Jurisprudence : CE 7 ch., 10-11-2021, n° 449985

CE 7 ch., 10-11-2021, n° 449985

A741674G

Identifiant européen : ECLI:FR:CECHS:2021:449985.20211110

Identifiant Legifrance : CETATEXT000044319230

Référence

CE 7 ch., 10-11-2021, n° 449985. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/85499256-ce-7-ch-10112021-n-449985
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CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 449985

Séance du 21 octobre 2021

Lecture du 10 novembre 2021

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème chambre jugeant seule)


Vu la procédure suivante :

La société Indigo Infra CGST a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune de Sète à lui verser la somme de 6 211 993,43 euros augmentée des intérêts légaux à compter de sa demande préalable du 18 février 2016, eux-mêmes capitalisés, à la suite de la résiliation par la commune de la convention de concession de stationnement urbain conclue entre les parties. Par un jugement n° 1602683 du 27 juillet 2017, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la commune de Sète à verser à la société Indigo Infra CGST la somme de 76 224,51 euros par année restant à courir prévue à l'article 5 de l'avenant n° 1 à la convention de concession, dans les conditions prévues au paragraphe 1/2 de l'article 1er de cet avenant, augmentée des intérêts légaux à compter du 24 février 2016 eux-mêmes capitalisés à compter du 24 février 2017.

Par un arrêt n° 17MA03992 du 21 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Marseille, sur appel de la société Indigo Infra CGST, a porté le montant de l'indemnité que la commune est condamnée à lui payer à la somme de 5 521 187,64 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 février 2016 et capitalisation des intérêts à compter du 24 février 2017 et réformé en conséquence le jugement du tribunal administratif.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 février et 25 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Sète demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, à titre principal, de faire droit à ses conclusions d'appel et, à titre subsidiaire, de réduire l'indemnité susceptible d'être allouée à la société Indigo Infra CGST à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de la société Indigo Infra CGST la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de procédure civile ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Audrey Prince, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la commune de Sète et à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la société Indigo Infra CGST ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 20 décembre 1991, la commune de Sète a conclu avec la société Setex une convention de concession des parkings et de gestion du stationnement sur voirie. Aux termes de l'article 57 de cette convention, la gestion du stationnement sur voirie devait expirer le 31 décembre 2021, et la concession des parcs de stationnement le 31 décembre 2035. Le 1er août 2000, un premier avenant à cette convention a été conclu entre la commune et la Compagnie générale de stationnement, venant aux droits de la société Setex, en vue de tenir compte de l'évolution technique et financière des conditions de l'exploitation à la suite d'observations émises par la chambre régionale des comptes. Un deuxième avenant a été conclu le 5 octobre 2005 entre la commune et la société Sogeparc CGST, venant elle-même aux droits de la Compagnie générale de stationnement, afin de modifier le calcul de la clause d'indexation. Par une délibération du 30 janvier 2015, le conseil municipal de Sète a décidé la résiliation de la concession avec effet au 31 décembre 2015, pour un motif d'intérêt général. Le 18 février 2016, la société Indigo Infra CGST, venant aux droits de la société Sogeparc CGST, a demandé à la commune l'indemnisation du préjudice résultant pour elle de cette résiliation, évalué à la somme de 6 211 993,43 euros. Par décision du 21 mars 2016, le maire de Sète a rejeté cette demande. Par un jugement du 27 juillet 2017, le tribunal administratif de Montpellier a partiellement fait droit à la demande de la société en condamnant la commune à lui verser la somme de 76 224,51 euros par année restant à courir sur la durée de la concession en litige. Par un arrêt du 21 décembre 2020, contre lequel la commune de Sète se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société, porté le montant de l'indemnité que la commune est condamnée à lui payer à la somme de 5 521 187,64 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 février 2016 et capitalisation des intérêts à compter du 24 février 2017 et réformé en conséquence le jugement du tribunal administratif.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en œuvre. Dans le domaine de l'eau potable, de l'assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans sauf examen préalable par le directeur départemental des finances publiques, à l'initiative de l'autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée. Les conclusions de cet examen sont communiquées aux membres de l'assemblée délibérante compétente avant toute délibération relative à la délégation. / () ". Il résulte de ces dispositions que la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.

3. En jugeant, pour retenir l'existence d'un préjudice subi par le concessionnaire du fait de la résiliation anticipée de la concession, que la durée d'amortissement des investissements qu'il avait réalisés au titre des droits d'entrée, fixée à 45 ans au regard de l'ensemble des données prévisionnelles déterminant l'équilibre économique du contrat à la date de sa signature, constituait dès lors la durée normale d'amortissement et en écartant par suite le moyen tiré de ce que la durée illégale de la convention ferait obstacle à toute indemnisation, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de droit.

4. En second lieu, pour déterminer les droits à indemnisation de la société, la cour administrative d'appel de Marseille a fait application des stipulations de l'article 43 du contrat de concession et de l'article 5 de son premier avenant. La convention prévoyait, en cas de résiliation, que la commune " remboursera à l'opérateur : - le montant du capital restant dû, selon le tableau conventionnel d'amortissement annexé à la présente convention, actualisé selon l'évolution de l'indice INSEE du coût de la construction défini au chapitre VI de la présente convention () - une indemnité de rachat anticipé. () ". Aux termes de l'article 5 de l'avenant n° 1 à la convention : " () il est apporté les modifications et compléments suivants à l'article 43 de la convention initiale : - les annexes 2 et 3 du présent avenant remplacent le tableau conventionnel d'amortissement annexé à la convention du 20 décembre 1991 et visé à l'article 43. - L'indemnité prévue à l'article 43 est remplacée par ce qui suit : () la ville versera à l'opérateur une indemnité fixée à 500 000 francs hors taxe (valeur 1er janvier 2000) par année restant à courir jusqu'au 31 décembre 2021 et indexée dans les conditions fixées à l'article 1 ci-avant 1/2 paragraphe A du présent avenant ". La cour a estimé qu'en application de ces stipulations, la société avait droit au remboursement du capital restant dû à hauteur de 4 946 302,39 euros et à une indemnité contractuelle d'un montant de 574 885,25 euros, soit une somme globale de 5 521 187,64 euros. Faisant application du principe selon lequel si les règles générales applicables aux contrats administratifs permettent aux parties de déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif d'intérêt général, l'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités exclut qu'il en résulte, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le préjudice subi, la cour a recherché quel avait été le préjudice réellement subi par la société. Dans ce cadre, elle a estimé, d'une part, que la valeur nette comptable des biens non amortis s'élèverait à 2 546 558 euros et que, d'autre part, le bénéfice net dont la SA Indigo Infra CGST pourrait se prévaloir au titre du manque à gagner pour les 20 années de contrat restantes serait au moins équivalent au bénéfice net qu'elle a constaté pour les 20 premières années d'exécution, soit 3,9 millions d'euros. Elle en a déduit que le montant versé par la commune en application de l'article 43 de la convention de concession n'était pas manifestement disproportionné au préjudice subi par la société.

5. Toutefois, si les parties à un contrat administratif peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif d'intérêt général, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le préjudice subi, la fixation des modalités d'indemnisation de la part non amortie des biens de retour dans un contrat de concession obéit, compte tenu de la nature d'un tel préjudice, à des règles spécifiques. Lorsqu'une personne publique résilie une concession avant son terme normal, le concessionnaire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, dès lors qu'ils n'ont pu être totalement amortis. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, sous réserve que l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne puisse, en toute hypothèse, excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus, il est exclu qu'une telle dérogation, permettant de ne pas indemniser ou de n'indemniser que partiellement les biens de retour non amortis, puisse être prévue par le contrat lorsque le concessionnaire est une personne publique.

6. Par suite, en estimant que la circonstance, invoquée par la commune de Sète, que le montant de la part de l'indemnité versée au titre du capital restant dû, tel qu'il résultait de l'application des clauses du contrat, serait supérieur à la valeur non amortie des biens de retour n'était pas de nature, à elle seule, à faire obstacle à l'application de l'article 43 de la convention, alors qu'il lui revenait de vérifier que les stipulations contractuelles permettaient d'assurer au concessionnaire l'indemnisation de la part non amortie des biens de retour dans les conditions rappelées au point 5 et, à défaut, de les écarter, la cour a commis une erreur de droit et méconnu son office.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'arrêt attaqué en tant seulement qu'il statue sur le montant du préjudice de la société Indigo Infra CGST.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Sète qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Indigo Infra CGST la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Sète au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 21 décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il statue sur le montant du préjudice de la société Indigo Infra CGST.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Marseille.

Article 3 : La société Indigo Infra CGST versera à la commune de Sète une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la commune de Sète est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la société Indigo Infra CGST au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Sète et à la société Indigo Infra CGST.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2021 où siégeaient : M. Olivier Japiot, président de chambre, présidant ; M. Gilles Pellissier, conseiller d'Etat et Mme Audrey Prince, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 novembre 2021.

Le président :

Signé : M. Olivier Japiot

La rapporteure :

Signé : Mme Audrey Prince

La secrétaire :

Signé : Mme B A449985

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