CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 mars 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 271 FS-B
Pourvoi n° N 21-11.986
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 MARS 2022
1°/ M. [Aa] [M],
2°/ Mme [C] [T], épouse [M],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° N 21-11.986 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), dans le litige les opposant à Mme [Ab] [S], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de M. et Mme [M], de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [S], et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Echappé conseiller doyen, Mme Andrich, MM. David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 15 décembre 2020), propriétaires d'une parcelle bâtie donnée en location, M. et Mme [M] ont assigné Mme [S], propriétaire de la parcelle voisine, en remise en état d'une canalisation d'évacuation des eaux usées, selon eux obstruée, et en indemnisation, en invoquant l'existence d'une servitude par destination du père de famille entre les deux parcelles, issues de la division d'un seul fonds par acte du 30 septembre 1997.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. M. et Mme [M] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que la destination du père de famille vaut donc titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien ; qu'en refusant de reconnaître l'existence d'une servitude d'évacuation des eaux usées par destination du père de famille, tout en relevant que les fonds des époux [M] et de Mme [S] provenaient de la division d'un seul fonds, que l'acte de division ne mentionnait pas l'existence de la servitude litigieuse et que la servitude présentait un signe apparent matérialisé par un regard, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les
articles 693 et 694 du code civil🏛. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article 694 du code civil🏛 :
3. Aux termes de ce texte, si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages, sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement et passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné.
4. Pour rejeter les demandes de M. et Mme [M], l'arrêt retient que, s'il n'est pas contesté que leur parcelle et celle de Mme [S] sont issues de la division d'un seul fonds, suivant un acte du 30 septembre 1997 qui ne mentionne pas l'existence d'une servitude d'écoulement des eaux usées, il est constant qu'une telle servitude a un caractère discontinu, de sorte qu'elle ne peut s'acquérir par destination du père de famille, quand bien même elle présenterait un signe apparent matérialisé par un regard.
5. En statuant ainsi, alors que la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien, la cour d'appel a, par refus d'application, violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne Mme [S] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par Mme [S] et la condamne à payer à M. et Mme [M] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mars deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [M],
M. et Mme [M] reprochent à l'arrêt attaqué,
DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes tendant à voir constatée l'existence d'une servitude de canalisation souterraine d'évacuation des eaux usées raccordant la parcelle cadastrée section [Cadastre 3] leur appartenant et passant sous la parcelle section [Cadastre 4] appartenant à Mme [S], DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes tendant à voir condamnée, sous astreinte, Mme [S] à remettre en état, à ses frais, la canalisation ou à défaut d'exécution par Mme [S], à être autorisés à pénétrer sur sa propriété pour y faire réaliser les travaux à ses frais, et DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes tendant à voir condamnée Mme [S] au paiement d'une somme de 500 euros par mois au titre de la perte de loyers de janvier 2015 à la date de réalisation des travaux et de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
1° ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que la destination du père de famille vaut donc titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien ; qu'en refusant de reconnaître l'existence d'une servitude d'évacuation des eaux usées par destination du père de famille, tout en relevant que les fonds des époux [M] et de Mme [S] provenaient de la division d'un seul fonds, que l'acte de division ne mentionnait pas l'existence de la servitude litigieuse et que la servitude présentait un signe apparent matérialisé par un regard, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les
articles 693 et 694 du code civil🏛 ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que la destination du père de famille vaut donc titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien ; qu'en refusant de reconnaître l'existence d'une servitude d'évacuation des eaux usées par destination du père de famille, sans constater expressément l'absence de signe apparent de la servitude litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'
article 694 du code civil🏛 ;
3°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que la destination du père de famille vaut donc titre lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien, que la servitude soit continue ou discontinue ; qu'en jugeant que dès lors que la servitude d'évacuation des eaux usées présentait un caractère discontinu, elle ne pouvait s'acquérir par la destination du père de famille qui ne vaudrait que pour les servitudes continues, la cour d'appel a ajouté une condition non prévue par la loi et a ainsi violé l'
article 694 du code civil🏛.