CIV. 1 CB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 12 juin 2013
Rejet
M. CHARRUAULT, président
Arrêt no 614 F-D
Pourvoi no R 12-13.402
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme Sandrine Z.
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 23 août 2012.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par M. Bertrand Y, domicilié L'Aigle,
contre l'arrêt rendu le 3 mars 2011 par la cour d'appel de Caen (1re chambre, section 3), dans le litige l'opposant à Mme Sandrine Z, domiciliée Loctudy,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 14 mai 2013, où étaient présents M. Charruault, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bignon, conseiller doyen, Mme Nguyen, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de Me Foussard, avocat de M. Y, de la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de Mme Z, l'avis de M. Jean, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches, ci-après annexé
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 3 mars 2011), que de l'union de M. Y et Mme Z sont issus deux enfants, Sarah, née le 20 novembre 2000, et Lucie, née le 18 octobre 2004 ; qu'après la séparation des parents, la résidence des enfants a, dans un premier temps, été fixée en alternance au domicile du père et de la mère, au titre d'un exercice conjoint de l'autorité parentale ; que, sur saisine de Mme Z, le juge aux affaires familiales a, le 9 juillet 2009, fixé la résidence habituelle des enfants au domicile du père avec aménagement au profit de la mère d'un droit de visite et d'hébergement ; que, par arrêt du 12 août 2010, la cour d'appel a transféré la résidence habituelle des enfants au domicile maternel ; que le 2 septembre 2010, M. Y a saisi le juge aux affaires familiales en la forme des référés afin de voir fixer la résidence des enfants chez lui ;
Attendu qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes sans avoir, préalablement, procédé à l'audition des enfants ;
Attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la capacité de discernement d'un enfant se trouvait assez facilement altérée par son environnement comme par des événements traumatiques et, d'une part, que Sarah et Lucie, la première, compte tenu de son âge et de sa maturité, davantage que la seconde, étaient manifestement prises dans un conflit de loyauté envers chacun de leurs parents, que la multiplication des procédures ne faisait qu'aviver, d'autre part, que les différentes lettres de Sarah, qu'elles aient exprimé son souhait de vivre plutôt avec sa mère ou avec son père, n'étaient que le reflet de sa difficulté à s'exprimer librement, la cour d'appel en a souverainement déduit que les enfants n'étaient pas capables de discernement ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour M. Y
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a fixé la résidence des deux enfants chez la mère, organisé un droit de visite et d'hébergement au profit du père et rejeté les demandes de Monsieur Y ;
AUX MOTIFS QU' " à titre préliminaire, la Cour relève que M. Y a remis la jeune Lucie à sa mère à la fin du mois de septembre 2010, quelques jours après l'ordonnance du juge aux affaires familiales qu'il conteste, et convient ne pas avoir remis Sarah à sa mère avant l'intervention du juge de l'application des peines en charge de la mesure d'ajournement de peine dont il avait fait l'objet pour non-représentation d'enfant Sarah n'a ainsi rejoint sa soeur au domicile de leur mère que début décembre 2010 ; que M. Y ne conteste pas ne pas avoir respecté la décision de la Cour en date du 12 août 2010 (ci-après, l'Arrêt) mais argue de l'existence d'un fait nouveau survenu après cette décision, en l'espèce une lettre de Sarah, co-signée par Lucie, en date du 17 août 2010, et les déclarations faites par Sarah et Lucie devant les militaires de la Gendarmerie auxquels Mme Z s'était plainte de ne pouvoir prendre les enfants avec elle conformément à l'arrêt de la Cour, puis une lettre de Sarah adressée au juge, en date du 1er septembre 2010 ; qu'il convient donc, en premier lieu, d'examiner ces déclarations, à la lumière de celle faite par Sarah devant la Cour ; que lors de son audition par un conseiller, le 28 avril 2010, au retour de vacances passées chez sa mère, la jeune Sarah a indiqué, sans aucune ambiguïté, qu'elle souhaitait vivre chez sa mère et que " Lucie souhaite la même chose " ; que dans son audition, sur la demande du magistrat, Sarah précisait que les entretiens qu'elle avait eus avec un psychologue (en 2009) s'étaient bien passés ; qu'à cet égard, il convient de rappeler les termes de l'arrêt " .. une psychologue clinicienne (..) atteste, dans son rapport d'entretien psychologique en date du 30 mars 2009, avoir reçu Sarah à trois reprises (..) et qui exprime le désir constant d' "habiter toujours avec maman et aller chez papa pour les vacances", alors pourtant que les parents habitaient alors dans la même ville (L'Aigle) et que la résidence était en alternance hebdomadaire convenue ; qu'il ressort de ce rapport que Sarah trouvait que son père n'était pas assez présent quand elle est chez lui, pour être généralement confiée à la garde de sa grand-mère (paternelle) " ; que la Cour note, sur ce point, que les parents de Mme Z habitaient également à L'AIGLE ; ques dans l'arrêt, la Cour relevait en outre qu'il n'existait " aucun élément exceptant au principe de ne pas séparer les fratries, les parents s'accordant au moins sur leur résidence commune, chez l'un ou chez l'autre " ; que s'agissant de la lettre du 17 août 2010, qui est de la main de Sarah et signée par les deux fillettes, adressée à " ma petit maman ", elle commence par " j'ai bien réfléchi " et affirme la volonté de l'enfant de rester chez son père " c'est mieux d'aller en vacances à la mère chez toi " ; qu'il est également constant que le procès-verbal de la Gendarmerie en date du dimanche 29 août 2010 se lit " Interrogées par nous même, Sarah et Lucie n'ont pas souhaité suivre leur mère pour aller en Bretagne. Sarah Y nous a verbalement dit qu'elle voulait rester à L'Aigle (61) pour continuer à fréquenter ses copines. Lucie Y est restée, quant à elle, discrète Cependant, elle a, comme sa soeur, exprimé le souhait de ne pas partir avec sa mère " ; que dans cette même procédure, M. Y, après avoir dit que ses filles " ont peur de tout quitter, les copains, les activités et la famille. Leur bien être passe avant tout ", déclare aux enquêteurs que les filles ne sont pas allées avec leur mère parce qu'elles " ont fait une comédie pour rester " que la lettre de Sarah en date du 1er septembre 2010, co-signée par Lucie, adressée à " Mme le juge ", commence par " je veux pas aller à l'école de loctudy chez maman je veux rester chez papa à l'aigle ", précise que " lucie aussi " et se conclut par " je veux vous parler Mme ... " ; qu'à l'appui de ses prétentions, M. Y produit les mêmes pièces que celles produites précédemment devant la Cour ou devant le premier juge ; qu'il y ajoute un seul élément nouveau, une attestation (qui n'est pas dans les formes légales - F18) de la maîtresse d'école de Lucie pour la période du 02 au 26 septembre 2010, selon laquelle cette enfant a été " une élève travailleuse, enjouée et bavarde " ; que ce seul document n'est en rien de nature à remettre en cause la décision du premier juge ; que celle-ci ne peut donc être appréciée qu'en elle-même ; que la Cour rappelle, à toutes fins utiles, que les décisions relatives à la résidence habituelle des enfants se prennent dans l'intérêt des enfants, pris ensemble et individuellement, et non dans l'intérêt des parents ou pour arbitrer un quelconque conflit entre eux ; que dans cette perspective, la Cour ne peut que partager l'opinion du premier juge que Sarah et Lucie, la première, compte tenu de son âge et de sa maturité, davantage que la seconde, sont manifestement prises dans un conflit de loyauté envers chacun de leurs parents, que la multiplication des procédures, avec les conséquences qu'elles entraînent, ne fait qu'aviver ; que la Cour entend également préciser que rien, dans la procédure, ne permet de douter que chacun des parents, tant M. Y que Mme Z, éprouve un amour sincère pour ses enfants ; que tant Mme Z que M. Y doivent concevoir qu'aussi intelligent que soit un enfant, et tous les éléments du dossier montrent que Sarah est une fillette douée d'intelligence et de sensibilité, sa capacité de discernement se trouve assez facilement altérée par son environnement comme par des événements traumatiques ; que les différentes lettres de Sarah, qu'elles aient indiqué que cette enfant souhaite vivre plutôt avec sa mère ou plutôt avec son père, ne sont que le reflet de la difficulté à s'exprimer librement ; que, pire, le souhait de complaire à l'un ou à l'autre des parents peut aboutir à ce que l'enfant exprime qu'il aime plus l'un de ses parents que l'autre, voire l'écrive, alors que cela ne correspond en rien à ses sentiments véritables ; que M. Y et Mme Z doivent ainsi réaliser que Sarah (et, sans doute, Lucie) sont ainsi écartelées entre des sentiments contradictoires ; qu'il est d'ailleurs significatif que, en 2009, lorsque la psychologue a demandé à Sarah de dessiner sa famille, Sarah a fait un dessin précis, montrant notamment, outre sa soeur et son père, sa mère, enceinte, or Mme Z était enceinte de son nouveau compagnon ; qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune conclusion ne peut être tirée des éléments survenus postérieurement à l'arrêt, et mis en exergue par M. Y, autre que celle du premier juge ; que M. Y l'ait souhaité ou non, le revirement de Sarah ne peut être qu'une sorte de caprice enfantin (ce dont la Cour tendrait d'ailleurs à douter, compte tenu des qualités de Sarah telles qu'elles apparaissent au travers des éléments soumis à la Cour) ou la résultante de l'attitude de M. Y (en ce compris son environnement familial) ; qu'en outre, aucun des parents ne sollicite que les enfants aient une résidence distincte ; qu'en tout état de cause, rien dans les éléments soumis à son appréciation ne justifie de l'intérêt de l'un ou l'autre enfant pour qu'elles soient séparées, au contraire qu'enfin, la Cour note que, dans son rapport d'entretien psychologique en date du 30 mars 2009, Mme ... écrivait également que de " par sa personnalité, Sarah est une enfant qui a besoin de stabilité et de sécurité. La forme de 'nomadisme' engendrée par la garde alternée est vécue de manière perturbante " ; que compte tenu de tout ce qui précède, la décision déférée sera confirmée la résidence habituelle des enfants est chez leur mère " ;
ALORS QUE, premièrement, l'audition du mineur est de droit lorsqu'il en a fait la demande ; qu'en l'espèce, aux termes d'une lettre datée du 1er septembre 2010 adressée au juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance d'Alençon, les enfants Sarah et Lucie Y ont demandé à être entendues par le juge ; qu'en se prononçant sans entendre les enfants, ni en première ni en seconde instance, quand cette demande rendait leur audition obligatoire, les juges du fond ont violé l'article 388-1 du Code civil ainsi que les articles 3-1 et 12-2 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
ALORS QUE, deuxièmement, et en tout cas, faute de s'être expliqués sur les raisons pouvant justifier l'absence d'audition des enfants, les juges du fond ont à tout le moins entaché leur décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 388-1 du Code civil ;
ET ALORS QUE, troisièmement, il ressort de l'arrêt précédemment rendu le 12 août 2010 dans la même affaire, et dont les termes sont rappelés par l'arrêt attaqué, que l'enfant Sarah Y avait été entendue par les juges, en sorte que son audition avait alors été jugée justifiée ; qu'en omettant de s'expliquer sur la raison pour laquelle la demande d'audition, justifiée quelques mois plus tôt pour cette enfant, ne l'aurait plus été pour la demande formée devant eux, les juges du fond ont à nouveau entaché leur décision d'un défaut de base légale au regard l'article 388-1 du Code civil.