COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 04 JUIN 2013
RG 12/01377 - JMA/VA
Adrien Z
C/ Nathalie Y épouse Y, exploitant en nom personnel sous le nom commercial 'LES TRANSPORTS DU MONT BLANC'
Décision déférée à la Cour Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage - de BONNEVILLE en date du 22 Mai 2012, RG F 11/00017
APPELANT
Monsieur Adrien Z
magland
Comparant, assisté de Me BURNIER FRAMBORET (CABINET RIBES ET ASSOCIÉS, avocats au barreau de BONNEVILLE)
INTIMÉE
Madame Nathalie Y épouse Y, exploitant en nom personnel sous le nom commercial 'LES TRANSPORTS DU MONT BLANC'
MEGEVE
Comparante, assistée de Me Laure ..., (A.A.R.P.I. d'ANDURAIN & SERFATI associés, avocats au barreau de PARIS)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 28 Mars 2013, devant Monsieur Jean-Michel ALLAIS, Conseiller désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Madame ALESSANDRINI, Greffier, et lors du délibéré
Monsieur LACROIX, Président,
Monsieur ALLAIS, Conseiller qui a rendu compte des plaidoiries,
Madame REGNIER, Conseiller
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FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Madame Nathalie Y exerce une activité de transport de personnes basée à Megève (Haute Savoie), sous le nom commercial "Les Transports du Mont Blanc".
Monsieur Adrien Z a été embauché par madame Nathalie Y selon contrat de travail à durée déterminée du 9 décembre 2008 au 15 mars 2009 en qualité de chauffeur.
Le 1er janvier 2009 est entrée en vigueur la loi du 4 août 2008 instituant le régime de l'auto-entreprise.
En septembre 2009, monsieur Adrien Z a sollicité à nouveau madame Nathalie Y pour la reprise de son activité pour la saison d'hiver 2009-2010.
Madame Nathalie Y lui a alors proposé une collaboration sous le régime de l'auto-entreprise moyennant un taux horaire de 15 euros convenu entre les parties.
Monsieur Adrien Z a régularisé une déclaration d'activité en qualité d'auto-entrepreneur au répertoire des entreprises le 7 décembre 2009 pour un début d'activité fixée au 1er décembre 2009.
Monsieur Adrien Z a continué à travailler en collaboration avec madame Nathalie Y, sous le statut d'auto-entrepreneur, jusqu'au 10 avril 2010 et a facturé à cette dernière ses heures d'attente et de conduite à concurrence de 13.929,75 euros .
Monsieur Adrien Z a saisi le conseil de prud'hommes de Bonneville le 27 janvier 2011 pour voir requalifier sa relation contractuelle avec madame Nathalie Y en un contrat de travail à durée indéterminée et obtenir le paiement de diverses sommes à titre de salaire, de préavis, de congés payés, de dommages et intérêts pour rupture abusive et travail dissimulé, soit pour un total de 71.404,00 euros sur la base d'un salaire moyen mensuel de 4.483,00 euros.
Par jugement du 22 mai 2012, le Conseil de Prud'hommes de Bonneville siégeant en formation de départage, a
- déclaré le conseil de prud'hommes compétent pour connaître du litige,
- débouté monsieur Adrien Z de l'ensemble de ses demandes au motif que, si effectivement madame Nathalie Y lui avait suggéré de s'inscrire en qualité d'auto-entrepreneur, monsieur Adrien Z avait néanmoins négocié sa rémunération après s'être renseigné sur le statut, qu'il s'était inscrit en toute connaissance de cause et qu'il ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un lien de subordination entre les intéressés,
- condamné monsieur Adrien Z à payer à madame Nathalie Y une indemnité de 750,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La décision a régulièrement été notifiée aux parties par lettres recommandées avec avis de réception le 30 mai 2012.
Par déclaration du 28 juin 2012, monsieur Adrien Z a interjeté appel de la décision.
Aux termes des débats et des écritures des parties, reprises oralement à l'audience et auxquelles il est fait référence pour un plus ample exposé des moyens qui y sont développés,
Monsieur Adrien Z, par conclusions du 10 décembre 2012, demande à la Cour de - infirmer le jugement,
- requalifier sa relation contractuelle avec madame Nathalie Y en un contrat de travail à durée indéterminée,
- fixer son salaire moyen mensuel à la somme de 4.483,00 euros,
- condamner madame Nathalie Y à lui payer les sommes suivantes
. 2.278,50 euros au titre des heures supplémentaires,
. 2.157,30 euros au titre du reliquat de salaire,
. 1.633,30 euros au titre des congés payés,
. 26.898,00 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
. 4.483,00 euros à titre d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,
. 4.483,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
. 448,30 euros au titre des congés payés afférents,
. 13.449,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
. 3.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non remise des documents de rupture et des bulletins de salaires,
. 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
. 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, il fait valoir que le statut d'auto-entrepreneur lui a été imposé par madame Nathalie Y, qu'il n'a aucunement décidé de choisir ce statut, qu'il n'a fait que se renseigner, qu'étant dans une situation de dépendance économique, il n'avait pas d'autre choix que d'accepter les conditions de madame Nathalie Y s'il voulait continuer à travailler.
Il fait valoir que madame Nathalie Y lui a demandé de s'inscrire comme auto-entrepreneur comme condition de son recrutement, qu'il n'a jamais pris l'initiative de créer librement sa propre entreprise.
Il précise, qu'outre le fait d'être sous subordination économique, il était bien également sous la subordination juridique de madame Nathalie Y, qui lui imposait ses horaires, sa rémunération et ses contraintes de service, qu'il utilisait d'ailleurs les véhicules de l'entreprise et devait rendre compte de tous ses déplacements.
Il s'estime dès lors fondé dans sa demande de requalification et dans ses demandes de rappels de salaires et d'indemnités.
De son côté, par conclusions du 1er mars 2013, madame Nathalie Y demande à la Cour de
A titre principal
- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
- débouter monsieur Adrien Z de l'ensemble de ses demandes,
- condamner monsieur Adrien Z à lui payer la somme de 7.500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, et la somme de 2.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire
- dire et juger que le salaire de monsieur Adrien Z est égal au SMIC,
- dire et juger que monsieur Adrien Z a été rempli de ses droits à titre de salaire, heures supplémentaires et congés payés,
- dire qu'elle est recevable et fondée dans ce cas en sa demande reconventionnelle en répétition de l'indu et condamner monsieur Adrien Z à lui payer la somme de 9.675,62 euros et subsidiairement la somme de 2.486,00 euros,
- dire et juger qu'elle est recevable et fondée dans ce cas en sa demande reconventionnelle en remboursement de la part salariale des cotisations sociales et condamner monsieur Adrien Z à lui payer la somme de 1.138,40 et subsidiairement la somme de 3.062,34 euros.
Elle fait valoir que contrairement aux allégations de monsieur Adrien Z, il a librement choisi d'opter pour le statut d'auto-entrepreneur pour exercer son activité de chauffeur pendant la saison d'hiver 2009-2010, qu'il n'a jamais remis en cause ce statut pendant toute la collaboration et qu'il a d'ailleurs émis les factures en fin de saison au tarif qu'il avait lui même fixé.
Elle fait valoir que suite au contrôle routier de gendarmerie réalisé le 7 février 2010 il a indiqué malgré la proposition de régulariser une déclaration d'embauche, qu'il souhaitait rester sous le régime de l'auto-entreprise.
Elle précise que monsieur Adrien Z ayant opté pour le statut, il existe une présomption d'absence de contrat de travail et il lui appartient d'apporter la preuve des éléments de nature à détruire cette présomption, ce qu'il ne fait pas.
Elle indique qu'il n'existait aucun lien de subordination juridique entre elle et monsieur Adrien Z, dans la mesure où il était totalement libre d'exercer son activité, qu'il n'avait aucun compte à rendre et que c'était lui seul qui facturait ses prestations, d'ailleurs très supérieures à ce qu'il aurait perçu s'il avait été salarié.
En ce qui concerne l'utilisation des véhicules de l'entreprise, cette mise à disposition par le donneur d'ordre est insuffisante pour établir l'existence d'un contrat de travail.
A titre principal et en l'absence de contrat de travail, elle demande la confirmation du jugement et à titre subsidiaire, si par impossible la cour venait à requalifier la relation
contractuelle, elle reprend les divers décomptes sur la base d'une rémunération mensuelle au SMIC.
SUR QUOI, LA COUR
Attendu que par application de l'article L.8221-6 4° du code du travail, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription, les personnes physiques relevant de l'article L 123-1-1 du code de commerce ou du V de l'article 19 de la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat ;
Attendu qu'il appartient dès lors à monsieur Adrien Z qui revendique la qualité de salarié de démontrer qu'il exerçait son activité dans le cadre d'un contrat de travail ;
Attendu que le contrat de travail se définit comme une convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous sa subordination moyennant une rémunération ;
Qu'il est constant en l'espèce que monsieur Adrien Z a déclaré son activité le 7 décembre 2009 en qualité d'auto-entrepreneur auprès du répertoire des entreprises de Bourgogne et qu'il a effectivement été inscrit à compter du 1er décembre 2009 sous le N° SIRET 518 374 954 00015 ;
Attendu que monsieur Adrien Z ne peut soutenir que ce statut lui a été imposé par madame Nathalie Y alors que lors de son audition par les gendarmes en mars 2010 il a expressément indiqué qu'il était sous le statut d'auto-entrepreneur après s'être renseigné auprès d'autres personnes ayant ce même statut et qu'en sa qualité d'auto-entrepreneur les responsables de la société Transports du mont Blanc ne lui fixaient aucun horaire maximun de travail, que c'était à son bon vouloir ;
Attendu que monsieur Adrien Z était donc parfaitement informé des avantages et inconvénients de ce statut et qu'il ne peut donc soutenir qu'il était dans un état de dépendance économique et qu'il avait été contraint d'accepter de travailler sous le régime du statut de l'auto-entreprise, alors même qu'il avait lui même fixé les conditions de sa rémunération pour que son activité soit rentable ;
Attendu que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;
Attendu que contrairement aux affirmations de monsieur Adrien Z, ce dernier exécutait bien ses prestations comme bon lui semblait, que s'il recevait des ordres de madame Nathalie Y pour des transports il ne démontre pas pour autant qu'il était sous la dépendance économique de son donneur d'ordre et que madame Nathalie Y lui imposait, tout comme à monsieur ..., un horaire de travail journalier ou hebdomaire ;
Attendu que si madame Nathalie Y en sa qualité de donneur d'ordre lui proposait effectivement des courses à réaliser, monsieur Adrien Z restait cependant libre de les effectuer ou non, voir de travailler avec d'autres donneurs d'ordre s'il le souhaitait ;
Attendu qu'en ce qui concerne la rémunération, c'est bien en l'espèce monsieur Adrien Z qui a fixé le taux horaire de ses prestations, taux décidé au regard notamment de ses charges sociales ;
Attendu que d'ailleurs au terme de ses trois mois d'activité monsieur Adrien Z a émis une facture de 13.929,75 euros, cette facturation étant très supérieure à ce qu'il aurait perçu s'il avait exercer son activité comme chauffeur salarié de madame Nathalie Y, dans la mesure où il n'opérait aucune distinction dans sa facturation entre les heures de conduite effectives et les heures d'attente ;
Attendu que monsieur Adrien Z ne démontre pas non plus qu'il était à la disposition permanente de madame Nathalie Y ; qu'il avait en effet toute possibilité de vaquer librement à ses affaires personnelles en l'absence de courses à réaliser;
Attendu qu'enfin si monsieur Adrien Z utilisait les véhicules de l'entreprise des Transports du Mont Blanc et si ces véhicules étaient bien dotés d'un appareil de géo-localisation, ce seul élément ne peut à lui seul caractériser l'existence d'un contrat de travail dès lors que cet élément n'est pas corroboré par les autres éléments attachés au lien de subordination comme rappelés ci-dessus ;
Attendu qu'en l'absence de preuve d'un lien de subordination de nature à caractériser l'existence d'un contrat de travail, il convient de confirmer le jugement qui a débouté monsieur Adrien Z de l'ensemble de ses demandes comme non justifiées;
Attendu que le droit d'agir en justice ne dégénère en abus que s'il procède d'une erreur grossière équipollente au dol, s'il révèle une intention de nuire, ou s'il en résulte un préjudice du fait d'un comportement fautif, ce qui n'est pas démontré en l'espèce, qu'il y a donc lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de madame Nathalie Y ;
Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et de condamner monsieur Adrien Z à payer à madame Nathalie Y une indemnité complémentaire en instance d'appel de 750,00 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de BONNEVILLE en date du 22 mai 2012 dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute madame Nathalie Y de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne monsieur Adrien Z à payer à madame Nathalie Y une indemnité complémentaire de 750,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en instance d'appel,
Condamne monsieur Adrien Z aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Ainsi prononcé le 04 Juin 2013 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur ..., Président, et Madame ..., Greffier.