Décision n°93-335 DC du 21-01-1994
A8301ACG
Référence
Publié au Journal officiel du 26 janvier 1994, p. 1382
Rec. p. 40
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 24 décembre 1993, par MM Martin Malvy, Gilbert Annette, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Didier Boulaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Jean-Pierre Chevènement, Camille Darsières, Henri d'Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Garmendia, Kamilo Gata, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Frédéric Jalton, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Masse, Didier Mathus, Jacques Mellick, Louis Mexandeau, Jean-Pierre Michel, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Georges Sarre, Henri Sicre, Roger-Gérard Schwartzenberg, Régis Fauchoit, François Asensi, Rémy Auchedé, Gilbert Biessy, Alain Bocquet, Patrick Braouezec, Jean-Pierre Brard, Jacques Brunhes, René Carpentier, Daniel Colliard, Jean-Claude Gayssot, André Gérin, Michel Grandpierre, Maxime Gremetz, Georges Hage, Guy Hermier, Mmes Muguette Jacquaint, Janine Jambu, MM Jean-Claude Lefort, Georges Marchais, Paul Mercieca, Louis Pierna, Jean Tardito, Ernest Moutoussamy, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ;
Vu la loi n° 83-636 du 13 juillet 1983 modifiée portant modification du statut des agglomérations nouvelles ;
Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Considérant que les députés auteurs de la saisine contestent la conformité à la Constitution des articles 3, 6, 7, 8, 11, 12, 16, 22 et 23 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;
Sur l'article 3 de la loi :
Considérant que cet article introduit notamment au code de l'urbanisme un article L 600-1 qui prive les requérants de la faculté d'invoquer par voie d'exception devant les juridictions administratives l'illégalité pour vice de procédure ou de forme des schémas directeurs, des plans d'occupation des sols ou des documents d'urbanisme en tenant lieu, ainsi que des actes prescrivant l'élaboration ou la révision d'un document d'urbanisme ou créant une zone d'aménagement concerté, après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de prise d'effet du document en cause ;
que les dispositions de l'article L 600-1 susvisé précisent cependant que ces restrictions ne sont pas applicables en cas d'absence de mise à disposition du public des schémas directeurs, en cas de méconnaissance substantielle ou de violation des règles de l'enquête publique sur les plans d'occupation des sols, ou enfin en cas d'absence du rapport de présentation ou des documents graphiques ;
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que les restrictions ainsi apportées à la possibilité d'exciper de l'illégalité externe d'un acte administratif portent au principe de légalité une atteinte manifestement excessive qui n'est au surplus justifiée par aucune considération d'intérêt général ;
qu'ils font valoir que les obligations de l'Etat de veiller au respect des intérêts nationaux par les collectivités territoriales, résultant de l'article 72 de la Constitution, sont méconnues ;
que seraient de même méconnues les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du traité sur l'Union européenne qui garantissent l'accès à la justice ;
qu'enfin les saisissants exposent que la garantie des droits prévue à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est pas assurée, dès lors que les dispositions en cause ont pour effet de pérenniser des règlements illégaux ;
Considérant que la restriction apportée par les dispositions contestées est limitée à certains actes relevant du seul droit de l'urbanisme ;
qu'elle a été justifiée par le législateur eu égard à la multiplicité des contestations de la légalité externe de ces actes ;
qu'en effet, le législateur a entendu prendre en compte le risque d'instabilité juridique en résultant, qui est particulièrement marqué en matière d'urbanisme, s'agissant des décisions prises sur la base de ces actes ;
qu'il a fait réserve des vices de forme ou de procédure qu'il a considérés comme substantiels ;
qu'il a maintenu un délai de six mois au cours duquel toute exception d'illégalité peut être invoquée ;
que les dispositions qu'il a prises n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter la possibilité ouverte à tout requérant de demander l'abrogation d'actes réglementaires illégaux ou devenus illégaux et de former des recours pour excès de pouvoir contre d'éventuelles décisions de refus explicites ou implicites ;
que dès lors il n'est pas porté d'atteinte substantielle au droit des intéressés d'exercer des recours ;
qu'ainsi le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen manque en fait ;
Considérant que les dispositions ci-dessus analysées ne sauraient être regardées comme de nature à porter atteinte aux prérogatives de l'Etat énoncées à l'alinéa 3 de l'article 72 de la Constitution en vertu duquel " Dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois " ;
Considérant enfin que l'appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le législateur estime devoir prendre ne saurait être tirée de la conformité de la loi avec les stipulations d'un traité ou d'une convention internationale, mais résulte de la confrontation de la loi avec les seules exigences de caractère constitutionnel ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs invoqués à l'encontre de l'article 3 de la loi doivent être écartés ;
Sur l'article 6 de la loi :
Considérant que les auteurs de la saisine se bornent à contester les dispositions du I B et celles du III B de l'article 6 ;
que les dispositions du I B valident les permis de construire délivrés avant la publication du décret d'application du sixième alinéa de l'article L 421-2 du code de l'urbanisme, en tant que le projet architectural accompagnant la demande de permis ne satisferait pas aux obligations posées par cet alinéa concernant l'insertion dans l'environnement des constructions envisagées ;
que les dispositions du III B valident les actes réglementaires et non réglementaires relatifs aux actions et opérations d'aménagement pris, dans le cadre de procédures d'amélioration et de réhabilitation de l'habitat existant, avant l'entrée en vigueur de la loi, sur le fondement de l'article L 300-5 du code de l'urbanisme en tant que ces actes auraient été adoptés sans élaboration préalable du programme de référence mentionné audit article ;
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que les dispositions sus-analysées comporteraient la validation d'actes administratifs annulés par des décisions de justice passées en force de chose jugée, et méconnaîtraient ainsi les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de garantie des droits ;
Considérant que rien dans le texte de la loi ne permet d'inférer que lesdites dispositions auraient pour objet ou pour effet de valider des actes ayant été annulés par des décisions de justice passées en force de chose jugée ;
que par suite le grief doit être écarté ;
Sur l'article 7 de la loi :
Considérant que l'article 7 de la loi a pour objet de compléter l'article L 145-5 du code de l'urbanisme relatif à la protection des rives des plans d'eau naturels ou artificiels d'une superficie inférieure à 1 000 mètres carrés ;
qu'en l'état de la législation, l'article L 145-5 précité prévoit, lorsqu'un document d'urbanisme est établi, des possibilités d'adaptation pour permettre à titre exceptionnel la délimitation en bordure de ces plans d'eau de hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ;
que les dispositions contestées ont pour objet de permettre également aux ministres chargés de l'urbanisme et de l'environnement d'autoriser, à titre exceptionnel et après avis de la commission départementale des sites, une opération d'urbanisation intégrée à l'environnement dont la surface de plancher hors uvre nette n'excède pas 30 000 mètres carrés et qui est implantée sur les rives d'un plan d'eau artificiel existant à la date de publication de la loi ;
Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions, introduites par voie d'amendement, d'une part, sont sans lien avec les dispositions du projet de loi et, d'autre part, ont pour objet de valider un acte administratif annulé par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux, en violation des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de garantie des droits ;
qu'ils font par ailleurs valoir que ces dispositions sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir ;
Considérant que les dispositions en cause portent modification du code de l'urbanisme et ont pour objet de faciliter la réalisation d'opérations d'urbanisation ;
qu'elles ne sauraient par suite être regardées comme sans lien avec le projet de loi initial dont l'objectif était l'adaptation des règles d'urbanisme en vue de contribuer à la relance de la construction ;
Considérant qu'il était loisible au législateur d'adapter les règles d'urbanisme applicables en zone de montagne en conférant à l'autorité administrative la possibilité d'autoriser, à titre exceptionnel, l'implantation d'une opération d'urbanisme sur les rives de plans d'eau artificiels ;
que les dispositions contestées ne procèdent pas à la validation d'une autorisation d'urbanisme annulée par une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ;
que par suite les griefs susévoqués doivent être écartés.
Sur l'article 8 de la loi :
Considérant que l'article 8 tend à compléter l'article L 146-8 du code de l'urbanisme, pour permettre aux ministres chargés de l'urbanisme et de l'environnement d'autoriser conjointement à titre exceptionnel l'installation de stations d'épuration d'eaux usées avec rejet en mer non liées à une opération d'urbanisation nouvelle en zone littorale par dérogation aux dispositions du chapitre VI du titre IV du livre Ier du code de l'urbanisme ;
Considérant que les députés saisissants invoquent l'inconstitutionnalité de cet article en présentant des moyens identiques à ceux articulés à l'encontre de l'article 7 ;
Considérant que les dispositions en cause portent modification du code de l'urbanisme et ont pour objet de faciliter la réalisation d'ouvrages d'intérêt public ;
qu'elles ne sauraient par suite être regardées comme sans lien avec le projet de loi initial, dont l'objectif était l'adaptation des règles d'urbanisme en vue de contribuer à la relance de la construction ;
Considérant qu'il était loisible au législateur d'introduire des dispositions dérogatoires au code de l'urbanisme pour autoriser, à titre exceptionnel, l'installation de certains ouvrages dans certaines zones du territoire ;
que les dispositions contestées ne procèdent pas à la validation d'une autorisation d'urbanisme annulée par une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ;
que par suite les griefs susévoqués doivent être écartés.
Sur l'article 10 de la loi :
Considérant que les dispositions de l'article 10 de la loi modifient les règles contentieuses concernant la contestation par les personnes physiques ou morales des actes des collectivités territoriales qui sont de nature à les léser ;
qu'en vertu de ces dispositions les demandes tendant à ce que le représentant de l'Etat exerce le contrôle de légalité selon les modalités prévues par la loi du 2 mars 1982 susvisée ne peuvent avoir pour effet de prolonger le délai de recours contentieux dont dispose la personne lésée ;
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ;
que, toutefois, les adjonctions ou modifications apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution, ni être sans lien avec ce dernier ni dépasser par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ;
Considérant que l'article 10 de la loi, dont la portée n'est pas limitée au contentieux en matière d'urbanisme, modifie l'équilibre général sur lequel repose le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales que le représentant de l'Etat est tenu d'assurer en vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution ;
qu'en raison tant de son champ d'application que de son objet cet article, introduit par voie d'amendement, ne peut être regardé comme ayant un lien avec le texte du projet de loi en discussion ;
que dès lors il y a lieu pour le Conseil constitutionnel de décider que l'article 10 n'a pas été adopté selon une procédure régulière et qu'il n'est, par suite, pas conforme à la Constitution ;
Sur les articles 11 et 12 de la loi :
Considérant que l'article 11 a pour objet de proroger d'un an le délai de validité des permis de construire et des arrêtés de lotir arrivant à échéance entre la date de la publication de la loi et le 31 décembre 1994 ;
que l'article 12 aménage le régime de contributions prévues par le code général des impôts au titre des autorisations d'urbanisme visées à l'article 11 pour lesquelles aucun commencement d'exécution des travaux autorisés n'a eu lieu, par un versement en deux fractions égales exigibles respectivement trente et quarante-huit mois à compter de la délivrance de l'autorisation ;