COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 septembre 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 499 F-D
Pourvoi n° P 21-16.840
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
La société Grenke location, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-16.840 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2021 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant à la société Sodico expansion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Grenke location, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Sodico expansion, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 25 janvier 2021), le 13 juin 2013, la société Sodico expansion (la société Sodico) a souscrit auprès de la société Mediatime un contrat de location financière portant sur des licences temporaires de logiciel, un ordinateur et un traceur, moyennant un loyer trimestriel de 2 700 euros HT.
2. Le matériel a été livré à la société Sodico le 13 juin 2013.
3. En application d'une clause des conditions générales du contrat, la société Mediatime a cédé, à compter du 1er juillet 2013, le contrat de location financière à la société Grenke location (la société Grenke), qui est devenue bailleresse.
4. Par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 mars 2015, la société Sodico a informé la société Grenke de sa décision de résilier le contrat de location financière au 1er septembre 2015, puis, à compter de l'échéance d'octobre 2015, a cessé d'honorer le paiement des loyers.
5. Par une lettre du 18 janvier 2016, la société Grenke a résilié le contrat de location financière, en application des conditions générales, et mis en demeure la société Sodico de lui payer certaines sommes et de lui restituer le matériel loué, avant de l'assigner en paiement des loyers impayés et d'une indemnité de résiliation égale aux loyers à échoir, et en restitution du matériel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
6. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société Grenke fait grief à l'arrêt de constater la « résiliation » du contrat de location financière à effet du 1er septembre 2015 et de rejeter ses demandes en paiement, alors « que sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière ; que l'interdépendance desdits contrats suppose que l'existence de chacun d'entre eux soit établie ; que l'anéantissement du contrat de prestation de services est un préalable nécessaire à la caducité, par voie de conséquence, du contrat de location financière ; qu'en l'espèce, la société Sodico expansion avait conclu avec la société Grenke location, venue aux droits de la société Mediatime, un contrat de location financière ; que le matériel objet du contrat avait été préalablement livré à la société Sodico expansion par la société Mediatime et que la société Grenke location avait racheté le matériel déjà livré et installé chez la société Sodico expansion ; que la cour d'appel a constaté que, par courrier du 20 mars 2015 adressé à la société Grenke location, la société Sodico expansion avait procédé à la résiliation du contrat de fourniture et d'entretien passé avec cette société et que la résiliation de celui-ci entraînait par conséquent la caducité du contrat de location financière, celui-ci étant interdépendant avec le contrat de prestation de services ; qu'en se fondant sur un contrat de fourniture et d'entretien dont la société Sodico expansion n'avait nullement établi l'existence et dont aucune pièce produite devant la cour, si ce n'est ce courrier de résiliation du 20 mars 2015, n'établissait la réalité, pour retenir l'interdépendance des contrats et constater, à la suite de la résiliation du prétendu contrat de fourniture et d'entretien, la caducité du contrat de location financière, la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien
article 1134 du code civil🏛, devenu l'article 1103. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article 1134 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
8. Si, lorsque des contrats sont interdépendants, la résiliation de l'un quelconque d'entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, cela implique toutefois que l'existence de chacun des contrats en cause soit établie.
9. Pour confirmer le jugement en ce qu'il constate la « résiliation » du contrat de location financière au 1er septembre 2015, l'arrêt retient que, dans ses dernières conclusions de première instance, la société Sodico a précisé que la résiliation du contrat, par sa lettre recommandée du 20 mars 2015, se fondait sur les difficultés d'approvisionnement et de contact qu'elle rencontrait avec la société Mediatime, que dans cette lettre adressée à la société Grenke, la société Sodico a procédé à la résiliation du contrat de fourniture et d'entretien passé avec cette société, en invoquant la défaillance de la société précitée dans l'exécution de ses obligations, ce qui manifeste l'exercice de sa faculté de résiliation unilatérale du contrat à ses risques et périls, laquelle est acquise à la date de sa notification et s'impose au juge, qui ne peut que sanctionner a posteriori la rupture injustifiée du contrat par l'allocation de dommages-intérêts à la charge du cocontractant qui en a pris l'initiative. L'arrêt en déduit que ce contrat est interdépendant avec le contrat de prestation de services et que le constat de la résiliation de ce dernier emporte, par conséquent, la caducité du contrat de location financière.
10. En se déterminant ainsi, sans caractériser l'existence, entre les sociétés Sodico et Mediatime, d'un contrat de prestation de services incluant une obligation d'approvisionnement à la charge de la seconde, tandis que la société Sodico ne produisait aucune pièce à l'appui de ses allégations relatives à l'existence de ce contrat, que la société Grenke contestait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le second moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
11. La société Grenke fait le même grief à l'arrêt, alors « que si les contrats incluant une location financière sont interdépendants, la constatation de la caducité du contrat de location nécessite l'anéantissement préalable du contrat de prestation ou de fournitures qui ne peut être prononcé qu'en présence du prestataire ou du fournisseur ; qu'en prononçant la caducité du contrat de location financière, ensuite de la résiliation du contrat de prestation de service ayant perduré avec la société Mediatime, sans que celle-ci ait été appelée à l'instance, la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien
article 1134 du code civil🏛 devenu l'article 1103. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 1134 et 1184 du code civil🏛, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'
article 14 du code de procédure civile🏛 :
12. Il résulte des deuxième et troisième de ces textes que la résiliation d'un contrat ne peut être ni prononcée ni constatée par le juge en l'absence de l'un des cocontractants. Et selon le premier texte, lorsque des contrats incluant une location financière sont interdépendants, l'anéantissement du contrat de prestation ou de fourniture, qui ne peut donc être prononcé qu'en présence du prestataire ou du fournisseur, ou de son liquidateur, est un préalable nécessaire à la constatation, par voie de conséquence, de la caducité du contrat de location.
13. En statuant par les motifs déjà reproduits au § 9, sans avoir davantage constaté, au préalable, la résiliation du contrat de prestations prétendument conclu entre les sociétés Sodico et Mediatime, ni qu'ait été appelée à l'instance la société Mediatime, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation prononcée du chef de l'arrêt constatant la « résiliation » du contrat de location financière liant les sociétés Sodico et Grenke entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs condamnant la première à restituer à la seconde le matériel objet de ce contrat, sous astreinte, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de la société Grenke location tenant à l'annulation du jugement entrepris, l'arrêt rendu le 25 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la société Sodico expansion aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Sodico expansion et la condamne à payer à la société Grenke location la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Vaissette, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, empêché, conformément aux dispositions des
articles 452 et 456 du code de procédure civile🏛. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour la société Grenke location.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Grenke Location FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré la SAS Grenke Location irrecevable en sa demande tendant à l'annulation du jugement rendu le 21 décembre 2018 ;
ALORS QUE le principe de la contradiction s'impose au juge et qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugements qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ; que la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; qu'en l'espèce, la société Grenke Location a sollicité dans l'acte d'appel la réformation du jugement et la nullité de celui-ci dans ses dernières conclusions ; que la cour a jugé qu'en limitant expressément son appel à la réformation de certains chefs du jugement, la demande d'annulation contenue dans ses dernières écritures ne pouvait constituer un simple moyen et était dès lors irrecevable ; qu'en soulevant d'office cette irrecevabilité de la demande d'annulation, que la cour a qualifiée de fin de non-recevoir, sans inviter les parties à présenter, au préalable, leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé les dispositions de l'
article 16 du code de procédure civile🏛.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Grenke Location FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait constaté la résiliation du contrat de location financière à effet du 1er septembre 2015 et débouté la SAS Grenke Location de ses demandes en paiement ;
1°) ALORS QUE sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière ; que l'interdépendance desdits contrats suppose que l'existence de chacun d'entre eux soit établie ; que l'anéantissement du contrat de prestation de services est un préalable nécessaire à la caducité, par voie de conséquence, du contrat de location financière ; qu'en l'espèce, la société Sodico Expansion avait conclu avec la société Grenke Location, venue aux droits de la société Mediatime, un contrat de location financière ; que le matériel objet du contrat avait été préalablement livré à la société Sodico Expansion par la société Mediatime et que la société Grenke Location avait racheté le matériel déjà livré et installé chez la société Sodico Expansion ; que la cour d'appel a constaté que, par courrier du 20 mars 2015 adressé à la société Grenke Location, la société Sodico Expansion avait procédé à la résiliation du contrat de fourniture et d'entretien passé avec cette société et que la résiliation de celui-ci entraînait par conséquent la caducité du contrat de location financière, celui-ci étant interdépendant avec le contrat de prestation de services ; qu'en se fondant sur un contrat de fourniture et d'entretien dont la société Sodico Expansion n'avait nullement établi l'existence et dont aucune pièce produite devant la cour, si ce n'est ce courrier de résiliation du 20 mars 2015, n'établissait la réalité, pour retenir l'interdépendance des contrats et constater, à la suite de la résiliation du prétendu contrat de fourniture et d'entretien, la caducité du contrat de location financière, la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien
article 1134 du code civil🏛, devenu l'article 1103 ;
2°) ALORS QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ; que la cour d'appel a constaté que, par courrier du 20 mars 2015 adressé à la société Grenke Location, la société Sodico Expansion avait procédé à la résiliation du contrat de fourniture et d'entretien passé avec cette société et que la résiliation de celui-ci entraînait par conséquent la caducité du contrat de location financière, celui-ci étant interdépendant avec le contrat de prestation de services ; qu'en se fiant au courrier de résiliation adressé par la société Sodico Expansion à la société Grenke Location pour retenir l'existence d'une prestation de service d'entretien et de fourniture, quand une telle pièce, forgée par la société Sodico Expansion en preuve à elle-même et étayée par aucun autre élément de preuve ne pouvait suffire à faire la preuve du contrat de prestation de service, et justifier, du fait de sa résiliation, la caducité du contrat de location financière prétendument interdépendant, la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien
article 1315 du code civil🏛 devenu l'article 1353 ;
3°) ALORS QUE sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière ; que l'anéantissement du contrat de prestation de services est un préalable nécessaire à la caducité, par voie de conséquence, du contrat de location financière, la simple inexécution étant insuffisante à produire l'effet destructeur de l'indivisibilité ; que pour retenir l'interdépendance des contrats de prestation de service et de location financière, le premier juge avait jugé que l'opération comprenait trois contrats : un contrat de prestation de service (livraison et installation du matériel) conclu entre la société Sodico Expansion et la société Mediatime et non cédé, un contrat de cession du matériel et de sa location financière conclu entre la société Mediatime et la société Grenke Location et un contrat de location financière s'appliquant entre la société Sodico Expansion et la société Grenke Location ; qu'en s'appuyant sur une prestation de livraison et d'installation conclue avec la société Mediatime, dont nul n'avait nié qu'elle avait été exécutée et que l'obligation correspondante était éteinte, en sorte qu'elle ne pouvait fonder une quelconque interdépendance entre les contrats et partant, la caducité du contrat de location financière du fait de la résiliation du contrat de fourniture et d'entretien, le juge a violé les dispositions de l'ancien
article 1134 du code civil🏛, devenu l'article 1103 ;
4°) ALORS QUE pour juger que les contrats étaient interdépendants et que le constat de la résiliation du contrat de prestation de service emportait, par conséquent, la caducité du contrat de location financière, la cour a relevé que le prétendu contrat de prestation de service avait été résilié par un courrier adressé à la société Grenke Location ; qu'en statuant de la sorte, quand le courrier avait été adressé à la société Grenke Location et non à la société Mediatime et bien que ce contrat était censé ne pas avoir été cédé, la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien
article 1134 du code civil🏛, devenu l'article 1103 ;
5°) ALORS QUE sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière ; que l'anéantissement du contrat de prestation ou de fournitures est un préalable nécessaire à la caducité, par voie de conséquence, du contrat de location financière ; que pour constater la caducité du contrat de location financière, la cour s'est appuyée sur des manquements contractuels adressés à la société Mediatime sans toutefois vérifier s'ils étaient fondés ; qu'en prononçant la caducité d'un contrat interdépendant, sans même vérifier le bien-fondé de la résiliation du contrat initial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien
article 1134 du code civil🏛 devenu l'article 1103 ;
6°) ALORS enfin QUE si les contrats incluant une location financière sont interdépendants, la constatation de la caducité du contrat de location nécessite l'anéantissement préalable du contrat de prestation ou de fournitures qui ne peut être prononcé qu'en présence du prestataire ou du fournisseur ; qu'en prononçant la caducité du contrat de location financière, ensuite de la résiliation du contrat de prestation de service ayant perduré avec la société Mediatime, sans que celle-ci ait été appelée à l'instance, la cour d'appel a violé les dispositions de l'ancien
article 1134 du code civil🏛 devenu l'article 1103.