Décision n°96-377 DC du 16-07-1996
A8343ACY
Référence
Publié au Journal officiel du 23 juillet 1996, p. 11108
Rec. p. 87
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 juin 1996, par MM Claude Estier, Guy Allouche, François Autain, Germain Authié, Robert Badinter, Mmes Monique Ben Guiga, Maryse Bergé-Lavigne, MM Jean Besson, Jacques Bialski, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier-Benezet, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM Bernard Dussaut, Léon Fatous, Aubert Garcia, Gérard Gaud, Roland Huguet, Philippe Labeyrie, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, Charles Metzinger, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Jean-Claude Peyronnet, Mme Danièle Pourtaud, MM Paul Raoult, René Régnault, Alain Richard, Michel Rocard, Gérard Roujas, René Rouquet, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Fernand Tardy, André Vezinhet, Henri Weber, sénateurs, et, le 24 juin 1996, par MM Laurent Fabius, Martin Malvy, Gilbert Annette, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Didier Boulaud, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Henri d'Attilio, Camille Darsières, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Jacques Floch, Michel Fromet, Pierre Garmendia, Kamilo Gata, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Massé, Didier Mathus, Louis Mexandeau, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Henri Sicre, Roger-Gérard Schwartzenberg, Daniel Vaillant, Léo Andy, Jean-Jacques Filleul, Patrice Tirolien, Jean-Marc Salinier, Mme Frédérique Bredin, MM Maurice Depaix, Pierre Forgues, Maurice Janetti, Michel Pajon, Bernard Seux, Gérard Saumade, Jean-Pierre Chevènement, Georges Sarre, Jean-Pierre Michel, Pierre Carassus, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code civil ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 5 juillet 1996 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés et les sénateurs ci-dessus énumérés, enregistrées respectivement le 8 juillet 1996 et le 15 juillet 1996 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les sénateurs et les députés auteurs respectivement de la première et de la seconde saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, en contestant la conformité à la Constitution des dispositions des articles 1er, 10, 15, 16, 17 et 25 ;
que les sénateurs contestent par ailleurs la conformité à la Constitution de l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
qu'enfin, les députés mettent en cause les dispositions de l'article 12 de la loi déférée ;
Sur l'article 1er de la loi :
Considérant que l'article 1er de la loi déférée modifie l'article 421-1 du code pénal, notamment en complétant les dispositions antérieurement prévues en son 3° qui devient, compte tenu des modifications opérées par ailleurs, le 4° ;
qu'en application de cet alinéa, constitue désormais un acte de terrorisme, lorsqu'elle est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger définie à l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée ;
Considérant qu'aux termes de l'article 21 de cette ordonnance :
" I :
Toute personne qui, alors qu'elle se trouvait en France, aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 200 000 F" ;
qu'en application de l'article 25 de la loi déférée, l'article 21 est complété par un III ainsi rédigé :
" III. :
Sans préjudice de l'article 19, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement du présent article l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait :
1° d'un ascendant ou d'un descendant de l'étranger ;
2° du conjoint de l'étranger, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément. " ;
Considérant, en premier lieu, que les sénateurs auteurs de la première saisine font valoir que l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée est contraire à la Constitution ;
qu'ils soutiennent, d'une part, que cet article, en ce qu'il prévoit une répression " générale, absolue et indistincte " de toute forme d'aide au séjour d'étrangers en situation irrégulière est contraire au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ;
qu'ils font valoir, d'autre part, que cette disposition ne satisfait pas aux exigences du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
qu'ils en déduisent que la rédaction imprécise de l'article 21 précité a conduit le législateur à édicter une infraction entrant dans le champ des actes de terrorisme qui répond elle-même à une définition insuffisamment précise et comme telle contraire au principe de légalité des délits et des peines ;
Considérant, en deuxième lieu, que les sénateurs et les députés soutiennent qu'en introduisant dans la liste des infractions de l'article 421-1 du code pénal, les faits incriminés par l'article 21 précité, le législateur a méconnu le principe de la nécessité des peines ;
qu'ils font valoir en particulier que ceux qui, intentionnellement, apportent une aide à l'auteur d'un acte de terrorisme peuvent d'ores et déjà être poursuivis, notamment au titre de la complicité ;
Considérant, enfin, que les députés auteurs de la seconde saisine font grief à l'article 421-1-4° du code pénal de violer le principe d'égalité devant la loi pénale en ce qu'il aggrave la sévérité des sanctions encourues par les personnes complices de terroristes dans le seul cas où ces derniers sont des étrangers en situation irrégulière, en permettant qu'elles soient pénalement qualifiées d'auteurs d'un acte de terrorisme ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen " la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires " ;
qu'en conséquence, il appartient au Conseil constitutionnel de vérifier, qu'eu égard à la qualification des faits en cause, la détermination des sanctions dont sont assorties les infractions correspondantes n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'à la différence des infractions énumérées à l'article 421-1 du code pénal, l'article 21 incrimine non pas des actes matériels directement attentatoires à la sécurité des biens ou des personnes mais un simple comportement d'aide directe ou indirecte à des personnes en situation irrégulière ;
que ce comportement n'est pas en relation immédiate avec la commission de l'acte terroriste ;
qu'au demeurant, lorsque cette relation apparaît, ce comportement peut entrer dans le champ de la répression de la complicité des actes de terrorisme, du recel de criminel et de la participation à une association de malfaiteurs prévue par ailleurs ;
qu'en outre la qualification d'acte de terrorisme a pour conséquence non seulement une aggravation des peines mais aussi l'application de règles procédurales dérogatoires au droit commun ;
Considérant que, dans ces conditions, en estimant que l'infraction définie par les dispositions de l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée est susceptible d'entrer dans le champ des actes de terrorisme tels qu'ils sont définis et réprimés par l'article 421-1 du code pénal, le législateur a entaché son appréciation d'une disproportion manifeste ;
que dès lors, en tant qu'il insère à l'article 421-1 du code pénal les mots " l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger, définie à l'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ", l'article 1er de la loi est contraire à la Constitution ;
Sur l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et sur l'article 25 de la loi :
Considérant, en premier lieu, que la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi déjà promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de la soumission au Conseil constitutionnel de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ;
que la loi soumise au Conseil constitutionnel a notamment pour objet en son article 25 de limiter le champ d'application de l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée ;
que dès lors il appartient au Conseil constitutionnel d'examiner la conformité à la Constitution de cette dernière disposition et de se prononcer sur les griefs ci-dessus analysés ;
Considérant qu'il revient au législateur, compte tenu des objectifs qu'il s'assigne en matière d'ordre public s'agissant de l'entrée et du séjour des étrangers et qui peuvent notamment justifier un régime de sanctions pénales, de fixer, dans le respect des principes constitutionnels, les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ;
que les infractions telles que prévues par l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 sont définies dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d'interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d'arbitraire ;
que cette définition n'est pas de nature, en elle-même, à mettre en cause le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ;
qu'ainsi les moyens formulés par les sénateurs auteurs de la première saisine doivent être écartés ;
Considérant, en second lieu, que les députés auteurs de la seconde saisine font grief à l'article 25 de la loi déférée de violer le principe d'égalité devant la loi pénale dès lors qu'il dispose que, sans préjudice de l'article 19 de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement de l'article 21 de cette ordonnance l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait soit d'un ascendant ou d'un descendant de l'étranger, soit du conjoint de l'étranger, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément ;
qu'ils soutiennent à cette fin que ne sauraient être exclus de l'immunité familiale les frères et s urs, le concubin ou la concubine ;
que les députés et les sénateurs auteurs des saisines font valoir en outre, que cette restriction du champ de ladite immunité aurait pour conséquence de faire peser sur les personnes ainsi écartées de l'immunité une peine non nécessaire ;
Considérant qu'eu égard à l'objectif qu'il s'est fixé tendant à concilier la prise en compte à titre humanitaire de situations juridiquement protégées et sa volonté de ne pas faciliter l'immigration clandestine, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, faire bénéficier d'une immunité pénale les ascendants, descendants et conjoints sans l'étendre aux frères et s urs ainsi qu'aux concubins ;
que les peines dont sont passibles ceux-ci ne sauraient être regardées de ce fait comme méconnaissant l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Sur l'article 10 de la loi :
Considérant que l'article 10 de la loi déférée modifie l'article 706-24 du code de procédure pénale par l'ajout de quatre alinéas ;
qu'en vertu des trois premiers, s'agissant d'infractions entrant dans la définition des actes de terrorisme, peuvent désormais être opérées de nuit, des visites, perquisitions et saisies, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction l'exigent ;
que le quatrième alinéa fixe des règles spécifiques de répartition des compétences entre présidents de tribunal de grande instance ;
Considérant que les sénateurs auteurs de la première saisine soutiennent que la règle posée par l'article 59 du code de procédure pénale qui interdit que visites et perquisitions puissent se dérouler entre 21 heures et 6 heures, est un principe fondamental reconnu par les lois de la République ;
que les sénateurs et les députés auteurs des saisines font valoir que le principe de liberté individuelle garantissant l'inviolabilité du domicile ne saurait connaître d'atténuations qu'autant que celles-ci sont rendues nécessaires pour sauvegarder l'ordre public, et que cette exigence d'une nécessité éprouvée et indiscutable n'existe pas dans le cadre de l'enquête préliminaire ;
qu'ils estiment enfin que l'intervention de l'autorité judiciaire ne saurait garantir à elle seule le respect de la liberté individuelle ;
Considérant que la recherche des auteurs d'infractions est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits de valeur constitutionnelle ;
qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre cet objectif de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté individuelle, et notamment l'inviolabilité du domicile ;
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