FAITS ET PROCÉDURE :
La société [C] [V] (la société [V]), dont Mme [V] était la gérante, avait conclu avec la société Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (la société Yves Rocher) un contrat de 'gérance libre' pour l'exploitation d'un fonds de commerce de vente de produits d'hygiène et de soins esthétiques à [Localité 1].
Le 22 juin 2009, la société [V] a résilié ce contrat de gérance libre à effet du 30 septembre 2009 eu égard au délai contractuel de préavis de 3 mois.
Estimant qu'elle devait bénéficier du statut de gérante de succursale prévu par le code du travail et la requalification des contrats de gérance en contrat de travail, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes d'Orléans et demandé en conséquence le paiement de diverses sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires, d'indemnités conventionnelle de licenciement, de préavis outre les congés payés y afférents, compensatrice de congés payés et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 2 octobre 20l2, le conseil de prud'hommes d'Orléans a :
- Constaté que la société Yves Rocher imposait toutes les conditions d'exploitation du centre de beauté exploité par la société [V],
- Reconnu le bénéfice du statut de gérant de succursale au profit de Mme [V], gérante de la société [V], en application des dispositions de l'
article L. 7321- 2 du code du travail🏛,
- Condamné la société Yves Rocher à verser à Mme [V] la somme de 26.367,04 euros à titre de rappel des heures supplémentaires,
- Condamné la société Yves Rocher à verser à Mme [V] la somme de 2.000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Par arrêt du 12 mai 2017, rendu sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Bourges a confirmé la jugement.
Estimant que la société [V] restait lui devoir certaines sommes au titre de factures impayées la société Yves Rocher l'a assignée en paiement.
Par jugement du 6 décembre 2019, le tribunal de commerce de Vannes a :
- Condamné la société [V] à payer à la société Yves Rocher la somme de 106.245,62 euros, avec intérêts de droit à compter du 22 mai 2013, date de l'assignation, pour les causes sus énoncées,
- Débouté la société Yves Rocher de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive, pour les causes sus énoncées,
- Condamné la société [V] à payer à la société Yves Rocher la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement, nonobstant appel, et ce, sans consignation,
- Condamné la société [V] aux entiers dépens de l'instance,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes et conclusions.
La société [V] a interjeté appel le 20 décembre 2019.
Les dernières conclusions de la société [V] sont en date du 19 mai 2022. Les dernières conclusions de la société Yves Rocher sont en date du 20 mai 2022.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juin 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS :
La société [V] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Yves Rocher de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
Statuant à nouveau :
- Débouter la société Yves Rocher France de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner la société Yves Rocher France à payer à la société [V] la somme de l0.000 euros à titre de dommages intérêts pour abus du droit d'ester en justice,
- Condamner la société Yves Rocher France, outre aux entiers frais et dépens, à payer à la société [V] la somme de 7.000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
La société Yves Rocher demande à la cour de :
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement,
Y additant :
- Condamner la société [V] à régler la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour appel abusif et celle de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles prévus par l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- La condamner en en tous les dépens, tant de première instance que d'appe1, dont distraction pour ces derniers au profit de son avocat.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur la possibilité d'existence d'une créance de la société Yves Rocher sur la société [V] :
La société [V] fait valoir qu'elle ne serait qu'une succursale de la société Yves Rocher et que de ce fait il n'aurait pas pu y avoir de vente de marchandises entre la société Yves Rocher et elle-même.
Cependant, le fait que le gérant d'une SARL ait été reconnu comme gérant de succursale au sens des dispositions de l'article l'
article L. 7321-2 du code de travail🏛 n'a pas d'incidence sur l'existence de la SARL en question, personne morale jouissant de la personnalité juridique.
La société [V] est une personne morale distincte de la société Yves Rocher. On pourra d'ailleurs noter qu'elle a poursuivi son activité même après la rupture des relations commerciales qui existaient entre elles.
Le statut de gérante de succursale reconnu à Mme [V], bien que caractérisé par la dépendance économique de celle-ci à l'égard de la société Yves Rocher, laissait subsister entre ces deux personnes distinctes, la société [V] et la société Yves Rocher, l'existence de relations commerciales. La société Yves Rocher pouvait donc facturer à la société [V] les livraisons qu'elle effectuait en sa faveur.
Sur l'existence d'une créance :
La société [V] fait valoir que la société Yves Rocher ne justifierait pas de sa créance faute de produire les éléments de preuve suffisants.
La société Yves Rocher produit les factures dont elle demande le paiement.
Dans ses conclusions devant le tribunal de commerce en date du 5 mai 2014, la société [V] a indiqué que :
« Les factures commerciales impayées correspondent à des marchandises fournies par Ac Ad à Madame [Ae], qui doit être regardée comme sa Directrice salariée, en vue de l'exploitation de son propre Institut ».
La société [V] n'avait en outre pas contesté auparavant avoir reçu les marchandises dont le paiement est aujourd'hui demandé.
Au vu de l'existence de relations commerciales suivies, et de la pratique suivie entre les parties quant aux modalités de commande, expédition et facturation, et au vu de la reconnaissance par la société [V] que les factures impayées correspondaient bien à des marchandises que lui avait fournies la société Yves Rocher, il apparaît que la preuve de l'envoi et de la réception de ces marchandises est suffisamment rapportée.
Sur le dol :
La société [V] fait valoir que le contrat de location gérance qu'elle avait signé avec la société Yves Rocher serait nul, son consentement ayant été vicié par des man'uvres dolosives.
L'éventuelle nullité du contrat de location gérance serait cependant sans incidence directe sur la validité des contrats de vente passés entre ces deux sociétés au titre des marchandises livrées.
La société [V] fait valoir que les deux contrats seraient interdépendants, objectivement et subjectivement, dans la mesure où il serait évident que si elle avait su qu'elle eût été la véritable nature de son statut et son absence totale d'indépendance commerciale, elle ne se serait jamais engagée dans quelque contrat que ce soit à l'égard d'Yves Rocher.
Il apparaît cependant que le fait de commander des marchandises à la société Yves Rocher et un acte indépendant de l'existence ou non d'un contrat de franchise.
La société [V] ne se prévaut pas d'un dol propre à un des contrats de vente de marchandises aujourd'hui en litige.
Il y a lieu de rejeter la demande d'annulation des contrats de vente pour dol.
Sur la violence économique :
La société [V] fait valoir qu'elle se trouvait en état de dépendance économique vis-à-vis de la société Yves Rocher et que les livraisons de produits lui étaient imposées et ont été effectuées sous une contrainte telle qu'elle n'avait d'autre choix que de les subir.
Pour qu'un abus de dépendance économique entrainant la nullité d'un acte soit caractérisé, il est nécessaire que la partie ayant abusé de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard ait obtenu de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.
En l'espèce, il n'est pas justifié que la société Yves Rocher ait tiré des ventes litigieuses un avantage excessif. Il n'est ainsi par exemple pas allégué que ces ventes aient été consenties à des prix excessifs ni que les marchandises livrées l'aient été alors que les perspectives de vente étaient insuffisantes. Le fait que la société [V] ait pu être contrainte de conserver un stock donné de marchandises ne permet pas d'en déduire que certains des produits ainsi commandés n'aient pas pu être vendus.
En outre, la société [V] a décidé le 22 juin 2009 de résilier le contrat de gérance libre. Il apparaît ainsi qu'elle restait libre de mettre fin aux achats de marchandises moyennant seulement le respect d'un préavis de trois mois.
L'abus de dépendance économique ayant entraîné un vice du consentement n'est pas établi.
Sur l'absence de cause et d'objet :
La société [V] fait valoir qu'elle n'était qu'une succursale de la société Yves Rocher et n'aurait donc pas pu contracter de dette vis-à-vis d'elle et que ce serait la société Yves Rocher qui serait à l'origine du manque de rentabilité de la société [V]. Elle ajoute que la cause des factures serait de toute façon illicite.
Il apparaît néanmoins que les factures correspondent à des marchandises qui ont été livrées. Elles sont causées. Comme il a été vu supra, la société [V] est une personne morale autonome et des facturations ont pu exister entre les deux sociétés.
Enfin, le paiement des factures litigieuses n'aurait pas pour effet de faire supporter par la société [V] la rentabilité de la succursale qu'elle n'aurait fait que gérer. Il n'est en outre pas établi que ces livraisons aient été la cause du déficit de la société [V].
Sur l'imputabilité de la créance de la société Yves Rocher :
La société [V] fait valoir que la créance alléguée par la société Yves Rocher devrait être compensée avec celle qu'elle est fondée à réclamer au titre de l'exploitation du centre de beauté, sur le double fondement de l'équité et de l'exigence de bonne foi.
Il apparaît cependant que la société [V] ne présente aucune demande de condamnation à paiement de dommages-intérêts. Elle ne se prévaut pas non plus d'une créance chiffrée sur la société Yves Rocher avec laquelle une compensation pourrait intervenir. Elle ne précise ni ne justifie des pertes d'exploitation dont elle se prévaut et ne justifie pas de leur imputabilité à la société Yves Rocher.
Cette demande sera rejetée.
Sur les demandes de paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive :
Il n'est pas justifié que l'une ou l'autre des parties ait agi en justice dans un but autre que celui de faire valoir ses droits. Leurs demandes d'indemnisation formée au titre de l'abus de ce droit seront rejetées.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société [V] aux dépens d'appel et à payer à la société Yves Rocher la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.