AFFAIRE : N° RG 21/03455
N° Portalis DBVC-V-B7F-G4SY
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CAEN en date du 21 Décembre 2021 RG n° R21/00105
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 1
ARRÊT DU 07 JUILLET 2022
APPELANT :
S.A.S. KEOLIS [Localité 5] MOBILITES
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Jean-Jacques SALMON, avocat au barreau de CAEN
INTIME :
Monsieur [L] [P]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Dominique MARI, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller, rédacteur
DÉBATS : A l'audience publique du 09 juin 2022
GREFFIER : Mme Aa
ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 07 juillet 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'
article 450 du code de procédure civile🏛 et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
M. [P] a été embauché à compter du 4 juillet 2005 en qualité d'agent commercial de conduite par la société Twisto devenue Kéolis [Localité 5] mobilités.
Il est devenu par la suite agent commercial de conduite-vérificateur.
Suivant arrêté préfectoral du 15 décembre 2020, il a été désigné conseiller du salarié.
Le 20 mai 2021, il a été licencié pour faute grave.
Le 30 septembre 2021, il a saisi le conseil de prud'hommes de Caen en référé aux fins de voir ordonner sa réintégration, sur le fondement d'un trouble manifestement illicite tenant à la nullité du licenciement pour absence d'autorisation de l'inspection du travail alors qu'il était salarié protégé.
La formation de référé s'est déclarée en partage de voix le 23 novembre 2021 et a renvoyé l'affaire devant la formation présidée par le juge départiteur.
Par décision du 21 décembre 2021 rendue en formation de départage et en référé, le conseil de prud'hommes de Caen a :
- ordonné la réintégration de M. [P] au sein de la société Kéolis [Localité 5] mobilités dans son poste d'agent commercial de conduite vérificateur dans les 15 jours de la notification de l'ordonnance et sous astreinte
- ordonné à la société Kéolis [Localité 5] mobilités de payer à M. [P] les sommes de :
- 11 587,08 euros nets à titre de provision sur rappel de salaires du 21 mai 2021 au 21 septembre 2021
- 2 500 euros à titre de provision sur dommages et intérêts pour préjudice moral
- ordonné la réintégration dans le compteur de M. [P] de ses droits à congés payés pour la période du 21 mai 2021 au jour de sa réintégration
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
- condamné la société Kéolis [Localité 5] mobilités à payer à M. [P] la somme de 1 250 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 - condamné la société Kéolis [Localité 5] mobilités aux dépens.
La société Kéolis [Localité 5] mobilités a interjeté appel de cette décision, en celles de ses dispositions ayant ordonné les réintégrations susvisées et l'ayant condamnée au paiement des sommes susvisées.
Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 21 avril 2022 pour l'appelante et du 23 mars 2022 pour l'intimé.
La société Kéolis [Localité 5] mobilités demande à la cour de :
- réformer la décision sur les réintégrations ordonnées et les condamnations prononcées
- dire n'y avoir lieu à référé
- renvoyer M. [P] à mieux se pourvoir au fond
- condamner M. [P] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 - à titre subsidiaire limiter le montant du rappel de salaire à 15 665,62 euros nets.
M. [P] demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance sur les réintégrations
- la réformer pour le surplus
- condamner la société Kéolis [Localité 5] mobilités à lui payer les sommes de :
- 21 727,27 euros à titre d'indemnité provisionnelle compensatrice de la perte de ses salaires pour la période comprise entre son licenciement nul et sa réintégration
- 8 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts pour préjudice moral
- 4 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 18 mai 2022.
SUR CE
Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus c'est par un arrêté préfectoral du 15 décembre 2020, publié au recueil des actes administratifs spécial le 17 décembre que M. [P] a été habilité en qualité de conseiller du salarié avec une prise d'effet au 1er janvier 2021.
Il est constant que cette habilitation confère la qualité de salarié protégé aux termes de l'
article L.2411-1 du code du travail🏛, que cette protection ne peut toutefois être revendiquée et opposée à l'employeur, s'agissant d'un mandat extérieur à l'entreprise, qu'à la condition que l'employeur soit informé de l'existence de ce mandat au plus tard lors de l'entretien préalable, cette information pouvant avoir été portée à la connaissance de l'employeur soit par le salarié soit par un autre moyen dès lors qu'elle est établie.
Il est acquis aux débats que par une lettre portant la date du 3 mai 2021 le Préfet du Calvados a informé la société Kéolis de la désignation de M. [P] comme conseiller du salarié à compter du 1er janvier 2021, cette lettre portant le cachet d'une réception par Kéolis [Localité 5] mobilités le 4 mai 2021.
Cette lettre doit être jugée comme apportant la preuve d'une parfaite information de l'employeur à la date du 4 mai 2021.
S'agissant d'une connaissance par l'employeur avant cette date, il ne peut être soutenu que la simple publication aux actes administratifs en était une pas plus que le fait que M. [P] ait été autorisé à s'absenter le 25 janvier 2021 pour pratiquer un 'stage de formation économique, sociale et syndicale conformément à l'
article L.2145-5 du code du travail🏛', aucun élément n'établissant une plus ample information de l'employeur sur le fait que ce stage aurait eu pour objet de le former aux fonctions de conseiller.
Les témoignages de M. [W] ne sauraient davantage emporter la conviction dès lors que dans un premier témoignage daté du 3 juin 2021 ce salarié a déclaré avoir accompagné M. [P] à un 'entretien' dont il n'indique pas la date en ajoutant que à sa question sur l'intervention de la Direccte le directeur a répondu que des précisions seraient apportées lors de la remise du solde de tout compte ce qui laisse penser que l'entretien dont il est fait état est contemporain de la décision de licenciement et que dans un second témoignage du 2 décembre 2021 il se borne à indiquer 'premier entretien du 16 avril 2021. À l'issue de l'entretien, face à messieurs [E] et [T] tout en m'adressant à [L] [P] que j'assistais, je lui indique que quoiqu'il arrive l'inspection du travail aura son mot à dire quant à son statut de salarié protégé si l'entreprise envisageait une sanction contre lui', formulation trop ambigüe et générale pour valoir la preuve d'une information parfaitement et complètement délivrée à l'employeur sur l'existence du mandat de conseiller.
C'est à la date du 16 avril qu'a eu l'entretien préalable à une mesure de licenciement auquel M. [P] avait été convoqué le 8 avril.
Le 23 avril l'employeur a indiqué à M. [P] qu'il considérait son comportement comme une faute grave et prévoyait donc la tenue d'un conseil de discipline le 7 mai, que le salarié devrait se présenter avant, soit le 30 avril, pour un entretien dans le cadre de l'instruction du dossier et pourrait se faire accompagner.
Cette procédure devant un conseil de discipline est prévue par la convention collective des transports publics et rappelée dans le règlement intérieur, elle s'applique quand une faute est susceptible de conduire à une sanction du deuxième degré, il est procédé à une instruction du dossier au cours de laquelle le salarié est entendu (il lui est donné communication de son dossier et des pièces relatives aux faits reprochés), puis le salarié est avisé de sa 'comparution' devant le conseil et convoqué pour y être 'entendu', le conseil rendant ensuite un avis après délibération.
Cette procédure offre donc au salarié des garanties supplémentaires à celles prévues par la procédure légale, notamment deux auditions au cours desquelles le salarié est entendu en toute connaissance des faits reprochés et des pièces.
Étant rappelé que l'objet de l'entretien préalable prévu à l'
article L.1232-2 du code du travail🏛 est, aux termes de l'article L.1232-3, l'indication par l'employeur des motifs de la décision envisagée et le recueil des explications du salarié, il s'avère que les auditions s'étant déroulées en l'espèce les 30 avril (avec l'instructeur du dossier qui était la directrice des ressources humaines) et 7 mai (devant le conseil dont il n'est pas contesté qu'il est composé de représentants de l'employeur) avaient à nouveau cet objet et constituaient le préalable nécessaire, tout comme l'entretien de l'article L.1232-2, à la notification d'une sanction laquelle ne pouvait intervenir avant.
C'est donc au plus tard à la date du dernier de ces entretiens, soit le 7 mai, que l'employeur devait être informé de l'existence du mandat.
Il résulte de ce a été exposé ci-dessus qu'il l'était depuis le 4 mai.
En conséquence, il ne pouvait licencier M. [P] sans solliciter l'autorisation de l'inspecteur de travail et les premiers juges ont exactement jugé que le licenciement intervenu sans cette autorisation caractérisait un trouble manifestement illicite devant conduire à la réintégration du salarié.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée sur ce point.
Les premiers juges ont en outre exactement jugé que ceci ouvrait droit au paiement des salaires pour la période courant du 21 mai 2021 (date à compter de laquelle le salaire a cessé d'être payé) au jour de la réintégration.
Celle-ci est intervenue effectivement le 3 janvier 2022, le bulletin de salaire de janvier 2022 faisant apparaître toutefois que le salaire de janvier a été payé pour le mois complet.
Un rappel est donc dû de façon non sérieusement contestable pour la période du 21 mai au 31 décembre 2021.
La seule contestation émise par l'appelante sur le montant est relative au paiement dores et déjà avéré du salaire de janvier 2022.
Pour le surplus, elle se borne à relever que le salarié avait demandé une somme en net en première instance puis demande en appel une somme en brut, ce qui est pourtant légitime, sans contester le salaire mensuel de 2 896,97 euros pris pour base.
En cet état, la provision sur perte de salaire sera évaluée à 21 306,74 euros.
Les premiers juges ont exactement retenu le caractère non sérieusement contestable du préjudice moral subi du fait de la situation de licenciement sans autorisation.
Compte tenu des répercussions sur la santé que celle-ci a eue (hospitalisation pour trouble anxio-dépressif), une provision de 4 000 euros sur préjudice moral sera allouée.
L'ordonnance sera enfin confirmée en ce qu'elle a ordonné la réintégration dans le compteur des droits à congés payés de la période allant du 21 mai 2021 au jour de la réintégration.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme l'ordonnance entreprise sauf en celles de ses dispositions ayant évalué à 11 587,08 euros la provision sur salaire et à 2 500 euros la provision sur dommages et intérêts.
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Condamne la société Kéolis [Localité 5] mobilités à payer à M. [P] les sommes de :
- 21 306,74 euros à titre de provision sur salaires dus du 21 mai 2021 au 3 janvier 2022
- 4 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts pour préjudice moral
Y ajoutant, condamne la société Kéolis [Localité 5] mobilités à payer à M. [P] la somme complémentaire de 1 350 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 pour les frais exposés en cause d'appel.
Condamne la société Kéolis [Localité 5] mobilités aux dépens de l'instance d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
M. ALAINL. DELAHAYE