Arrêt n°
du 19/10/2022
N° RG 21/02222
MLS/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 19 octobre 2022
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 7 décembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Commerce (n° F 21/00032)
SARL ADIDAS FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocats au barreau de STRASBOURG
INTIMÉE :
Madame [T] [G]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par la SELARL IFAC, avocats au barreau de l'AUBE
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des
articles 805 et 907 du code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été débattue le 7 septembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 19 octobre 2022.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Isabelle FALEUR, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé des faits :
Madame [T] [G] a été salariée de la S.A.R.L. ADIDAS depuis le 1er septembre 1991 jusqu'au 22 juillet 2020, date de la rupture conventionnelle du contrat de travail.
Le 3 février 2021, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Troyes de demandes tendant à :
- faire annuler l'homologation tacite de la rupture conventionnelle du 22 juillet 2020,
- faire condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
. 7 307,82 euros de rappel de salaire du 8 janvier au 30 juillet 2020,
. 730,78 euros de congés payés afférents,
. 4 015,86 euros d'indemnité compensatrice de préavis,
. 400,59 euros de congés payés afférents,
. 17'904,04 euros d'indemnité légale de licenciement,
. 48'158,60 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 2 500,00 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
En réplique, l'employeur a conclu au débouté et à titre subsidiaire à la limitation du rappel de salaire à la somme de 5 753,00 euros bruts.
Par jugement du 7 décembre 2021, le conseil de prud'hommes :
- a déclaré la salariée recevable et partiellement fondée en ses demandes,
- a annulé l'homologation tacite de la rupture conventionnelle du 22 juillet 2020,
- a qualifié la rupture du contrat de travail de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- a condamné la société employeur à verser à la salariée les sommes suivantes :
. 48'158,60 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 788,98 euros au titre des salaires du 8 au 16 janvier 2020,
. 70,90 euros de congés payés afférents,
. 4 015,86 euros au titre du préavis,
. 401,59 euros de congés payés afférents,
. 1 000,00 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- a débouté la société employeur de sa demande reconventionnelle au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- a débouté la salariée du surplus de ses demandes,
- a condamné l'employeur aux dépens.
Le 14 décembre 2021, la SARL ADIDAS a régulièrement interjeté appel du jugement, sauf en ce qu'il a débouté la salariée de certaines de ses demandes.
Aux termes de ses écritures du 27 avril 2022, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement sur la rupture du contrat de travail, sur les dommages-intérêts, sur l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de congés payés afférents.
À titre subsidiaire, elle demande de limiter le rappel de salaire à la somme de 788,98 euros bruts et les dommages-intérêts à la somme de 6 024,00 euros.
Elle sollicite la condamnation de la salariée à lui payer la somme de 3 000,00 euros sur le fondement l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Au soutien de ses prétentions, elle fait observer que contrairement aux allégations de la partie intimée, elle a bien demandé infirmation du jugement en ce que le conseil de prud'hommes a fait peser sur elle un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la rupture du contrat de travail, elle rappelle que l'administration du travail n'a pas refusé l'homologation mais a déclaré la demande irrecevable de sorte qu'elle a été complétée sans qu'il ne soit nécessaire de reprendre la procédure ; que néanmoins, un entretien a eu lieu avec la salariée sans que cela ne corresponde à un deuxième entretien en vue de la rupture conventionnelle ; que la rupture conventionnelle n'est pas nulle.
Elle conteste l'existence d'un vice du consentement de la salariée en notant que celle-ci a eu toutes les informations nécessaires pour contracter, et a bénéficié d'un délai de rétractation qu'elle n'a pas mis à profit pour dénoncer la convention.
Sur le quantum des dommages-intérêts, elle sollicite une limitation en arguant d'une absence de justificatifs du préjudice lié à la rupture.
En outre, elle conteste le rappel de salaire en affirmant que la salariée réclame des salaires pour une période au cours de laquelle elle a refusé de travailler dans les conditions préconisées par le médecin du travail et sans justificatif d'arrêt de travail.
La salariée intimée demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société employeur à lui payer la somme de 788,98 euros au titre des salaires, outre 70,90 euros à titre de congés payés et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité légale de licenciement.
Elle sollicite condamnation de la société à lui payer les sommes suivantes :
- 7 307,82 euros à titre de rappels de salaires pour la période de janvier à juillet 2020,
- 703,78 euros d'indemnité d'indemnité compensatrice de congés payés
- 426,74 euros de rappel d'indemnités journalières sur la période du 10 février au 21 mars 2020,
-16'997,40 euros d'indemnité de licenciement,
-3 000,00 euros sur le fondement l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Au soutien de ses prétentions, elle note que la saisine de la cour est limitée à la nullité de la rupture conventionnelle, laquelle n'a pas été prononcée par le jugement qui a annulé son homologation.
Concernant le rappel de salaire, elle argue de ce que l'employeur, sur préconisations médicales, a restreint son temps de travail et sa rémunération sans son accord, ce qu'il ne pouvait faire de sorte qu'il est redevable du rappel de salaire et du complément d'indemnités journalières qui était versé pendant la période de rechute.
Concernant la rupture, elle prétend que les pressions qu'elle a subies et l'absence de choix face aux menaces de licenciement ont vicié son consentement. Elle argue de ce que l'homologation a d'abord été refusée le 18 juin 2020, précisant qu'une nouvelle demande pouvait être faite dans le respect des délais de procédure prévus par la loi, mais que l'employeur s'est contenté de compléter l'imprimé d'origine sans respecter la procédure, c'est-à-dire sans nouvelle convocation ni nouvel entretien et surtout, sans nouveau délai de rétractation. Elle affirme que l'homologation tacite accordée dans ces conditions encourt l'annulation.
Elle soutient qu'en première instance, elle a accepté la compensation entre l'indemnité légale de licenciement qui lui était due et l'indemnité spéciale de rupture allouée lors de la rupture conventionnelle, ce que le conseil de prud'hommes a interprété à tort comme une renonciation à l'indemnité légale ; qu'or, l'indemnité légale étant d'ordre public, elle n'est pas susceptible de renonciation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 juin 2022.
Motifs de la décision :
Au préalable, il faut faire observer que l'appel principal engloge tous les chefs du dispositif du jugement sauf celui par lequel la salariée a été déboutée de ses demandes.
1 - l'exécution du contrat de travail
- le rappel de salaire
Le rappel de salaire concerne une période pendant laquelle la salariée n'a pas travaillé, faute d'avoir accepté la proposition de l'employeur de modifier le contrat de travail suite aux préconisations du médecin du travail.
C'est à tort que la salariée prétend que ces propositions faites à quatre reprises entre le 10 décembre 2019 et le 14 février 2020 ne respectaient pas les préconisations du médecin, lequel l'avait déclarée apte à son poste sous réserve d'une reprise le matin pour un horaire ne dépassant pas cinq heures continues et avec dispense de port de charges lourdes. À partir du moment où l'horaire d'ouverture de l'entreprise est fixé à neuf heures, la proposition du médecin du travail laissait une possibilité de travail continu jusqu'à 14 heures, contrairement à ce qu'affirme la salariée.
En présence d'un avis d'aptitude, l'employeur n'avait pas obligation de reprendre le paiement des salaires antérieurs conformément aux dispositions de l'
article L 1226-11 du code du travail🏛, qui ne s'applique donc pas au cas d'espèce. Toutefois, en l'état des préconisations du médecin du travail, l'employeur ne pouvait obliger la salariée à reprendre son poste à temps plein, et devait nécessairement proposer un avenant au contrat de travail, ce qu'il a fait. Toutefois, la salariée ne pouvait être contrainte d'accepter la modification de son contrat de travail de sorte qu'au final, l'employeur ne pouvait ni imposer la modification du contrat de travail, ni faire reprendre le travail dans les conditions antérieures.
Or, le salaire est la contrepartie du travail effectif ou de la disponibilité du salarié envers l'employeur.
Il n'est pas contesté que la salariée n'a pas effectivement travaillé sur la période dont elle réclame rémunération. En revanche, elle a manifesté sa disponibilité pour un aménagement de son poste en un temps partiel conforme aux préconisations médicales. Toutefois, à compter du 2 mars 2020, elle a été embauchée à temps partiel, l'après midi, dans une autre entreprise, raison pour laquelle les horaires proposés par l'employeur ne lui convenaient pas, faute de compatibilité avec son activité complémentaire. De fait, elle ne s'est plus tenue à la disposition de son employeur l'après-midi à compter du 2 mars 2020.
A partir du moment où l'employeur lui a proposé, le 16 janvier 2020, un avenant au contrat de travail conforme aux préconisations médicales, et tenant compte de ses observations sur la rémunération, son refus n'apparaît plus justifié, contrairement à celui du 10 janvier 2020, qui laissait imprécis les éléments de la rémunération. Sa liberté de ne pas contracter, ne saurait toutefois générer le paiement du salaire à compter du 16 janvier 2020, dès lors qu'elle n'a pas fourni de travail effectif et ne s'est pas tenue à disposition de l'employeur qui lui proposait un aménagement conforme aux préconisations médicales.
C'est donc par une analyse pertinente des éléments du dossier que le conseil de prud'hommes a limité les droits de la salariée à la période allant du 9 au 16 janvier 2020, l'employeur ayant par ailleurs payé le salaire à temps partiel sur la période de février à juillet 2020.
Le jugement doit donc être confirmé.
- sur le complément d'indemnités journalières
C'est à bon droit que la salariée réclame paiement des indemnités journalières que l'employeur a perçues de la caisse d'assurance maladie sans les reverser, tel que cela ressort des bulletins de paie des mois de février et mars 2020. Il sera donc fait droit à la demande de paiement à ce titre d'une somme de 426,74 euros.
2 - la rupture du contrat de travail
C'est à tort que le conseil de prud'hommes a annulé l'homologation de la rupture conventionnelle dans la mesure où aucune formalité substantielle n'a été violée et qu'aucun vice du consentement n'est démontré.
Le litige né de l'adaptation du poste de travail ensuite de l'avis d'aptitude avec réserve émis par le médecin du travail ne peut être analysé comme une contrainte de nature à forcer la salariée à accepter la convention de rupture dans la mesure où l'employeur n'a eu de cesse de proposer des avenants au contrat de travail pour s'adapter aux desiderata successifs de la salariée. En dernier lieu, il lui était même proposé de réduire encore plus son temps de travail pour satisfaire ses exigences horaires et rendre son emploi du temps compatible avec son emploi complémentaire, ce qui démontre que l'employeur avait oeuvré activement et sérieusement pour maintenir le contrat de travail, excluant ainsi toute pression pour y mettre fin.
La salariée, qui supporte la charge de la preuve, échoue à démontrer l'existence d'un vice du consentement à la rupture conventionnelle.
Pour ce qui concerne les formalités substantielles, l'employeur n'a pas recommencé la procédure après la décision d'irrecevabilité de la demande prononcée par l'administration.
Toutefois, la difficulté ayant porté sur le montant des salaires mentionné dans le formulaire, aucune nouvelle convention de rupture, dont la date de signature fait courir le délai de rétractation, conformément aux dispositions de l'
article L 1237-13 du Code du travail🏛, n'a été signée. A cet égard, les observations de l'employeur, qui n'a pas modifié les montants des salaires, mais s'est contenté de donner des explications à l'administration, ne nécessitaient pas une telle modification. Par conséquent, le délai de rétractation qui a commencé à courir le 28 mai 2020, a expiré sans que la salariée n'exerce son droit de rétractation.
Par conséquent, les formalités substantielles de la rupture conventionnelle ont été respectées de sorte que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a prononcé la nullité de l'homologation de la rupture conventionnelle avec condamnation de l'employeur au paiement des indemnités de rupture.
Le jugement sera donc infirmé sur ces points.
3 - les autres demandes
Succombant, la salariée doit prendre en charge les frais irrépétibles et les dépens de première instance par infirmation du jugement, ainsi que ceux d'appel.
Elle sera donc déboutée de sa demande en paiement des frais irrépétibles condamnée à payer à l'employeur la somme de 2 000,00 euros à ce titre.
Par ces motifs :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu le 7 décembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Troyes en ce qu'il a déclaré la salariée recevable et partiellement fondée en ses demandes et condamné l'employeur à lui payer la somme de 788,98 euros au titre des salaires du 8 au 16 janvier 2020, outre 78,90 euros de congés payés afférents et en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes rappel de salaire à compter du 16 janvier 2020,
Infirme le surplus,
statuant à nouveau, dans cette limite, et y a ajoutant,
Condamne la S.A.R.L. ADIDAS FRANCE à payer à Madame [T] [G] la somme de 424,74 euros (quatre cent vingt quatre euros et soixante quatorze centimes) à titre de rappel d'indemnités journalières,
Déboute madame [T] [G] de ses demandes liées à la rupture du contrat de travail,
Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales,
Déboute madame [T] [G] de ses demandes de remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne Madame [T] [G] à payer à la S.A.R.L. ADIDAS la somme de 2 000,00 euros (deux mille euros) en remboursement de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Condamne Madame [T] [G] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT