COMM. LG
COUR DE CASSATION
Audience publique du 11 juin 2013
Cassation partielle
M. ESPEL, président
Arrêt no 593 F-P+B
Pourvoi no R 12-18.853
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE,
FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société Total Guadeloupe, société anonyme, dont le siège est Jarry cedex,
contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2012 par la cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à M. Patrick Y, domicilié Les Abymes,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 14 mai 2013, où étaient présents M. Espel, président, M. Le Dauphin, conseiller rapporteur, M. Petit, conseiller doyen, M. Graveline, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Le Dauphin, conseiller, les observations de la SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat de la société Total Guadeloupe, de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. Y, l'avis de Mme Batut, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Vu les articles L. 237-12 du code de commerce et 455 du code de procédure civile ;
Attendu que la responsabilité prévue par le premier de ces textes n'est pas subordonnée à la démonstration d'une faute du liquidateur séparable de ses fonctions ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SARL Presta (la société), ayant M. Y pour gérant, a été dissoute, M. Y étant nommé liquidateur ; que la société Total Guadeloupe (la société Total), cessionnaire des créances que sept anciens salariés de la société détenaient sur celle-ci et de tous leurs droits et actions à l'encontre de M. Y, faisant valoir que ce dernier avait commis des fautes dans l'exercice de ses fonctions de gérant puis de liquidateur, l'a fait assigner en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que la société Total ne rapporte pas la preuve que M. Y a commis une faute personnelle intentionnelle d'une particulière gravité et détachable de ses fonctions de gérant ou de liquidateur de la société, dans le but de nuire aux salariés ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Total qui soutenait que M. Y avait, en s'abstenant de différer la clôture des opérations de liquidation jusqu'au terme des procédures judiciaires en cours devant la juridiction prud'homale et de solliciter l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société, commis, dans l'exercice de ses fonctions de liquidateur de la société, des fautes dont il devait répondre sur le fondement des dispositions de l'article L. 237-12 du code de commerce, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du second des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit que la cession de créance avait été valablement signifiée à M. Y en son nom personnel le 16 juillet 2009, l'arrêt rendu le 9 janvier 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Tiffreau, Corlay et Marlange, avocat aux Conseils, pour la société Total Guadeloupe
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société TOTAL GUADELOUPE de ses demandes à l'encontre de Monsieur Y ;
AUX MOTIFS QUE " la cession de créance transfère de plein droit au cessionnaire les actions appartenant au cédant et attachées à la créance cédée, notamment l'action en responsabilité délictuelle qui en est l'accessoire ; que selon la société TOTAL GUADELOUPE, Monsieur Y a personnellement commis plusieurs fautes, notamment en s'abstenant, en sa qualité de gérant, d'enregistrer des provisions sur litige dans la comptabilité de la société PRESTA, alors que sept procès étaient en instance devant la juridiction prud'homale, de différer la clôture des opérations de liquidation de la société PRESTA jusqu'au terme des procédures judiciaires en cours devant le conseil de prud'hommes de POINTE A PITRE, de solliciter l'ouverture d'une procédure collective ce qui aurait permis le paiement des créances des salariés par le régime de garantie des salaires (AGS), ces fautes ayant entraîné un dommage pour les sept salariés qui est équivalent aux salaires des dimanches travaillés, heures supplémentaires et primes de transport acquis à l'occasion de l'exercice de leur contrat de travail pour les années 2000 à 2004 et consacrés par les sept décisions judiciaires ; que cependant, si Monsieur Y a été mis en cause en qualité de liquidateur amiable de la société PRESTA, dans les procédures prud'homales dont fait état la société TOTAL GUADELOUPE, il n'en demeure pas moins que les agissements qui lui sont reprochés, et notamment le fait de ne pas avoir enregistré de provision sur litige et de ne pas avoir sollicité en temps utile une procédure collectives, mettent en cause le gérant de la société PRESTA et par la suite le liquidateur ; que la société appelante ne rapporte pas la preuve de ce que Monsieur Y a commis une faute personnelle intentionnelle, d'une particulière gravité et détachable de ses fonctions de gérant ou de liquidateur de la société, dans le but de nuire aux salariés ; que la société TOTAL GUADELOUPE sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts non fondée en ce qu'elle est dirigée contre Monsieur Y en son nom personnel " (arrêt pp. 4 et 5) ;
ALORS QUE 1o), tout jugement doit être motivé ; qu'en se bornant à affirmer, de manière péremptoire, que la société TOTAL GUADELOUPE n'aurait pas rapporté la preuve de ce que Monsieur Y avait commis une faute personnelle intentionnelle, d'une particulière gravité et détachable de ses fonctions de gérant ou de liquidateur de la société, dans le but de nuire aux salariés, sans analyser, même succinctement, les arguments et éléments de preuve qui permettaient à la société TOTAL GUADELOUPE d'affirmer que Monsieur Y avait personnellement commis plusieurs fautes, notamment en s'abstenant, en sa qualité de gérant, d'enregistrer des provisions sur litige dans la comptabilité de la société PRESTA, alors que sept procès étaient en instance devant la juridiction prud'homale, de différer la clôture des opérations de liquidation de la société PRESTA jusqu'au terme des procédures judiciaires en cours devant le conseil de prud'hommes de POINTE A PITRE, et de solliciter l'ouverture d'une procédure collective ce qui aurait permis le paiement des créances des salariés par le régime de garantie des salaires (AGS), la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de motivation et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE 2o), la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers peut être retenue s'il a commis une faute séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement ; que la faute est séparable lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une gravité particulière incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ; qu'en se bornant à affirmer que la société TOTAL GUADELOUPE n'aurait pas rapporté la preuve d'une telle faute de Monsieur Y, sans caractériser, ainsi que l'y invitait la société TOTAL GUADELOUPE (conclusions, pp. 10 à 12), en quoi Monsieur Y n'aurait pas personnellement commis plusieurs fautes de cette nature, quand il s'était pourtant abstenu, en sa qualité de gérant, d'enregistrer des provisions sur litige dans la comptabilité de la société PRESTA, alors que sept procès étaient en instance devant la juridiction prud'homale, de différer la clôture des opérations de liquidation de la société PRESTA jusqu'au terme des procédures judiciaires en cours devant le conseil de prud'hommes de POINTE A PITRE, et de solliciter l'ouverture d'une procédure collective ce qui aurait permis le paiement des créances des salariés par le régime de garantie des salaires (AGS), la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-22 du code de commerce, ensemble l'article 1382 du code civil.