CE 9/10 ch.-r., 25-05-2022, n° 451846, mentionné aux tables du recueil Lebon
A47887YY
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2022:451846.20220525
Référence
54-01-01-01 Si, en principe, l'annonce publique de l'intention du Gouvernement d'édicter un acte réglementaire ne constitue pas en elle-même un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, il en va différemment lorsque cette annonce a pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent pour leur permettre de se préparer au futur cadre juridique auquel elles seront soumises.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 avril 2021 et 28 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Territoire de Musiques, l'association Hellfest Productions et la société Musilac demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le cadre de l'organisation des festivals pour l'année 2021, annoncé par la ministre de la culture dans son communiqué de presse du 18 février 2021, en tant qu'il prévoit d'interdire les festivals de plus de 5 000 personnes et impose la configuration assise ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020🏛 ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021🏛 ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme A de Moustier, rapporteure publique ;
1. Par un communiqué de presse du 18 février 2021, la ministre de la culture a annoncé " le cadre dans lequel pourront se tenir les festivals en 2021 ". L'association Territoire de Musiques, l'association Hellfest Productions et la société Musilac, qui organisent des festivals de musique, demandent son annulation pour excès de pouvoir en tant qu'il limite le nombre des participants à 5 000 personnes et impose qu'ils soient tous assis.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la ministre de la culture :
2. Il ressort des pièces du dossier que le communiqué de presse publié par la ministre de la culture a pour objet, après l'annulation des festivals de l'année 2020, de " donner de la visibilité " aux organisateurs qui devaient " en ce début d'année, décider de la tenue et du format de leur édition 2021 " malgré les " incertitudes " liées à la pandémie de Covid 19. Ce communiqué exprime la position du Gouvernement. Il " propose un cadre pour la tenue des festivals " comportant deux " paramètres ", " une jauge maximale de public de 5 000 personnes " et leur accueil " en configuration assise ". Il ajoute que ce cadre " devra être précisé sous la forme de protocoles sanitaires spécifiques, en concertation avec les professionnels " et que " des points d'étape réguliers auront lieu avec les professionnels afin de l'adapter à l'évolution de la situation sanitaire ". Ce communiqué a eu ainsi pour objet de mettre en mesure les organisateurs de festivals, sans attendre les décisions qui seront finalement prises, de commencer leurs préparatifs, compte tenu du cadre annoncé, dans le contexte sanitaire spécifique de la pandémie que devait encore connaître l'été 2021.
3. Si, en principe, l'annonce publique de l'intention du Gouvernement d'édicter un acte réglementaire ne constitue pas en elle-même un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, il en va différemment lorsque cette annonce a pour objet, comme en l'espèce, d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elle s'adresse pour leur permettre de se préparer au futur cadre juridique auquel elles seront soumises. Il s'ensuit que la ministre de la culture n'est pas fondée à soutenir que le communiqué de presse contesté ne ferait pas grief.
Sur le bien-fondé de la requête :
4. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que, par ce communiqué, la ministre, faisant état de l'intention du Gouvernement, n'a fixé aucune règle entachée d'incompétence.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la date du communiqué en litige, le nombre des cas confirmés positifs au virus de la Covid 19 était de l'ordre de 22 000 par 24 heures, le taux d'incidence d'environ 200/100 000 tous les 7 jours, le nombre des hospitalisations de 25 000, le taux d'occupation des lits en réanimation par des patients atteints du virus de 67 %, le nombre d'entrées en réanimation de 260 par jour et le nombre des décès de 200 par jour. L'épidémie, qui avait conduit les autorités à déclarer l'état d'urgence sanitaire puis à le prolonger, ne donnait alors aucun signe d'amélioration. Par ailleurs, un nouveau variant encore plus contagieux, y compris en plein air, était récemment apparu et paraissait appelé à se diffuser rapidement. Eu égard à l'incertitude pesant ainsi, au mois de février, sur l'organisation des festivals pour l'été 2021, le choix du Gouvernement de donner néanmoins des indications afin de faciliter leur organisation et les modalités qu'il a proposées en termes à la fois de nombre de participants et de configuration, qui, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ne sauraient être assimilées à l'instauration d'un régime d'autorisation préalable, ne sont entachés d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation du communiqué de presse qu'elles attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
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Article 1er : La requête de l'association Territoire de Musiques, l'association Hellfest Productions et la société Musilac est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Territoire de Musiques, première dénommée pour l'ensemble des requérants, et à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi présidents de chambre, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Anne Egerszegi, M. Thomas Andrieu, M. Alain Seban, conseillers d'Etat, et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 25 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Delsol
La secrétaire :
Signé : Mme Naouel Adouane
Décret, 2020-1257, 14-10-2020 Décret, 2020-1310, 29-10-2020 Loi, 2020-1379, 14-11-2020 Loi, 2021-160, 15-02-2021