CIV. 1 LM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 3 juillet 2013
Cassation
M. GRIDEL, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt no 735 F-D
Pourvoi no R 12-23.016
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Didier Z, domicilié Issy-les-Moulineaux,
contre l'arrêt rendu le 20 mars 2012 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant à M. Christian Y, domicilié Ivry-sur-Seine,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 4 juin 2013, où étaient présents M. Gridel, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Gallet, conseiller rapporteur, Mme Crédeville, conseiller, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Gallet, conseiller, les observations de la SCP Ghestin, avocat de M. Z, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. Y, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z a engagé une action en responsabilité contre M. Y, avocat, qui l'avait assisté dans les litiges l'ayant opposé à M. ... et à la société AMDF chargés de restaurer et d'aménager un appartement, lui reprochant, notamment, d'avoir négligé la défense de ses intérêts à l'occasion des procédures collectives ouvertes à l'égard de ses deux cocontractants et d'avoir omis de rechercher la garantie des assureurs de ceux-ci ;
Attendu que pour débouter M. Z de ses demandes, l'arrêt relève que si M. Y, avant d'être déchargé de ses missions, avait omis de procéder à la déclaration de la créance indemnitaire revendiquée à l'encontre de la société AMDF placée en redressement judiciaire, il ne pouvait pas être tenu pour responsable de l'inaction de ses confrères qui, lui succédant dans le dossier, n'avaient pas fait appel de la décision refusant le relevé de forclusion, en l'absence de lien de causalité entre le manquement invoqué et le dommage allégué ;
Qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à démontrer la rupture du lien de causalité, dès lors que la victime n'est pas tenue d'engager des voies de droit qui ne sont que la conséquence de la situation dommageable créée par l'avocat, la cour d'appel a violé texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mars 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y ; le condamne à payer à M. Z la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour M. Z.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur Z de ses demandes en paiement de dommages et intérêts dirigées contre Maître Y ;
AUX MOTIFS QUE M. Y, qui, comme tout avocat, est débiteur envers son client d'un devoir de conseil incluant celui. de l'assister, de l'éclairer et de diligenter toutes les procédures utiles au succès de ses prétentions, ne conteste pas avoir omis de déclarer les créances de M. Z lorsque des procédures collectives ont été ouvertes à l'encontre du garage RANSAY, de M. ... et de l'entreprise AMDF ; que ces omissions, qu'elles qu'en aient été les circonstances, caractérisent des manquements de l'avocat à son devoir de conseil ; que le jugement, qui en a ainsi décidé, ne peut qu'être confirmé sur ce point ; que M. Y fait exactement valoir que cette omission a été sans conséquence en ce qui concerne le garage RANSAY dans la mesure où la preuve d'une faute de ce garage, susceptible d'entraîner sa responsabilité pour des réparations insatisfaisantes, n'est pas établie, le rapprochement de dates entre facture et réparation, l'écoulement d'une année entre la réparation critiquée et la panne suivante et le constat du kilométrage parcouru entre les deux, quelles que soient les protestations de M. Z à ce sujet, rendant pour le moins aléatoire la mise en cause dudit garage ; que de plus, comme l'ajustement relevé le tribunal, la procédure collective concernant le garage RANSAY s'étant clôturée pour insuffisance d'actif, la chance pour M. Z, créancier chirographaire, de récupérer quelle que somme que ce soit, était illusoire, de sorte que son préjudice n'est pas établi ; qu'il en va de même de la créance de M. Z, elle aussi chirographaire, à l'encontre de M. ... dont la procédure s'est également clôturée pour insuffisance d'actif et dont le tribunal a constaté à raison que, M. Y ayant été déchargé de tous ses dossiers en décembre 2005, il restait encore six mois à son successeur pour déclarer la créance, le jugement ayant donné un délai pour ce faire jusqu'au 3 mai 2006 ; que, s'agissant de la créance de M. Z envers la société AMDF, il y a lieu d'observer, au côté de M. Y, que, déchargé de sa mission peu de temps après l'ouverture de la procédure collective intéressant cette société, il ne peut être tenu pour responsable de ce que ses successeurs n'aient pas poursuivi la procédure, M. Z n'ayant pas fait appel du rejet du relevé de forclusion et les assureurs de l'entreprise n'ayant pas été attraits, de sorte qu'est indifférent le fait que l'entreprise soit in bonis, le préjudice allégué se trouvant sans lien avec le manquement imputé à M. Y ; qu'en outre, comme le souligne à bon escient M. Y, la prétention de M. Z envers cette société consistant, notamment, à solliciter des indemnités pour privation de jouissance au motif que les lieux étaient inhabitables (de 2001 à 2009), alors qu'il vivait dans l'appartement depuis 2003 et avait réceptionné les travaux, certes avec réserves, en 2004, n'avait qu'une chance infime de succès ; que la preuve du préjudice en lien causal avec la faute, là encore, fait défaut ; que, pour ce qui est des litiges ayant opposé M. Z à sa copropriété, le jugement ne peut qu'être approuvé en ce qu'il a considéré que celui-ci ne rapportait pas la preuve des fautes qu'il impute à M. Y ; qu'en effet, il se limite à émettre d'abondantes critiques sur la façon dont se sont déroulées plusieurs assemblées générales en reprochant notamment à son avocat d'alors de ne pas avoir dénoncé le caractère abusif des refus de travaux qui lui étaient opposés par le syndicat des copropriétaires, sans articuler de grief utile et surtout sans démontrer aucun préjudice qui aurait pu en résulter alors que, non seulement il a construit la véranda qu'il projetait, ce qui met à néant son argumentaire, mais encore sans devoir racheter à la copropriété de parties apparemment communes dont il n'avait qu'un usage privatif que cela ressort sans conteste tant du protocole d'accord qui a été conclu le 30 juin 2002 sous l'égide du médiateur désigné par le tribunal que du jugement rendu le 11 février 2004 ; que, in fine, le seul sujet d'insatisfaction de M. Z tient au paiement d'indemnités qu'il revendiquait mais dont rien ne vient attester qu'il aurait pu, de quelque manière, les obtenir du syndicat des copropriétaires, le jugement cité rappelant au contraire qu'il n'a pas abusivement opposé de refus mais seulement exigé des garanties techniques de M. Z, qui n'a offert aucune contrepartie financière à l'annexion d'autres parties communes, et dont "la position intransigeante" et le non respect du protocole a conduit au conflit dont il se plaint ; que M. Z n'indique d'ailleurs nullement quel a été le sort de l'appel qu'il a formé contre ce jugement devant la Cour d'appel de Versailles, dont on sait qu'il l'a personnellement soutenu au moyen de conclusions rédigées par lui ; que M. Z ne développe aucun argument supplémentaire relatif aux contestations qu'il souhaitait voir engager des assemblées générales postérieures, dont d'ailleurs le but n'est pas clairement .perceptible, non plus que le préjudice qui en est résulté ; qu'au delà de la quérulence dont il fait preuve, M. Z ne fait, à ce propos, valoir aucun moyen intelligible susceptible d'occasionner la responsabilité de M. Y ; que la demande de dommages et intérêts formée par M. Z, se traduisant pas la restitution de l'intégralité des honoraires qu'il a versés pour l'ensemble des nombreuses procédures qu'il s'est plu à diligenter, étant, à défaut de preuve de fautes en lien de causalité avec des préjudices avérés, sans fondement, il ne pourra qu'en être débouté (arrêt attaqué p. 3 al. 3 à 6, p. 4 al. 1 à 4) ;
1o) ALORS QUE dans le dossier MARTIN, Monsieur Z avait soutenu dans ses conclusions d'appel (pages 13, 14) que le défaut de diligence imputé à Maître Y consistant à avoir omis de déclarer la créance de dommages et intérêts suite au jugement de redressement judiciaire de l'entreprise MARTIN l'avait privé de la possibilité d'agir directement contre la compagnie d'assurance et par voie de conséquence de toute possibilité d'indemnisation de son préjudice ; qu'en se bornant à relever que la procédure collective contre M. ... avait été clôturée pour insuffisance d'actif et qu'il n'avait aucune chance de recouvrer sa créance, sans s'expliquer sur l'omission de toute action contre l'assureur de M. ... et les conséquences du défaut de déclaration de créance sur l'exercice d'un recours contre l'assureur, la Cour d'appel a laissé sans réponse le moyen des conclusions d'appel en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
2o) ALORS QUE l'omission par l'avocat du dépôt de la déclaration de la créance de son client dans la procédure de redressement judiciaire du débiteur poursuivi fait perdre à ce dernier tout chance de recouvrement, sauf à être relevé de la forclusion ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que Maître Y n'a pas déclaré la créance de dommages et intérêts de Monsieur Z dans le redressement judiciaire de la société AMDF et que la demande de relevé de forclusion a été rejetée alors que la société AMDF était redevenue in bonis ; qu'en affirmant néanmoins que Maître Y ayant été déchargé de sa mission après l'ouverture de la procédure collective, il ne pouvait être tenu responsable du fait que son successeur n'ait pas poursuivi la mission et n'ait pas interjeté appel de la décision rejetant la demande de relevé de forclusion, sans rechercher si l'appel de cette décision présentait une quelconque chance de succès et si le défaut de diligence de Maître Y n'avait pas irrémédiablement privé son client de toute chance de recouvrement de sa créance, quelles que soient les diligences à accomplir après la fin de sa mission, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
3o) ALORS QUE le fait pour l'avocat d'avoir, par son défaut de diligence, fait perdre une chance, même infime, de succès de l'action en recouvrement de créance de dommages et intérêts n'équivaut pas à une absence totale de chance de succès ; qu'en énonçant qu'en toute hypothèse les chances de succès de l'action engagée par Monsieur Z contre la société AMDF était " infimes " sans établir qu'elles étaient inexistantes pour en déduire que la preuve d'un préjudice en relation de causalité avec le défaut de déclaration de créance n'était pas établi, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
4o) ALORS QUE Monsieur Z faisait valoir dans ses conclusions (p. 17) que Maître Y n'avait jamais assigné la SMABTP, assureur de la société AMDF pour la garantie de parfait achèvement, de sorte qu'il n'avait pas pu faire prendre en charge les réserves constatées par cet assureur en janvier 2004 ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.