ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
18 juillet 2013 (*)
" Manquement d'État - Liberté d'établissement - Article 49 TFUE - Article 31 de l'accord EEE - Restrictions - Législation fiscale - Transfert d'actifs vers un autre État membre - Imposition immédiate des plus-values latentes "
Dans l'affaire C-261/11,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 258 TFUE, introduit le 26 mai 2011,
Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et N. Fenger, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Royaume de Danemark, représenté par M. C. Vang et Mme V. Pasternak Jørgensen, en qualité d'agents,
partie défenderesse,
soutenu par :
République fédérale d'Allemagne, représentée par Mme K. Petersen et M. T. Henze, en qualité d'agents,
Royaume d'Espagne, représenté par M. A. Rubio González, en qualité d'agent,
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes C. Schillemans et C. Wissels ainsi que par M. J. Langer, en qualité d'agents,
République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes, en qualité d'agent,
République de Finlande, représentée par Mme M. Pere, en qualité d'agent,
Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk et U. Persson, en qualité d'agents,
parties intervenantes,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. Ilesic, président de chambre, MM. E. Jarasiunas, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader et M. C. G. Fernlund (rapporteur), juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme C. Strömholm, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 27 février 2013,
vu la décision prise, l'avocat général entendu, de juger l'affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1. - Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur l'article 8, paragraphe 4, de la loi sur l'imposition des sociétés par actions e.a. (lovbekendtgørelse nr. 1376 om indkomstbeskatning af aktieselskaber m.v.), du 7 décembre 2010, (ci-après la " loi relative à l'impôt sur les sociétés "), relative à l'imposition immédiate des revenus des sociétés par actions et applicable en cas de transfert d'actifs d'une société vers un autre État membre, alors que les transferts d'actifs similaires à l'intérieur des frontières ne sont pas imposés, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 TFUE et 31 de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l' " accord EEE ").
Le cadre juridique
2. - L'article 7 A de la loi relative à l'impôt sur les sociétés énonce :
" Une entreprise établie au Danemark n'est considérée comme ayant cessé ses activités qu'après avoir cédé son stock de marchandises, son outillage, son matériel d'exploitation et son équipement. "
3. - L'article 8, paragraphe 4, de cette loi dispose :
" Le transfert d'éléments d'actif et de passif non préalablement soumis à l'impôt danois, réalisé au sein de la société vers un établissement stable ou un siège situé au Danemark, est assimilé à une acquisition par une société apparentée. L'article 8 B s'applique mutatis mutandis. Le transfert d'éléments d'actif et de passif qui ne sont plus soumis à l'impôt danois après ledit transfert, réalisé au sein de la société vers un établissement stable ou un siège situé à l'étranger, dans les Îles Féroé ou au Groenland, est assimilé à une vente à une société apparentée pour un montant correspondant à la valeur vénale à la date du transfert. "
La procédure précontentieuse
4. - La Commission a adressé au Royaume de Danemark une lettre de mise en demeure le 23 septembre 2008 et une lettre de mise en demeure complémentaire le 26 juin 2009, dans lesquelles elle indiquait que la législation danoise en cause était incompatible avec les articles 43 du traité CE et 31 de l'accord EEE.
5. - Dans ses réponses des 11 novembre 2008 et 24 août 2009, le Royaume de Danemark a contesté la position de la Commission.
6. - Le 22 mars 2010, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle a réitéré et précisé sa position.
7. - Le Royaume de Danemark ayant, dans sa réponse du 10 mai 2010, maintenu que cette position était erronée, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
La procédure devant la Cour
8. - Par ordonnance du président de la Cour du 25 octobre 2011, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, le Royaume des Pays-Bas, la République portugaise, la République de Finlande et le Royaume de Suède ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Royaume de Danemark.
Sur le recours
Argumentation des parties
9. - La Commission soutient que l'article 8, paragraphe 4, de la loi relative à l'impôt sur les sociétés, qui oblige une entreprise à acquitter immédiatement un impôt sur la plus-value latente afférente à des actifs transférés dans un État membre de l'Union européenne autre que le Royaume de Danemark ou dans un État tiers partie à l'accord EEE, constitue une entrave à la liberté d'établissement consacrée aux articles 49 TFUE et 31 de cet accord. Elle invoque à cet égard l'arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, non encore publié au Recueil).
10. - Le Royaume de Danemark ne conteste pas que l'inégalité de traitement fiscal en cause, entre les transferts d'actifs internes et les transferts d'actifs transfrontaliers, constitue une restriction à la liberté d'établissement. Toutefois, cet État membre fait valoir que cette différence de traitement fiscal est justifiée par l'objectif visant à assurer une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition et à éviter une redistribution arbitraire de l'assiette de l'impôt danois sur les sociétés à d'autres États membres.
11. - La Commission reconnaît que cet objectif peut justifier une restriction à la liberté d'établissement et que l'imposition à la sortie des plus-values latentes constitue un moyen adapté d'atteindre ledit objectif. Elle estime toutefois que les moyens mis en uvre par le Royaume de Danemark ne sont pas proportionnés à l'objectif poursuivi, dans la mesure où ils excluent toute possibilité de recouvrement différé de l'impôt.
12. - Le Royaume de Danemark soutient que, dans l'arrêt National Grid Indus, précité, la Cour n'a pas pris position sur le point de savoir s'il est proportionné de recouvrer, au moment du transfert, l'impôt sur les plus-values latentes générées par des actifs autres que financiers. Cet État membre, soutenu sur ce point par l'ensemble des autres États membres qui sont intervenus à la procédure, fait valoir qu'il existe une différence déterminante entre, d'une part, les actifs utilisés pour les besoins de l'activité de l'entreprise et, d'autre part, les actifs financiers. D'une manière générale, la valeur des premiers diminuerait à mesure qu'ils sont utilisés, s'agissant notamment des actifs d'exploitation, qui se déprécient au cours du temps, ou des actifs incorporels, dont la validité est limitée dans le temps.
13. - Ledit État membre considère que, si les entreprises pouvaient reporter l'imposition d'actifs utilisés pour les besoins de l'entreprise jusqu'à leur aliénation, elles pourraient éviter de payer l'impôt, dès lors que de tels actifs sont souvent utilisés jusqu'à ce que, par usure ou par obsolescence, ils n'aient plus de valeur comptable ou que leur valeur comptable soit inférieure au montant de l'impôt dû sur le décompte final.
14. - Le Royaume de Danemark fait valoir qu'un report de l'obligation de payer l'impôt sur les plus-values latentes afférentes à des actifs non financiers jusqu'à leur aliénation ne permettrait pas d'atteindre l'objectif d'intérêt général qui commande de répartir le pouvoir d'imposition de façon équilibrée entre les États membres et d'éviter une redistribution arbitraire de l'assiette de l'impôt à d'autres États membres.
15. - En outre, le Royaume de Danemark soutient qu'il n'existe pas d'autres moyens, moins radicaux, permettant d'atteindre cet objectif de façon satisfaisante. Il estime qu'un système d'échelonnement, correspondant au rythme d'amortissement fiscal des actifs ou à leur durée de validité résiduelle, ne pourrait correspondre aux périodes d'imposition auxquelles doivent se soumettre les sociétés qui restent établies dans l'État membre concerné. Ces dernières seraient donc placées dans une situation moins favorable que celle d'une société qui transfère son activité à l'étranger.
16. - Le Royaume de Danemark ajoute qu'un tel système d'échelonnement ne pourrait être introduit que dans le cadre d'une harmonisation des règles d'imposition directe à la sortie en cas de transfert d'actifs d'entreprises entre États membres. En l'absence d'une telle harmonisation, les États membres demeureraient libres d'édicter leurs propres règles de perception de l'impôt, pour autant qu'elles sont conçues pour satisfaire une préoccupation impérieuse d'intérêt général et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin.
17. - Le Royaume de Danemark estime également qu'un tel régime d'échelonnement donnerait lieu à de nombreux litiges, dans lesquels les entreprises ne manqueraient pas de poser la question de la conformité des systèmes d'échelonnement à l'exigence de proportionnalité.
18. - Subsidiairement, le Royaume de Danemark soutient que les États membres sont en droit d'exiger le paiement d'intérêts sur le montant de l'impôt établi sur la plus-value, ainsi qu'une garantie bancaire, à partir du moment où les actifs quittent leur territoire et jusqu'au paiement de l'impôt.
19. - La Commission considère qu'il ne serait pas conforme à l'exigence de proportionnalité d'exiger une garantie bancaire ou le paiement d'intérêts, lorsque l'entreprise demeure établie sur le territoire danois. Cette dernière continuerait ainsi à relever de la compétence fiscale du Royaume de Danemark, de telle sorte qu'il n'existerait pas de risque réel de non-recouvrement de l'impôt.
20. - La Commission et le Royaume de Danemark s'accordent pour reconnaître que l'article 31 de l'accord EEE doit être interprété de la même manière que l'article 49 TFUE.
21. - En revanche, le Royaume d'Espagne et le Royaume de Suède soulignent qu'il n'existe pas entre les États parties à l'accord EEE de dispositions relatives à l'assistance mutuelle en matière fiscale correspondant à celles prévues par les directives 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO L 64 p. 1), ainsi que 2010/24/UE du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures (JO L 84, p. 1).
22. - Ces deux États membres ajoutent qu'il n'existe pas de convention entre le Royaume de Danemark et la Principauté de Liechtenstein en matière d'assistance pour l'échange de renseignements et le recouvrement de créances fiscales. Toutefois, le Royaume de Suède admet que la convention 37/1991 d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signée à Copenhague le 7 décembre 1989, lie le Royaume de Danemark, notamment, à la République d'Islande et au Royaume de Norvège.
23. - Dans ces conditions, s'agissant de l'entrave à la liberté d'établissement consacrée à l'article 31 de l'accord EEE, le Royaume d'Espagne et le Royaume de Suède soutiennent que l'exigence d'un recouvrement de l'impôt au moment de la sortie d'actifs doit être considérée comme justifiée par la nécessité de préserver l'efficacité des contrôles fiscaux et d'assurer la préservation de la répartition du pouvoir d'imposition entre les États membres.
Appréciation de la Cour
24. - La Commission reproche au Royaume de Danemark de réserver aux plus-values latentes, en cas de transfert d'actifs d'une société vers un autre État membre, un traitement fiscal défavorable par rapport à celui qui est applicable aux transferts similaires effectués à l'intérieur du territoire danois. Ainsi, le transfert des actifs d'une entreprise aux fins de leur utilisation en dehors du Danemark est considéré comme une vente et imposé en conséquence, alors qu'une entreprise transférant des actifs entre ses différents sièges sur le territoire national n'est considérée comme ayant cessé ses activités que lors de la vente effective des actifs concernés et n'est pas imposée sur la valeur de ces actifs dans le cadre du transfert de ceux-ci. Cette différence de traitement serait, selon la Commission, une restriction à la liberté d'établissement. La réglementation danoise méconnaîtrait ainsi les dispositions des articles 49 TFUE et 31 de l'accord EEE.
Sur la violation de l'article 49 TFUE
25. - Il convient de rappeler que l'article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d'établissement. Cette liberté comprend, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union, le droit d'exercer leur activité dans d'autres États membres par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence (voir arrêts du 23 octobre 2008, Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt, C-157/07, Rec. p. I-8061, point 28, et du 25 février 2010, X Holding, C-337/08, Rec. p. I-1215, point 17).
26. - Même si, selon leur libellé, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d'établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l'État membre d'accueil, elles s'opposent également à ce que l'État membre d'origine entrave l'établissement dans un autre État membre de l'un de ses ressortissants ou d'une société constituée en conformité avec sa législation (arrêts National Grid Indus, précité, point 35, et du 25 avril 2013, Commission/Espagne, C-64/11, point 25).
27. - Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d'établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de cette liberté (arrêt National Grid Indus, précité, point 36 et jurisprudence citée).
28. - À cet égard, la liberté d'établissement est applicable aux transferts d'activités d'une société du territoire d'un État membre vers un autre État membre, et cela indépendamment de la question de savoir si la société en question transfère son siège statutaire et sa direction effective hors de ce territoire ou si elle transfère des actifs d'un établissement stable situé sur ledit territoire vers un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Commission/Portugal, C-38/10, non encore publié au Recueil, point 23).
29. - Or, force est de constater que l'article 8, paragraphe 4, de la loi relative à l'impôt sur les sociétés constitue une entrave à la liberté d'établissement étant donné qu'une société établie au Danemark, qui transfère des actifs à l'étranger, dans les Îles Féroé ou au Groenland, est imposée sur les plus-values latentes, alors qu'un transfert similaire au Danemark ne donne pas lieu à l'imposition.
30. - Le Royaume de Danemark ne conteste d'ailleurs pas le fait que, en cas de transfert d'actifs, réalisé par une société établie au Danemark, vers un autre État membre, une telle société est financièrement pénalisée par rapport à une société qui effectue un transfert similaire à l'intérieur du territoire danois. Or, cette différence de traitement est de nature à décourager une société établie au Danemark de transférer ses actifs du territoire danois vers un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt Commission/Portugal, précité, point 28).
31. - Cette différence de traitement ne s'explique pas par une différence de situation objective. En effet, à l'égard d'une réglementation d'un État membre visant à imposer les plus-values générées sur son territoire, la situation d'une société qui transfère ses actifs vers un autre État membre est, pour ce qui concerne l'imposition des plus-values qui ont été générées dans le premier État membre antérieurement auxdites opérations, analogue à celle d'une société limitant ces opérations au territoire national (voir, en ce sens, arrêt Commission/Portugal, précité, point 29).
32. - En ce qui concerne l'existence d'une éventuelle justification de la restriction à la liberté d'établissement ainsi constatée et le caractère proportionné de celle-ci, la Cour a jugé, en substance, qu'une réglementation d'un État membre qui impose, dans tous les cas, le recouvrement immédiat de l'imposition sur les plus-values latentes afférentes à des éléments de patrimoine d'une société transférant son siège de direction effective dans un autre État membre, au moment même dudit transfert, est disproportionnée par rapport à l'objectif relatif à la préservation de la cohérence fiscale (voir, en ce sens, arrêt National Grid Indus, précité, points 73 et 85).
33. - Toutefois, le Royaume de Danemark fait valoir que la position adoptée par la Cour dans l'arrêt National Grid Indus, précité, suppose que les actifs transférés seront effectivement réalisés. En revanche, lorsque cette imposition des plus-values latentes est générée par des actifs qui n'ont pas vocation à être réalisés consécutivement à leur transfert, il serait proportionné à l'objectif poursuivi, consistant à assurer la préservation de la répartition du pouvoir d'imposition entre les États membres, d'exiger le recouvrement de l'imposition au moment où une société transfère ses actifs vers un autre État membre.
34. - Par ailleurs, le Royaume de Danemark soutient que, en l'absence d'une harmonisation des règles d'imposition en cas de transfert d'actifs entre États membres, il n'existe pas d'autres moyens, moins radicaux, permettant d'atteindre cet objectif de manière satisfaisante.
35. - À titre liminaire, il convient de constater que la portée du principe énoncé dans l'arrêt National Grid Indus, précité, n'est pas limitée aux plus-values latentes constituées sur le territoire d'un État membre et réalisées après le transfert de l'actif dans un autre État membre (voir arrêt National Grid Indus, précité, points 68 et 70).
36. - En outre, il importe de souligner que, dès lors que le montant de l'impôt sur les plus-values latentes afférentes aux actifs est déterminé définitivement au moment où une société transfère ces actifs vers un autre État membre, la circonstance que certains desdits actifs puissent ne pas être cédés après leur transfert dans l'État d'accueil n'a pas, en elle-même, pour effet de priver l'État d'origine de la possibilité de recouvrer ledit montant.
37. - En effet, les États membres étant en droit d'imposer les plus-values qui ont été générées alors que les actifs en cause se trouvaient sur leur territoire ont le pouvoir de prévoir, pour cette imposition, un fait générateur autre que la cession effective, afin de garantir l'imposition des actifs qui ne sont pas destinés à être cédés, et moins attentatoire à la liberté d'établissement que le prélèvement au moment du transfert.
38. - La circonstance que des solutions choisies dans d'autres États membres puissent être différentes de celle que le Royaume de Danemark est susceptible de retenir est sans incidence sur la possibilité, pour celui-ci, de percevoir, après le transfert d'un actif dans un autre État membre, l'impôt sur les plus-values latentes afférentes à ces actifs, dès lors que l'établissement définitif du montant de l'impôt est déterminé au moment dudit transfert.
39. - Enfin, l'argument du Royaume de Danemark consistant à soutenir que le pouvoir discrétionnaire dont disposent les États membres ne manquera pas de donner lieu à un grand nombre de litiges ne saurait justifier la restriction en cause.
40. - Il s'ensuit que le grief de la Commission, tiré de la violation de l'article 49 TFUE, est fondé, dans la mesure où il concerne le transfert d'actifs, réalisé par une société établie au Danemark, vers un autre État membre.
Sur la violation de l'article 31 de l'accord EEE
41. - La Commission et le Royaume de Danemark s'accordent pour reconnaître que l'article 31 de l'accord EEE doit être interprété de la même manière que l'article 49 TFUE. Pour leur part, le Royaume d'Espagne et le Royaume de Suède soutiennent que le recouvrement de l'impôt sur les plus-values latentes, au moment où une société transfère des actifs vers l'un des trois États tiers parties à l'accord EEE, peut être justifié en l'absence d'actes juridiques et d'accords adéquats entre le Royaume de Danemark et ces trois États, portant sur l'échange d'informations et l'assistance mutuelle en matière de recouvrement de créances.
42. - Il y a lieu de relever, à cet égard, que les règles interdisant des restrictions à la liberté d'établissement énoncées à l'article 31 de l'accord EEE sont identiques à celles qu'impose l'article 49 TFUE. La Cour a ainsi précisé que, dans le domaine considéré, les règles édictées par l'accord EEE et celles qui le sont par le traité FUE doivent faire l'objet d'une interprétation uniforme (arrêt Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt, précité, point 24 et jurisprudence citée).
43. - Ainsi, la liberté d'établissement comprend, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre ou avec celle d'un État tiers partie à l'accord EEE et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement au sein de l'Union ou d'un État tiers partie à cet accord, le droit d'exercer leur activité dans d'autres États membres ou dans d'autres États tiers parties audit accord par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence (voir, en ce sens, arrêt Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt, précité, point 28 et jurisprudence citée).
44. - Toutefois, la jurisprudence de l'Union qui porte sur des restrictions à l'exercice des libertés de circulation au sein de l'Union ne saurait être intégralement transposée aux libertés garanties par l'accord EEE, dès lors que l'exercice de ces dernières s'inscrit dans un contexte juridique différent (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, A, C-48/11, non encore publié au Recueil, point 34).
45. - En l'espèce, pour les motifs exposés aux points 25 à 30 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que l'article 8, paragraphe 4, de la loi relative à l'impôt sur les sociétés constitue une entrave à la liberté d'établissement garantie par l'article 31 de l'accord EEE.
46. - Se pose néanmoins la question de savoir si, eu égard au contexte juridique dans lequel s'inscrit l'accord EEE, une telle restriction à la liberté d'établissement est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général tenant à la nécessité de garantir un recouvrement efficace de l'impôt. Il importe donc de vérifier si cette restriction est propre à garantir la réalisation de l'objectif ainsi poursuivi et si elle n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (voir arrêt Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt, précité, point 40).
47. - À cet égard, il y a lieu de constater que, en l'espèce, l'article 8, paragraphe 4, de la loi relative à l'impôt sur les sociétés est applicable aux transferts d'actifs d'un établissement stable d'une société située sur le territoire danois. Il s'ensuit qu'une telle société demeure soumise à la compétence générale d'imposition du Royaume de Danemark. Le transfert d'actifs n'a donc pas d'incidence sur les possibilités dont cet État membre dispose pour exiger de l'entreprise concernée qu'elle lui fournisse les renseignements nécessaires à l'établissement de l'impôt, ainsi que pour faire exécuter lui-même sa créance si cette entreprise ne s'acquitte pas volontairement de la somme dont elle est redevable. Le recouvrement de l'impôt sur les plus-values latentes ne nécessite donc pas, dans ces hypothèses, de recourir à un mécanisme d'assistance fiscale faisant intervenir les États tiers parties à l'accord EEE. Par conséquent, il y a lieu de considérer que, dans de telles hypothèses, la restriction à la liberté d'établissement consacrée à l'article 31 de l'accord EEE, découlant de l'article 8, paragraphe 4, de cette loi, ne saurait être considérée comme justifiée.
48. - Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'il convient de constater que, en adoptant et en maintenant en vigueur l'article 8, paragraphe 4, de la loi relative à l'impôt sur les sociétés, et, partant, un régime fiscal qui prévoit la taxation immédiate des plus-values latentes afférentes à un transfert d'actifs, réalisé par une société établie au Danemark, vers un autre État membre de l'Union ou vers un État tiers partie à l'accord EEE, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 TFUE et 31 de cet accord.
Sur les dépens
49. - En vertu de l'article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Danemark et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
50. - L'article 140, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, le Royaume des Pays-Bas, la République portugaise, la République de Finlande et le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :
1) En adoptant et en maintenant en vigueur l'article 8, paragraphe 4, de la loi sur l'imposition des sociétés par actions e.a. (lovbekendtgørelse nr. 1376 om indkomstbeskatning af aktieselskaber m.v.), du 7 décembre 2010, relative à l'imposition immédiate des revenus des sociétés par actions et, partant, un régime fiscal qui prévoit la taxation immédiate des plus-values latentes afférentes à un transfert d'actifs, réalisé par une société établie au Danemark, vers un autre État membre de l'Union européenne ou vers un État tiers partie à l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992, le Royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 TFUE et 31 de cet accord.
2) Le Royaume de Danemark est condamné aux dépens.
3) La République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, le Royaume des Pays-Bas, la République portugaise, la République de Finlande et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure : le danois.