils en déduisent que l'article 40, en privant d'une partie significative de leurs ressources les gestionnaires paritaires de la formation en alternance, fait obstacle à l'exercice de la compétence constitutionnellement garantie par le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 affirmant le droit des travailleurs à participer à la détermination collective de leurs conditions de travail ;
qu'en organisant une " régression considérable des garanties financières de la libre administration de la formation professionnelle en alternance ", il encourrait la censure, le législateur ne pouvant intervenir que pour rendre une liberté plus effective ;
Considérant qu'ils allèguent également que la " spoliation organisée par le législateur " constituerait une violation, d'une part, du principe de liberté contractuelle, qui protégerait les partenaires sociaux contre toute remise en cause de leur capacité de négociation, et, d'autre part, d'un principe de " confiance légitime ", dès lors que serait remis en cause par un prélèvement brutal de 40 p 100 l'équilibre d'un système géré depuis longtemps avec l'accord des pouvoirs publics ;
Considérant que les requérants font en outre valoir que le prélèvement opéré constitue un impôt exceptionnel dont le taux serait confiscatoire et dont l'assiette serait établie selon un critère discriminatoire puisqu'il pèserait en fait sur les seules entreprises contributrices tandis qu'y échapperaient celles qui assurent elles-mêmes la formation de leurs salariés ;
que l'ensemble des entreprises n'étant pas placées dans des situations différentes au regard de l'objectif de développement de la formation professionnelle, elles ne sauraient donc être traitées de manière aussi différente sans que soit rompu le principe de l'égalité devant l'impôt ;
Considérant que les requérants soutiennent enfin que le législateur, en opérant le prélèvement contesté, sans prendre en compte les besoins de formation ni les moyens financiers nécessaires à leur couverture, aurait privé les stagiaires de la formation en alternance d'une part considérable des ressources permettant de les faire bénéficier de cette activité d'utilité générale et aurait dès lors violé le principe d'égalité devant les charges publiques ;
Considérant que l'article 40 opère au profit du budget de l'Etat un prélèvement fixé à 40 p 100 sur des excédents financiers, figurant à la date du 31 juillet 1997 au compte unique ci-dessus mentionné, des organismes paritaires collecteurs agréés pour recevoir les contributions des employeurs ;
que cette contribution, eu égard à son assiette et à son taux, ne porte pas atteinte au système de financement de la formation en alternance qui associe paritairement les partenaires sociaux et ne saurait donc faire obstacle au droit des travailleurs à participer à la détermination collective des conditions de travail reconnu par le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ;
Considérant que, dès lors que le prélèvement contesté n'a pas davantage pour effet de porter atteinte à la capacité de négociation des partenaires sociaux, il ne méconnaît pas la liberté contractuelle et que par suite le moyen manque en fait ;
qu'aucune norme constitutionnelle ne garantit par ailleurs un principe dit " de confiance légitime " ;
Considérant enfin que le prélèvement mis en cause par les requérants est opéré sur les excédents financiers centralisés des organismes collecteurs de la contribution des entreprises au financement de la formation en alternance et non directement sur les entreprises contributrices ;
que dès lors le moyen tiré de discriminations dans l'établissement de l'assiette de l'impôt manque en fait ;
Sur l'article 46 de la loi :
Considérant que l'article 46 détermine le montant et les modalités de dévolution à l'Etat de la contribution forfaitaire exceptionnelle versée par l'entreprise nationale France Télécom en application de l'article 30 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, tel que modifié par la loi du 26 juillet 1996 susvisée ;
qu'il fixe le montant de cette contribution à 37,5 milliards de francs et prévoit qu'elle sera versée en 1997 à un établissement public national à caractère administratif ayant pour mission de la gérer et de reverser chaque année au budget de l'Etat, dans la limite de ses actifs, une somme de un milliard de francs en 1997, majorée ensuite chaque année de 10 p 100 par rapport au versement de l'année précédente ;
Considérant que les requérants soutiennent que cet article méconnaît le principe de sincérité budgétaire en ce que, loin d'être justifiée par la nécessité de financer les retraites des agents fonctionnaires de France Télécom désormais prises en charge par l'Etat, la contribution exceptionnelle en cause permettrait, à concurrence du montant des versements opérés chaque année, de participer à la réduction du déficit budgétaire et perdrait dès lors toute nécessité ;
Considérant que si le versement par l'entreprise France Télécom d'une contribution forfaitaire exceptionnelle de 37,5 milliards de francs à un établissement public chargé de la gérer trouve effectivement sa justification, sans en constituer toutefois la contrepartie, dans la prise en charge par l'Etat des retraites des agents fonctionnaires de l'entreprise France Télécom, les versements annuels au budget de l'Etat effectués par cet établissement public ne seront directement affectés à aucune dépense en particulier et viendront concourir aux conditions générales de l'équilibre du budget conformément à l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances ;