COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 avril 2022
Cassation
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 240 F-D
Pourvoi n° M 20-15.684
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 AVRIL 2022
La société Duyme's Motors, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 20-15.684 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Aa] [W],
2°/ à Mme [G] [Ab], épouse [W],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Duyme's Motors, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [W] et de Mme [Ab], épouse [W], et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 12 mars 2020), par acte authentique du 25 juillet 2011, M. [W] et Mme [Ab], épouse [W], ont cédé à la société Duyme's Motors un fonds de commerce de réparation, transformation et revente de cycles et motocyclettes, spécialisé notamment dans la transformation de motos en tricycles à moteur (trikes), au moyen de kits fabriqués par la société EML W TEC, située aux Pays-Bas.
2. Invoquant un dol, la société Duyme's Motors a assigné M. et Mme [W] en paiement de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
3. La société Duyme's Motors fait grief à l'arrêt de dire que la cession de fonds de commerce conclue avec M. et Mme [Ac] n'est entachée d'aucun vice du consentement et, en conséquence, de rejeter ses demandes, alors « que la dissimulation d'informations par la partie venderesse est susceptible de constituer une manoeuvre dolosive, si, sans cette manoeuvre, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'en écartant cependant toute manoeuvre dolosive de la part du cédant du fonds de commerce litigieux, tout en constatant que l'acte stipulait la transmission au cessionnaire des droits attachés aux procès-verbaux d'homologation des "motos neuves Harley-Davidson de type Sporster ayant une réception européenne n° e24*2002/24*0084*00 par W TEC EML Holland" lui permettant d'effectuer leur transformation en trikes, dont il s'est avéré que la société EML W TEC était seule propriétaire, tous les types de véhicules approuvés par elle n'étant pas transformables ou ne pouvant être vendus à d'autres, ce dont il résultait que cette information, qui portait sur l'objet même de la cession, avait été volontairement dissimulée au cessionnaire, et qu'était ainsi caractérisé le dol du cédant, nonobstant les déclarations du cessionnaire figurant à l'acte de cession, la victime du dol ne pouvant renoncer à l'invoquer, et la circonstance qu'elle aurait pu s'enquérir auprès de la société EML W TEC de la portée de la cession, le dol rendant toujours excusable l'erreur provoquée, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, et n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'
article 1116 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article 1116 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
4. Aux termes de ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
5. Pour dire que la cession de fonds de commerce n'est entachée d'aucun vice du consentement et rejeter la demande de dommages-intérêts fondée sur le dol, l'arrêt constate que selon l'acte de cession, sont transmis à la société cessionnaire « la propriété de tous droits attachés aux documents, dossiers et procès-verbaux d'homologation à l'UTAC concernant les Trikes et Side Car transformés avec les kits de marque 3EML et WTEC », notamment « pour modification en trike des motos neuves Harley-Davidson de type Sporster ayant une réception européenne n° e24*2002/24*0084*00 par W TEC EML Holland ». Il retient que la rédaction des stipulations de l'acte relatives aux motos Harley-Davidson de type Sporster, quoiqu'établies devant notaire, peuvent susciter des interrogations quant à l'étendue et la portée des droits cédés et aux conséquences que cela induit quant aux obligations du cessionnaire, mais que la société Duyme's Motors est un professionnel de la commercialisation des motos et de leur transformation et que figure dans l'acte de cession une mention selon laquelle le cessionnaire déclare « s'être, par ses investigations personnelles, informé et rendu compte des potentialités du fonds vendu » et « être parfaitement éclairé sur le type et les caractéristiques du fonds ainsi que sur les méthodes commerciales appliquées par le cédant ». Il retient encore qu'en mai 2011, M. [W] a organisé avec le gérant de la société Duyme's Motors un déplacement dans les usines de la société EML W TEC aux Pays-Bas, au cours duquel il a pu rencontrer le dirigeant de cette dernière. Il retient enfin que la société Duyme's Motors pouvait toujours, avant la signature de l'acte de cession, obtenir des cédants des éclaircissements, particulièrement sur la transformation des motos Harley-Davidson de type Sporster, notamment à l'occasion du déplacement aux Pays-Bas dans les locaux de la société EML W TEC, et qu'elle ne peut sérieusement invoquer sur ce point la barrière de la langue. Il en déduit qu'aucune manoeuvre dolosive n'est établie.
6. En se déterminant par de tels motifs, tirés de ce que l'acquéreur aurait dû se renseigner avant la cession, impropres à exclure l'existence d'une réticence dolosive, laquelle rend toujours excusable l'erreur provoquée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
7. En application de l'
article 624 du code de procédure civile🏛, la cassation prononcée sur le chef de dispositif de l'arrêt relatif au vice du consentement affectant la cession du fonds de commerce, entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif de l'arrêt relatif à la clause de non-concurrence stipulée dans cet acte, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne M. [W] et Mme [Ab], épouse [W], aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par M. [W] et Mme [Ab], épouse [W], et les condamne à payer à la société Duyme's Motors la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société Duyme's Motors.
LE MOYEN reproche à l'arrêt infirmatif attaqué,
D'AVOIR dit que la cession de fonds de commerce conclue entre M. et Mme [W] et la société Duyme's Motors n'est entachée d'aucun vice du consentement et, en conséquence, débouté la société Duyme's Motors de toutes ses demandes,
AUX MOTIFS QUE « la page 2 de l'acte notarié de cession de fonds de commerce fait apparaître que ladite cession porte sur un "fonds de commerce de REPARATION ET VENTE DE CYCLES, MOTOCYCLES ET ACCESSOIRES NEUFS ET D'OCCASION ET DE CONSTRUCTION ET DE COMMERCIALISATION DE TRIKES ET SIDE-CARS (...)" ; qu'il est par ailleurs indiqué en page 3 de l'acte que sont transmis à la société cessionnaire "la propriété de tous droits attachés aux documents, dossiers et procès-verbaux d'homologation à l'UTAC concernant les Trikes et Side Car transformés avec les kits de marque 3EML" et W TEC" suivants : - pour modification des motos Ad A 1500 Goldwing type SC 22B de 1997 à 2001 devenant type THE002 et SC 22B-MOD, - pour modification des motos Honda GL 1800 Goldwing type SC47 à partie de 2001 devenant type Westel, - pour modification des motos Harley-Davidson 1450 cc Type FLH de 2000 à 2006 devenant type Lebuwes,(...), - pour modification en trike des motos neuves Harley-Davidson de type Sporster ayant une réception européenne n° e24*2002/24*0084*00 par W TEC EML Holland ; qu'il est ultérieurement précisé sur cette page que ces procès-verbaux sont au nom de [O] [W], [W], [W], [W] Motos, EML [W], Ae B, EML sides cars et EML Trikes France (...)", référence étant faite à la liste annexée à l'acte de cession mentionnée plus haut ; que les parties s'accordent sur le fait que la cession des procès-verbaux d'homologation permet au cessionnaire du fonds de commerce, d'effectuer les transformations de motos en trike, par type de motos concernées, visées aux dits procès-verbaux, tels que mentionnés dans l'acte de cession et dans la déclaration annexe ; que le présent litige porte sur l'homologation des motos neuves Harley-Davidson de type Sporster dès lors que la société EML W TEC, a, le 24 novembre 2014, adressé un courrier rédigé en anglais, à la société Duyme's Motors (dont le sens n'est pas contesté par les parties), pour rappeler à cette dernière qu'elle était seule propriétaire de la réception européenne n°e24*2002/24*0084*00 et que tous les types de véhicules approuvés par elle n'étaient pas transformables ou ne pouvaient être vendus à d'autres ; que la mention relative aux motos neuves Af Ag de type Sporster qui figure dans l'acte de cession est effectivement rédigée de manière différente de celles relatives aux autres motos puisque celle-ci contient explicitement, et contrairement aux autres modèles, une précision relative à "la modification en trike des motos neuves" et qu'il est indiqué s'agissant de l'acte de cession, et contrairement aux autres modèles, qu'il s'agit de motos "ayant une réception européenne n° e24*2002/24*0084*00 par W-TECEMI Holland" ; que la déclaration annexée à la cession indique pour sa part qu'il s'agit de la "modification en Trike des motos neuves C de Type Sporster ayant une réception européenne n°e24*2002/24*0084*00 validée par X-TEC EML Holland." ;
que, si la rédaction de ces stipulations, quoiqu'établies devant notaire, peuvent susciter des interrogations quant à l'étendue et la portée des droits cédés et des conséquences que cela induit quant aux obligations du cessionnaire, il convient néanmoins d'observer : - qu'il n'est pas contesté que la société Duyme's Motors est, elle aussi, un professionnel de la commercialisation des motos et de leur transformation, - que figure en page 21 de l'acte de cession, sous la rubrique "déclarations obligatoires," les mentions selon lesquelles "le cessionnaire déclare s'être, par ses investigations personnelles, informé et rendu compte des potentialités du fonds vendu, " ; "le cessionnaire déclare (...) Être parfaitement éclairé sur le type et les caractéristiques du fonds ainsi que sur les méthodes commerciales appliquées par le cédant", - que les parties s'accordent sur le fait qu'au mois de mai 2011, M. [W] a organisé avec le gérant de la société Duyme's Motors, un déplacement dans les usines de la société W TEC, aux Pays Bas, au cours duquel il a pu rencontrer le dirigeant de cette dernière ; que, bien qu'ayant affirmé, en sa qualité de professionnelle du secteur, avoir pleinement pris la mesure et de l'étendue de ses engagements contractuels, la société Duyme's Motors, pouvait toujours, le cas échéant, et avant la signature de l'acte de cession, obtenir des cédants, les éclaircissements qu'elle souhaitait, particulièrement sur la transformation des motos Harley-Davidson de type Sporster, ce qu'elle aurait notamment pu faire à l'occasion du déplacement aux Pays Bas dans les locaux de la société W TEC, en présence de son dirigeant et de M. [W], celle-ci ne pouvant sérieusement invoquer dans ses écritures, sur ce point, la barrière de la langue ;
qu'il résulte de tout ce qui précède qu'aucune manoeuvre dolosive ayant déterminée le consentement de la société Duyme's Motors n'est établie. Il s'ensuit que celle-ci sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef » ;
ALORS QUE la dissimulation d'informations par la partie venderesse est susceptible de constituer une manoeuvre dolosive, si, sans cette manoeuvre, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'en écartant cependant toute manoeuvre dolosive de la part du cédant du fonds de commerce litigieux, tout en constatant que l'acte stipulait la transmission au cessionnaire des droits attachés aux procès-verbaux d'homologation des « motos neuves Harley-Davidson de type Sporster ayant une réception européenne n° e24*2002/24*0084*00 par W TEC EML Holland » lui permettant d'effectuer leur transformation en trike, dont il s'est avéré que la société EML W TEC était seule propriétaire, tous les types de véhicules approuvés par elle n'étant pas transformables ou ne pouvant être vendus à d'autres, ce dont il résultait que cette information, qui portait sur l'objet même de la cession, avait été volontairement dissimulée au cessionnaire, et qu'était ainsi caractérisé le dol du cédant, nonobstant les déclarations du cessionnaire figurant à l'acte de cession, la victime du dol ne pouvant renoncer à l'invoquer, et la circonstance qu'elle aurait pu s'enquérir auprès de la société EML W TEC de la portée de la cession, le dol rendant toujours excusable l'erreur provoquée, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, et n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'
article 1116 du code civil🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.