Décision n°83-162 DC du 20-07-1983
A8073ACY
Référence
Publié au Journal officiel du 22 juillet 1983
Rec. p. 49
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 1er juillet 1983, d'une part, par MM Etienne Dailly, André Bohl, Alfred Gérin, Alphonse Arzel, Yves le Cozannet, Georges Lombard, Adolphe Chauvin, Maurice Prévoteau, Pierre Vallon, Auguste Chupin, Raoul Vadepied, Jean-Marie Bouloux, Marcel Lemaire, Pierre Salvi, André Rabineau, Jean Francou, Charles Bosson, Henri Le Breton, Paul Pillet, François Dubanchet, Daniel Hoeffel, Jacques Mossion, Roger Boileau, Jean Gravier, Marcel Daunay, Roger Poudonson, Pierre Lacour. Octave Bajeux, Paul Séramy, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, Jean Colin, Louis Jung, Jean-Marie Rausch, René Jager, Pierre Schiélé, René Tinant, Georges Treille, Raymond Bouvier, Edouard Le Jeune, Louis Virapoullé, Charles Ferrant, Raymond Poirier, Charles Zwickert, Jacques Genton, Charles Pasqua, François O Collet, Roger Romani, Henri Belcour, Georges Repiquet, Yvon Bourges, Edmond Valcin, Jean Chamant, Paul Kauss, Paul Malassagne, Adrien Gouteyron, Geoffroy de Montalembert, Jean Amelin, Henri Portier, Charles de Cuttoli, Pierre Carous, Marcel Fortier, Louis Souvet, Jean-François Le Grand, Sosefo Makape Papilio, Michel Alloncle, Marc Bécam, Michel Maurice-Bokanowski, Jacques Valade, Jean Natali. Jean Chérioux, Paul d'Ornano, Lucien Gautier, Jacques Chaumont, Jacques Delong, Bernard Hugo, Michel Giraud, Michel Chauty, Raymond Brun, Jacques Braconnier, Maurice Lombard, Philippe François, Henri Collette, Philippe de Bourgoing, Jacques Descours Desacres, Michel Miroudot, Louis Boyer, Jacques Ménard, Guy Petit, Louis de la Forest, Pierre-Christian Taittinger, Bernard Barbier, Guy de La Verpillière, Serge Mathieu, Frédéric Wirth, Roland Ruet, Jean Puech, Roland du Luart, Louis Lazuech, Marc Castex.
Jean-Pierre Fourcade, Pierre Louvot, Pierre Croze, Jean-Marie Girault, Jules Roujon, Michel d'Aillières, Louis Martin, Lionel Cherrier, Michel Crucis, Jean Bénard-Mousseaux, Jacques Larché, Jacques Pelletier, Paul Girod, Raymond Soucaret, Joseph Raybaud, André Morice, Jean-Pierre Cantegrit, Mme Brigitte Gros, MM Max Lejeune, Guy Besse, Jacques Moutet, Pierre Jeambrun, Henri Collard, sénateurs. Et d'autre part, par MM Claude Labbé, Jean Falala, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Marette, Philippe Séguin, Michel Barnier, Etienne Pinte, Jacques Toubon, Mme Hélène Missoffe, MM Emmanuel Aubert, Roger Corrèze, Gabriel Kaspereit, Jean-Louis Goasduff, Pierre Mauger, Bernard Pons, Marc Lauriol, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Robert-André Vivien, Bruno Bourg-Broc, Christian Bergelin, Michel Cointat, Roland Vuillaume, Jacques Godfrain, Michel Noir, Serge Charles, Claude-Gérard Marcus, Gérard Chasseguet, Pierre Gascher, Pierre-Charles Krieg, Jean de Lipkowski, Daniel Goulet, Jean-Louis Masson, Georges Tranchant, Camille Petit, Benjamin Brial, Didier Julia, Robert Wagner, Michel Debré, Yves Lancien, Jean-Paul de Rocca Serra, Alain Peyrefitte, Georges Gorse, Pierre Bachelet.
François Fillon, Charles Miossec, Jacques Lafleur, Jean Foyer, Jean-Claude Gaudin, Charles Millon, Pascal Clément, Michel d'Ornano, Jean Brocard, Philippe Mestre, Jean-Pierre Soisson, Gilbert Gantier, Jean Rigaud, Francisque Perrut, Roger Lestas, Jacques Fouchier, Jean Bégault, Yves Sautier, Jean Briane, Jean-Marie Caro, Olivier Stirn, René Haby, Jacques Dominati, Georges Mesmin, Jacques Proriol, Claude Wolff, Maurice Dousset, François d'Aubert, Alain Madelin, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la démocratisation du secteur public.
Le Conseil constitutionnel, Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu
Considérant que les députés et les sénateurs, respectivement auteurs des saisines par lesquelles la loi sur la démocratisation du secteur public est déférée au Conseil constitutionnel, font valoir à l'encontre des dispositions de cette loi des griefs tantôt communs à l'une et à l'autre saisines, tantôt propres à l'une d'elles ;
Sur les articles 1er à 4 relatifs au champ d'application de la loi :
Considérant que le champ d'application de la loi est défini par le titre 1er comprenant les articles 1 à 4 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi :
"Sont régies par les dispositions de la présente loi les entreprises suivantes :
"1° Etablissements publics industriels et commerciaux de l'Etat, autres que ceux dont le personnel est soumis à un régime de droit public ;
autres établissements publics de l'Etat qui assurent tout à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial lorsque la majorité de leur personnel est soumise aux règles du droit privé ;
"2° Sociétés mentionnées à l'annexe I de la présente loi ;
"3° Entreprises nationales, sociétés nationales, sociétés d'économie mixte ou sociétés anonymes dans lesquelles l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social ainsi que les sociétés à forme mutuelle nationalisées ;
"4° Sociétés anonymes dans lesquelles plus de la moitié du capital social est détenue, directement ou indirectement, depuis plus de six mois, à lui seul par l'un des établissements ou sociétés mentionnés au présent article, et dont le nombre de salariés employés en moyenne au cours des vingt-quatre derniers mois est au moins égal à 200 ;
"5° Autres sociétés anonymes dans lesquelles plus de la moitié du capital social est détenue, directement ou indirectement, depuis plus de six mois, conjointement par l'Etat, ses établissements publics ou les sociétés mentionnés au présent article et dont le nombre de salariés employés en moyenne au cours des vingt-quatre derniers mois et au moins égal à 200" ;
Considérant que les articles 2 et 3 de la loi ont pour objet d'exclure la prise en compte pour le calcul de la majorité du capital social visée aux 4 et 5 de l'article 1er de certaines participations ou actions ;
Considérant que l'article 4 de la loi dispose :
"Les établissements publics et sociétés mentionnés aux 1 et 3 de l'article 1er dont le nombre de salariés employés en moyenne au cours des vingt-quatre derniers mois est inférieur à 200 et qui ne détiennent aucune filiale au sens du 4 de l'article 1er, ainsi que les établissements publics et sociétés énumérés à l'annexe II de la présente loi, sont exclus du champ d'application des dispositions du chapitre Ier du titre II.
Toutefois, les conseils d'administration ou de surveillance de ces établissements publics et sociétés comprennent des représentants des salariés élus dans les conditions prévues au chapitre II. Un décret fixe le nombre de ces représentants ;
il peut prévoir, si les spécificités de l'entreprise le justifient, la représentation de catégories particulières de salariés au moyen de collèges électoraux distincts. Les dispositions du chapitre III sont applicables à tous les représentants des salariés. En outre les établissements et entreprises publics énumérés à l'annexe III de la présente loi sont exclus du champ d'application de l'ensemble des dispositions du titre II" ;
En ce qui concerne les 4 et 5 de l'article 1er :
Considérant qu'il est reproché aux dispositions des 4 et 5 de l'article 1er, par les sénateurs auteurs de l'une des saisines, d'avoir inclus dans le champ d'application de la loi non seulement les entreprises publiques proprement dites dans lesquelles l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social, et qui sont visées au 3 de l'article 1er, mais encore des sociétés dont la majorité du capital social n'est aux mains de la puissance publique que de façon indirecte ;
Considérant que la détermination du champ d'application d'une loi est, dans le respect de la Constitution, librement opérée par le législateur lui-même ;
Considérant que, sans doute, il convient de réserver le point de savoir si chacune des prescriptions de la loi est conforme à la Constitution à l'égard de chacune des catégories d'entreprise ou de chacune des entreprises entrant dans le champ d'application ainsi défini ;
que cet examen résultera de l'analyse des critiques dirigées par les auteurs des saisines contre les dispositions des titres II, III et IV de la loi et du jugement qu'appellent ces critiques ;
Considérant qu'ainsi les dispositions des 4 et 5 de l'article 1er de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;
En ce qui concerne le 2 de l'article 1er, l'article 4 et les annexes I, II et III de la loi :
Considérant que les députés et les sénateurs respectivement auteurs de chacune des deux saisines font valoir qu'après avoir donné du champ d'application de la loi des critères généraux, le législateur y a dérogé, soit en incluant dans ce champ, aux termes du 2 de l'article 1er, des entreprises nominativement désignées dans une annexe I et ne répondant pas à ces critères généraux, soit en en excluant, au moins partiellement, aux termes de l'article 4, d'autres entreprises répondant à ces critères généraux et nominativement désignées dans les annexes II et III ;
Considérant que, toutes les dispositions législatives ayant la même force juridique, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur, après avoir adopté une règle générale, d'y faire exception ou d'y déroger fût-ce par voie de disposition particulière ;
Considérant cependant que ce pouvoir du législateur trouve ses limites dans le respect du principe d'égalité ;
que, précisément, les auteurs de l'une et l'autre saisines font valoir que les dérogations apportées au critère général définissant le champ d'application de la loi, par le 2 de l'article 1er renvoyant à l'annexe I et par l'article 4 renvoyant aux annexes II et III, seraient contraires à ce principe ;
que ces dérogations conduiraient à des inégalités contraires à la Constitution au détriment de certaines entreprises, de leurs actionnaires et de leurs salariés ;
Considérant que l'inclusion dans le champ d'application de la loi des entreprises visées par le 2 de l'article 1er renvoyant à la liste de l'annexe I n'enfreindrait le principe d'égalité que s'il était établi que ces entreprises ne présentent pas de caractéristiques particulières les différenciant objectivement des sociétés du secteur non public ;
qu'au contraire, il apparaît que, concrètement, ces sociétés ne peuvent être regardées comme identiques ou analogues aux sociétés commerciales du secteur privé ;
Considérant que l'exclusion partielle du champ d'application de la loi des entreprises visées à l'article 4 et aux annexes II et III ne serait contraire au principe d'égalité que si ces entreprises ne présentaient point de caractéristiques particulières par rapport à celles auxquelles la loi est totalement applicable ;
qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne s'opposait à ce que le législateur module les effets de la loi en tenant compte, par exemple, du nombre de salariés des entreprises considérées, des équilibres déjà établis dans certaines entreprises entre les intérêts locaux, professionnels ou catégoriels, de la spécificité de certaines activités, des engagements précédemment pris par l'Etat ;
Considérant, enfin, de façon générale qu'avant même le vote de la présente loi, le secteur public constituait un ensemble divers et complexe, de telle sorte que l'emploi de critères généraux définissant ce secteur et de règles générales s'y appliquant devait nécessairement s'accompagner de dérogations et d'exceptions qui, loin d'être contraires au principe d'égalité, permettaient de traiter de façon spécifique des situations différentes ne pouvant entrer dans un cadre uniforme ;
En ce qui concerne la deuxième phrase de l'alinéa 2 de l'article 4 :
Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines soutiennent que la deuxième phrase de l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi est contraire à l'article 34 de la Constitution ;
Considérant qu'après avoir, dans son alinéa 1er, exclu du champ d'application des dispositions du chapitre Ier du titre II certaines entreprises, l'article 4 précité, dans son alinéa 2, prévoit que leurs conseils d'administration ou de surveillance comprendront obligatoirement des représentants des salariés ;
que le début de la deuxième phrase de l'alinéa 2 dispose :
"Un décret fixe le nombre de ces représentants " ;
Considérant que la fixation de l'importance de la représentation des salariés met en cause des principes fondamentaux touchant soit au droit du travail, soit aux obligations civiles et commerciales que l'article 34 de la Constitution réserve à la loi ;
qu'il n'était donc pas loisible au législateur d'abandonner totalement au pouvoir discrétionnaire du Gouvernement cette fixation ;
que, par suite, doit être déclaré contraire à la Constitution le membre de la deuxième phrase de l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi ainsi conçu :
"Un décret fixe le nombre de ces représentants" ;
que la suite de la phrase, rédigée comme suit :
"il peut prévoir, si les spécificités de l'entreprise le justifient, la représentation de catégories particulières de salariés au moyen de collèges électoraux distincts", qui ne comporte en elle-même aucun chef d'inconstitutionnalité, n'est qu'une disposition accessoire de celle contenue dans les premiers mots de la phrase dont elle ne saurait être séparée ;
que, pour cette raison, elle est atteinte par la déclaration d'inconstitutionnalité qui concerne la disposition principale contenue au début de phrase ;
Sur le principe de la représentation des salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance, posé par les articles 5 et 6 de la loi :
Considérant que les articles 5 et 6 de la loi présentement examinée déterminent la composition des conseils d'administration ou de surveillance des entreprises entrant dans le champ d'application de la loi ;
qu'il ressort de ces dispositions que tous les conseils d'administration ou de surveillance desdites entreprises comportent des représentants des salariés élus par ces derniers ;
Considérant que les sénateurs auteurs de l'une des deux saisines contestent, dans son principe même, la représentation des salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance des sociétés commerciales comprenant des actionnaires privés et entrant dans le champ d'application de la loi ;
qu'ils soutiennent que les dispositions imposant dans ces conseils la présence de représentants élus des salariés portent atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre et doivent donc être déclarées non conformes à la Constitution ;
Considérant qu'au soutien de ce grief, la saisine fait valoir que "la propriété d'une action, à la différence des obligations, confère en effet à son titulaire le droit de participer à la vie de la société, principalement par la désignation ou la révocation de ses dirigeants" et que, de façon générale, "le droit de vote est un attribut essentiel de l'action" ;