Décision n°88-250 DC du 29-12-1988
A8181ACY
Référence
Publié au Journal officiel du 30 décembre 1988
Rec. p. 267
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 23 décembre 1988, d'une part, par MM Bernard Pons, Robert-André Vivien, Pierre Pasquini, Edouard Balladur, Gérard Chasseguet, Robert Pandraud, Arthur Dehaine, Gabriel Kaspereit, René Couveinhes, Martial Taugourdeau, Jean-Louis Masson, Michel Giraud, Jacques Chaban-Delmas, Dominique Perben, Nicolas Sarkozy, Alain Jonemann, Michel Péricard, Jean-Pierre Delalande, Mme Michèle Barzach, M Jean-Yves Chamard, Mme Michèle Alliot-Marie, MM Jean Valleix, Jean de Gaulle, Alain Peyrefitte, Michel Noir, Eric Raoult, Mme Elisabeth Hubert, MM Claude-Gérard Marcus, Claude Dhinnin, Mme Roselyne Bachelot, MM Jean-Claude Thomas, Jean Ueberschlag, Gérard Leonard, Philippe Legras, Jean-François Mancel, Arnault Lepercq, Philippe Auberger, Patrick Balkany, André Berthol, Etienne Pinte, Mme Suzanne Sauvaigo, MM Roland Nungesser, Bernard Debré, Jacques Limouzy, Xavier Deniau, Guy Drut, Robert Poujade, Antoine Rufenacht, Pierre Mazeaud, Louis de Broissia, Olivier Dassault, Alain Juppé, Jean-Marie Demange, Franck Borotra, Daniel Goulet, Michel Cointat, Didier Julia, Emmanuel Aubert, Jacques Baumel, Mme Nicole Catala, MM Alain Cousin, Richard Cazenave, députés, et, d'autre part, par MM Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Jean Barras, Henri Belcour, Jacques Bérard, Amédée Bouquerel, Raymond Bourgine, Robert Calmejane, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Michel Chauty, Jean Chérioux, Henri Collette, Maurice Couve de Murville, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Dubosc, Alain Dufaut, Pierre Dumas, Marcel Fortier, Philippe François, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, Adrien Gouteyron, Paul Graziani, Hubert H nel, Emmanuel Hamel, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Charles Hugo, Roger Husson, André Jarrot, Paul Kauss, Christian de La Malène, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Christian Masson, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Mme Hélène Missoffe, MM Geoffroy de Montalembert, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Jacques Oudin, Charles Pasqua, Alain Pluchet, Christian Poncelet, Henri Portier, Claude Prouvoyeur, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Josselin de Rohan, Roger Romani, Maurice Schumann, Jean Simonin, Louis Souvet, René Trégouët, André-Georges Voisin, Charles Ginesy, Jean-Eric Bousch, Georges Gruillot, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances rectificative pour 1988 ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les saisines visent à faire déclarer contraires à la Constitution les articles 21, 30, 31 et 47 de la loi de finances rectificative pour 1988 soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;
Sur l'article 21 relatif à l'aménagement des procédures de délégation pour l'homologation des rôles et pour la signature des actes de recouvrement :
Considérant que le paragraphe I de l'article 21 autorise le représentant de l'Etat dans le département à déléguer le pouvoir de rendre exécutoires les rôles des impôts directs et des taxes y assimilées, tant au directeur des services fiscaux, ainsi que cela résultait de la législation antérieure, qu'aux collaborateurs de celui-ci ayant au moins le grade de directeur divisionnaire ;
que le même paragraphe définit le mode de publicité des arrêtés de délégation ;
que le paragraphe II de l'article 21 rend applicable le régime de délégation prévu au paragraphe précédent à la fixation de la date de mise en recouvrement des impôts et taxes recouvrés en vertu de rôles ;
qu'aux termes du paragraphe III du même article " les rôles homologués avant la publication de la présente loi et jusqu'au 1er mars 1989 par un fonctionnaire de la direction générale des impôts ayant au moins le grade de directeur divisionnaire sont réputés régulièrement homologués " ;
Considérant que le paragraphe IV de l'article 21, qui ajoute un article L 257 A au livre des procédures fiscales, a pour objet d'autoriser les contrôleurs des impôts placés sous l'autorité du comptable chargé du recouvrement, d'une part, à signer et à rendre exécutoires les avis de mise en recouvrement et, d'autre part, à signer les mises en demeure ;
qu'en vertu du paragraphe V, " sont réputés réguliers " les avis de mise en recouvrement signés et rendus exécutoires ainsi que les mises en demeure signées par les personnes mentionnées au paragraphe précédent, antérieurement à la publication de la loi ;
Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, la validation des rôles opérée par le paragraphe III de l'article 21, de même que la validation des avis de mise en recouvrement et des mises en demeure résultant du paragraphe V, portent atteinte à des principes de valeur constitutionnelle ;
qu'il est soutenu à cet égard que la validation, par sa portée générale, méconnaît des décisions de justice passées en force de chose jugée ;
qu'elle fait revivre des prescriptions en violation de " la sécurité juridique des citoyens " affirmée par la déclaration des droits de 1789 ;
qu'elle permet de régulariser non seulement l'établissement de droits au principal, mais aussi des pénalités et des intérêts de retard ;
Considérant que, par exception aux dispositions de valeur législative de l'article 2 du code civil, le législateur peut, pour des raisons d'intérêt général, modifier rétroactivement les règles régissant l'activité de l'administration fiscale ou que celle-ci a, sous le contrôle du juge de l'impôt, pour mission d'appliquer ;
que, toutefois, cette application rétroactive se heurte à une double limite ;
que, d'une part, conformément au principe de non-rétroactivité des lois répressives posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle ne saurait permettre d'infliger des sanctions à des contribuables à raison d'agissements antérieurs à la publication des nouvelles dispositions qui ne tombaient pas également sous le coup de la loi ancienne ;
que, d'autre part, l'application rétroactive de la loi fiscale ne saurait préjudicier aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée ;
Considérant, au cas présent, que le législateur, en précisant avec effet rétroactif les compétences respectives du représentant de l'Etat dans le département et des fonctionnaires de l'administration fiscale en matière d'établissement des rôles, d'avis de mise en recouvrement et de mises en demeure, a entendu éviter que ne se développent, pour un motif touchant exclusivement à la répartition des attributions entre agents publics, des contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner pour l'Etat comme pour les autres collectivités publiques, des conséquences dommageables ;
que rien dans le texte de la loi ne porte atteinte aux droits nés au profit de contribuables en vertu de décisions de justice passées en force de chose jugée ;
que la loi ne déroge pas davantage au principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif ni à son corollaire qui interdit de faire renaître en cette matière une prescription légalement acquise ;
qu'ainsi les dispositions critiquées, qui n'ont pas la portée que leur confèrent les députés auteurs de la saisine, ne sont contraires à aucune règle non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle ;
Sur l'article 30 relatif à l'extension de la procédure de l'opposition administrative :
Considérant que cet article est ainsi conçu :
" A compter de la promulgation de la présente loi, et pour les créances nées postérieurement à cette date, les comptables publics peuvent, après avis conforme de l'ordonnateur, recourir à la procédure de l'opposition administrative prévue par la loi n° 72-650 du 11 juillet 1972 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, modifiée par la loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale et de droit pénal, pour le recouvrement des produits des communes, des départements, des régions et des établissements publics locaux qui ne sont pas assis et liquidés par les services fiscaux de l'Etat en exécution des lois et règlements en vigueur " ;
Considérant que ces dispositions sont destinées, à titre principal, à rendre applicable au recouvrement de créances non fiscales des communes, des régions et des établissements publics locaux une procédure simplifiée de recouvrement d'amendes ou de condamnations pécuniaires prononcées en matière de contravention qui s'inspire elle-même de dispositions applicables au recouvrement de créances de nature fiscale ou douanière ;
Considérant que les sénateurs auteurs de l'autre saisine soutiennent, tout d'abord, que l'article 30 n'est pas au nombre des dispositions susceptibles de figurer dans un texte ayant le caractère de loi de finances ;
qu'ils font valoir également que cet article porte atteinte à la compétence de l'autorité judiciaire en matière de sauvegarde de la liberté individuelle ;
qu'enfin, il n'est pas accompagné de garanties suffisantes en ce qui touche aussi bien la libre administration des collectivités territoriales que la liberté individuelle ;
Considérant que l'article 30 de la loi ne concerne pas directement la détermination des ressources et des charges de l'Etat ;
qu'il n'a pas pour but d'organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ou d'imposer aux agents des services publics des responsabilités pécuniaires ;
qu'il n'a pas davantage le caractère de disposition d'ordre fiscal au sens de l'article 1er, alinéa 3, de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959, dans la mesure où, tout en concernant le recouvrement de certaines créances fiscales, il s'applique dans une large part à celui de créances non fiscales ;
qu'ainsi son objet n'est pas de ceux qui peuvent relever d'une loi de finances en vertu des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance précitée ;
qu'il suit de là, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués, que l'article 30 doit être déclaré non conforme à la Constitution ;
Sur l'article 31 relatif à l'extension du domaine d'intervention du droit de communication :
Considérant que l'article 31 étend le droit de communication dont disposent les comptables publics, sur le fondement de l'article L 81 du livre des procédures fiscales, au recouvrement des produits, des départements, des régions et des établissements publics locaux qui ne sont pas assis et liquidés par les services fiscaux de l'Etat en exécution des lois et règlements en vigueur ;
Considérant que les sénateurs auteurs de l'autre saisine critiquent ces dispositions au motif qu'elles porteraient atteinte à la liberté individuelle ;
Considérant que l'article 31 tend, pour une large part, à faciliter le recouvrement de produits non fiscaux des communes, des départements, des régions et des établissements publics locaux ;
qu'une telle disposition, qui n'a pas de caractère financier au sens de l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, n'est pas au nombre de celles qui peuvent figurer dans un texte ayant le caractère de loi de finances ;
que sans même qu'il soit besoin d'examiner le moyen invoqué à son encontre, elle doit, pour ce motif, être déclarée contraire à la Constitution ;
Sur l'article 47 relatif à la validation de la perception du versement destiné au financement des transports en commun :
Considérant que le texte de l'article 47 de la loi fait suite à l'intervention d'une décision du Conseil d'Etat en date du 13 novembre 1987 qui, statuant sur un recours en appréciation de validité, a déclaré qu'était entachée d'illégalité la délibération du " syndicat intercommunal à vocation unique transports urbains " (SIVUTU) de l'agglomération de Bourges instituant, à compter du 1er mars 1983, le versement destiné au financement des transports en commun prévu par la loi n° 73-640 du 11 juillet 1973, elle-même codifiée sous les articles L 233-58 et suivants du code des communes ;
que la décision du Conseil d'Etat relève qu'à la date de la délibération du syndicat intercommunal, la population légale des huit communes faisant partie de ce syndicat, telle qu'elle résultait du dernier recensement général authentifié par décret, n'atteignait pas le seuil de 100 000 habitants requis par les textes alors entrés en vigueur pour permettre l'institution du versement destiné au financement des transports en commun ;
que si la population a atteint 100 252 habitants selon les résultats du recensement général de 1982, ces résultats n'ont pu donner un fondement légal à la délibération du 17 novembre 1982 dès lors qu'ils n'ont été authentifiés que par un décret du 31 décembre 1982 publié au Journal officiel du 6 janvier 1983 ;
Considérant que l'article 47 de la loi dispose que :
" Est validée la perception du versement-transport au profit du syndicat intercommunal à vocation unique de transports urbains de l'agglomération de Bourges, réalisée du 1er mars 1983 au 8 décembre 1987 " ;
Considérant que les députés auteurs de la saisine estiment que ces dispositions, qui ne procèdent pas par voie d'une modification de portée générale des règles que le juge a pour mission d'appliquer, mais visent une situation particulière, sont contraires au principe constitutionnel d'égalité ;
Considérant que l'article 47 de la loi ne valide pas la délibération du syndicat intercommunal déclarée illégale par le Conseil d'Etat statuant au contentieux ;
qu'il résulte des travaux préparatoires que le législateur, en validant la perception au profit du syndicat intercommunal à vocation unique de transports urbains de l'agglomération de Bourges du versement destiné au financement des transports en commun, a eu pour but de permettre à cet établissement public de faire face aux dépenses correspondant à l'exécution de sa mission de service public ;
qu'il ressort des débats devant le Parlement que la validation opérée par la loi n'a d'autre portée que de rendre inopérant le moyen tiré de ce que, lors de l'institution du versement, les communes composant le syndicat intercommunal n'atteignaient pas, en droit, le seuil de 100 000 habitants légalement requis ;
que la loi ne saurait être interprétée comme permettant de porter atteinte soit aux droits nés de décisions de justice passées en force de chose jugée, soit au principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif ;
Considérant dans ces conditions, et eu égard à la situation propre au syndicat intercommunal, telle qu'elle a été mise en évidence par la décision du Conseil d'Etat du 13 novembre 1987, que l'article 47 de la loi ne méconnaît ni le principe d'égalité, ni aucun autre principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle ;
Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,
Décide :
Art 1er. :
Les articles 30 et 31 de la loi de finances rectificative pour 1988 sont déclarés contraires à la Constitution.
Art 2. :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
£7A1$Texte 60 sénateurs 1988-12-23
SAISINE SENATEURS CHARLES PASQUA Monsieur le Président,
Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi de finances rectificative pour 1988, et notamment ses articles 21 ter et 21 quater, tels qu'ils ont été définitivement adoptés par le Parlement.
I :
Article 21 ter
Introduit par voie d'amendement portant article additionnel déposé par le Gouvernement lors de la première lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale (Journal officiel, Débats AN, p 3391 et 3392, séance du jeudi 8 décembre 1988), l'article 21 ter a pour objet d'étendre au recouvrement des produits non fiscaux des collectivités et établissements publics locaux le régime de l'opposition administrative. Un nouvel amendement du Gouvernement, à l'occasion de la seconde lecture du projet de loi de finances rectificative, a complété cet article en limitant son application aux cas où le comptable obtient un avis conforme de l'ordonnateur (Assemblée nationale, séance du mardi 20 décembre 1988). Il convient, pour éclairer le conseil, de rappeler brièvement le champ d'application actuel et la nature du régime de l'opposition administrative ainsi que les conséquences de son extension par l'article 21 ter avant d'indiquer les moyens qui fondent la présente demande de déclaration de non-conformité à la Constitution.
A :
Le régime de l'opposition administrative et l'extension proposée par l'article 21ter de ce régime 1 La procédure de l'opposition administrative
Cette procédure est prévue pour le recouvrement de deux types de créances :
: les créances de nature fiscale ou douanière (Livre des procédures fiscales, art L 262 et L 263) ;
: les créances résultant des amendes et condamnations pécuniaires prononcées pour une contravention de police (loi du 11 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, art 7, modifié par l'article 81 de la loi du 30 décembre 1985).
Le régime de l'opposition administrative est prévu par les articles L 262 et L 263 du livre des procédures fiscales. Ces articles disposent que les dépositaires ou débiteurs de sommes devant revenir à des personnes débitrices d'impôts sont tenus, sur simple notification du comptable chargé d'assurer le recouvrement de ces impôts, de verser les fonds qu'ils détiennent à ce comptable, à concurrence du montant dû au Trésor public. La notification prend la forme d'un avis à tiers détenteur.
Cette procédure permet donc, pour le recouvrement de certains types de créances publiques, d'éviter le recours aux voies d'exécution de droit commun et aboutit à des résultats identiques à ceux d'une saisie-arrêt, sans contrôle préalable du juge judiciaire.
2 Les conséquences de l'article 21 ter
L'article 21 ter étend le régime de l'opposition administrative et la procédure d'avis à tiers détenteur à l'ensemble des créances des collectivités locales et des établissements publics locaux non recouvrées par les services fiscaux. La totalité des créances des collectivités locales et de leurs établissements publics seraient ainsi susceptibles de faire l'objet d'avis à tiers détenteurs en cas de non-paiement et donc d'échapper à tout contrôle préalable du juge judiciaire. Les créances des régies municipales (eau, gaz, etc) et des offices d'HLM seraient concernées par l'extension de cette procédure.
Il convient d'observer que le recouvrement forcé des créances de l'Etat n'ayant pas un caractère fiscal ne bénéficie pas, dans l'état actuel du droit, de ce régime exorbitant du droit commun.
B :
Les moyens tendant à la déclaration de non-conformité à la Constitution 1 L'article 21 ter constitue un " cavalier budgétaire "
L'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances dispose notamment que les lois de finances ne peuvent contenir que des dispositions afférentes à la détermination des ressources et des charges de l'Etat ou organisant le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ;
par ailleurs, le troisième alinéa de cet article dispose :
" Les lois de finances peuvent également contenir toutes dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. "
L'article 21 ter traitant des modalités de recouvrement de créances ne présentant pas le caractère d'impositions et ne participant pas des ressources de l'Etat a donc un objet étranger à celui qui est assigné aux lois de finances par l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
2 L'article 21 ter porte atteinte aux libertés fondamentales
L'article 21 ter du projet de loi de finances rectificative porte atteinte à la compétence, consacrée par l'article 66 de la Constitution, des juridictions judiciaires pour veiller à la sauvegarde de la liberté individuelle.
L'article 21 ter soustrait en effet à la compétence de l'autorité judiciaire le contrôle préalable du recours à des voies d'exécution susceptibles de porter atteinte à la liberté individuelle et notamment au secret de la vie privée. L'extension à des créances non fiscales et relevant du droit commun de la procédure de l'avis à tiers détenteur méconnaît donc un principe de valeur constitutionnelle, auquel il ne peut être dérogé qu'en matière fiscale, en raison du principe de la nécessité de l'impôt, formulé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 1983.
3 L'article 21 ter ne prévoit pas de garanties suffisantes
L'opposition administrative prévue par l'article 21 ter ne paraît pas encadrée de garanties suffisantes :
: d'une part, il n'est pas prévu que les sommes récupérées par le comptable public seront affectées, dès réception, aux créances correspondantes. En cela, il pourrait être porté atteinte au principe de liberté d'administration des collectivités territoriales :
rien, en effet, ne garantit que les sommes recouvrées seront directement affectées au paiement des créances pour lesquelles l'ordonnateur a donné son accord à l'utilisation de la procédure de l'avis à tiers détenteur ;
: d'autre part, l'article 21 ter ne prévoit aucun plafonnement de la portion saisissable des rémunérations dans le cadre de l'opposition administrative, alors que l'article L 264 du livre des procédures fiscales le prévoit expressément pour le recouvrement, par voie d'avis à tiers détenteur, d'impositions privilégiées :
il y a là encore une atteinte à la liberté individuelle, créée par cette absence d'une garantie pourtant essentielle.
II. :
Sur l'article 21 quater
L'article 21 quater a pour objet d'étendre le droit de communication des documents aux comptables publics, pour le recouvrement des produits visés à l'article 21 ter. Ces documents sont définis par les articles 82 A à 96 du livre des procédures fiscales. Leur communication est prévue par l'article L 81 du même livre, exclusivement pour l'assiette et le contrôle des impôts.
L'extension de ce droit de communication pour le recouvrement de produits non fiscaux des collectivités locales et établissements publics porte atteinte également à la liberté individuelle, principe fondamental garanti par les lois de la République et proclamé par le préambule de la Constitution de 1946, confirmé par le préambule de la Constitution de 1958.
Or, là encore, le contrôle de l'autorité judiciaire, gardien de la liberté individuelle, selon l'article 66 de la Constitution, n'est aucunement prévu.
Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les articles 21 ter et 21 quater de la loi de finances rectificative pour 1988.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers, l'expression de notre haute considération.
£7A2$Texte 60 députés 1988-12-23
SAISINE DEPUTES Monsieur Robert Badinter, président du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris
Monsieur le président,
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances rectificative pour 1988, adoptée le 21 décembre 1988 par l'Assemblée nationale en dernière lecture conformément à l'article 45, alinéa 4, de la Constitution.
Les députés demandent au Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61 de la Constitution, de déclarer les articles 16 et 34 bis de la présente loi non conformes à la Constitution pour les motifs exposés dans le mémoire ampliatif ci-joint.
Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de ma haute considération.
Le président,BERNARD PONS MEMOIRE AMPLIATIF A LA SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL TENDANT A FAIRE ANNULER LES ARTICLES 16 ET 34 BIS DE LA LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE ADOPTEE LE 21 DECEMBRE 1988
Article 16 portant validation des rôles, des avis de mise en recouvrement et des mises en demeure :
A :
La validation rétroactive des rôles
L'article 16, paragraphes I et II, modifie les articles 1658 et 1659 du code général des impôts en prévoyant une délégation des pouvoirs du préfet (pour homologuer les rôles des impôts directs) aux collaborateurs du directeur des services fiscaux " ayant au moins le grade de directeur divisionnaire ".
Le paragraphe III du même article dispose que :
" Les rôles homologués avant la publication de la présente loi et jusqu'au 1er mars 1989 par un fonctionnaire de la direction générale des impôts ayant au moins le grade de directeur divisionnaire sont réputés régulièrement homologués. "
Cette validation rétroactive ne paraît pas conforme à la Constitution pour les motifs suivants :
La décision du Conseil constitutionnel n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 a reconnu qu'une disposition fiscale pouvait avoir un caractère rétroactif. Mais, dans la décision n° 86-223 DC, le Conseil constitutionnel a fixé les limites à ce caractère rétroactif :
: respect de l'autorité de la chose jugée ;
: respect des règles de la prescription ;
: interdiction des effets répressifs de la rétroactivité.
Le paragraphe III précité de l'article 16 de la loi de finances rectificative ne respecte pas ces trois limitations de valeur constitutionnelle :
Sur l'autorité de la chose jugée :
L'article ne prévoit pas expressément que les jugements ou les arrêts définitifs en la matière doivent recevoir application car ce sont " des décisions de justice passées en force de chose jugée " ;
Sur les règles de la prescription :
Le livre des procédures fiscales du nouveau code général des impôts ouvre à l'administration de multiples moyens pour interrompre la prescription qui court contre elle ;
chaque fait ou acte interruptif de la prescription prolonge le délai d'action de l'administration de la durée de la prescription, soit à l'heure actuelle trois ans pour le délai de reprise des opérations d'assiette et quatre ans pour le délai de l'action en recouvrement.
Si, pour une raison exceptionnelle, la prescription de l'assiette ou la prescription du recouvrement n'est pas interrompue, la créance d'impôt est éteinte.
La disposition contestée aurait pour effet, si elle était maintenue, de faire renaître un acte administratif qui avait disparu de l'ordonnancement juridique par l'effet de la prescription.
Or, le principe même de toute prescription est d'assurer la sécurité juridique des citoyens, qui est un droit de valeur constitutionnelle affirmé dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Sur les effets répressifs de la validation rétroactive :
Les rôles d'imposition, et les avis individuels d'imposition qui n'en sont que des extraits, comportent :
les droits en principal et, éventuellement, des intérêts de retard et, éventuellement, des pénalités d'assiette.
La présence d'intérêts de retard et de pénalités est la règle générale pour les rôles émis à la suite d'un redressement fiscal (contrôles sur pièces ou contrôles sur place). Il serait contraire à la jurisprudence de la décision du Conseil constitutionnel n° 86-223 DC du 29 décembre 1986 que des actes administratifs illégaux, à savoir les rôles signés par une autorité incompétente, emportent une conséquence à caractère répressif parce qu'ils ont été validés ultérieurement à leur homologation. Cela est d'autant plus évident que certains rôles ne peuvent comporter que des pénalités.
Ainsi, le législateur aurait dû distinguer entre les droits en principal, qui pouvaient être régularisés, et les pénalités qui ne pouvaient pas l'être, y compris les intérêts de retard.
B :
La validation rétroactive des avis de mise en recouvrement
Le paragraphe IV de l'article 16 du projet de loi de finances rectificative pour 1988 dispose en son alinéa 2 :
Les avis de mise en recouvrement et les mises en demeure signés et rendus exécutoires antérieurement à la publication de la présente loi par les personnes visées à l'alinéa précédent sont réputés réguliers.
Cette disposition rétroactive encourt les mêmes reproches que le paragraphe III relatif à l'homologation des rôles. Comme pour celui-ci, le législateur aurait dû respecter :
: l'autorité de la chose jugée ;
: les règles relatives aux prescriptions d'assiette et de recouvrement ;
: l'absence de disposition ou d'effet à caractère répressif (pénalités).
Pour les motifs sus-énoncés, la validation rétroactive des avis de mise en recouvrement paraît donc contraire à la Constitution et encourir de ce fait l'annulation.
Article 34 bis de la présente loi validant législativement la délibération du Sivotu de Bourges instaurant un versement-transport au taux de 1 p 100, laquelle avait été déclarée illicite par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 13 novembre 1987.
Cet article est contraire à la Constitution en ce qu'il institue une validation rétroactive as nominem d'une situation faisant à l'heure actuelle l'objet d'un recours devant le juge administratif.
En effet, dans votre décision 119 DC du 22 juillet 1980, vous avez précisé, d'une part, " qu'il n'appartient ni au législateur ni au Gouvernement de se substituer à elles (les juridictions) dans le jugement des litiges relevant de leurs compétences " et, plus loin, " que ces principes de valeur constitutionnelle ne s'opposent pas à ce que par la voix des dispositions rétroactives, le législateur modifie les règles que le juge a pour mission d'appliquer ".
Or, en l'espèce, l'article 34 bis ne modifie pas les taux de versement-transport de façon générale, ce qui serait admissible au regard de votre jurisprudence.
Il se borne à valider une décision qui méconnaît toujours les règles en vigueur et ne modifie donc en rien les règles que le juge doit appliquer.
En d'autres termes, un syndicat intercommunal qui aujourd'hui prendrait la même décision que celle du Sivotu de Bourges se verrait condamner par le juge, alors que celui de Bourges y échappe du seul fait du législateur.
Cette disposition est donc contraire au principe d'égalité et doit donc, de ce fait, être annulée.