SOC.
OR
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 juin 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 691 FS-B
Pourvoi n° Q 20-22.564
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUIN 2022
M. [Aa] [L], domicilié [… …], a formé le pourvoi n° Q 20-22.564 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), dans le litige l'opposant à la Régie autonome des transports parisiens, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Capitaine, conseiller, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. [L], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Régie autonome des transports parisiens, et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Capitaine, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Ab Ac, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 octobre 2020), M. [Ad], engagé en qualité d'agent de sécurité à compter du 1er août 2005 par la Régie autonome des transports parisiens (RATP), a été en arrêt de travail à compter du 14 mars 2015 à la suite d'un accident du travail.
2. Selon avis du médecin du travail du 16 mars 2016, il a été déclaré inapte à son emploi statutaire.
3. L'agent a demandé le 16 mars 2016 sa réforme médicale en application de l'article 50 du statut du personnel et après avis favorable de la commission médicale du 12 mai 2016, la RATP lui a notifié sa mise à la retraite par réforme à compter de cette date.
4. Il a saisi la juridiction prud'homale pour voir déclarer nulle la rupture de son contrat de travail par mise à la retraite par réforme médicale à titre principal et s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, et aux fins d'obtenir paiement de diverses sommes à ce titre.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [L] fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes hormis celle d'annulation de la sanction disciplinaire du 18 novembre 2009, alors « que lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié, agent de la RATP, se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, la rupture du contrat de travail par la réforme de l'agent ; que les dispositions de l'article 99 du statut de la RATP, en subordonnant le reclassement à la présentation d'une demande par l'intéressé ont pour objet d'interdire à l'employeur d'imposer un tel reclassement, mais ne le dispensent pas d'inviter l'intéressé à formuler une telle demande ; que l'exposant avait fait valoir que le 16 mars 2016, il avait été déclaré inapte définitif à l'emploi statutaire (au poste d'agent de sécurité) par le médecin du travail et que le 30 mai 2016, la RATP lui avait notifié sa mise à la retraite par réforme à compter de cette date, sans qu'aucune recherche ni proposition de reclassement n'ait été préalablement effectuée par la RATP ; qu'en retenant pour débouter l'exposant de toutes ses demandes liées à la rupture de son contrat de travail, que M. [Ad] a expressément demandé une réforme médicale en application de l'article 50 du statut de la SNCF, que l'employeur explique qu'il s'agit d'un mode de rupture spécifique aux agents RATP qui entraîne la liquidation d'une pension immédiate quelle que soit la durée de services accomplis par l'intéressé au moment de la cessation de ses fonctions à la régie, que l'employeur rappelle qu'en application de l'article 98 du statut « l'inaptitude à tout emploi à la Régie relève de la seule compétence de la Commission médicale et entraîne obligatoirement la réforme de l'agent concerné » et en ajoutant que « ce mode de cessation des fonctions ne relève pas d'une décision de rompre le contrat de travail suite à une impossibilité de reclassement », la cour d'appel qui a ainsi, à tort, écarté toute obligation de reclassement à la charge de la RATP, employeur préalablement à la mise à la retraite par réforme de l'agent atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi médicalement constatée a violé les
articles L. 1211-1, L. 1226-10 du code du travail🏛 et 50 du chapitre IV et 97, 98 et 99 du chapitre VII du statut du personnel de la RATP prévu par l'
article 31 de la loi n° 48-506 du 21 mars 1948. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles L. 1211-1, L. 1226-10 du code du travail🏛, dans sa rédaction issue de la
loi n° 2012-387 du 22 mars 2012🏛, 97, 98 et 99 du chapitre VII du statut du personnel de la RATP prévu par l'
article 31 de la loi n° 48-506 du 21 mars 1948 :
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, la rupture du contrat de travail. Les dispositions de l'article 99 du statut de la RATP, en subordonnant le reclassement à la présentation d'une demande par l'intéressé, ont pour objet d'interdire à l'employeur d'imposer un tel reclassement, mais ne le dispensent pas d'inviter l'intéressé à formuler une telle demande, lorsque le médecin du travail l'a déclaré définitivement inapte à son emploi statutaire, en application de l'article 97 du même statut, et ce avant que la commission médicale ne se prononce, en application des articles 94 et 98, sur l'inaptitude à tout emploi dans la RATP.
8. Pour débouter l'agent de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail, l'arrêt retient qu'aucune des dispositions légales ou statutaires applicables ne prévoit la mention de la procédure de reclassement et des voies de recours dans la lettre de réforme, que l'agent a expressément demandé une réforme médicale en application de l'article 50 du statut de la RATP et que ce mode de cessation des fonctions ne relève pas d'une décision de rompre le contrat de travail suite à une impossibilité de reclassement.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'agent n'avait pas été invité à présenter une demande de reclassement avant que soit mise en oeuvre la procédure de réforme, ce dont il résultait que la décision de réforme n'avait pas été régulièrement prise, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquence de la cassation
10. Le second moyen ne formulant que des critiques contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de débouter M. [Ad] de ses demandes d'indemnité pour nullité de la rupture du contrat de travail à titre principal et licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, à titre d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, la cassation sera limitée à ces dispositions et ne peut s'étendre aux autres dispositions de l'arrêt qui ne sont pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [Ad] de ses demandes d'indemnité pour nullité de la rupture du contrat de travail à titre principal et licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, à titre d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, l'arrêt rendu le 7 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la Régie autonome des transports parisiens aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la Régie autonome des transports parisiens et la condamne à payer à M. [Ad] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour M. [Ad]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR, débouté l'exposant de toutes ses demandes hormis celle d'annulation de la sanction disciplinaire du 18 novembre 2009 ;
1°) ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'
article L. 1152-1 du code du travail🏛 ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'au soutien de la reconnaissance du harcèlement moral dont il avait été victime, l'exposant avait invoqué un très grand nombre de faits et agissements dont il avait été victime et qui avaient eu pour effet d'entraîner une dégradation de ses conditions de travail, de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale et de compromettre son avenir professionnel, ainsi que cela ressortait encore des nombreux éléments médicaux qu'il produisait ; qu'en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par l'exposant y compris ceux qu'elle avait retenu comme matériellement établis, ainsi que des éléments médicaux produits, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis, dont les certificats médicaux, laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral, et dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les
articles L 1152-1 du code du travail🏛 et L 1154-1 dudit code ;
2°) ALORS QUE la cassation de l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande de l'exposant tendant à voir reconnaître le harcèlement moral dont il avait été victime entraînera par voie de conséquence, en application de l'
article 624 du code de procédure civile🏛 sa censure en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de nullité de la rupture de son contrat de travail et de ses demandes subséquentes, ces chefs de dispositif de l'arrêt étant dans un lien de dépendance nécessaire ;
SECOND MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR, débouté l'exposant de toutes ses demandes hormis celle d'annulation de la sanction disciplinaire du 18 novembre 2009 ;
1°) ALORS QUE lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié, agent de la RATP, se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, la rupture du contrat de travail par la réforme de l'agent; que les dispositions de l'article 99 du statut de la RATP, en subordonnant le reclassement à la présentation d'une demande par l'intéressé ont pour objet d'interdire à l'employeur d'imposer un tel reclassement, mais ne le dispensent pas d'inviter l'intéressé à formuler une telle demande ; que l'exposant avait fait valoir que le 16 mars 2016, il avait été déclaré inapte définitif à l'emploi statutaire (au poste d'agent de sécurité) par le médecin du travail et que le 30 mai 2016, la RATP lui avait notifié sa mise à la retraite par réforme à compter de cette date, sans qu'aucune recherche ni proposition de reclassement n'ait été préalablement effectuée par la RATP ; qu'en retenant pour débouter l'exposant de toutes ses demandes liées à la rupture de son contrat de travail, que M. [Ad] a expressément demandé une réforme médicale en application de l'article 50 du statut de la SNCF, que l'employeur explique qu'il s'agit d'un mode de rupture spécifique aux agents RATP qui entraîne la liquidation d'une pension immédiate quelle que soit la durée de services accomplis par l'intéressé au moment de la cessation de ses fonctions à la régie, que l'employeur rappelle qu'en application de l'article 98 du statut « l'inaptitude à tout emploi à la Régie relève de la seule compétence de la Commission médicale et entraîne obligatoirement la réforme de l'agent concerné » et en ajoutant que « ce mode de cessation des fonctions ne relève pas d'une décision de rompre le contrat de travail suite à une impossibilité de reclassement », la cour d'appel qui a ainsi, à tort, écarté toute obligation de reclassement à la charge de la RATP, employeur préalablement à la mise à la retraite par réforme de l'agent atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi médicalement constatée a violé les
articles L. 1211-1, L. 1226-10 du code du travail🏛 et 50 du chapitre IV et 97, 98 et 99 du chapitre VII du statut du personnel de la RATP prévu par l'
article 31 de la loi n° 48-506 du 21 mars 1948 ;
2°) ALORS QU'en cas d'inaptitude définitive d'un agent RATP à occuper son emploi, médicalement constatée et consécutive à un accident du travail, la rupture du contrat de l'agent par sa mise à la retraite par réforme en application du statut des agents de la RATP ne peut être prononcée que dans le respect des dispositions de l'
article L 1226-10 du code du travail🏛 et notamment après consultation préalable des délégués du personnel sur les propositions de reclassement ; qu'en retenant pour débouter l'exposant de toutes ses demandes liées à la rupture de son contrat de travail que M. [Ad] a expressément demandé une réforme médicale en application de l'article 50 du statut de la SNCF, que l'employeur explique qu'il s'agit d'un mode de rupture spécifique aux agents RATP qui entraîne la liquidation d'une pension immédiate quelle que soit la durée de services accomplis par l'intéressé au moment de la cessation de ses fonctions à la régie et en ajoutant que « ce mode de cessation des fonctions ne relève pas d'une décision de rompre le contrat de travail suite à une impossibilité de reclassement et la consultation des délégués du personnel n'est pas prévue dans cette hypothèse par le statut du personnel de la RATP, acte administratif réglementaire pris en vertu d'une loi spéciale », la cour d'appel a violé les
articles L. 1211-1, L. 1226-10 du code du travail🏛 et 50 du chapitre IV et 97, 98 et 99 du chapitre VII du statut du personnel de la RATP prévu par l'
article 31 de la loi n° 48-506 du 21 mars 1948 ;