N° D 21-86.360 FS-B
N° 00608
SL2
9 JUIN 2022
CASSATION
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 JUIN 2022
M. [B] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 6 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 21 octobre 2021, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre lui du chef de blanchiment, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant ordonné une saisie pénale.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [B] [V], et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 avril 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Planchon, conseiller rapporteur, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Pichon, M. Ascensi, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, Mme Zientara-Logeay, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une enquête a été diligentée en France du chef de blanchiment de fonds issus de la corruption et de détournement de fonds public commis au Yémen, à l'encontre, notamment, du fils de l'ancien président de ce pays, M. [Aa] [S] [H] [V], dit [B] [V], et les investigations ont révélé qu'il était titulaire d'un compte bancaire français ouvert sous ce nom auprès de l'établissement [2] alimenté par un compte yéménite, grâce auquel il a acquis plusieurs biens immobiliers, notamment en France, via des sociétés titulaires de comptes bancaires dans le même établissement alimentés par des transferts de fonds en provenance du compte français du demandeur.
3. Parmi ces biens figurent deux appartements et leurs dépendances situés [Adresse 1], acquis les 30 juin 1982, 3 février 1984 et 29 juillet 2010 pour une somme de 6 500 000 euros et dont est propriétaire la société [3], dont M. [Ab] est gérant et associé unique.
4. Le 9 juillet 2020, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie de cet ensemble de biens par une ordonnance à l'encontre de laquelle le demandeur a interjeté appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'appel de M. [V] irrecevable pour défaut de qualité à agir, alors :
« 1°/ que l'ordonnance de saisie immobilière est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision ; qu'en déclarant irrecevable pour défaut de qualité à agir l'appel formé par M. [V] à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention ayant ordonné la saisie de biens immobiliers appartenant à la société [3], lorsque M. [Ab] avait reçu notification de cette décision qui retenait qu'il avait la libre disposition des biens saisis, la chambre de l'instruction a violé l'
article 706-150 du code de procédure pénale🏛 ;
2°/ que l'ordonnance de saisie avait elle-même retenu que M. [Ab], gérant et associé de la société [3], avait la libre disposition des biens immobiliers saisis et avait (prétendument) utilisé la personnalité morale de cette société comme un écran afin d'acquérir en réalité lui-même ces biens au moyen de fonds provenant intégralement de ses comptes bancaires personnels ; qu'il s'en déduisait que M. [V] était un tiers ayant des droits sur les biens saisis et, partant, avait qualité à faire appel contre l'ordonnance de saisie devant la chambre de l'instruction ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'
article 706-150 du code de procédure pénale🏛. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par le demandeur à l'encontre de l'ordonnance de saisie, l'arrêt attaqué relève, notamment, que si la notification d'une décision de saisie pénale immobilière à une personne fait courir les délais d'appel à son encontre, elle n'a pas, à elle seule, pour effet de lui conférer qualité pour agir en appel.
7. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
8. Le grief ne peut donc qu'être écarté.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Vu les
articles 131-21 du code pénal🏛 et 706-150 du
code de procédure pénale :
9. Selon le second de ces textes, la décision de saisie immobilière rendue par le juge d'instruction est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision.
10. La Cour de cassation juge que les associés et titulaires de parts d'une société civile immobilière, seule propriétaire de l'immeuble saisi, ne sont pas des tiers ayant des droits sur ce bien au sens de l'
article 706-150 du code de procédure pénale🏛 et n'ont donc pas qualité pour exercer un recours contre l'ordonnance de saisie ni pour se pourvoir en cassation (
Crim., 3 mai 2018, pourvoi n° 16-87.534⚖️, Ac. crim. 2018, n° 82).
11. Cette jurisprudence s'étend a fortiori au bénéficiaire économique de la société porteuse de parts d'une telle société civile immobilière.
12. La question se pose cependant de savoir si l'appel est irrecevable, y compris lorsque la saisie est fondée sur la circonstance que le bien est à la libre disposition de l'appelant.
13. En matière de confiscation, la Cour de cassation a retenu que le propriétaire économique réel de l'immeuble confisqué sous la fausse apparence de la propriété d'un tiers en a la libre disposition (
Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86.979⚖️).
14. Il s'en déduit que lorsque l'ordonnance de saisie est fondée sur la circonstance que le bien concerné est à la libre disposition de la personne mise en cause ou mise en examen, cette dernière, qui peut être assimilée au propriétaire du bien saisi ou à un tiers ayant des droits sur ce bien, est recevable à interjeter appel de l'ordonnance de saisie.
15. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par M. [V] à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention ordonnant la saisie pénale de biens immobiliers, l'arrêt attaqué relève qu'il découle des dispositions du deuxième alinéa de l'
article 706-150 du code de procédure pénale🏛 que seuls le titulaire du bien saisi et les tiers ayant des droits sur ce bien ont la faculté d'interjeter appel contre une ordonnance de saisie pénale immobilière et qu'il est constant qu'en l'espèce M. [Ab] n'est pas propriétaire des biens objet de la saisie qui appartiennent à la société [3]
16. Les juges ajoutent qu'il ressort de la déclaration d'appel que M. [V] a interjeté appel en son nom personnel et non en qualité de représentant légal de la société propriétaire des biens qui font l'objet de la saisie, que ni le gérant de la société agissant en son nom personnel, ni un associé de la personne morale agissant en son nom personnel n'a qualité pour agir au sens des dispositions susvisées, sauf à justifier par ailleurs être « tiers ayant des droits sur ce bien » au sens de ce texte, et que si les indivisaires, les titulaires de démembrements du droit de propriété ou encore les créanciers titulaires de sûretés réelles ayant le bien saisi pour assiette, sont des tiers ayant des droits sur le bien au sens des dispositions de l'
article 706-150, alinéa 2, du code de procédure pénale🏛, il n'est ni justifié ni même prétendu que M. [Ab] peut se prévaloir de l'une au moins de ces qualités.
17. Ils énoncent que la circonstance que la motivation du juge des libertés et de la détention, suivant en cela le raisonnement du procureur de la République financier, aurait retenu que M. [V] a la libre disposition des biens considérés au sens des dispositions de l'
article 131-21 du code pénal🏛, et de manière plus générale semblerait considérer que la personne morale propriétaire des biens objet de la saisie pénale n'est qu'un écran, ne saurait conduire à conférer au demandeur la qualité de « tiers ayant des droits sur le bien » au sens des dispositions de l'article 706-150, alinéa 2, susvisé.
18. En prononçant ainsi alors qu'il résulte des motifs de l'ordonnance de saisie attaquée qu'elle est fondée sur la circonstance que le demandeur a la libre disposition des biens saisis, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
19. La cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 21 octobre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf juin deux mille vingt-deux.