Jurisprudence : CA Paris, 5, 3, 15-06-2022, n° 19/14631, Infirmation partielle


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 5 - Chambre 3


ARRET DU 15 JUIN 2022


(n° 185 , 10 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/14631 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAL6V


Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mai 2019 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY RG n° 18/08045



APPELANTE


SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE représentée par son Président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, venant aux droits de la Société ERTECO FRANCE (anciennement dénommée DIA FRANCE).

immatriculée au RCS de CAEN sous le numéro 345 130 488

[Adresse 20]

[Localité 4]


Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant

Assistée de Me Jean-Philippe CONFINO, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant substitué par Me Agnès GERBAUD-ROHFRITSCH, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant


INTIMES


Madame [G] [W] [T] [H] [EF] épouse [YU]

née le … … … à [Localité 18]

[Adresse 14]

[Localité 5])


Représentée par Me Patrick DEBOEUF de la SCP JY PONCET - P DEBOEUF et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0210


Madame [F] [C] [E] [W] [EF] épouZe [Z]

née le … … … à [Localité 19]

[Adresse 10]

[Localité 12]


Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151, avocat postulant

Assistée de Me Guillaume BAULIEUX, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant substitué par Me Apolline BROUX, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant


Madame [U] [J] [B] [R] [EF] épouse [S]

née le … … … à [Localité 18]

[Adresse 16]

[Adresse 7]

[Localité 3]


Représentée par Me Patrick DEBOEUF de la SCP JY PONCET - P DEBOEUF et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0210

Monsieur [V] [EF]

Né le … … … à [Localité 18]

[Adresse 6]

[Localité 8]


Représentée par Me Patrick DEBOEUF de la SCP JY PONCET - P DEBOEUF et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0210


Monsieur [O] [EF]

Né le … … … à [Localité 18]

[Adresse 1]

[Localité 13]


Représenté par Me Patrick DEBOEUF de la SCP JY PONCET - P DEBOEUF et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0210


Madame [M] [X] [G] [P] [EF]

née le … … … à [Localité 18]

décédée le 8 mars 2022


PARTIE INTERVENANTE


Monsieur [I] […] [JT] venant aux droits de Madame [M] [EF] décédée le 8 mars 2022

né le … … … à [Localité 17] (27)

[Adresse 2]

[Adresse 15]

[Localité 9]


Représenté par Me Patrick DEBOEUF de la SCP JY PONCET - P DEBOEUF et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0210



COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été débattue le 10 Mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Gilles BALA', président de chambre

Madame Sandrine GIL, conseillère

Madame Florence BUTIN, conseillère


qui en ont délibéré,


un rapport a été présenté à l'audience par Madame Sandrine GIL dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Greffière, lors des débats : Madame A B C X


ARRET :


- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


- signé par Monsieur Gilles BALA', président de chambre et par Madame Claudia CHRISTOPHE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.


FAITS ET PROCÉDURE


Par acte authentique en date du 16 mai 2002, M. [K] [EF] aux droits duquel viennent Mme [A] [L], M. [V] [EF], Mme [F] [EF], M. [O] [EF] et Mme [U] [EF], Mme [G] [EF] et Mme [M] [EF] (les consorts [EF]), ont donné à bail commercial à la S.N.C. ED, aux droits de laquelle vient la S.A.S. Carrefour Proximité France, divers locaux, correspondant à une surface de vente contractuellement évaluée par les parties à 640 m², et un parking sis [Adresse 11] (93), pour une durée de neuf ans pour un loyer annuel en principal, hors charges et taxes, d'un montant de 85.371,45€ et ce pour y exercer tous commerces.



Par acte extrajudiciaire du 10 novembre 2010, les bailleurs ont notifié à la société preneuse un congé à effet au 15 mai 2011, comportant offre de renouvellement, moyennant un loyer annuel en principal de 124.418,63 euros.


Par courrier du 7 décembre 2011, la société preneuse a indiqué accepter le principe du renouvellement du bail à compter du 16 mai 2011 mais pas le montant du loyer proposé.


Les bailleurs ont ensuite notifié à leur locataire un mémoire préalable le 2 mai 2013.


Suivant exploit d'huissier signifié le 30 mai 2014, les consorts [EF] ont assigné la locataire devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins de voir fixer le montant du loyer de renouvellement et voir condamner la locataire à leur verser un rappel de loyer à compter du 1er janvier 2009 suite à l'augmentation par la société preneuse de la surface de vente.


Par jugement du 9 mars 2016, le juge des loyers commerciaux s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige, en raison de la demande présentée au titre de l'arriéré locatif, au profit du tribunal de grande instance de Bobigny.


Par exploit d'huissier signifié le 6 août 2018, la société Carrefour Proximité France a indiqué aux bailleurs qu'elle entendait exercer son droit d'option sur le fondement de l'article L.145-57 du code de commerce🏛, qu'elle renonçait au renouvellement du bail et que les lieux seraient libérés le 20 septembre 2018.


Par jugement du 15 mai 2019, le tribunal de grande instance de Bobigny, statuant en premier ressort par jugement contradictoire et mixte, a :

- Constaté que suite à l'exercice de son droit d'option par la société Carrefour, le bail du 16 mai 2002 portant sur les locaux sis [Adresse 11] (93) a pris fin le 15 mai 2011, par l'effet du congé délivré par acte d'huissier le 10 novembre 2010;

- Condamné la société Carrefour Proximité France à s'acquitter des dépens exposés à l'occasion de la procédure initiée devant le juge des loyers commerciaux et ayant donné lieu au jugement d'incompétence du 9 mars 2016;

- Condamné la société Carrefour Proximité France à verser à M. [V] [EF], Mme [F] [EF], M. [O] [EF] et Mme [U] [EF], Mme [G] [EF] et Mme [M] [EF] la somme de 53.799,21 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les dégradations commises durant son occupation des lieux;

- Débouté M. [V] [EF], Mme [F] [EF], M. [O] [EF] et Mme [U] [EF], Mme [G] [EF] et Mme [M] [EF] de leur demande tendant au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts;

- Dit que cette somme sera payée par le dépôt de garantie versé par la société locataire, en exécution du bail du 16 mai 2002, que M. [V] [EF], Mme [F] [EF], M. [O] [EF] et Mme [U] [EF], Mme [G] [EF] et Mme [M] [EF] pourront conserver;

- Dit que la société Carrefour Proximité France est redevable, pour la période allant du 16 mai 2011 au 20 septembre 2018, d'une indemnité d'occupation d'un montant équivalent à la valeur locative des lieux loués au 16 mai 2011;

- Ordonné avant dire droit sur le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 16 mai 2011 une mesure d'expertise confiée à M. [Y] [N], la faculté de s'adjoindre tout technicien de son choix dans une autre spécialité que la sienne, recevant pour mission, après avoir pris connaissance du dossier, s'être fait communiquer tous documents utiles, avoir entendu les parties ainsi que tout sachant, et s'être rendu sur les lieux, à savoir dans les locaux dépendants d'un immeuble sis [Adresse 11]), dont une description sera effectuée, de :

- apprécier les éléments déterminant la valeur locative des lieux loués suivant les critères ci- dessous en tant qu'ils paraîtront pertinents :

* les caractéristiques propres du local et notamment la surface pondérée dont le calcul sera détaillé ;

* l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité voire, en tant que de besoin, la nature et l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire ;

* la destination et/ou les modalités de jouissance des lieux prévus au bail ;

* les obligations respectives des parties s'agissant notamment des obligations et restrictions imposées au bailleur et/ou au preneur, les améliorations apportées dont l'auteur, l'époque et le coût seront précisés ;

* les facteurs locaux de commercialité et notamment :

° l'importance de la ville, du quartier, de la rue ;

° l'intérêt de l'emplacement du point de vue de l'exercice des activités commerciales et de l'activité considérée en particulier ;

° l'attrait et les sujétions particuliers que peut présenter l'emplacement ;

° l'évolution du secteur ;

- préciser les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;

- donner son avis motivé sur le montant de l'indemnité d"occupation due à compter du 16 mai 2011 selon les critères énoncés aux articles L. 145-33 et R 145-2 à R 145-11 du code de commerce🏛 ;

- fournir au juge tous éléments utiles à la solution du litige ;

- Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile🏛 ;

- Fixé à 3.000 euros le montant de la provision que M. [V] [EF], Mme [F] [EF], M. [O] [EF] et Mme [U] [EF], Mme [G] [EF] et Mme [M] [EF] devront consigner à la régie d'avances et de recettes de ce tribunal avant le 30 juin 2019 et dit qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque;

- Dit que l'expert provoquera la première réunion dans un délai maximum de cinq semaines à partir de sa saisine, constituée par l'avis donné à l'expert du versement de la consignation et que les parties lui communiqueront préalablement toutes les pièces dont elles entendent faire état ;

- Invité l'expert, lors de la première réunion d'expertise et en tout cas dès que possible, à fixer le calendrier des opérations avec la date de diffusion du projet de rapport, le délai imparti aux parties pour transmettre leurs dires et la date du dépôt du rapport définitif;

- Invité l'expert à faire connaître, dès cette première réunion d'expertise, le coût prévisible de sa mission et dit que si la consignation lui apparaît insuffisante, il appartiendra à l'expert commis de solliciter un complément de consignation ;

- Dit que l'expert déposera au greffe du tribunal son rapport dans un délai de six mois suivant sa saisine, en un original et une copie, après en avoir envoyé un exemplaire à chaque partie;

- Dit que l'expert joindra à cet envoi la copie de sa demande de rémunération et que les parties disposeront d'un délai de quinze jours pour formuler des observations sur cette demande;

- Dit que faute pour une partie d'avoir communiqué à l'expert les pièces demandées ou fait parvenir son dire dans les délais impartis, elle sera réputée y avoir renoncé sauf si elle a justifié préalablement à l'expiration du délai d'un motif résultant d'une cause extérieure;

- Sursis à statuer sur les demandes présentées en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;

- Dit que l'affaire sera rappelée par le greffe à l'audience de la mise en état de la 5ème chambre, 3ème section de ce tribunal, pour reprise de la procédure, après dépôt du rapport d'expertise ou constat de la caducité de la mesure;

- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision;

- Réservé les dépens.



Par déclaration du 16 juillet 2019, la société Carrefour Proximité France a interjeté appel partiel du jugement aux fins d'infirmation en ce qu'il a condamné la société Carrefour Proximité France à payer la somme de 53.799,21euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les dégradations commises pendant son occupation des lieux, et en ce qu'il a dit que cette somme sera payée par le dépôt de garantie versé par la société locataire que les consorts [EF] pourront conserver.


Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 2 mai 2022, la société Carrefour Proxmité France demande à la Cour de :


- Déclarer la société Carrefour Proximité France recevable et bien fondée en son appel;

- Infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bobigny du 15 mai 2019, en ce qu'il a :

- condamné « la Société Carrefour Proximité France à verser à Monsieur [V] [EF], Madame [F] [EF], Monsieur [O] [EF], Madame [U] [EF], Madame [G] [EF] et Madame [M] [EF] la somme de 53.799,21 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les dégradations commises durant son occupation des lieux »,

- et « dit que cette somme sera payée par le dépôt de garantie versé par la société locataire, en exécution du bail du 16 mai 2002, que Monsieur [V] [EF], Madame [F] [EF], Monsieur [O] [EF], Madame [U] [EF], Madame [G] [EF] et Madame [M] [EF] pourront conserver »,


- Débouter les consorts [EF] de leurs demandes ;


Et statuant de nouveau :

- Condamner solidairement les consorts [EF] à payer à la société Carrefour Proximité France une somme de 53.799,21 euros, à titre de restitution du dépôt de garantie, avec intérêts au taux légal depuis le 15 janvier 2019 jusqu'au complet remboursement à la société preneuse;

- Condamner solidairement les consorts [EF], à payer la somme de 10.000€, au profit de la société Carrefour Proximité France, au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux entiers dépens, et autoriser la S.C.P. Bolling, Durand & Lallelent, représentée par Me Frédéric Lallelent, avocat au barreau de Paris, à en poursuivre le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


Dans ses dernières conclusions notifiées le 15 avril 2022 par le RPVA, Mme [G] [W] [T] [H] [EF] épouse [YU], M. [I] [CI] [JT], intervenant volontaire venant aux droits en qualité d'héritier unique de Mme [M] [EF] , décédée le 8 mars 2022 , Mme [U] [J] [B] [R] [EF] épouse [S], M. [V] [EF] et M. [O] [EF] demandent à la Cour de :


- Recevoir M. [I] [JT] en son intervention volontaire devant la Cour en qualité d'héritier de Madame [M] [EF];

- Débouter la société Carrefour Proximité France de sa demande d'infirmation du jugement du tribunal de grande instance de Bobigny en ce qu'il a :

- « condamné la Société Carrefour Proximité France à verser à Monsieur [V] [EF], Madame [F] [EF], Monsieur [O] [EF], Madame [U] [EF], madame [G] [EF] et Madame [M] [EF] la somme de 53.799,21 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les dégradations commises durant son occupation des lieux,

- « dit que cette somme sera payée par le dépôt de garantie versé par la société locataire, en exécution du bail du 16 mai 2002, que Monsieur [V] [EF],Madame [F] [EF], Monsieur [O] [EF], Madame [U] [EF], madame [G] [EF] et Madame [M] [EF] pourront conserver »,


- Confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bobigny en ce qu'il a :

-« condamné la Société Carrefour Proximité FRANCE à verser à Monsieur [V] [EF], Madame [F] [EF], Monsieur [O] [EF], Madame [U] [EF], madame [G] [EF] et Madame [M] [EF] la somme de 53.799,21 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les dégradations commises durant son occupation des lieux,

-« dit que cette somme sera payée par le dépôt de garantie versé par la société locataire, en exécution du bail du 16 mai 2002, que Monsieur [V] [EF], Madame [F] [EF], Monsieur [O] [EF], Madame [U] [EF], madame [G] [EF] et Madame [M] [EF] pourront conserver »,


Sauf à mentionner M. [I] [JT] venant aux droits de Madame [M] […];


- Condamner la société CPF à payer à M. [V] [EF], Mme [F] [EF], M. [O] [EF], Mme [U] [EF], Mme [G] [EF] et M. [I] [JT] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛;

- Condamner la même aux entiers dépens;

- Autoriser Me Patrick Deboeuf, avocat au barreau de Paris, à en poursuivre le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 15 mars 2022, Mme [F] [EF] épouse [Z] demande à la Cour de :


- Dire et juger mal fondé l'appel limité interjeté par la société Carrefour Proximité France à l'encontre du jugement rendu le 15 mai 2019 en ce que le tribunal l'a condamnée à payer la somme de 53.799,21 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices causés par les dégradations commises durant son occupation et dit que le dépôt de garantie correspondant à ladite somme sera acquis aux membres de l'indivision [EF];

- Dire et juger qu'il résulte des dispositions du bail notarié du 16 mai 2002 que les lieux étaient dans un état neuf en début de bail, pour avoir été reconstruits par la Société devenue Carrefour Proximité France à la suite d'un sinistre, et que l'article 24 du bail précise que les améliorations et embellissements faits par le preneur appartiendront au bailleur en fin de bail, sans indemnité au profit du locataire, lequel est par ailleurs tenu de maintenir en bon état et de procéder à tous les travaux nécessaires autres que ceux visés à l'article 606 du code civil🏛;

- Dire et juger que le procès verbal de constat dressé par Maître [D], huissier de justice, le 20 septembre 2018, valant état des lieux de sortie, est opposable à la société Carrefour Proximité France et démontre que les lieux ont été restitués dans un état de délabrement avancé et de saleté indescriptible;

- Dire et juger que ledit constat constitue la preuve des dégradations locatives auxquelles la société Carrefour Proximité France aurait dû remédier en application des dispositions du bail;

- Dire et juger, dans ces conditions, que le dépôt de garantie est acquis à Mme [EF] épouse [Z] et aux membres de l'indivision [EF];

- Confirmer le jugement déféré en ce que le tribunal a :

-d'une part, "Condamné la société Carrefour Proximité France à verser Monsieur [V] [EF], Madame [F] [EF], Monsieur [O] [EF], Madame [U] [EF], madame [G] [EF] et Madame [M] [EF] la somme de 53.799,21 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les dégradations commises durant son occupation",

-d'autre part, "Dit que cette somme sera payée par le dépôt de garantie versée par la société locataire, en exécution du bail du 16 mai 2002, que Monsieur [V] [EF], Madame [F] [EF], Monsieur [O] [EF], Madame [U] [EF], madame [G] [EF] et Madame [M] [EF] pourront conserver",


- Réformer en revanche le jugement déféré en ce que le tribunal a rejeté la demande indemnitaire des membres de l'indivision [EF]

et statuant à nouveau,

- Condamner la société Carrefour Proximité France à payer à Madame [EF] épouse [Z] une indemnité de 2.000 euros;


Ajoutant au jugement rendu,

- Condamner la société Carrefour Proximité France à payer à Mme [EF] épouse [Z] une indemnité de 10.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;

- Condamner la société Carrefour Proximité France aux entiers dépens d'appel distraits au profit de Maître Fromentin, Avocat.


En application de l'article 455 du code de procédure civile🏛, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.


L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 mai 2022.



MOTIFS


Il convient de déclarer recevable l'intervention volontaire de M. [I] [JT] venant aux droits de Mme [M] [EF] décédée.


Sur les dégradations locatives


L'appelante soutient qu'il incombe aux bailleurs de rapporter la preuve de la matérialité des dégradations imputables au locataire dont ils se prévalent ainsi que d'un préjudice, rappelant que les locaux doivent être rendus, aux termes du bail, en bon état et que les réparations résultant de la vétusté ne sont pas mises à sa charge. Elle fait valoir que ni le document produit par les intimés en première instance, ni le procès-verbal d'état des lieux de sortie du 20 septembre 2018 qu'elle verse aux débats n'apportent de preuve que les locaux auraient été restitués en mauvais état ou que les prétendues dégradations lui serait imputables ; qu'en outre certaines dégradations alléguées concernent l'extérieur des locaux loués, ce dont elle n'a pas à répondre en l'absence de clause expresse mettant à la charge du locataire de telles réparations ; que les dégradations alléguées résultent soit de l'usage normaux des locaux pendant 17 années, soit du retrait d'équipements dont les consorts [EF] ne peuvent exiger le maintien. Elle ajoute que dans l'acte de vente du bien immobilier à l'établissement public foncier d'Ile de France, le local a été décrit comme étant "dans un état correct". Enfin, la société Carrefour Proximité France soutient que les consorts [EF] ne rapportent pas la preuve d'avoir subi un préjudice en raison de l'état allégué des locaux faute de production de devis ; qu'ils n'établissent pas que ceux-ci ne pouvaient pas être reloués en raison de leur état, ce qui les aurait contraint à vendre, d'autant qu'ils ont à cette occasion réalisée une importante plus value ; que les locaux ont été par la suite démolis en novembre 2019 par l'acquéreur.


Mme [EF] épouse [YU], M. [JT], Mme [EF] épouse [S] et MM. [V] et [O] [EF] soutiennent qu'il ressort tant de l'état des lieux établi par l'agence Foncia qu'ils ont versé aux débats en première instance que du procès-verbal du 20 septembre 2018 produit en cause d'appel par l'appelante, la présence de dégradations dans les lieux, lesquelles ne peuvent résulter de l'usage normal des locaux ; que ces dégradations sont imputables à la locataire, les lieux lui ayant été loués neufs. Selon eux, en l'absence d'état des lieux d'entrée, les locaux doivent obligatoirement être restitués en "bon état", ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Ils estiment que la locataire ne saurait se prévaloir de l'absence de dégradations des lieux correspondant des aménagements qu'elle a enlevés alors que l'article 24 du bail offre la propriété au bailleur de tous les embellissements et améliorations réalisés par le preneur au cours du bail ; que le preneur ne pouvait pas démonter les installations édifiées dans les locaux sans concertation avec le bailleur ; qu'en tout état de cause l'enlèvement de tels matériels ne justifie pas la dégradation des cloisons et l'arrachage des goulottes électriques. Enfin s'agissant du préjudice, ils soutiennent que si les locaux n'avaient pas été tant dégradés, ils n'auraient pas été cédés mais reloués.

Mme [F] [EF] soutient que les locaux ayant été refaits à neuf, le preneur est tenu de les rendre dans le même état sauf vétusté ou force majeure ; que le procès-verbal de constat d'état des lieux produit par la société Carrefour Proximité France confirme que le locaux ont été restitués dans un état de délabrement avancé et sales, outre un mauvais entretien de l'extérieur ; qu'il ne s'agit pas de dégradations résultant de la vétusté. S'agissant du préjudice, elle rappelle que l'indemnisation du bailleur, qui est la conséquence de l'inexécution par le preneur de ses obligations, n'est subordonné ni à l'exécution de réparations par le bailleur, ni à l'engagement effectif de dépenses, ni à la justification d'une perte de valeur locative ; qu'en l'espèce, l'indemnisation réclamée résulte du manquement du preneur à ses obligations ; qu'il doit donc indemniser l'indivisions [EF] à hauteur du montant du dépôt de garantie.


Aux termes de l'article 1731 du code civil🏛, s'il n'a pas été fait d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire.


Par application de l'article 1732 du code civil🏛, le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute.


Aux termes du bail, le preneur est tenu de procéder à tous les travaux nécessaires autres que ceux visés à l'article 606 du code civil🏛.


Le bail ne met pas les réparations rendues nécessaires par la vétusté à la charge du preneur.


En l'espèce, il n'y a pas eu d'état des lieux d'entrée et il est établi que les lieux étaient à l'état neuf lors de la prise à bail le 16 mai 2002, ceux-ci ayant été reconstruits par la locataire à l'issue d'un sinistre.


Par application des dispositions précitées et du bail, la société Carrefour Proximité France devait rendre les lieux en bon état d'entretien et de réparation et non à l'état neuf comme le prétend Mme [F] [EF], aucune clause du bail n'imposant une restitution à l'état neuf.


Les locaux ont été restitués le 20 septembre 2018, après presque 17 ans d'occupation à compter du bail conclu le 16 mai 2002.


Il résulte du constat d'huissier établi le 20 septembre 2018 lors de la restitution des lieux, contradictoirement entre le preneur et le bailleur, constat qui a été versé en cause d'appel, que relèvent des dégradations ou d'un manque d'entretien locatif les éléments suivants : dans la surface de vente, le sol n'a pas été nettoyé, la paroi de gauche du mur est abîmée, il manque 14 mètres de linéaires de cloison; 30 dalles du faux plafonds sont manquantes ou détériorées ; la structure du faux plafond est détériorée en partie droite de la pièce; une porte sectionnelle ne fonctionne pas ; dans la réserve, présence d'un trou dans le mur de gauche, absence de commande manuelle des vasistas et absence de porte d'une chambre froide ; dans les locaux sociaux deux dalles de faux plafonds sont abîmées, absence de poignée de la porte laquelle est abîmée sur la gauche, dans la cuisine absence de poignée de porte et de serrure, dans la zone petite circulation il manque une poignée et une serrure, le détecteur de présence est descellé et un néon ne fonctionne pas ; en façade arrière il est relevé un chemin de câbles arrachés du mur, la présence de détritus et de végétation et il est noté dans le parking qu'un plot anti-bélier est descellé et 3 barreaux sont tordus, au niveau de l'armoire électrique dans la cour, présence de détritus et de canettes vides. Ces constatations reprennent peu ou prou ce qui figure dans les éléments listés par la société Foncia en première page d'un document non daté, établi de manière non contradictoire, et qui avait été produit en première instance par les consorts [EF].


Le surplus des éléments figurant dans le constat d'huissier relève de l'usure normale des locaux et du parking qui ont été utilisés conformément à l'activité de supermarché, pendant prés de 17 ans suivant le bail conclu en mai 2002, après reconstruction des locaux.


La société Carrefour Proximité France n'établit pas que les dégradations précitées ne lui seraient pas imputables et contrairement à ce qu'elle prétend, elle est responsable des détériorations ci-dessus retenues, y compris celles qui résulterait de ses aménagements qu'elle n'a pas réparé avant son départ des lieux.


Il sera relevé que les éléments précités du constat concernant la façade extérieure et le parking relèvent également des obligations d'entretien et de réparation du locataire, les locaux loués ne se limitant pas à leur intérieur et comprenant notamment tel qu'il est dit au bail une cour à usage de parking.


L'indemnisation du bailleur, en raison de l'inexécution par le locataire des réparations locatives, n'est subordonnée ni à l'exécution de réparations par le bailleur, ni à l'engagement effectif de dépenses, ni à la justification d'une perte de valeur locative.


Par conséquent, l'absence de devis de travaux de réparation ou le fait que les consorts [EF] aient réalisé le cas échéant une plus value lors de la vente du bien immobilier sont inopérants sur le droit à indemnisation des bailleurs qui est la conséquence de l'inexécution par la société Carrefour Proximité France de son obligation de réparations locatives.

Au vu des dégradations et du manque d'entretien des locaux précités qui ont été retenus par la Cour, tenant compte de leur importance qui est relativement limitée au vu de la superficie des lieux, le montant du préjudice causé par le preneur sera évalué à la somme de 10 000 euros en l'absence de tout devis évaluant le montant des réparations.


Si Mme [F] [EF] se prévaut de ce que le dépôt de garantie constitue une clause pénale dont il n'a pas été sollicité la modération et qu'il peut être conservé à titre de dommages et intérêts, il convient de relever que le bail stipule que ce n'est qu'en cas de résiliation du bail que le dépôt de garantie peut être conservé à cette fin, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le bail n'ayant pas été résilié.


Par conséquent la somme précitée de 10 000 euros dont la société Carrefour Proximité France est redevable à l'égard des consorts [EF] sera déduite du montant du dépôt de garantie qui a été conservé à hauteur de 53 799,21 euros par les bailleurs et le surplus, soit la somme de 43 799,21 euros sera restituée à la société Carrefour Proximité France avec intérêts à taux légal à compter du 15 janvier 2019 date à laquelle elle a formé sa demande en restitution du dépôt de garantie par voie de conclusions.


Il convient par conséquent d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Carrefour Proximité France à verser aux consorts [EF] la somme de 53.799,21 euros et en ce qu'il a dit que cette somme sera payée par le dépôt de garantie que les consorts [EF] pourront conserver.


Sur la demande de dommages et intérêts formés par Mme [F] [EF]


Si la société Carrefour Proximité France argue dans le corps de ses conclusions de l'irrecevabilité de cette demande au motif qu'elle serait nouvelle en cause d'appel, faute de l'avoir soulevée dans le dispositif de ses conclusions qui seules saisissent la cour, il n'y a pas lieu d'examiner cette irrecevabilité.

Mme [F] [EF] se prévaut de la mauvaise foi de la société Carrefour Proximité France qui n'a pas communiqué spontanément le constat d'huissier du 20 septembre 2018 qu'elle a fait à établir contradictoirement de sorte qu'il a fallu faire sommation de le communiquer. La société Carrefour Proximité France expose qu'aucune demande de communication officielle ne lui a été faite avant le mois de janvier 2020 ; qu'elle n'avait aucune obligation de faire établir ce constat et de le communiquer aux bailleurs qui avaient également la possibilité d'y faire procéder dés la restitution des locaux.


S'il est exact que la société Carrefour Proximité France n'a pas communiqué spontanément aux consorts [EF] la copie du constat d'huissier établi contradictoirement le 20 septembre 2018 à sa demande, ni au mandataire des bailleurs lorsque celui-ci lui en a fait la demande selon l'attestation en date du 25 janvier 2019 produite aux débats, ledit constat a été communiqué en cause d'appel le 8 avril 2020 suite aux conclusions de Mme [F] [EF] de janvier 2020 lui faisant notamment sommation de produire ladite pièce de sorte qu'aucune faute n'est caractérisée et en tout état de cause il n'est pas rapporté la preuve d'un préjudice en résultant pour Mme [F] [EF]. Celle-ci sera donc déboutée de sa demande.


Sur les demandes accessoires


Le jugement de première instance, qui a ordonné une expertise, sera confirmé en ce qu'il a réservé le sort des dépens et des demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile🏛.


En cause d'appel, l'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 et chacune des parties succombant en ses demandes, il convient de faire masse des dépens d'appel qui seront supportés par moitié par chacune des parties avec faculté pour les avocats postulants qui en ont fait la demande, de recouvrer directement sur la partie adverse condamnée, la fraction de ces dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision par application de l'article 699 du code de procédure civile🏛.



PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire en dernier ressort,


Déclare l'intervention volontaire de M. [I] [JT] venant aux droits de Mme [M] [EF] recevable ;


Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Carrefour Proximité France à verser aux consorts [EF] la somme de 53.799,21 euros et en ce qu'il a dit que cette somme sera payée par le dépôt de garantie que les consorts [EF] pourront conserver ;


Le confirme en ses autres dispositions


Statuant à nouveau et y ajoutant


Dit que la société Carrefour Proximité France est redevable envers Mme [EF] épouse [YU], M. [JT], Mme [EF] épouse [S] et MM. [V] et [O] [EF] et Mme [F] [EF] de la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice causé par les dégradations commises durant son occupation des lieux ;


Dit que cette somme sera déduite du montant du dépôt de garantie qui a été conservé à hauteur de 53.799,21 euros par Mme [EF] épouse [YU], M. [JT], Mme [EF] épouse [S] et MM. [V] et [O] [EF] et Mme [F] [EF] ;


Condamne en conséquence solidairement Mme [EF] épouse [YU], M. [JT], Mme [EF] épouse [S] et MM. [V] et [O] [EF] et Mme [F] [EF] à restituer à la société Carrefour Proximité France la somme de 43 799,21 euros au titre du dépôt de garantie ;


Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;


Fait masse des dépens d'appel qui seront supportés par moitié par chacune des parties avec faculté pour les avocats postulants qui en ont fait la demande, de recouvrer directement sur la partie adverse condamnée, la fraction de ces dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision par application de l'article 699 du code de procédure civile🏛 ;


Rejette les demandes plus amples ou contraires.


LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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