CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 mars 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 266 F-D
Pourvoi n° T 20-22.567
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 MARS 2022
Mme [Aa] [W], épouse [X], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 20-22.567 contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2020 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [Ab] [Ac], veuve [W], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Mme [Ad] [W], épouse [C]-[K], domiciliée [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Antoine, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [Aa] [W], de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [G], de Mme [Ad] [W], et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er février 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Antoine, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 octobre 2020), [D] [G] est décédé le 6 juin 1995, en laissant pour lui succéder [W] [T], son épouse commune en biens, et leur fille [V]. [W] [T] est décédée le 8 octobre 2005, en laissant pour lui succéder sa fille et en l'état d'un testament instituant ses deux petites-filles, Ae [Aa] et [Ad] [W], légataires à titre universel de la quotité disponible de sa succession.
2. Le 15 avril 2015, Ae [Ab] [G] et [Ad] [W] ont assigné Mme [Aa] [W] en liquidation et partage de la succession de [W] [T]. En cours d'instance, elles ont demandé la liquidation et le partage de la succession de [D] [G].
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [Aa] [W] fait grief à l'arrêt d'attribuer préférentiellement à Mme [Ad] [W] les parcelles agricoles situées sur la commune de [Localité 4], alors « que l'héritier indivisaire peut demander l'attribution à charge de soulte de toute entreprise agricole à l'exploitation de laquelle il participe effectivement ; qu'un droit de bail ne caractérise pas une exploitation agricole, qui s'entend d'une unité économique constituée de terres, de bâtiments d'exploitation et d'habitation, de matériel et le cas échéant d'un cheptel ; que pour ordonner l'attribution préférentielle des parcelles de [Localité 4] à Mme [Ad] [C] – [K], la cour d'appel a retenu que cette dernière était titulaire d'un bail rural sur ces terres, qu'elle mettait en valeur, avec son époux, dans le cadre de leur propre exploitation agricole ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser une exploitation agricole dépendant de la succession, la cour d'appel a violé l'
article 831 du code civil🏛. »
Réponse de la Cour
4. L'
article 831, alinéa 1er, du code civil🏛 dispose :
« Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l'attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s'il y a lieu, de toute entreprise, ou partie d'entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d'une telle entreprise, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l'exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement. Dans le cas de l'héritier, la condition de participation peut être ou avoir été remplie par son conjoint ou ses descendants. »
5. Selon l'
article 833, alinéa 2, du même code🏛, ces dispositions profitent aussi à l'héritier ayant une vocation universelle ou à titre universel à la succession en vertu d'un testament ou d'une institution contractuelle.
6. Il résulte du premier de ces textes que, si l'héritier qui demande l'attribution préférentielle d'un domaine rural doit avoir la qualité de copropriétaire, il peut toutefois être tenu compte, pour l'appréciation de la consistance de l'exploitation, des biens appartenant à son conjoint et formant, avec ceux dont cet héritier est copropriétaire, l'entreprise agricole exigée par la loi.
7. En prévoyant le cas où le demandeur à l'attribution préférentielle d'une entreprise agricole était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès d'une partie des biens la composant, ce texte n'a pas entendu exclure l'hypothèse où il bénéficierait d'un bail rural.
8. Ayant relevé, par motifs adoptés, que l'époux de Mme [Ad] [W] exploitait des terres agricoles d'une surface globale de 184 hectares, incluant les parcelles de [Localité 4] d'une surface de 23 hectares qui lui avaient été données à bail, avec son épouse, par [D] et [W] [G], et qui produisaient du lait et des céréales, et que la perte de ces terres mettrait en péril la continuité de l'activité laitière tandis que leur maintien permettrait de salarier leur fils, la cour d'appel en a souverainement déduit que les terres litigieuses constituaient, avec l'exploitation agricole de l'époux de Mme [Ad] [W], une entreprise agricole et que les intérêts en présence justifiaient qu'elles soient attribuées par préférence à celle-ci.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [Aa] [W] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par Mme [Aa] [W] et la condamne à payer à Ae [Ad] [W] et [V] [G] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mars deux mille vingt-deux.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme [Aa] [W]
Mme [Aa] [X] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir attribué préférentiellement à Mme [Ad] [C] – [K] les parcelles agricoles situées sur la commune de [Localité 4],
ALORS QUE l'héritier indivisaire peut demander l'attribution à charge de soulte de toute entreprise agricole à l'exploitation de laquelle il participe effectivement ; qu'un droit de bail ne caractérise pas une exploitation agricole, qui s'entend d'une unité économique constituée de terres, de bâtiments d'exploitation et d'habitation, de matériel et le cas échéant d'un cheptel ; que pour ordonner l'attribution préférentielle des parcelles de [Localité 4] à Mme [Ad] [C] – [K], la cour d'appel a retenu que cette dernière était titulaire d'un bail rural sur ces terres, qu'elle mettait en valeur, avec son époux, dans le cadre de leur propre exploitation agricole ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser une exploitation agricole dépendant de la succession, la cour d'appel a violé l'
article 831 du code civil🏛.
Le greffier de chambre