Jurisprudence : CA Lyon, 09-06-2022, n° 21/09303, Infirmation

CA Lyon, 09-06-2022, n° 21/09303, Infirmation

A427077B

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N° RG 21/09303 - N° Portalis DBVX-V-B7F-OAWQ


décision du

TJ hors JAF, JEX, JLD, Aa A, JCP de SAINT ETIENNE

Au fond

du 25 novembre 2021


RG :20/04099



[J]


C/


[E]


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


2ème Chambre B


ARRET DU 09 Juin 2022



APPELANTE :


Mme [W], [D], [K] [J]

née le … … … à … (…)

… … … …

… … EN BASSET


représentée par Me Clélia RICHARD de l'AARPI ALTERLINK, avocat au barreau de PARIS- Vestiaire D. 1229


INTIMEE :


Mme [F] [E]

née le … … … à … … … … (…)

… … … … … …

… …


représentée par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON


assistée de Me Valérie ROSSARD, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, substituée par Me Laure GENEBRIER, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE


INTERVENANTE :


Mme LA PROCUREURE GENERALE

1 rue du Palais de Justice

69005 LYON


représentée par Ab B, substitut général


******


Date des plaidoiries tenues en Chambre du Conseil: 07 Avril 2022


Date de mise à disposition : 09 Juin 2022



Composition de la Cour lors des débats et du délibéré:

- Anne-Claire ALMUNEAU, présidente

- Vincent NICOLAS, conseiller

- Carole BATAILLARD, conseillère


assistée pendant les débats de Priscillia CANU, greffière


A l'audience, Anne-Claire ALMUNEAU a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Anne-Claire ALMUNEAU, présidente, et par Sophie PENEAUD, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


*****



EXPOSÉ DU LITIGE


Mme [F] [E] née le … … … à C (Ac) et Mme [Ad] [Ae] née le … … … à … (…) ont vécu maritalement pendant plusieurs années avant de conclure un pacte civil de solidarité le 25 avril 2017 puis de se marier le 23 juin 2018 devant l'officier de l'état civil de la mairie de Périgneux.


Au cours de leur vie commune, Mme [F] [E] et Mme [W] [J] ont eu pour projet de fonder une famille en ayant recours à une insémination artificielle avec un donneur anonyme.


Mme [F] [E] a donné naissance le 4 octobre 2018 à Saint-Priest-en-Jarez, à un enfant prénommé [L].


Par acte notarié du 23 octobre 2019, Mme [F] [E] a consenti à l'adoption plénière de l'enfant par Mme [W] [J].


Le 25 novembre 2019, Mme [F] [E] a rétracté son consentement.



Par requête déposée au greffe du tribunal de Saint-Étienne le 30 novembre 2020, Mme [W] [J] a sollicité l'adoption plénière de [L] [E].


Par jugement du 25 novembre 2021, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Saint-Étienne a rejeté la demande d'adoption plénière de Mme [W] [J], en considérant que le refus de Mme [F] [E] de consentir à l'adoption de l'enfant par Mme [W] [J] n'était pas abusif en l'état de l'incapacité de Mme [W] [J] d'anticiper les besoins matériels et affectifs de l'enfant et à agir dans l'intérêt de celui-ci au détriment de ses propres besoins.



Par déclaration du 9 décembre 2021, Mme [W] [J] a interjeté appel du jugement rendu le 25 novembre 2021.


Par lettres recommandées du 17 janvier 2022 avec accusé de réception, les parties ont été convoquées à l'audience de la cour d'appel fixée au 7 avril 2022.


Par conclusions du 18 mars 2022, Mme [W] [J] demande à la cour :


- de réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge aux affaires familiales de Saint-Étienne,


En conséquence,


- de prononcer l'adoption plénière de [L] [E] par Mme [W] [J],


- de dire que l'autorité parentale sera exercée en commun sur l'enfant,


- de dire que l'enfant s'appellera [L] [E] [J],


- de condamner Mme [F] [E] à payer à Mme [W] [J], la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,


- de condamner Mme [F] [E] aux entiers dépens.


Au soutien de son appel, Mme [W] [J] fait valoir :


- que Mme [F] [E] n'a rétracté son consentement à l'adoption plénière de l'enfant qu'en raison de leur séparation, qu'elle apporte toutes les preuves utiles pour démontrer le refus abusif de Mme [E] de consentir à l'adoption de l'enfant et l'absence de motif légitime de refuser la reconnaissance conjointe prévue par la loi de bioéthique,


- que la loi du 2 août 2021🏛 permet à toutes les femmes d'avoir accès à la procréation médicalement assistée en France, qu'elles soient mariées ou pas et de faire établir une filiation maternelle au moyen d'une reconnaissance devant notaire, que les dispositions transitoires de cette loi permettent aux couples de femmes mariées ou non, ayant eu accès jusqu'à présent à une procréation médicalement assistée avec tiers donneur à l'étranger, d'établir la double filiation maternelle au moyen d'une reconnaissance conjointe établie a posteriori devant notaire, que Mme [F] [E] s'est opposée à cette reconnaissance conjointe,


- que le 21 février 2022, la loi portant réforme de l'adoption est entrée en vigueur, loi qui permet à une femme ayant conçu son enfant par procréation médicalement assistée à l'étranger avec sa compagne ou son épouse, de solliciter du juge judiciaire, l'adoption de l'enfant, nonobstant l'absence de consentement de la mère légale,


- que [L] est le fruit d'un projet parental commun, qu'elles se sont unies par un pacte civil de solidarité puis par mariage, que lors de la naissance prématurée de [L], elles ont été l'une comme l'autre, présentes auprès de l'enfant, que les attestations qu'elle produit aux débats démontrent qu'elle possède indéniablement des qualités parentales et qu'elle est attachée à [L] qui a le droit d'avoir un lien de filiation établi avec son deuxième parent,


- que le refus exprimé par Mme [F] [E] à l'adoption de l'enfant [L] est abusif, qu'en application de l'article 348-6 du code civil🏛, le tribunal peut prononcer l'adoption s'il estime abusif le refus de consentement opposé par les parents ou par l'un d'entre eux seulement, lorsqu'ils se sont désintéressés de l'enfant au risque d'en compromettre la santé ou la moralité, que dès la naissance de l'enfant, elle a occupé une place de mère à son égard, que la rétractation du consentement donné par Mme [F] [E] à l'adoption de l'enfant, n'est qu'une mesure vindicative à la suite de leur séparation,


- qu'elle lutte chaque semaine pour essayer de garder un contact avec [L] en le voyant trois heures le samedi après-midi, sous réserve de l'autorisation de Mme [F] [E],


qu'elle a été autant présente que Mme [F] [E], lors des premiers mois de l'enfant, qu'elle s'est toujours occupée de [L] comme son fils, l'accompagnant chez le pédiatre et participant aux charges de son entretien,


- qu'en application de l'article 9 de la loi du 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption, le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige.


Par conclusions notifiées le 1er avril 2022 , Mme [F] [E] demande à la cour, au visa des articles 343 à 349 du Code civil🏛 :


- de débouter Mme [W] [J] de son appel,


- de confirmer le jugement de rejet de l'adoption plénière rendu le 25 novembre 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Saint-Étienne,


Par conséquent, de débouter Mme [W] [J] de ses demandes,


- de condamner Mme [W] [J] à lui régler la somme de 3800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,


- de condamner Mme [W] [J] aux dépens de l'instance.


Au soutien de son argumentation, Mme [F] [E] fait valoir:


- que si Mme [W] [J] s'est montrée présente au cours des premiers mois qui ont suivi l'accouchement, elle a cependant décidé de rompre définitivement leurs relations, un an après la venue au monde de [L], que Mme [W] [J] a considéré que la naissance de l'enfant avait détruit leur couple, qu'elle ne s'est pas préoccupée des conditions dans lesquelles, elle laissait Mme [F] [E], avec un nourrisson très fragile,


- que dans les semaines qui ont suivi, elle lui a demandé à plusieurs reprises de l'aider à prendre en charge l'enfant, qu'elle s'est heurtée à plusieurs refus au prétexte que Mme [W] [J] se sentait fatiguée et qu'elle n'était pas en capacité de gérer [L], que la famille de Mme [W] [J] s'est également désintéressée de l'enfant, laissant la famille [E] s'occuper de lui,


- qu'après avoir repris contact avec l'enfant, Mme [W] [J] a de nouveau rompu le lien avec celui-ci au mois de mars 2020 sous le prétexte qu'elle ne voulait pas prendre le risque de contaminer l'enfant, qu'à chaque difficulté, celle-ci a fui, la laissant se débrouiller seule,


- qu'une procédure de divorce est en cours devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Saint-Étienne,


- que l'article 3-1 de la Convention de New York du 26 janvier 1990, précise que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale,


- que pour la Convention européenne des droits de l'homme🏛, le droit d'adopter n'est pas garanti en tant que tel,


- qu'en application de l'article 348 -6 du code civil🏛, le tribunal peut prononcer l'adoption s'il estime abusif le refus de consentement opposé par les parents ou par l'un d'entre eux seulement, lorsqu'ils se sont désintéressés de l'enfant au risque d'en compromettre la santé ou la moralité,


- que la loi du 21 février 2022🏛 visant à réformer l'adoption prévoit dans son article 9 que la femme qui n'a pas accouché peut demander à adopter l'enfant, sous réserve de rapporter


la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger avant la publication de la loi du 2 août 2021🏛
, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puissent lui être opposées l'absence de lien conjugal ni la condition de durée d'accueil prévue au premier alinéa de l'article 345 du code civil🏛, que le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige,


- qu'en application de l'article 343 du code civil🏛, l'adoption peut être demandée par deux époux non séparés, mariés depuis plus de 2 ans ou âgés l'un et l'autre de plus de 28 ans, que si l'adoptant est marié et non séparé de corps, le consentement de son conjoint est nécessaire à moins que ce conjoint ne soit dans l'impossibilité de manifester sa volonté,


- que les articles 343-1, 347 et 348-1 du code civil🏛 imposent, pour que l'adoption soit possible, que le conjoint parent donne son consentement à l'adoption de son enfant, que tel n'est pas le cas, que bien qu'elle admette que Mme [W] [J] puisse voir son fils, elle refuse expressément qu'un lien de filiation soit établi entre [L] et Mme [W] [J], que Mme [Ae] ayant conscience de la situation, tente d'outrepasser le refus opposé par Mme [E] à l'adoption de [L] en invoquant plusieurs fondements : d'une part l'article 348 -6 du code civil🏛 et d'autre part l'article 9 de la loi du 21 février 2022🏛,


- que l'article 348-6 du code civil🏛 n'est pas applicable à la situation puisque le tribunal peut seulement prononcer l'adoption d'un enfant en dépit du défaut de consentement du parent lorsque ce parent s'est désintéressé de l'enfant, qu'elle ne s'est à aucun moment désintéressée de son fils,


- que l'article 9 de la loi du 21 février 2022🏛 offre temporairement une nouvelle possibilité aux femmes ayant eu recours à une procréation médicalement assistée et n'ayant pas accouché de l'enfant, de demander l'adoption plénière de l'enfant né lorsque la mère biologique refuse d'avoir recours à la reconnaissance conjointe prévue par la loi du 2 août 2021🏛, que le tribunal ne prononce l'adoption que s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige,


- qu'autoriser Mme [W] [J] à adopter [L] n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant, dès lors que Mme [W] [J] a rompu deux fois le lien avec [L], en dépit des tentatives qu'elle a faites pour préserver ce lien, qu'il ne peut être exclu que dans l'avenir Mme [W] [J] ne réitère un tel comportement, que Mme [W] [J] est une personne fragile, que le souhait de Mme [W] [J] d'occuper un rôle de mère à l'égard de l'enfant varie en fonction de son état psychologique, que Mme [W] [J] est poussée dans sa démarche d'adoption par sa nouvelle compagne, Mme [Af] qui n'hésite pas à se livrer à une analyse de Mme [E] alors qu'elle ne la connaît pas,


- que la participation de Mme [W] [J] aux frais d'entretien de l'enfant, est à la fois très irrégulière et dérisoire par rapport aux besoins de l'enfant,


- que la protection de [L] n'exige pas que celui-ci soit adopté par Mme [W] [J], qu'il s'agit d'un enfant parfaitement équilibré grâce à l'éducation qu'il a reçue, qu'elle veille sur la santé de son fils qui a connu des difficultés majeures à la naissance, que c'est la raison pour laquelle elle se montre particulièrement attentive aux allergies éventuelles de [L] et aux conditions d'hygiène des lieux qu'il fréquente, que l'enfant n'assimile pas Mme [J] comme un deuxième parent, que l'adoption de [L] par Mme [W] [J] conduirait à déstabiliser le quotidien de l'enfant et à l'exposer à des conflits majeurs, que les relations entre Mme [Ae] et Mme [E] sont très conflictuelles, qu'elle se voit régulièrement menacée par Mme [Ae], que l'adoption plénière de l'enfant ne permettrait pas de le protéger.


Par soit-transmis du 29 mars 2022, le dossier a été communiqué pour avis au ministère public.


Dans un avis du 4 avril 2022, le ministère public a fait observer qu'il n'avait pas eu accès au dossier de Mme [F] [E], que la double condition posée par l'article 348 -6 du code civil🏛 (refus abusif de consentir à l'adoption par le parent et désintérêt de l'enfant par ce dernier) n'est pas caractérisée en l'espèce, que s'agissant de l'article 9 de la loi du 21 février


2022, la rétractation de Mme [F] [E] n'apparaît pas abusive et ce, au regard de la motivation du jugement de première instance non remise en cause par les pièces communiquées par l'appelante.



EXPOSÉ DES MOTIFS :


Pour rejeter la demande d'adoption plénière présentée par Mme [W] [J], le juge aux affaires familiales a retenu que Mme [W] [J] avait quitté le domicile familial de manière particulièrement brutale, que les circonstances de ce départ, la rupture du lien avec [L] et le refus de dialogue de Mme [Ae], ont provoqué l'inquiétude de Mme [E] et celle de l'entourage familial et amical dans la mesure où Mme [Ae] présente une fragilité psychologique qu'elle ne conteste pas.


Le juge aux affaires familiales a rappelé que [L] était né prématurément et présentait notamment des troubles du rythme cardiaque, ce qui imposait des soins soutenus, un cadre de vie stable et sécurisant ainsi qu'une implication parentale importante, qu'à la suite de son départ Mme [Ae] n'était venu voir [L] que de manière épisodique, en dépit des demandes de Mme [E] et des membres de l'entourage familial, que Mme [Ae] s'était éloigné du lieu de vie de [L] en emportant les meubles du domicile où vivait celui-ci et avait rapidement fait part de sa volonté de vendre le domicile conjugal, sans s'interroger sur les conséquences de telles décisions et agissements sur l'équilibre psycho-affectif de [L] qui a tout comme sa mère, subi le départ une personne occupant la place d'un parent dans sa vie.


Le juge aux affaires familiales a considéré que le refus de Mme [F] [E] de consentir à l'adoption de [L] ne peut être qualifié d'abusif en l'état de l'incapacité de Mme [J] d'anticiper les besoins tant matériels qu'affectifs de l'enfant.


Il n'est pas anodin d'observer que Mme [F] [E] qui avait consenti par acte notarié du 23 octobre 2019 à l'adoption plénière de [L] par son épouse Mme [W] [J], a rétracté son consentement le 25 novembre 2019, trois semaines après leur rupture et que cette décision apparaît plus comme une mesure de rétorsion dirigée contre Mme [W] [J] que comme la volonté de protéger l'enfant.


Au soutien de sa demande d'adoption, Mme [W] [J] invoque les dispositions de l'article 348 -6 du code civil🏛 qui prévoit que le tribunal peut prononcer l'adoption s'il estime abusif le refus de consentement opposé par les parents ou par l'un d'entre eux seulement, lorsqu'ils se sont désintéressés de l'enfant au risque d'en compromettre la santé ou la moralité.


De toute évidence cet article n'est pas applicable à l'espèce puisqu'il ne peut pas être soutenu que Mme [F] [E] se serait désintéressé de son fils au risque d'en compromettre la santé ou la moralité.


Mme [W] [J] se prévaut ensuite des dispositions de l'article 9 de la loi n° 2022 -219 du 21 février 2022🏛 visant à réformer l'adoption et aux termes duquel à titre exceptionnel, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l'acte de naissance de l'enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l'article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021🏛 relative à la bioéthique, la femme qui n'a pas accouché peut demander à adopter l'enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger avant la publication de la même loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse lui être opposé l'absence de lien conjugal ni la condition de durée d'accueil prévue au premier alinéa de l'article 345 du Code civil🏛, le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige. Il statue par une décision spécialement motivée. L'adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu'en matière d'adoption de l'enfant du conjoint, du partenaire d'un pacte civil de solidarité ou du concubin.


Mme [F] [E] oppose en vain le fait qu'elle soit séparée de Mme [W] [J] en faisant valoir que l'esprit de la loi française est d'interdire à la personne mariée de pouvoir adopter l'enfant de son conjoint et d'avoir des droits sur lui lorsque celle-ci est séparée du conjoint parent.


Les dispositions de l'article 9 de la loi du 21 février 2022🏛 n'exigent pas l'existence d'un lien conjugal préalable ni la condition de durée d'accueil prévue au premier alinéa de l'article 345 du code civil🏛 dès lors que la femme qui souhaite adopter un enfant rapporte la preuve d'un projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger avant la publication de cette loi.


Mme [F] [E] ne conteste pas l'existence d'un projet parental commun ni le recours à une assistance médicale à la procréation réalisée en Belgique avant la publication de la loi du 2 août 2021🏛 mais fait observer que le tribunal ne doit prononcer l'adoption que s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige.


Mme [F] [E] conteste que l'adoption de l'enfant corresponde à l'intérêt de celui-ci dès lors que Mme [W] [J] a marqué son désintérêt à son égard deux fois, une première fois au moment de leur séparation au mois de novembre 2019 et ensuite au mois de mars 2020.


Si Mme [F] [E] reconnaît que Mme [W] [J] a été très présente au cours des premiers mois de l'enfant dont l'état de santé était très précaire du fait de sa prématurité, elle lui fait grief de ne plus s'être préoccupée de l'enfant dans les mois qui ont suivi leur séparation, invoquant son état de fatigue, d'avoir à nouveau abandonné l'enfant au moment de la crise sanitaire du mois de mars 2020, de ne pas avoir reçu davantage d'aide de la part de la famille [J].


Cette analyse de la situation est démentie par les attestations de la famille [J], notamment celle de Mme [B] [J] qui indique qu'en sa qualité de mère d'[W] [J], elle a dû s'éloigner de [L] pendant la séparation de [F] et [W], qu'elle n'a pas souhaité s'immiscer dans leur vie de couple, même si elle avait observé que [F] laissait très peu de place à [W] dans leur vie commune, que si elle est allée voir [L], en compagnie d'[W] au domicile de [F] [E], elle a dû rapidement y renoncer pour éviter les tensions et les cris de [F] [E], qu'[W] à dû se résigner à espacer ses visites pour éviter le harcèlement auquel se livrait Mme [Ag] qui n'acceptait pas leur séparation.


La naissance de l'enfant, sa grande fragilité, l'attention constante qui lui était nécessaire ont pu déstabiliser le couple que formaient depuis plusieurs années Mme [E] et Mme [Ae], cette dernière ayant préféré s'éloigner pour ne pas exposer l'enfant aux disputes incessantes d'un couple qui ne s'entendait plus.


La lecture des sms adressés par Mme [F] [E] à Mme [W] [J] dans les jours et les semaines qui ont suivi la séparation, témoigne du fait que Mme [Ag] considérait Mme [J] comme l'autre parent de l'enfant auquel elle avait donné naissance.


Mme [F] [J] précise avoir accompagné, dans les semaines qui ont suivi la séparation, sa soeur [W] au domicile de Mme [F] [E] pour y voir l'enfant dans un climat tendu provoqué par les remarques de Mme [F] [E] et indique que depuis plus d'un an et demi, [W] peut accueillir l'enfant à son domicile et respecte le rythme du petit garçon en l'entourant d'affection.


Le fait que Mme [W] [J] ait refusé tout contact avec l'enfant au début de la crise sanitaire, au mois de mars 2020, ne traduit pas un désintérêt mais la volonté évidente de protéger un enfant fragile de tout risque de contamination, alors qu'elle exerçait la profession d'aide-soignante qui était une profession particulièrement exposée.


Mme [F] [E] met en exergue le fait que Mme [W] [J] a insécurisé l'enfant au cours des deux premières années de sa vie mais cette accusation ne résiste pas à la lecture du rapport d'enquête sociale


Il ressort de la lecture du rapport établi le 20 avril 2021 après enquête effectuée par le service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Haute-Loire que Mme [W] [J] est apparue comme une jeune femme calme et réfléchie, montrant qu'elle portait un grand intérêt à [L] qu'elle considère comme son fils, respectueuse du rythme de vie de l'enfant, aspirant à des relations plus sereines avec Mme [E], recevant l'enfant dans un cadre adapté à son bien-être, ne voulant pas s'approprier l'enfant mais l'accueillir pendant une partie des fins de semaine et des vacances scolaires, qu'elle est en capacité de repérer les besoins de [L] et d'y répondre de manière adaptée, qu'elle fait preuve de bon sens.


Mme [F] [E] soutient que Mme [W] [J] est instable mais cette argumentation est principalement liée aux conditions de leur séparation qui a été brutale et difficile à la fois pour Mme [E] et pour Mme [Ae] mais aussi pour leurs familles respectives que des liens d'amitié unissaient.


Si l'année qui a suivi la séparation a été éprouvante sur un plan psychologique pour chacune des épouses, Mme [W] [J] est parvenue à se rapprocher de Mme [F] [E] et à renouer avec [L], une relation de qualité.


Il est certain que Mme [F] [E] a représenté une figure stable d'attachement pour l'enfant, ce que n'a pas su faire Mme [W] [J] dans les mois qui ont suivi leur séparation.


Pour autant l'affection que Mme [W] [J] témoigne à l'enfant ne peut pas être contestée en dépit du fait que Mme [F] [E] s'efforce de l'exclure du quotidien de l'enfant.


Le petit [L] qui est né d'un projet parental commun doit pouvoir être adopté par Mme [W] [J], pour s'inscrire dans deux familles qui le considèrent comme leur petit-fils, un double lien de filiation constituant une protection pour un enfant qui bénéficierait d'ores et déjà d'un double lien de filiation s'il était né après l'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021
relative à la bioéthique.


Le jugement dont appel doit être réformé et l'adoption plénière de l'enfant [L] par Mme [W] [D] [K] [J], prononcée.


En ce qui concerne l'autorité parentale à l'égard de l'enfant, il appartiendra au juge aux affaires familiales de statuer sur ce point dans la cadre de la procédure de divorce en cours.


L'équité ne commande pas de faire droit aux demandes d'indemnités formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛.


Chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens d'appel.



PAR CES MOTIFS,


La cour

après débats en chambre du conseil après en avoir délibéré, statuant contradictoirement et en dernier ressort, et dans les limites de sa saisine,


Réforme le jugement rendu le 25 novembre 2021 par le tribunal de Saint-Etienne en ce qu'il a rejeté la demande d'adoption plénière de l'enfant [L] par Mme [W] [J].


Statuant à nouveau,


Prononce l'adoption plénière de [L] [E], de sexe masculin né 4 octobre 2018 à Saint-Priest-en-Jarez par [W] [D] [K] [J], née le … … … à … ( …), aide-soignante.


Dit que [L] [E] portera les noms : [E] [J].


Dit que copie du présent arrêt sera transmis à Madame la procureure générale en vue de sa transcription et mention, dans les formes et délais de la loi, sur les registres de l'état civil de la mairie de Saint-Priest-en-Jarrez.


Dit qu'il appartiendra au juge aux affaires familiales de statuer sur les modalités de l'autorité parentale.


Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛, au profit de l'une ou de l'autre des parties.


Laisse à chaque partie, la charge de ses propres dépens.


Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile🏛.


Signé par Anne-Claire ALMUNEAU, présidente de chambre et par Sophie PENEAUD, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


La greffière La présidente

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