COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 21 JUIN 2022
N° RG 19/06161 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LKNT
COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE HAUTE CHARENTE
c/
Monsieur [F] [M]
Madame [Aa] [U] épouse [M]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 octobre 2019 (R.G. 17/01417) par le Tribunal de Grande Instance d'ANGOULEME suivant déclaration d'appel du 22 novembre 2019
APPELANTE :
COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE HAUTE CHARENTE, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2])
représentée par Maître Pierre DE OLIVEIRA, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître SOLTNER avocat au barreau de LIMOGES
INTIMÉS :
Monsieur [F] [M], né le … … … à [Localité 3], de … …, … [… …]
Madame [Aa] [U] épouse [M], née le … … … à[… …]), … … …, … [… …]
représentés par Maître Arnaud DEVAUX de la SCP CMCP, avocat au barreau de CHARENTE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'
article 805 du Code de Procédure Civile🏛, l'affaire a été débattue le 10 mai 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Présidente,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Sylvie HERAS de PEDRO, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Ab A
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'
article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile🏛.
EXPOSE DU LITIGE :
Par contrat en date du 15 janvier 1999 prenant effet au 1er novembre 1998, le Syndicat Intercommunal d'Aménagement Touristique de la retenue de [Localité 4] (le SIAT) a donné à bail aux époux [M] un local commercial à usage de restaurant situé sur la commune de [Localité 5] (Charente) moyennant un loyer annuel de 7 622,45 euros HT.
Le bail a été modifié par acte authentique du 04 novembre 2005 prévoyant :
- le transfert au 1er décembre 2005 du fonds de commerce dans de nouveaux locaux dont la propriété a été transférée par le SIAT à la Communauté de communes de Haute Charente,
- le maintien de l'activité de snack bar dans les anciens locaux,
- la fixation d'un commun accord d'un nouveau prix de location annuel à 8 384,70 euros HT, modifiable le 1er novembre de chaque année et pour la première fois le 1er juin 2006.
Le 19 avril 2007, les époux [M] ont demandé le renouvellement du bail, qui, en l'absence de contestation du bailleur, a été reconduit jusqu'au 31 octobre 2016.
Le 29 avril 2016, la Communauté de communes de Haute Charente a donné congé aux époux [M] avec une offre de renouvellement prévoyant diverses conditions dont la régularisation d'un nouveau bail conforme aux textes en vigueur s'agissant notamment de la clause d'indexation des loyers, la modification de la contenance des lieux loués et des obligations du preneur (quant à l'entretien des espaces verts et du golf notamment) ainsi qu'une proposition de loyer principal annuel ne pouvant être inférieur à la somme de 10 194 euros hors taxes et charges.
Par courrier recommandé du 24 juin 2016, les époux [M], faisant valoir que l'acte de congé ne faisait pas mention de motifs le justifiant, ont répondu qu'ils entendaient se maintenir dans les lieux et voir renouveler le bail. Ils ont finalement fermé l'établissement et quitté les lieux en octobre 2016.
Par exploit d'huissier du 27 juin 2017, les époux [M] ont assigné la Communauté de communes de Haute Charente devant le tribunal de grande instance d'Angoulême aux fins de la voir condamner à leur verser la somme de 501 000 euros au titre d'indemnité d'éviction.
Par jugement mixte contradictoire du 24 octobre 2019, le tribunal de grande instance d'Angoulême a :
- dit que le congé avec renouvellement délivré par la Communauté de communes de Charente Limousine venant aux droits de la Communauté de communes de Haute Charente à M. et Mme [M] le 29 avril 2016 n'encourait pas la nullité,
- dit que le congé avec renouvellement délivré par la Communauté de communes de Charente Limousine venant aux droits de la Communauté de communes de Haute Charente à M. et Mme [M] devait s'analyser en un refus de renouvellement au regard des modifications de contenance des lieux loués et des obligations des preneurs,
- dit que la Communauté de communes de Charente Limousine venant aux droits de la Communauté de communes de Haute Charente était débitrice envers M. et Mme [M] d'une indemnité d'éviction,
- avant dire droit,
- ordonné une expertise et désigné pour y procéder M. [C] [K] avec mission notamment de rechercher et fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de se prononcer sur le montant de l'indemnité compensatrice du préjudice résultant pour les époux [M] de la perte du fonds de commerce, compte tenu de la nature des activités commerciales autorisées par le bail, de la situation des locaux, de la valeur marchande du fonds, déterminée selon les usages de la profession, éventuellement augmentée des frais et droits définis par l'
article L. 145 14 du code de commerce et de la réparation du trouble commercial, et de tous éléments de préjudice que cette dernière pourrait faire valoir,
- dit que l'affaire serait rappelée après expertise à l'audience de mise en état du 12 mai 2020 pour conclusions en ouverture de rapport,
- réservé l'examen des autres demandes portant sur les dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, les dépens et le prononcé de l`exécution provisoire.
La Communauté de communes de Haute Charente a relevé appel du jugement par déclaration du 22 novembre 2019 énonçant les chefs de jugement expressément critiqués, intimant les époux [M].
Par conclusions déposées en dernier lieu par le RPVA le 23 décembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la Communauté de communes de Charente Maritime venant aux droits de la Communauté de communes de Haute Charente demande à la cour de :
- la dire bien fondée dans son appel,
- réformer le jugement en ce qu'il a :
- dit que le congé avec renouvellement délivré par elle aux époux [M] le 28 avril 2016 doit s'analyser en un refus de renouvellement au regard des modifications de contenance des lieux loués et des obligations du preneur,
- dit qu'elle est débitrice envers les époux [M] d'une indemnité d'éviction,
- statuant à nouveau,
- dire que le congé du 29 avril 2016 portant offre de renouvellement du bail est régulier et légal,
- dire qu'aucune indemnité d'éviction ne peut être accordée lorsque le preneur décide de renoncer au renouvellement du bail,
- confirmer pour le reste les dispositions du jugement,
- condamner les époux [M] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'appelante fait valoir que suite au courrier des époux [M] du 24 juin 2016 en réponse à son offre de renouvellement, elle n'a diligenté aucune expulsion, et qu'ils se sont maintenus dans les lieux ; que ce n'est qu'en octobre 2016, sans la prévenir, qu'ils ont quitté les lieux, les laissant dans un état déplorable ; que le congé est non seulement valable et régulier mais qu'il porte explicitement offre de renouvellement du bail ; qu'elle a donc respecté l'
article L.145-9 du code de commerce🏛 ; que les époux [M] n'ont formulé aucune observation sur les conditions du nouveau bail ; que l'alinéa 5 de cet article ne s'applique pas ; que la renonciation au renouvellement du nouveau bail résultant du départ des époux [M] empêche toute indemnité d'éviction ; que les modifications sont insignifiantes ; que les preneurs d'ailleurs n'ont formulé aucune contestation alors qu'il leur appartenait de saisir la commission départementale de conciliation des baux commerciaux.
Par conclusions déposées en dernier lieu par le RPVA le 20 mars 2020 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, les époux [M] demandent à la cour de :
- dire et juger la Communauté de communes de Charente Limousine recevable mais mal fondée en son appel,
- les dire et juger recevables et bien fondés en leur appel incident,
- en conséquence,
- débouter la Communauté de communes de Charente Limousine,
- réformer le jugement en date du 24 octobre 2019,
- et statuant à nouveau,
- condamner la Communauté de communes de Charente Limousine, venant aux droits de la Communauté de communes de la Haute Charente à leur verser la somme de 501 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la date la signification de l'acte introductif d'instance,
- à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en date du 24 octobre 2019 en toutes ses dispositions,
- en tout état de cause,
- condamner la Communauté de communes de Charente Limousine, venant aux droits de la Communauté de communes de la Haute Charente à leur verser la somme de 8 000 euros par application des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Les époux [M] font valoir que le congé, délivré in extremis, ne comporte aucune information sur ses motivations, ce qui est une cause de nullité du congé ; que la bailleresse ne peut se prévaloir d'ne indexation puisque la clause existait dans le bail initial et qu'il lui suffisait de la mettre en oeuvre ; qu'elle y avait renoncé pour les années antérieures ; qu'elle lui retirait la jouissance d'une partie des biens loués tout en maintenant le montant du loyer, ce qui s'apparente à une augmentation déguisée du loyer d'ailleurs contraire à la délibération du conseil communautaire du 21 avril 2005 et à l'arrêté portant autorisation d'occupation du domaine public par eux pour 15 ans moyennant une redevance annuelle de 762,25 euros HT ; qu'en la retirant, la Communauté de communes a opéré une modification substantielle de la chose donnée à bail ; que l'offre non conforme doit s'analyser en un refus de renouvellement leur ouvrant droit à indemnité d'éviction ; qu'ils sont partis faute d'aboutir à un accord ; qu'ils justifient du montant de l'indemnité ; qu'ils ne s'opposent pas à l'expertise.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 19 avril 2022 et l'audience fixée au 10 mai 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
sur la demande principale :
Le débat porte sur les effets du congé délivré le 29 avril 2016 par la Communauté de communes de Haute Charente aux époux [M].
Ce congé, délivré au visa de l'
article L.145-9 du code de commerce🏛, mentionne notamment : « la requérante est disposée à discuter amiablement avec vous des conditions d'un nouveau bail commercial d'une durée de neuf années sur les bases suivantes :
- régularisation d'un nouveau bail conforme aux textes en vigueur s'agissant notamment de la clause d'indexation des loyers ;
- modification de la contenance des lieux loués (notamment exclusion obligatoire des lieux publics dont la plage et le poste de secours) ;
- modification des obligations du preneur (notamment quant à l'entretien des espaces verts - golf compris dans les lieux loués)
- proposition d'un loyer principal annuel ne pouvant être inférieur à la somme de 10 194 euros hors taxes et charges (qui résulte cependant d'une évaluation approximative devant être modifiée et fixée définitivement). »
Le congé précise en outre que les litiges nés de l'application de l'
article L.145-34 du code de commerce🏛 sont soumis à une commission départementale de conciliation qui s'efforce de concilier les parties et rend un avis (dans un délai de trois mois). Si le juge est saisi parallèlement à la commission, il ne peut statuer tant que l'avis de la commission n'est pas rendu. (pièce 4 de l'appelante)
Les époux [M] font valoir que la clause d'indexation existait dans le bail initial et qu'il suffisait au bailleur de la mettre en oeuvre ; que la modification consistant à leur retirer la jouissance d'une partie des biens loués tout en maintenant le montant du loyer s'analyse en une augmentation du loyer qui implique des obligations très précises et d'ordre public qui n'ont pas été respectées, ainsi qu'une modification substantielle de la chose donnée à bail.
Ils sont ainsi fondés à soutenir que ces modifications, qui portent atteinte à la fois à la contenance des lieux loués et aux obligations du preneur, ne peuvent s'inscrire valablement dans le cadre d'un congé avec offre de reprise qui a pour objet de renouveler le bail commercial aux clauses et conditions du bail d'origine, à l'exception du loyer. L'argumentation développée par l'appelante, selon laquelle les modifications proposées étaient nécessaires à la régularité du bail, et insignifiantes, est à cet égard inopérante.
Pour autant, les termes du congé, inadaptés mais dénués d'ambiguité, ne permettent pas de retenir, comme l'a fait le tribunal, qu'il doit s'interpréter comme un congé sans offre de renouvellement alors qu'il exprime au contraire explicitement une offre de régularisation d'un nouveau bail.
En revanche, les irrégularités qui l'affectent doivent être sanctionnées par sa nullité, étant relevé que c'est d'ailleurs la position adoptée par les preneurs qui, par courrier de leur conseil en date du 24 juin 2016, ont fait savoir que le congé était nul faute de faire mention des motifs pour lesquels il était donné, et qu'ils entendaient voir renouveler le bail et se maintenir dans les lieux, ajoutant que leur départ des lieux obligerait la Communauté de communes à leur verser une indemnité d'occupation au sujet de laquelle aucune proposition n'était faite.
Il n'est produit aucun courrier entre cette lettre, à laquelle la Communauté de communes n'a opposé aucune contestation, et le départ des preneurs le 31 octobre 2016. L'appelante peut ainsi faire valoir que le départ des époux [M], qui ont quitté les lieux sans l'en aviser ni lui faire connaître leurs exigences ni saisir la commission départementale de conciliation des baux commerciaux ainsi que prévu au contrat, alors même qu'elle n'a jamais manifesté son opposition à leur maintien dans les lieux ni effectué aucune démarche pour contraindre leur départ, relève de leur seul choix, de sorte qu'ils ne sont pas fondés à demander le versement d'une indemnité d'éviction.
Le jugement, qui a considéré que le congé s'analysait en un refus de renouvellement, et ordonné avant dire droit une expertise pour chiffrer l'indemnité d'éviction, sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
sur les demandes accessoires :
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens. Les époux [M] seront condamnés à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Les époux [M] seront condamnés aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le
jugement du tribunal de grande instance d'Angoulême en date du 24 octobre 2019Statuant à nouveau
Déclare nul et de nul effet le congé avec offre de renouvellement délivré par la Communauté de communes de Haute Charente à M. et Mme [M] le 29 avril 2016
Déboute M. et Mme [M] de leur demande d'indemnité d'éviction
Condamne in solidum M. et Mme [M] à payer à la Communauté de communes de Charente Limousine venant aux droits de la Communauté de communes de Haute Charente la somme de 3 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 Condamne in solidum M. et Mme [M] aux entiers dépens de la procédure.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par Monsieur Goudot, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.