N° X 21-84.951 FS-B
N° 00434
ECF
10 MAI 2022
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 MAI 2022
Le [1], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 15 février 2021, qui l'a débouté de ses demandes, après relaxe de M. [F] [U] et Mme [G] [U] du chef d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Aa A, Ab Le Guerer, avocat du [1], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mmes Ingall-Montagnier, Goanvic, MM. Sottet, Coirre, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'un signalement du conseil départemental de l'ordre national des médecins et du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, du département de Meurthe-et-Moselle, M. [F] [U] et Mme [G] [U], gérants d'un établissement pratiquant la cryothérapie, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour exercice illégal des professions de médecin et de masseur-kinésithérapeute, par la pratique de la cryothérapie « corps entier ».
3. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables.
4. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité du mémoire en défense
5. Le mémoire personnel en défense de M. et Mme [Ac] est irrecevable, en application de l'
article 585 du code de procédure pénale🏛.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, a relaxé M. et Mme [U] des fins de la poursuite et a déclaré irrecevables la constitution de partie civile du [2] et celle du conseil départemental de l'ordre des médecins de Meurthe-et-Moselle, alors :
« 1°/ que par application des
articles 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 et R. 4321-7 du
code de la santé publique, la cryothérapie est un acte de physiothérapie réservé aux médecins et aux masseurs-kinésithérapeutes ; qu'en retenant qu'à l'exception des cas visés à l'
article R. 4321-5 du code de la santé publique🏛, aucun texte n'interdirait la pratique de la cryothérapie « corps entier » à d'autres professions que celles de médecin ou de masseur-kinésithérapeute, la cour d'appel a violé les
articles L. 4161-1, L. 4323-4, L. 4323-4-1, R. 4321-5, R. 4321-7 du code de la santé publique🏛 et 2 de l'
arrêté du 6 janvier 1962🏛 ;
2°/ qu'en relaxant M. et Mme [U] des fins de la poursuite du chef d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute et de médecin, tout en constatant que ceux-ci indiquaient eux-mêmes, dans leur plaquette de présentation, que les actes de cryothérapie « corps entier » pratiqués dans le centre Cryostan pouvaient soulager des douleurs chroniques et des états post-traumatiques par des effets antalgiques et anti-inflammatoires, aider à la rééducation de patients présentant une plasticité musculaire et apporter des bienfaits notamment pour certaines pathologies comme l'eczéma, le psoriasis, les oedèmes et les inflammations, et que Mme [U] avait elle-même déclaré aux enquêteurs qu'elle proposait des séances de cryothérapie pour de la récupération sportive et pour soulager des douleurs, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des
articles L. 4321-1, L. 4323-4, L. 4323-4-1, R. 4321-1 et R. 4321-7 du code de la santé publique🏛 ;
3°/ que le juge correctionnel, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction ; qu'il a le droit et le devoir de leur restituer leur véritable qualification à la condition de n'y rien ajouter ; qu'en relaxant les époux [U] des fins de la poursuite, tout en constatant que la présentation de leurs documents publicitaires pouvait « éventuellement relever de l'infraction de publicité mensongère », la cour d'appel, qui devait rechercher si les faits dont elle était saisie caractérisaient cette infraction, a violé les
articles 388 et 512 du code de procédure pénale🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 593 du code de procédure pénale🏛, R. 4321-5 et R. 4321-7 du
code de la santé publique et 2 de l'
arrêté du 6 janvier 1962🏛 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins :
7. Selon le premier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Il résulte des trois derniers que la cryothérapie à des fins médicales est un acte de physiothérapie dont la pratique est réservée, d'une part, lorsqu'elle aboutit à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, aux docteurs en médecine, d'autre part, à la condition qu'elle ne puisse aboutir à une lésion des téguments, aux personnes titulaires d'un diplôme de masseur-kinésithérapeute intervenant pour la mise en oeuvre de traitements sur prescription médicale.
9. Pour infirmer le jugement et relaxer les prévenus, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions des
articles 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 et R. 4321-5 du
code de la santé publique signifient que tout acte aboutissant à la destruction des téguments, c'est-à-dire des tissus du corps humain, par l'emploi de la cryothérapie, relève du monopole des médecins avec une exception pour les masseurs-kinésithérapeutes, mais à condition qu'ils agissent sur prescription médicale et qu'ils participent à des traitements de rééducation spécifiques et limitativement énumérés.
10. Les juges ajoutent qu'à l'exception des cas visés à l'
article R. 4321-5 du code précité, aucun texte n'interdit expressément la pratique de la cryothérapie « corps entier » à d'autres professions que celles de médecin ou de masseur-kinésithérapeute.
11. Ils relèvent encore que la cryothérapie « corps entier » pratiquée par les prévenus n'entraîne pas d'altération ou destruction des tissus et qu'il n'a été démontré ni par les parties civiles ni par le ministère public que les actes effectivement pratiqués avaient une visée thérapeutique et constituaient des actes médicaux réservés aux médecins ou aux masseurs-kinésithérapeutes.
12. Ils soulignent également que, dans un rapport de 2019 commandé par les pouvoirs publics, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale ([4]) indique qu'il n'existe en France aucun titre professionnel relatif à la cryothérapie « corps entier », que l'utilisation de ce terme n'est soumise à aucune condition et qu'aucun texte ne restreint actuellement l'exploitation des cabines de cryothérapie « corps entier » à une profession donnée.
13. Ils relèvent enfin que des documents publicitaires maladroits et manifestement inspirés par d'autres centres de cryothérapie laissaient penser à tort que le centre [3] pouvait soulager des douleurs chroniques et des états post-traumatiques par des effets antalgiques et anti-inflammatoires, aider à la rééducation de patients présentant une spasticité musculaire et apporter des bienfaits notamment pour certaines pathologies comme l'eczéma, le psoriasis, les oedèmes et les inflammations.
14. En se déterminant ainsi, par des motifs, d'une part, inopérants tenant au caractère maladroit des mentions publicitaires, d'autre part, contradictoires avec ses constatations selon lesquelles Mme [U] avait déclaré proposer des séances pour soulager des douleurs, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation ne porte que sur les dispositions ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Meurthe-et-Moselle. Les autres dispositions seront maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 15 février 2021, mais en ses seules dispositions ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Meurthe-et-Moselle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux mille vingt-deux.