CIV. 1 LM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 29 mai 2013
Cassation
M. CHARRUAULT, président
Arrêt no 541 F-D
Pourvoi no H 12-15.901
Aide juridictionnelle partielle en demande
au profit de Mme Z.
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 janvier 2012.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par Mme Angèle Z, domiciliée Baie-Mahault,
contre l'arrêt rendu le 23 mai 2011 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. Amérique Y, domicilié Les Abymes,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 16 avril 2013, où étaient présents M. Charruault, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bignon, conseiller doyen, Mme Nguyen, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de Mme Z, de la SCP Richard, avocat de M. Y, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches
Vu les articles 310-3 et 332, alinéa 2, du code civil, ensemble l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Tara-Indra, née le 22 août 2003, a été reconnue le 2 septembre 2003 par Mme Z et M. Y ; que Mme Z a engagé, le 4 août 2008, une action en contestation de la reconnaissance paternelle et a sollicité, à cette fin, une expertise biologique ;
Attendu que, pour rejeter l'action en contestation de paternité formée par Mme Z et refuser d'ordonner l'expertise, l'arrêt énonce que celle-ci ne produit aucune pièce autre que l'acte de naissance de l'enfant et son livret de famille, qu'elle n'invoque pas avoir entretenu des relations intimes avec un autre homme pendant la période de conception, qu'il n'est pas contesté qu'elle ait vécu en concubinage avec M. Y pendant la période de conception, que ce dernier s'est toujours occupé de l'enfant, enfin qu'il n'est ni justifié ni allégué que la contestation soit formée dans l'intérêt de l'enfant, de sorte qu'il existe un motif légitime de s'opposer à la mesure d'expertise sollicitée ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé un motif légitime de refuser l'expertise et qui, de surcroît, a dénaturé les conclusions de Mme Z exposant avoir investi dans une nouvelle relation dans le courant de l'année 2000, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne M. Y à payer à la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de Mme Z, la somme de 2 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour Mme Z.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, débouté Mme Z de son action en contestation de paternité contre M. Y ;
Aux motifs que " la cour constate que pour rendre vraisemblable qu'elle n'a consenti que par complaisance à la reconnaissance de Tara-Indra par M. Amérique Y, Mme Z ne produit aucune autre pièce que celle produite en première instance (acte de naissance de Tara-Indra et livret de famille) et n'invoque pas qu'elle a entretenu des relations intimes avec un autre homme que Amérique CHOTKAN durant la période de conception de Tara-Indra ; que même si le droit de l'enfant de connaître dès sa naissance ses parents n'apparaît pas discutable, la cour constate que l'action engagée contre le père auteur de la reconnaissance et qui ne l'est d'ailleurs pas contre l'enfant mineure, laquelle aurait dû être représentée par un administrateur ad hoc à la présente action conformément à l'article 389-3 alinéa 2 du code civil, ne repose que sur la seule affirmation de la mère de l'enfant sans qu'il soit justifié ou même allégué que cette contestation est formalisée dans l'intérêt de Tara-Indra ; qu'il n'est pas contesté qu'Amérique CHOTKAN a vécu en concubinage avec Mme Z pendant la période de conception de Tara-Indra et que M. Y s'est toujours occupé de l'enfant ; que dans ces conditions la cour retient que faute pour Mme Z de justifier ou même d'alléguer que son action est engagée dans l'intérêt de l'enfant, il existe un motif légitime pour s'opposer à la mesure d'expertise biologique sollicitée par la mère de Tara-Indra ; que le jugement est donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme Z de sa demande " ;
Alors premièrement que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; qu'en cas de contestation de paternité, l'absence d'indice ou de présomption rendant vraisemblable la non-paternité n'est pas un motif légitime de refus de l'expertise biologique ; qu'en relevant, en l'espèce, pour refuser cette mesure, que Mme Z ne produisait pas d'autres pièces que l'acte de naissance de Tara-Indra et le livret de famille, qu'il n'était pas contesté que M. Y vivait en concubinage avec elle au cours de la période de conception, et que M. Y s'était toujours occupé de l'enfant, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard des articles 310-3 et 332 du code civil, ensemble l'article 146 du code de procédure civile ;
Alors deuxièmement qu'il résulte de l'article 333 du code civil que, lorsque la possession d'état est conforme au titre, mais qu'elle dure depuis moins de cinq ans à compter de la reconnaissance, la mère est recevable à agir en contestation de paternité ; qu'il s'ensuit que, dans un tel cas de figure, la possession d'état à l'égard du père ne saurait faire obstacle à l'expertise biologique, qui est de droit en matière de filiation ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué (p. 2, dernier §) que Mme Z avait engagé son action en contestation de paternité le 4 août 2008, moins de cinq ans après la reconnaissance effectuée le 2 septembre 2003 par M. Y, de sorte que la possession d'état d'enfant naturel à l'égard de ce dernier était, en toute hypothèse, une circonstance impropre à justifier un refus d'expertise biologique ; qu'en relevant néanmoins, pour refuser la mesure, que M. Y s'était toujours occupé de l'enfant, la cour d'appel a, de plus fort, statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard des articles 310-3, 332 et 333 du code civil, ensemble l'article 146 du code de procédure civile ;
Alors troisièmement qu'il n'est pas permis aux juges du fond de dénaturer les conclusions claires et précises des parties ; que, dans ses conclusions d'appel du 6 mai 2010 (p. 2, § 4 et 7), Mme Z indiquait qu'elle s'était " détachée de Monsieur Y affectivement et [...] investie dans une nouvelle relation dans le courant de l'année 2000 ", et que c'était " dans ces circonstances qu'[était] née l'enfant Tara-Indra, Justina le 22 août 2003 " ; qu'en affirmant pourtant que Mme Z n'invoquait pas l'existence de relations intimes entretenues avec un autre homme que M. Y pendant la période de conception de l'enfant, la cour d'appel a dénaturé lesdites conclusions, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
Alors quatrièmement que l'action en contestation de paternité ne doit pas nécessairement être engagée dans l'intérêt de l'enfant pour que l'expertise biologique, qui est de droit en matière de filiation, puisse être ordonnée ; que, le cas échéant, le fait que la filiation ne soit pas contestée dans l'intérêt de l'enfant ne constitue pas, à lui seul, un motif légitime de refus de l'expertise biologique ; qu'en retenant, au cas présent, qu'à défaut pour Mme Z de justifier, ou même d'alléguer, que son action était engagée dans l'intérêt de l'enfant, il existait un motif légitime de refus de l'expertise biologique, la cour d'appel a violé les articles 310-3 et 332 du code civil, ensemble l'article 146 du code de procédure civile ;
Alors cinquièmement, à titre subsidiaire, qu'il n'est pas permis aux juges du fond de dénaturer les conclusions claires et précises des parties ; que, dans ses conclusions d'appel du 6 mai 2010 (p. 4, § 1 à 4), Mme Z fondait son action sur le droit de l'enfant de connaître son père véritable, conformément à l'article 7 § 1 de la Convention de New York du 26 janvier 1990 ; qu'en affirmant qu'il n'était pas allégué par Mme Z que son action était engagée dans l'intérêt de l'enfant, la cour d'appel a, derechef,
dénaturé lesdites conclusions, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
Alors sixièmement, à titre encore subsidiaire, qu'il résulte de l'article 320 du code civil que tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait ; que dès lors, en invoquant dans ses conclusions d'appel du 6 mai 2010 le droit de l'enfant de connaître son père véritable, Mme Z justifiait de l'intérêt de Tara-Indra à l'action en contestation de paternité ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 320 et 332 du code civil ;
Alors septièmement que le juge doit, en toutes circonstances, observer le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office, en l'espèce, que la fille mineure de Mme Z aurait dû être représentée dans la procédure par un administrateur ad hoc désigné sur le fondement de l'article 389-3, deuxième alinéa, du code civil, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
Alors huitièmement qu'il résulte de l'article 388-2 du code civil que lorsque, dans une procédure, les intérêts d'un mineur apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux, le juge des tutelles dans les conditions prévues à l'article 389-3 ou, à défaut, le juge saisi de l'instance lui désigne un administrateur ad hoc chargé de le représenter ; qu'en tant que juridiction saisie de l'instance, la cour d'appel avait donc le pouvoir, au cas présent, de désigner elle-même un administrateur ad hoc chargé de représenter la fille mineure de Mme Z ; qu'en affirmant qu'une telle désignation s'imposait, mais en n'y procédant pas elle-même, la juridiction du second degré a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, en violation de l'article 388-2 du code civil.