Jurisprudence : Décision n°83-166 DC du 29-12-1983

Décision n°83-166 DC du 29-12-1983

A8075AC3

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CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°83-166 DC du 29-12-1983


Publié au JORF 30 décembre 1983
Rec. p. 77

Loi relative au prix de l'eau en 1984


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 22 décembre 1983, d'une part, par MM Jean Arthuis, Alphonse Arzel, Jean-Pierre Blanc, André Bohl, Roger Boileau, Charles Bosson, Raymond Bouvier, Louis Caiveau, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, Adolphe Chauvin, Auguste Chupin, Jean Cluzel, Jean Colin, Jean Faure, Jean Francou, Jacques Genton, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Louis Jung, Bernard Laurent, Edouard Le Jeune, Bernard Lemarié, Georges Lombard, Jean Machet, Jean Madelain, Louis Mercier, Daniel Millaud, René Monory, Jacques Mossion, Dominique Pado, André Rabineau, Jean-Marie Rausch, Paul Séramy, Michel Souplet, René Tinant, Pierre Vallon, Albert Vecten, Louis Virapoullé, Frédéric Wirth, Marcel Daunay, Alfred Gérin, Roger Lise, Jean Amelin, Henri Belcour, Amédée Bouquerel, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Henri Collette, Charles de Cuttoli, Charles Descours, Philippe François, Adrien Gouteyron, Paul Kauss, Paul Malassagne, Michel Maurice-Bokanowski, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Pluchet, Michel Rufin, Louis Souvet, Jacques Valade, Philippe de Bourgoing, Henri Elby, Bernard Barbier, Roland du Luart, Serge Mathieu, Jean-Pierre Fourcade, Louis Boyer, Jacques Thyraud, Louis Lazuech, Jean-Pierre Tizon, Pierre-Christian Taittinger, Jean-Marie Girault, Jacques Ménard, sénateurs, et, d'autre part, par MM Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Philippe Séguin, Serge Charles, René La Combe, Régis Perbet, Alain Peyrefitte, Jean-Paul de Rocca-Serra, Michel Péricard, Pierre Bachelet.
Gérard Chasseguet, Roger Corrèze, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Didier Julia, Roland Nungesser, Camille Petit, Yves Lancien, Pierre Messmer, Daniel Goulet, Pierre-Charles Krieg, Roland Vuillaume, Emmanuel Aubert, Marc Lauriol, Robert-André Vivien, Hyacinthe Santoni, Pierre Mauger, Pierre Bas, Jacques Toubon, Jacques Marette, Jean Foyer, Olivier Guichard, Gabriel Kaspereit, Maurice Couve de Murville, Georges Gorse, Jean de Lipkowski, Pierre Godefroy, Jean-Paul Charié, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Godfrain, Etienne Pinte, René André, Robert Galley, Pierre-Bernard Cousté, Claude-Gérard Marcus, Michel Debré, Jean-Claude Gaudin, Victor Sablé, Pascal Clément, François d'Aubert, Jean Brocard, Michel d'Ornano, Jacques Barrot, Pierre Méhaignerie, Emmanuel Hamel, Charles Fèvre, Jean-Paul Fuchs, Georges Mesmin, Francis Geng, René Haby, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Roger Lestas, Olivier Stirn, Adrien Zeller, Philippe Mestre, Raymond Barre, Adrien Durand, Albert Brochard, Paul Pernin, Marcel Bigeard, Jean Rigaud, Francisque Perrut, Germain Gengenwin, Jean-Marie Caro, Claude Wolff, Gilbert Gantier, Charles Millon, Jean-Pierre Soisson, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative au prix de l'eau en 1984 ;

Le Conseil constitutionnel, Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

Sur la constitutionnalité des dispositions relatives à la fixation des prix hors taxes de l'eau potable distribuée :
Considérant que l'article 1er de la loi soumise au contrôle du Conseil constitutionnel décide que " les prix hors taxes de l'eau ne peuvent être supérieurs aux niveaux pratiqués au 31 décembre 1983 ou, à défaut, à la date antérieure la plus proche que dans les limites prévues par des accords conclus notamment avec les professionnels, ou, à défaut d'accord, par décret " ;
qu'ainsi, la loi institue un blocage des prix de l'eau pendant l'année 1984 auquel il ne peut être mis fin que par des accords conclus entre le Gouvernement et l'Association des maires de France auxquels adhéreraient individuellement les communes, ou par des accords individuels directs intervenus entre les communes ou les syndicats de communes et le Gouvernement, ou encore par des accords négociés entre le Gouvernement et le syndicat professionnel des distributeurs d'eau ;
que, par ailleurs, la loi dispose, d'une part, que ces accords "préciseront les normes d'évolution applicables en 1984 et, le cas échéant, les dispositions particulières permettant d'y déroger pour tenir compte de la création de services et d'installations ou pour des raisons de sécurité et de salubrité publique" et précise, d'autre part, que l'intervention directe du Gouvernement par décret ne peut avoir d'autre objet que de suppléer l'absence d'accord ;
Considérant qu'il résulte de l'analyse ci-dessus des termes de l'article 1er de la loi relative au prix de l'eau en 1984 que le législateur a d'abord posé le principe d'un blocage des prix, puis a retenu la possibilité de leur évolution dans le cadre d'une procédure nettement définie dont il délimite la portée ;
qu'ainsi, le principe d'une sujétion nouvelle aux collectivités locales n'est pas imputable au Gouvernement, mais procède de la loi ;
que, d'autre part, le pouvoir conféré au Gouvernement ne peut s'exercer que pendant une période limitée à une année, et qu'à titre subsidiaire si un accord de régulation n'a pu être conclu ;
que, dès lors, dans le cadre des limites de temps et de procédure ainsi tracées par la loi et compte tenu des exigences propres à un système de contrôle des prix, les dispositions de l'article 1er ne portent pas atteinte aux articles 34 et 72 de la Constitution ;
Considérant, enfin, qu'en admettant même que l'article 1er de la loi relative aux prix de l'eau pour 1984 soit de nature à compromettre l'application d'autres dispositions législatives et, notamment, de celles qui régissent l'équilibre financier de certains services communaux, cette circonstance est sans incidence sur la conformité dudit article à la Constitution ;
Sur la constitutionnalité des dispositions relatives au montant des surtaxes communales ou syndicales perçues à l'occasion des fournitures d'eau :
Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article 1er de la loi relative au prix de l'eau en 1984 que le montant des surtaxes communales ou syndicales est soumis aux mêmes dispositions que celles qui se rapportent aux prix hors taxes de l'eau potable distribuée ;
Considérant que ces surtaxes sont instituées uniquement dans le cas où le service de l'eau est exploité en affermage ;
qu'elles sont perçues, dans ce mode particulier de gestion, par la société fermière et reversées à la collectivité affermante qui finance les investissements ;
qu'ainsi ces surtaxes sont un élément constitutif du prix de l'eau correspondant à la part des charges d'investissement dans le coût global du produit distribué par le service et réparti entre les usagers ;
qu'il suit de là que ces surtaxes communales ou syndicales n'ont pas le caractère de taxes fiscales ou parafiscales ;
qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent les députés auteurs de la saisine, le législateur, en permettant à des accords conclus notamment entre le Gouvernement et les professionnels ou, à défaut, à un décret de fixer le taux des surtaxes dont il s'agit, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 34 de la Constitution qui réservent à la loi le pouvoir de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ;
Sur la constitutionnalité de la fixation du montant des redevances dues par les usagers :
Considérant que l'article 1er de la loi relative au prix de l'eau en 1984 ne dispose que pour "les redevances dues par les usagers et visées à l'article 75-III de la loi du 29 novembre 1965 portant loi de finances pour 1966" ;
qu'ainsi, le législateur a écarté du champ d'application de la loi les dispositions de l'article 75-II de la loi du 29 novembre 1965 qui astreignent les propriétaires, qui n'ont pas raccordé leur immeuble au réseau d'assainissement, au paiement d'une somme sans lien avec un service rendu ;
Considérant que si les sommes réclamées au titre de l'article 75-II de la loi du 29 novembre 1965 ont le caractère d'une taxe fiscale et si, de ce fait, les sommes recouvrées concurremment au titre des dispositions II et III de l'article 75 de la loi du 29 novembre 1965 ont également le caractère de taxe fiscale, il n'en va pas de même pour les sommes uniquement perçues au titre de l'article 75-III dès lors que leur assiette est directement liée au volume d'eau prélevé par l'usager du service d'assainissement et que leur produit est exclusivement affecté aux charges de fonctionnement et d'investissement du service ;
que ces particularités confèrent à l'élément de la redevance d'assainissement visé à l'article 75-III précité le caractère d'un prix versé en contrepartie d'un service rendu ;
que cet élément ne saurait par suite être classé parmi les impositions de toutes natures dont l'article 34 de la Constitution prévoit que le taux est fixé par le législateur ;
que, dès lors, contrairement à ce que soutiennent les députés auteurs de la saisine, les modalités de la fixation du taux de la redevance d'assainissement limitée à sa partie visée à l'article 75-III de la loi du 29 novembre 1965 ne sont pas contraires à l'article 34 de la Constitution ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'aucune des dispositions de l'article 1er de la loi relative au prix de l'eau en 1984 n'est contraire à la Constitution ;
qu'il en va de même pour les dispositions de l'article 2 et dernier de cette loi,

Décide :


ARTICLE 1ER :
La loi relative au prix de l'eau en 1984 est déclarée conforme à la Constitution.
ARTICLE 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
£7A1$Texte 60 sénateurs 1983-12-22
SAISINE SENATEURS :
La loi relative au prix de l'eau en 1984, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le mercredi 21 décembre 1983, tend à fixer les limites de l'évolution du prix de l'eau au cours de l'année qui vient.
Selon les informations recueillies auprès du Gouvernement par les commissions permanentes du Parlement qui ont étudié ce texte, le prix de l'eau pour 1984 ne pourrait augmenter de plus de 4,25 p 100.
Il s'agit là d'une décision réglementaire qui serait prise sur la base de la présente loi et qui met en péril de manière dangereuse l'équilibre des budgets des communes, dans la mesure où le taux d'inflation prévu par le Gouvernement pour 1984 s'élève à 5 p 100 et que le taux prévisible est encore supérieur. Celles-ci devront couvrir l'excédent de charges des régies directes ou indirectes qui assurent la mission de service public de distribution de l'eau.
Sur le plan institutionnel, le dispositif envisagé par le texte pour fixer le prix de l'eau est contraire à la loi du 2 mars 1982 et tend à réintroduire la tutelle sur les communes.
En vertu des articles 8 et suivants de la loi du 2 mars 1982, les budgets des communes doivent être votés et exécutés en équilibre, la chambre régionale des comptes étant compétente pour contrôler l'application de ce principe et imposer par voie d'injonction le rétablissement de l'équilibre des budgets communaux.
La présente loi aura pour effet de déséquilibrer les budgets communaux, de placer ainsi les collectivités locales en situation de violer les dispositions de la loi du 2 mars 1982 et donc de voir réintroduite la tutelle de l'Etat et de la chambre régionale des comptes.
Si une loi peut défaire ce qu'une autre loi a prévu, le pouvoir réglementaire ne le peut. Or l'article 1er de la présente loi qui vous est déférée prévoit que le prix de l'eau sera fixé par voie contractuelle entre les professionnels et les collectivités locales ou à défaut d'accord par décret.
Il ressort de votre jurisprudence :
1° Que du principe de libre administration des collectivités territoriales, prévu aux articles 72 et 34 de la Constitution, découle que sont de la compétence législative les questions relatives à leurs ressources et à leurs charges (Conseil constitutionnel, 19 novembre 1975) ;

2° Que seule la loi peut donc imposer aux collectivités locales des sujétions nouvelles (Conseil constitutionnel, 25 février 1982).
S'il est exact qu'à l'occasion de textes antérieurs au projet de loi la nécessité de maîtriser le prix de l'eau a conduit le législateur, et notamment dans la loi n° 77-1457 du 29 décembre 1977, à permettre au pouvoir réglementaire des mesures de blocage, ces textes ne portaient nullement atteinte aux principes constitutionnels d'autonomie et de libre administration des collectivités locales en tant qu'ils prévoyaient un dispositif selon lequel les communes pouvaient toujours dépasser les normes fixées par voie réglementaire dans le cas où l'augmentation des charges excéderait largement les hausses promises.
Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de bien vouloir déclarer non conformes aux dispositions de l'article 34 et de l'article 72 de la Constitution les mots :
"ou à défaut d'accord par décret", et les mots :
"ou le cas échéant les décrets", contenus dans l'article 1er de la loi qui vous est déférée, au motif qu'ils ont pour effet de permettre au pouvoir réglementaire d'accroître les charges des collectivités locales dans des conditions telles qu'il peut être porté atteinte à leur autonomie.
£7A2$Texte 60 députés 1983-12-22
SAISINE DEPUTES :
Les soussignés, députés à l'Assemblée nationale, défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative au prix de l'eau en 1984, qui a été adoptée définitivement par l'Assemblée nationale au cours de sa troisième séance du 21 décembre 1983 suivant la procédure prévue à l'article 45, alinéa 4, de la Constitution.
Ils concluent qu'il plaise au Conseil constitutionnel déclarer non conformes à la Constitution, et notamment à son article 34, les dispositions de ladite loi.
En effet, le texte déféré à la censure du Conseil constitutionnel ne concerne pas seulement, contrairement à ce que son texte donnerait à entendre, la limitation du prix de l'eau en 1984.
Il applique les mêmes règles de limitation à la redevance visée à l'article 75-III de la loi du 29 novembre 1965 portant loi de finances pour 1966 et aux surtaxes communales ou syndicales y afférentes. En 1984, ces redevances et surtaxes ne pourraient être supérieures à des limites prévues par des accords conclus "notamment (sic)" avec les professionnels, ou, à défaut, par décret. Ces accords ou, le cas échéant, les décrets préciseront les normes d'évolution applicables en 1984 et, le cas échéant, les dispositions particulières permettant d'y déroger.
La redevance d'assainissement a le caractère d'une taxe fiscale. Cette nature lui a été expressément reconnue par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982. La même nature appartient évidemment aux surtaxes communales ou syndicales afférentes à ladite redevance.
Or, aux termes de l'article 34 de la Constitution :
"la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature".
En conséquence, en déléguant, hors des termes de l'article 34 de la Constitution, le pouvoir de limiter le taux d'une taxe fiscale à un décret, et plus encore à des accords conclus notamment avec les professionnels, la disposition déférée a violé l'article 34 susvisé.
On ne saurait, pour justifier la disposition critiquée, tirer argument de la décision du 30 juillet 1982 précitée qui a jugé conforme à la Constitution l'article 1er de la loi sur les prix et les revenus, qui avait trait à la même redevance d'assainissement.
Cette décision, bien au contraire, contient la condamnation du texte déféré. En effet, pour déclarer conforme à la Constitution l'article 1er de la loi sur les prix et les revenus qui concernait le prix de l'eau, la décision n° 82-143 a retenu comme motif que c'était la loi elle-même qui, en son article 1er, limitait directement le taux de la redevance d'assainissement.
On s'explique difficilement qu'enseigné par la décision n° 82-143 le Gouvernement ait donné au projet déféré une rédaction aussi maladroite et aussi contraire à la Constitution et que l'Assemblée nationale ait adopté un pareil texte sans l'amender. Quoi qu'il en soit, par la délégation du pouvoir législatif qu'elle opère irrégulièrement, la loi déférée, qui a violé la Constitution, encourt la censure du Conseil constitutionnel.

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