Décision n°90-283 DC du 08-01-1991
A8239AC7
Référence
Publié au Journal officiel du 10 janvier 1991
Rec. p. 11
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 13 décembre 1990, par MM Daniel Colin, Willy Diméglio, José Rossi, René Garrec, Arthur Paecht, Alain Griotteray, André Rossi, René Beaumont, Mme Yann Piat, MM Aimé Kergueris, Jean-Marc Nesme, Gérard Longuet, Denis Jacquat, Jean-Yves Haby, Ladislas Poniatowski, Jean Brocard, Gilbert Gantier, Francisque Perrut, Henri Bayard, Michel Meylan, Charles Ehrmann, Georges Durand, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Léonce Deprez, Alain Madelin, Philippe Vasseur, André Santini, Jacques Toubon, Olivier Dassault, Bernard Debré, Jean-Michel Couve, Jacques Masdeu-Arus, Mme Christiane Papon, MM Jacques Godfrain, Bruno Bourg-Broc, Mme Nicole Catala, MM Claude Dhinnin, Jean-Paul Charié, Didier Julia, Jean-Louis Goasduff, Henri de Gastines, Jean Besson, Philippe Auberger, Arnaud Lepercq, Jean Ueberschlag, René Couveinhes, Lucien Guichon, Régis Perbet, Pierre Raynal, Lucien Richard, Jean-Louis Debré, Pierre Mazeaud, Eric Raoult, Pierre-Rémy Houssin, Robert Pandraud, Jean Tiberi, Pierre Pasquini, Pierre Bachelet, Georges Tranchant, Mmes Suzanne Sauvaigo, Michèle Alliot-Marie, MM Arthur Dehaine, Alain Cousin, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, modifiée par l'article 35 de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989, portant diverses mesures d'ordre social ;
Vu le code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme ;
Vu le mémoire ampliatif présenté par les auteurs de la saisine, enregistré au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 14 décembre 1990 ;
Vu le mémoire complémentaire présenté par les auteurs de la saisine, enregistré comme ci-dessus le 21 décembre 1990 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les députés auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme ;
qu'à l'appui de leur saisine ils critiquent la conformité à la Constitution de ses articles 3, 4 et 10 ;
Sur l'article 3 relatif à l'interdiction de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac :
Considérant que l'article 3 de la loi comporte deux paragraphes ;
que le paragraphe I substitue une rédaction nouvelle à celle de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, qui doit entrer en vigueur " à compter du 1er janvier 1993 " ;
qu'à cette date, selon le premier alinéa de l'article 2 de cette loi, " toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac, ainsi que toute distribution gratuite sont interdites " ;
qu'il est spécifié cependant, par le deuxième alinéa nouveau de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976, que ces interdictions " ne s'appliquent pas aux enseignes des débits de tabac, ni aux affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles de l'extérieur, à condition que ces enseignes ou ces affichettes soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel " ;
qu'en vertu du troisième alinéa ajouté à l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976, " toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac " ;
Considérant que le paragraphe II de l'article 3 de la loi modifie, à compter de l'entrée en vigueur de la loi présentement examinée et jusqu'au 1er janvier 1993, le texte du premier alinéa de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 ;
que par l'effet de cette modification se trouve interdite non seulement la propagande ou la publicité " directe " en faveur du tabac et des produits du tabac, dans les quatre cas énumérés à l'article 2 de la loi de 1976, mais désormais la propagande ou la publicité " indirecte " ;
que toutefois le champ d'application de l'article 2 initial de la loi de 1976 demeure inchangé ;
Considérant que pour les auteurs de la saisine " l'interdiction absolue de propagande ou publicité concernant le tabac " a un caractère de gravité qui dénature le sens et la portée du droit de propriété ;
qu'il s'agit, selon eux " d'une véritable expropriation " ;
que la liberté d'entreprendre se trouverait pareillement dénaturée ;
qu'est alléguée enfin la violation tant de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que celle de son article 16 ;
En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte au droit de propriété :
Considérant que selon la saisine, l'interdiction édictée par l'article 3 de la loi porte atteinte au droit de propriété dans la mesure où elle ne permet plus d'exploiter normalement une marque, élément du droit de propriété et support d'un produit licite et librement accessible au consommateur ;
qu'il y aurait, en outre, transfert d'un élément du droit de propriété à l'Etat par le biais d'une expropriation qui impliquerait à tout le moins un droit à indemnisation ;
Considérant que l'article 2 de la Déclaration de 1789 range la propriété au nombre des droits de l'homme ;
que l'article 17 de la même Déclaration proclame :
" La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité " ;
Considérant que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux ;
que parmi ces derniers figure le droit pour le propriétaire d'une marque de fabrique, de commerce ou de service d'utiliser celle-ci et de la protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France ;
Considérant que l'évolution qu'a connue le droit de propriété s'est également caractérisée par des limitations à son exercice exigées au nom de l'intérêt général ;
que sont notamment visées de ce chef les mesures destinées à garantir à tous, conformément au onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, " la protection de la santé " ;
Considérant que le droit de propriété d'une marque régulièrement déposée n'est pas affecté dans son existence par les dispositions de l'article 3 de la loi ;
que celles-ci ne procèdent en rien à un transfert de propriété qui entrerait dans le champ des prévisions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Considérant sans doute que la prohibition de la publicité et de la propagande en faveur du tabac est susceptible d'affecter dans son exercice le droit de propriété d'une marque concernant le tabac ou des produits du tabac ;
Mais considérant que ces dispositions trouvent leur fondement dans le principe constitutionnel de protection de la santé publique ;
qu'au demeurant la loi réserve la possibilité de faire de la publicité à l'intérieur des débits de tabac ;
que l'interdiction édictée par l'article 3 de la loi déférée ne produira tous ses effets qu'à compter du 1er janvier 1993 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la limitation apportée par l'article 3 à certaines modalités d'exercice du droit de propriété n'est pas contraire à la Constitution ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de la liberté d'entreprendre :
Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que l'article 3 méconnaît la liberté d'entreprendre au motif que son exercice implique le pouvoir de soumettre les produits du tabac aux lois du marché et de la concurrence ;
que cela suppose une information du consommateur et une possibilité de diffusion des produits ;
Considérant que la liberté d'entreprendre n'est ni générale ni absolue ;
qu'il est loisible au législateur d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général à la condition que celles-ci n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée ;
Considérant que l'article 3 de la loi n'interdit ni la production, ni la distribution, ni la vente du tabac ou des produits du tabac ;
qu'est réservée la possibilité d'informer le consommateur à l'intérieur des débits de tabac ;
que la prohibition d'autres formes de publicité ou de propagande est fondée sur les exigences de la protection de la santé publique, qui ont valeur constitutionnelle ;
qu'il suit de là que l'article 3 de la loi ne porte pas à la liberté d'entreprendre une atteinte qui serait contraire à la Constitution ;
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des articles 1er et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :
Considérant que selon les auteurs de la saisine l'article 3 de la loi a pour conséquence de porter atteinte au libre usage par un individu de son nom patronymique ;
qu'il en résulterait une violation d'un droit constitutionnellement protégé en vertu des articles 1er et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Considérant que l'article 3 de la loi est sans incidence sur le nom patronymique pris en tant qu'élément d'individualisation et d'identification d'une personne physique ;
qu'ainsi, et en tout état de cause, les moyens tirés de la violation des articles 1er et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont dénués de pertinence ;
Sur l'article 4 de la loi portant modification des articles 1er, 3, 9, 12, 16 et 18 de la loi du 9 juillet 1976 :
Considérant que l'article 4 de la loi déférée substitue des dispositions nouvelles à celles de plusieurs articles de la loi susvisée du 9 juillet 1976 ;
que la nouvelle rédaction de l'article 1er de ce dernier texte précise ce qu'il faut entendre par produits du tabac ;
que l'article 3 nouveau de la loi de 1976 explicite la notion de publicité indirecte ;
que l'article 9 nouveau de la même loi a pour objet essentiel de tirer les conséquences de directives du Conseil des communautés européennes relatives à l'étiquetage des produits du tabac et à la teneur maximale en goudrons des cigarettes ;
que la nouvelle rédaction de l'article 12 de la loi de 1976 vise à réprimer pénalement les infractions aux dispositions du titre Ier de cette loi ;
que l'article 16 nouveau de la loi du 9 juillet 1976 pose le principe de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif " sauf dans des emplacements expressément réservés aux fumeurs " ;
qu'enfin, suivant le nouvel article 18 de la loi de 1976, est ouverte, sous certaines conditions, aux associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme la possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions aux dispositions de la loi ;
Considérant que les auteurs de la saisine font porter leurs critiques sur la définition de la publicité indirecte donnée par l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de l'article 4 de la loi déférée ;
qu'aux termes du premier alinéa de l'article 3 nouveau de la loi de 1976 :
" Est considérée comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac " ;
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions portent atteinte tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre ;
Considérant que le législateur en définissant la propagande et la publicité indirectes a entendu préciser la portée de ces concepts afin d'éliminer la possibilité de faire échec à l'interdiction édictée par l'article 3 de la loi déférée ;
que les précisions ainsi données apparaissent comme le corollaire des prescriptions dudit article 3 ;
qu'il y a lieu de relever, au demeurant, que le deuxième alinéa nouveau de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction issue de l'article 4 de la loi présentement examinée, prolonge les effets dans le temps de mesures transitoires prévues par l'article 35 de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 ;
Considérant que, pour les motifs précédemment développés à propos de l'article 3 de la loi déférée, les dispositions de l'article 4 de la même loi ne sont contraires ni au droit de propriété ni à la liberté d'entreprendre ;
Sur l'article 10 portant modification du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme :
Considérant que l'article 10 de la loi, qui figure dans un titre II intitulé " Dispositions relatives à la lutte contre l'alcoolisme ", comporte un ensemble de quatorze paragraphes correspondant à cet objet ;
que les auteurs de la saisine critiquent uniquement le paragraphe IV et le paragraphe V de l'article 10 ;
Considérant que le paragraphe IV de l'article 10 a pour objet de conférer à l'article L 17 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme une rédaction nouvelle devant produire effet à compter du 1er janvier 1993 ;
Considérant que l'article L 17 nouveau comprend deux alinéas ;
que le premier alinéa énumère de façon limitative les sept cas dans lesquels sont autorisées la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas par ailleurs interdites ;
que le second alinéa du même article dispose que " toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques " ;
Considérant que le paragraphe V de l'article 10 de la loi déférée ajoute au code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme un article L 17-1 ;
que cet article, en son alinéa 1er, transpose au cas des boissons alcooliques la définition de la propagande ou publicité indirecte applicable, en vertu de l'article 4 de la loi, au tabac et aux produits dérivés du tabac ;
que le second alinéa de l'article L 17-1 du code précité comporte des mesures réservant le cas des produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 suivant des modalités analogues à celles prévues par l'article 4 de la loi déférée, s'agissant de la commercialisation du tabac ;