CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 avril 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 296 FS-B
Pourvoi n° P 21-14.448
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 AVRIL 2022
M. [Aa] [Ab], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° P 21-14.448 contre l'arrêt rendu le 3 février 2021 par la cour d'appel de Toulouse (chambre des expropriations), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Electricité de France (EDF), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ au commissaire du Gouvernement, domicilié [… …],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [Ab], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Electricité de France, et l'avis de Mme Ac, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 1er mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Ad, Ae A, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, Mme Ac, premier avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 février 2021), par convention du 29 juin 1929 et ses avenants des 8 et 9 octobre 1930, 22 février 1938, 21 février et 9 mars 1939, [M] [Ab], titulaire d'un droit d'usage de l'eau de la Garonne fondé en titre, a donné à bail ce droit d'usage à la société Energie électrique de la Haute-Garonne pour une durée de soixante-quatorze ans et un mois à compter du 1er décembre 1934, moyennant le paiement d'une indemnité en argent, le maintien d'un débit d'eau de 500 litres par seconde et la fourniture de l'éclairage et de la force électrique.
2. Le 18 décembre 2008, la société Electricité de France (EDF), substituée à la société Energie électrique de la Haute-Garonne, a obtenu du préfet le renouvellement de la concession d'exploitation.
3. M. [Aa] [Ab] et [W] [Ab], devenus respectivement nu-propriétaire et usufruitière du terrain auquel le droit d'eau est attaché, ont assigné EDF pour obtenir une indemnité sur le fondement de l'
article L. 521-14 du code de l'énergie🏛.
4. [W] [Ab] est décédée en cours d'instance.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
5. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [Aa] [Ab] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une indemnité de 4 959 838 euros, alors « que le titulaire d'un droit d'eau fondé en titre qui en a été dépossédé par EDF peut prétendre à une indemnisation en argent, laquelle peut lui être accordée par décision motivée du juge, quand même une indemnisation en nature demeurerait possible ; qu'en ayant refusé toute indemnisation en argent à M. [Ab], motif pris de ce qu'une indemnisation en nature était en l'espèce possible, en sorte que le juge était tenu de l'allouer à l'exposant sous cette forme, quand une indemnisation en argent peut toujours être décidée par le juge, quand même une indemnisation en nature serait possible, la cour d'appel a violé l'
article L. 521-14 du code de l'énergie🏛. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article L. 521-14 du code de l'énergie🏛 :
7. Selon ce texte, lorsque les droits à l'usage de l'eau étaient exercés à la date de l'affichage de la demande en concession, le concessionnaire est tenu, sauf décision contraire du juge, de restituer en nature l'eau ou l'énergie utilisée et, le cas échéant, de supporter les frais des transformations reconnues nécessaires aux installations préexistantes à raison des modifications apportées aux conditions d'utilisation. En outre, en cas de désaccord sur la nature ou le montant de l'indemnité due, la contestation est portée devant le juge de l'expropriation.
8. Il résulte de ces dispositions que, si, lorsque la restitution en nature est possible, le concessionnaire est, en principe, tenu d'y procéder, il appartient au juge de l'expropriation, en cas de désaccord, de choisir librement le mode d'indemnisation lui paraissant le plus approprié.
9. Pour rejeter la demande de M. Af [Ab], l'arrêt retient que l'indemnisation en argent constitue une exception et que le juge, qui ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire, doit faire application du principe de l'indemnisation en nature lorsque celle-ci est possible.
10. En statuant ainsi, en s'estimant tenue d'accorder une indemnité en nature, dès lors que celle-ci était possible, alors qu'il lui appartenait de choisir le mode d'indemnisation le plus approprié, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. Af [Ab] en paiement d'une indemnité de 4 959 838 euros, l'arrêt rendu le 3 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société Electricité de France aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour MAb [H]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
- M. [Aa] [Ab] FAIT GRIEF A l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de sa demande en paiement d'une indemnité de 4.959.838 € ;
1°) ALORS QUE le titulaire d'un droit d'eau fondé en titre qui en a été dépossédé par EDF peut prétendre à une indemnisation en argent, laquelle peut lui être accordée par décision motivée du juge, quand même une indemnisation en nature demeurerait possible ; qu'en ayant refusé toute indemnisation en argent à M. [Ab], motif pris de ce qu'une indemnisation en nature était en l'espèce possible, en sorte que le juge était tenu de l'allouer à l'exposant sous cette forme, quand une indemnisation en argent peut toujours être décidée par le juge, quand même une indemnisation en nature serait possible, la cour d'appel a violé l'
article L. 521-14 du code de l'énergie🏛 ;
2°) ALORS QUE la restitution en nature due au titulaire d'un droit fondé en titre dont il a été dépossédé par EDF doit être intégrale ; qu'en s'étant référée, pour juger qu'une indemnisation en nature pouvait seulement être accordée M. [Ab], aux « propositions concrètes » qui lui avaient été présentées par EDF, sans rechercher si ces offres n'étaient pas notoirement insuffisantes, en regard de la capacité hydraulique actuelle, constatée par expertise judiciaire, des chutes d'eau en cause, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'
article L. 521-14 du code de l'énergie🏛 ;
3°) ALORS QUE la restitution en nature due au titulaire d'un droit fondé en titre dont il a été dépossédé par EDF doit être intégrale ; qu'en ayant accordé à M. [Ab] une indemnisation en nature, sur la base des offres présentées par EDF, au motif que cette indemnisation en nature avait déjà été affirmée par le premier juge dans son jugement du 28 avril 2015 ordonnant une expertise, la cour d'appel, qui a perdu de vue que ce jugement visait le potentiel énergétique actuel des chutes, soit la restitution intégrale de l'eau et de l'énergie, ce qu'EDF n'avait jamais proposé à l'exposant, a privé son arrêt de base légale au regard de l'
article L. 521-14 du code de l'énergie🏛 ;
4°) ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en ayant débouté M. [Ab] de sa demande d'indemnisation en argent, sans répondre aux conclusions de l'exposant (p. 8), ayant fait valoir que la restitution en nature était impossible, car l'eau avait été déviée en amont pour être valorisée dans la centrale exploitée par EDF, la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
- M. [Aa] [Ab] FAIT GRIEF A l'arrêt infirmatif attaqué de s'être borné, après l'avoir débouté de sa demande d'indemnisation en argent, à constater que la société EDF lui offrait une restitution d'eau à hauteur de 500 l/s et une restitution d'énergie électrique correspondant à une puissance de 9 kw ;
ALORS QUE le juge de l'expropriation ne peut refuser, sous prétexte de respecter les termes du litige, de fixer une indemnisation en nature dont il a constaté dans son principe qu'elle était due ; qu'en s'étant bornée à constater la consistance de l'offre d'indemnisation en nature – si basse qu'elle en était ridicule, en regard de la puissance hydraulique actuelle des chutes – présentée par EDF, au prétexte que M. [Ab] avait limité ses demandes en appel à une indemnisation en argent, la cour d'appel a violé les
articles 4 du code civil🏛 et
L. 521-14 du code de l'énergie🏛.