SOC. PRUD'HOMMES FB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 3 juillet 2013
Cassation partielle
M. LACABARATS, président
Arrêt no 1273 FS-P+B sur les deux moyens
Pourvois no U 12-13.612
et Z 12-17.872 JONCTION
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur les pourvois no U 12-13.612, Z 12-17.872 formés par la société Natel Monétique, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est L'Isle-d'Espagnac,
contre deux arrêts rendus le 8 décembre 2011 et le 23 février 2012 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale-section B), dans les litiges l'opposant
1o/ à Mme Maryse Y, épouse Y, domiciliée Champniers,
2o/ à M. Marc X, domicilié La Rochefoucault,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse aux pourvois invoque, à l'appui de ses recours, les deux moyens communs de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 juin 2013, où étaient présents M. Lacabarats, président, M. Becuwe, conseiller référendaire rapporteur, M. Bailly, conseiller doyen, MM. Blatman, Chollet, Gosselin, Linden, Ballouhey, Mmes Goasguen, Vallée, Guyot, Le Boursicot, Aubert-Monpeyssen, conseillers, Mme Mariette, M. Flores, Mmes Wurtz, Ducloz, M. Hénon, Mme Brinet, M. David, conseillers référendaires, Mme Taffaleau, avocat général, Mme Bringard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Becuwe, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la société Natel Monétique, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme Y et de M. X, l'avis de Mme Taffaleau, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la connexité, joint les pourvois no U 12-13.612 et Z 12-17.872 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que Mme Y, épouse Y et M. X, engagés par la société Natel monétique le 4 février 1975 en qualité de standardiste pour la première et le 18 octobre 1976 en qualité d'employé qualifié pour le second, licenciés pour inaptitude consécutive à une maladie non professionnelle par lettres respectivement des 19 octobre 2009 et 30 décembre 2009, ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Sur le premier moyen
Vu les articles 35 et 36 de l'accord d'entreprise du 31 mars 1975, ensemble l'article 1er du décret no 2008-715 du 18 juillet 2008 ;
Attendu que, pour condamner l'employeur à payer aux salariés l'indemnité conventionnelle de licenciement due en cas de licenciement pour motif économique, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'article 1er du décret du 18 juillet 2008 ayant abrogé l'article R. 1234-3 du code du travail, il n'y a plus de différence, s'agissant du mode de calcul de l'indemnité de licenciement, entre le licenciement pour motif économique et celui prononcé pour une autre cause ; que les intéressés doivent en conséquence bénéficier des dispositions des articles 35 et 36 de l'accord d'entreprise qui prévoient en cas de licenciement pour motif économique une indemnité d'un taux plus favorable que celui de l'indemnité légale du nouvel article R. 1234-2 du code du travail au-delà de la cinquième année d'ancienneté ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnité de licenciement prévue par les articles 35 et 36 de l'accord d'entreprise du 31 mars 1975 ne bénéficie qu'aux salariés licenciés pour motif économique et que l'article 1er du décret du 18 juillet 2008 n'a pour objet que de garantir au salarié licencié pour motif personnel une indemnité légale et minimale de licenciement égale à celle versée en cas de licenciement pour motif économique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches
Vu l'article 39 de l'accord d'entreprise du 31 mars 1975 ;
Attendu que, pour condamner l'employeur à payer aux salariés une somme à titre d'indemnité de départ à la retraite, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'article 39 de l'accord d'entreprise n'apporte aucune restriction à l'ouverture du droit à l'indemnité de départ à la retraite autre que celle liée à l'âge, que cette indemnité bénéficie à tous les salariés dont le départ de l'entreprise, quelle qu'en soit la cause, intervient dans les cinq ans avant l'âge légal de la retraite, ce qui est le cas des intéressés, et qu'elle peut se cumuler, en l'absence de dispositions contraires de l'accord, avec une indemnité de licenciement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnité prévue par l'article 39 de l'accord d'entreprise n'est due qu'en cas de départ du salarié à la retraite, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et, sur le second moyen, pris en sa dernière branche
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que tout jugement doit être motivé, à peine de nullité ;
Attendu que, pour condamner l'employeur à payer aux salariés une somme à titre d'indemnité de départ à la retraite, l'arrêt énonce que le cumul d'indemnités a, au surplus, été pratiqué, selon les documents produits aux débats, pour d'autres salariés de l'entreprise placés dans la même situation ;
Qu'en statuant ainsi, sans procéder à aucune analyse des documents qui lui étaient soumis, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Natel Monétique à payer à Mme Y et à M. X une somme respectivement de 21 969,13 euros et de 2 095,51 euros à titre d'indemnité de licenciement et une autre respectivement de 11 367,91 euros et de 5 845 euros à titre d'indemnité de départ à la retraite, les arrêts rendus le 8 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne Mme Y et M. X aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens communs produits aux pourvois par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Natel Monétique.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la Société Natel Monétique à verser à Madame ... les sommes de 21 969,13 euros à titre de solde d'indemnité conventionnelle de licenciement prévue par l'article 35 de l'accord d'entreprise et 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS propres QUE " sur l'indemnité conventionnelle de licenciement, il convient de retenir comme l'ont justement retenu les premiers juges, que le décret no 2008-715 du 18 juillet 2008 pris en application de la loi de modernisation du marché du travail ayant aboli la différence existant, quant à l'indemnité de licenciement, entre le licenciement pour motif économique et celui prononcé pour autre cause, Madame ... est bien fondée à demander le bénéfice des dispositions de l'accord d'entreprise, plus favorables au-delà de la cinquième année d'ancienneté" (arrêt p.4 alinéa 5) ;
ET AUX MOTIFS adoptés QUE " l'accord d'entreprise prévoit dans son article 36, que pour le personnel maîtrise et cadre, "les indemnités prévues à l'article 35 sont distinctes du préavis et, s'ajoutant à celui-ci, sont fixées comme suit
- pour la tranche de 2 à 5 ans, 1/5ème de mois par année de présence dans l'entreprise,
- pour la tranche au-delà de 5 ans, 3/5èmes de mois par année de présence. L'indemnité ne pourra pas dépasser 18 mois de traitement" ;
QUE l'article R.1234-2 du Code du travail modifié par l'article 1er du décret no 2008-715 du 18 juillet 2008 portant diverses mesures relatives à la modernisation du marché du travail, prévoit que "l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté" ; que ce même décret abroge les dispositions de l'article R.1234-3 du Code du travail ; que ces diverses dispositions suppriment toute discrimination entre un licenciement pour cause économique et un licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse ;
QU'en l'espèce, Madame Maryse Y remplit les conditions pour se voir appliquer les dispositions de l'accord d'entreprise, plus favorables au-delà de la 5ème année de présence dans l'entreprise que le Code du travail ; qu'en conséquence il reste dû à Madame Maryse Y la différence entre la somme qu'elle a perçue et celle définie par le présent article, soit 21 969,13 euros nets" (jugement p.6 §.2 à 7).
1o) ALORS QUE l"indemnité de congédiement prévue par l'accord d'entreprise du 31 janvier 1975 applicable au sein de la Société Natel Monétique bénéficie aux salariés faisant l'objet d'un "licenciement d'ordre économique" ; qu'en condamnant l'employeur à verser cette indemnité à Madame ..., salariée licenciée pour inaptitude la Cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé par fausse application les articles 35 et 36 de l'accord d'entreprise susvisé ;
2o) ALORS QUE modifiant l'article R.1234-2 du Code du travail et abrogeant l'article R.1234-3, l'article 1er du décret no 2008-715 du 18 juillet 2008 a créé une indemnité légale de licenciement unique au profit des salariés victimes d'un licenciement pour motif économique ou d'un licenciement pour motif personnel ; que ce texte n'a eu ni pour objet ni pour effet de modifier les dispositions conventionnelles applicables dans les entreprises, et, notamment, de permettre aux salariés licenciés pour motif personnel de revendiquer le bénéfice des dispositions conventionnelles édictées par les conventions collectives en vigueur au profit des seuls salariés victimes d'un licenciement pour motif économique ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que ces dispositions réglementaires auraient "... supprim(é) toute discrimination entre un licenciement pour cause économique et un licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse", la Cour d'appel a violé par fausse interprétation l'article 1er du décret du 18 juillet 2008, ensemble les articles 35 et 36 de l'accord d'entreprise du 31 janvier 1975.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la Société Natel Monétique à verser à Madame ..., salariée licenciée pour inaptitude, les sommes de 11 367,91 euros en application de l'article 39 de l'accord d'entreprise du 31 janvier 1975 et 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS propres QUE "sur l'indemnité de départ à la retraite, ...il convient de retenir, comme l'ont justement retenu les premiers juges, que les dispositions de l'article 39 de l'accord d'entreprise, qui fixent les modalités de calcul de cette indemnité en fonction de l'ancienneté du salarié, précisent in fine qu'elle est également due en cas de départ dans les cinq ans avant l'âge légal de la retraite, ce dont il résulte qu'elle bénéficie à tous les salariés dont le départ de l'entreprise, quelle qu'en soit la cause, intervient dans les cinq ans avant l'âge légal de la retraite ; que Madame ..., qui est dans cette situation, est en conséquence bien fondée à en demander le bénéfice dont, à défaut de mention contraire de l'accord d'entreprise sur ce point, rien n'indique qu'elle ne se cumule pas avec une indemnité conventionnelle de licenciement, cumul qui a, au surplus, été pratiqué, selon les documents versés aux débats, pour d'autres salariés de l'entreprise placés dans la même situation" (arrêt p.4 alinéa 7) ;
ET AUX MOTIFS adoptés QUE "l'article 39 de l'accord d'entreprise prévoit que l'indemnité de départ à la retraite est "distincte du préavis et s'ajoute à celui-ci (...), que la base de calcul des indemnités, ainsi que l'ancienneté, sont identiques à ce qui est prévu pour les indemnités de licenciement (...), qu'en cas de départ dans les cinq ans avant l'âge légal de la retraite, l'intéressé bénéficiera de l'indemnité de départ à la retraite définie ci-dessus" ;
QUE cet article n'apporte aucune restriction d'ouverture de droit à cette indemnité autre que celle liée à l'âge ;
QUE l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 8 juillet 2003, s'il fait effectivement jurisprudence, se réfère à un cas de "requalification de mise à la retraite en licenciement", ce qui ne correspond aucunement au cas de Madame ... ; qu'en l'espèce Madame Maryse Y ayant été licenciée moins de cinq ans avant l'âge légal de départ à la retraite, ce licenciement n'a aucunement été requalifié en mise à la retraite ; qu'en conséquence, Madame ... est fondée en sa demande d'indemnité représentative" ;
1o) ALORS QU'en allouant au salarié ayant fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude une indemnité prévue par la convention collective en cas de départ à la retraite, la Cour d'appel a violé l'article 39 de l'accord d'entreprise du 31 mars 1975 ;
2o) ALORS en toute hypothèse QUE sauf dispositions expresses contraires, l'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite, qui ont la même nature et le même objet, à savoir l'indemnisation de la rupture du contrat de travail, ne se cumulent pas ; qu'en l'espèce, un tel cumul n'était nullement prévu par l'article 39 de l'accord d'entreprise du 31 mars 1975, qui prévoyait l'allocation aux salariés bénéficiaires d'une "indemnité de départ à la retraite, distincte du préavis et se cumulant avec celui-ci", et ne stipulait aucunement son cumul avec une indemnité de licenciement ; qu'en condamnant la Société Natel Monétique à régler à Madame ..., dont elle a constaté qu'elle avait fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude dans les cinq ans précédant l'âge légal de la retraite, une indemnité de départ à la retraite s'ajoutant à l'indemnité de licenciement perçue par ailleurs, la Cour d'appel a violé par fausse application l'article 39 de l'accord du 31 mars 1975 ;
3o) ALORS QUE le jugement doit être motivé ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que le cumul entre l'indemnité conventionnelle de départ à la retraite et l'indemnité de licenciement aurait "... été pratiqué, selon les documents versés aux débats, pour d'autres salariés de l'entreprise placés dans la même situation" sans viser ni analyser, fût-ce de façon sommaire, les éléments sur lesquels elle se fondait la Cour d'appel, qui a privé sa décision de motifs, a violé l'article 455 du Code de procédure civile.