N° Z 12-83.721 FS P+B N° 2531
GT 23 MAI 2013
CASSATION PARTIELLE
M. LOUVEL président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
- M. Olivier Z,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 24 avril 2012, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants, l'a condamné à cinq ans d' emprisonnement et a décerné mandat d'arrêt à son encontre ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 24 avril 2013 où étaient présents M. Louvel président, Mme Ract-Madoux conseiller rapporteur, M. Dulin, Mme Nocquet, M. Bayet, M. Laborde, Mme de la Lance conseillers de la chambre, Mmes Labrousse, Moreau conseillers référendaires ;
Avocat général M. Sassoust ;
Greffier de chambre M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller RACT-MADOUX, les observations de Me SPINOSI, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SASSOUST ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 417, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a intégralement rejeté la demande de renvoi à une audience ultérieure présentée par M. Z ;
"aux motifs que, sur les demandes de renvoi, les prévenus exposent à la cour qu'ils sollicitent le renvoi de leur affaire, leurs avocats participant à un mouvement du barreau consistant à suspendre toute participation aux audiences alors que chacun des prévenus souhaitent que son conseil l'assiste ; que la cour relève que cette affaire a déjà fait l'objet d'un renvoi à la demande de Me Ben ..., conseil de M. Z, à laquelle s'étaient joints les autres prévenus ; qu'afin de permettre l'exercice des droits de la défense, la cour avait ordonné le renvoi en précisant la date du renvoi de cette volumineuse affaire tout en précisant que l'affaire sera alors nécessairement jugée à l'audience de ce jour ; que la cour relève encore que si l'article 417 du code de procédure pénale, comme l'article 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, reconnaissant au prévenu le droit de se faire assister par un défenseur de son choix, la nécessité d'assurer la continuité du cours de la justice et celle de permettre le jugement des prévenus dans un délai raisonnable font obstacle à ce que l'absence du défenseur choisi et le refus de désignation d'un avocat d'office par l'ordre des avocats entraine nécessairement le renvoi de l'affaire ; que, de de plus, la décision prise collectivement par un barreau, de suspendre toute participation des avocats aux audiences de cette chambre depuis deux mois à l'évocation de la présente affaire et pour une durée non précisée, constitue une circonstance insurmontable qui justifie que la cour statue sur la présente affaire en l'absence d'un conseil, dès lors que la présence effective de ce dernier n'est rendue obligatoire par aucun texte interne ou conventionnel et que toutes les formalités de l'article 417 du code de procédure pénale ont été accomplies en vue de faire respecter les droits de la défense ; qu'en conséquence, les entières formalités ayant été remplies, les demandes de renvoi sont intégralement rejetées ; qu'après que la cour ait rejeté les demandes de renvois, les prévenus, à l'exception de M. El ..., ont, par écrit, sollicité la désignation d'un avocat commis d'office, ce qu'ils avaient d'abord refusé ; que la cour a fait demander à Mme le bâtonnier de l'ordre des avocats de Nîmes la désignation d'avocats commis d'office, ce qu'elle a refusé ;
"1) alors que les articles 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et 417 du code de procédure pénale imposent à toute juridiction de jugement de mettre le prévenu en mesure d'être effectivement assisté par un défenseur de son choix ; que, dès lors, les juges correctionnels ne peuvent refuser une demande de renvoi présentée par un prévenu et motivée par l'absence de son avocat, qu'à la condition de justifier in concreto d'un intérêt spécifique nécessitant que l'audience se tienne sans délai ; qu'en l'espèce, l'absence du conseil désigné n'était imputable ni au prévenu ni même à l'avocat, lequel participait à un mouvement de grève collectif du barreau ; qu'en s'opposant néanmoins à la demande de renvoi en se bornant à faire état de la nécessité d'assurer le cours de la justice et de celle de juger les prévenus dans un délai raisonnable, sans aucune mention des circonstances de l'espèce, la cour d'appel n'a pas justifié l'atteinte qu'elle portait aux droits de la défense du demandeur ;
"2) alors que les mouvements de grève de l'ordre des avocats du barreau de Nîmes desquels résultaient l'absence du défendeur choisi et le refus de désignation d'un avocat d'office par l'ordre des avocats étaient suscités par le comportement apparemment attentatoire à l'exercice serein des droits de la défense ainsi que par la sévérité particulière et quasi systématique des juges de la cour d'appel de Nîmes ; que cette juridiction, étant à l'origine du conflit et susceptible de permettre son dénouement, ne pouvait dès lors prétendre caractériser l'existence de circonstances insurmontables pour justifier son opposition à la demande de renvoi" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que l'avocat de M. Z a présenté une demande de renvoi motivée par un mouvement du barreau local, consistant à suspendre toute participation aux audiences de la chambre des appels correctionnels ; que le prévenu ayant sollicité la désignation d'un avocat commis d'office, l'arrêt énonce que le bâtonnier dudit barreau a refusé de procéder à cette désignation ; que l'audience s'est poursuivie, M. Z étant entendu sur le fond de l'affaire ;
Attendu qu'en rejetant la demande de renvoi, la cour d' appel a justifié sa décision, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées, dès lors que la décision d'un barreau de suspendre sa participation aux audiences constitue une circonstance insurmontable justifiant que l'affaire soit retenue sans la présence d'un avocat ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-16-5 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée par les premiers juges en constatant, en outre, l'état de récidive légale de M. Z et l'a condamné à une peine d'emprisonnement ferme de cinq ans ;
"aux motifs que la culpabilité des prévenus sera étudiée successivement tout en précisant que la cour estime que l'information n'a pas pu avec suffisamment de précision démontrer que MM. ... et ... étaient impliqués dans un trafic de cocaïne ; qu'en effet, même si certaines écoutes inclinaient à les considérer impliqués dans un tel trafic, aucun autre élément objectif ne vient corroborer celles-ci, qu'ainsi le doute doit profiter à ces deux prévenus ; qu'ils seront ainsi relaxer des infractions à eux reprochées en ce qui concerne la cocaïne ; que l'étude de la situation de chacun des prévenus sera faite en fonction, d'une part, de la filière uniquement cannabis et celle constituée de cannabis et de cocaïne ; que M. Z étant pour sa part impliqué dans les deux filières qui apparaissent étanches entre elles ; qu'enfin, la cour a invité expressément MM. Z et ... à s'expliquer sur les états de récidive légale requis par le ministère public ; qu'ils ont fourni des explications à la cour en précisant qu'il s'agissait d'anciennes condamnations ; que, sur la culpabilité de M. Z et la répression, M. Z sera le premier qui fera l'objet d'une enquête préliminaire et sera ainsi rapidement identifié comme un fournisseur important de substances stupéfiantes que ce soit en cannabis ou en drogue plus dure, comme cocaïne, speed ; qu'il s'agira dans ce commerce prohibé tant avec d'un côté MM. ... et ... pour le cannabis, que d'un autre côté avec MM. ... ... ... ... et ... ainsi que M. El ... pour le cannabis et la cocaïne ; qu'il était en relation quasi journalière avec ses fournisseurs et utilisait des mêmes termes déguisés pour parler des transactions ainsi qu'il ressort des nombreuses écoutes téléphoniques présentes à la procédure "venir boire le café, se voir vite fait", et il leur indiquait l'heure à laquelle ils pouvaient le rencontrer ; que les transactions avaient lieu dans l'appartement de M. Z à Nîmes, et, parfois, le week-end aux Saintes-Maries de la Mer où il avait l'habitude de se rendre au domicile de sa compagne, celle-ci allant sur le balcon lors des transactions ; que sa compagne, Mme ..., déclarait qu'elle le connaissait depuis trois ans et savait qu'il vendait de la cocaïne et du cannabis à Nîmes et aux Saintes-Maries de la Mer ; qu'elle précisait que son train de vie était financé uniquement par son trafic ; qu'elle connaissait la plupart de ses clients, mais pas ses fournisseurs et avait profité de fournitures gratuites de cannabis et de cocaïne ; que l'interception de ses conversations téléphoniques confirmait l'ampleur de son trafic, dont il retirait l'essentiel de ses revenus en l'absence d'activité professionnelle ; que les mêmes surveillances téléphoniques révélaient des contacts réguliers avec une quinzaine de clients pour la cocaïne et le même nombre pour les cessions de cannabis ; que certains consommateurs étaient entendus
- M. ... déclarait qu'un ami à lui s'était fourni auprès de M. Z à raison de 2 à 3 grammes de cocaïne par semaine ; que, lui-même, depuis 1 an et demi, lui avait acheté 20 grammes de speed tous les quatre mois à chaque fois pour 400 euros, ainsi que du crack, (dérivé de cocaïne) ; qu'il ajoutait que son ami M. ... achetait 2 à 3 grammes de cocaïne par semaine à M. Z,
- M. ... reconnaissait avoir acheté à M. Z 400 grammes de cannabis et 10 grs de cocaïne depuis 1 an,
- M. ... convenait garder du cannabis et de la cocaïne chez lui en dépôt pour le compte de M. Z depuis avril 2010 ; qu'il avait déjà constaté un dépôt de plusieurs centaines de grammes de cannabis ; qu'auparavant, il achetait plusieurs grammes de cannabis par mois à M. Z et avait pu constater chez ce dernier la présence dans le réfrigérateur de cailloux de cocaïne ; que M. Z était formellement désigné comme vendeur habituel et important de cannabis et de cocaïne par ses clients, par MM. ... et ... ... ... ..., et par sa propre compagne ; qu'il indiquait dès ses premières auditions en garde à vue mais même lors de sa première audition devant le magistrat instructeur qu'il se fournissait par centaines de grammes d'abord auprès de M. ..., qui vendait cette quantité pour 400 euros, puis ensuite auprès de M. ..., qui vendait moins cher soit 350 euros ; qu'il déclarait que, selon son expression, il " traficotait depuis 2007 2008" ; que, par la suite, il tentait de minimiser le rôle de ces deux fournisseurs en parlant plus que de dépannage, ce qu'ils confirmeront jusque devant la cour ; que, néanmoins, les écoutes, les constatations policières, les divers témoignages tendent à démontrer que loin d'agir en dépannage, M. Z avait un réseau bien structuré et habituel ; qu'ainsi, interpellé, le 10 janvier 2011, M. Claudio Montes Da ... déclarait avoir acheté du cannabis et de la cocaïne à M. Z depuis 2007 et jusqu'à fin 2009, il se fournissait ultérieurement auprès de M. El ... pour deux ou trois barrettes de cannabis par semaine et, en tout, quelques grammes de cocaïne ; qu'il avait acheté plusieurs centaines de grammes de cocaïne à M. Z pendant cette période, jusqu'à 3 000 euros par mois ; que l'ami de M. Claudio Montes Da ..., M. ..., ayant assisté une fois à cette remise d'argent ; qu'encore, il a indiqué, en ce qui concerne le réseau des drogues dures, et ce, lors de sa comparution devant le juge d'instruction, et ne variera pas, qu'il avait comme fournisseur M. Eduardo Montes Da ... ; que celui-ci indiquera que c'est l'inverse qui se produisait, à savoir qu'il achetait à M. Z ; que la cour acquiert la conviction que ce dernier était le fournisseur occasionnel d'Eduardo ... Da Costa, d'ailleurs le frère de ce dernier n'aurait pas eu besoin de se fournir auprès de M. Z si son frère pouvait lui en procurer ; qu'il ne sera pas possible de déterminer avec précision qui fournissait ce dernier même si certaines écoutes pouvaient laisser penser à ce que ce soient MM. ... et ... ; qu'il apparaît ainsi que le prévenu trafiquait de manière habituelle et pour des quantités importantes, plusieurs dizaines de kilos de cannabis, quelques kilos de drogue dure, et des drogues de synthèse (speed...) sur une période de près de trois années ; que la décision du premier juge sera ainsi confirmée quant à la culpabilité ; qu'en revanche, il convient de réformer sur la peine et de prononcer une peine de cinq ans d'emprisonnement du fait
-de la gravité des faits, un trafic de stupéfiants d'une réelle ampleur sur plusieurs années portant sur toutes sortes de produits et qui était les seuls moyens de la subsistance du prévenu,
- et de la personnalité du prévenu, dont le bulletin No 1 du casier judiciaire porte mention d'une condamnation le 17 avril 2001 par le tribunal correctionnel de Nîmes à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 4 000 francs d'amende pour détention et usage de stupéfiants, objet de la récidive que la cour retient après avoir recueilli les observations du prévenu sur ce point, ainsi qu'une condamnation par la cour d'appel de Montpellier, le 6 mars 2002, à huit ans d'emprisonnement pour vol aggravé par trois circonstances et arrestation, séquestration de plusieurs personnes suivi d'une libération avant le 7ème jour, autant d'éléments rendent cette peine nécessaire, toute sanction étant manifestement inadéquate ; qu'une mesure d'aménagement n'étant pas permise par la personnalité du prévenu, qui n'a pas encore à l'audience pris totalement conscience de la gravité des faits, ni par sa situation personnelle et sociale qui demeure encore fort précaire ; que la nature de l'affaire, la répétition d'infractions graves malgré de nombreux avertissements judiciaires donnés à M. Z démontrent l'impunité dans lequel il se croit installé, dès lors, il convient, en application de l'article 465 du code de procédure pénale, de décerner mandat d'arrêt, une mesure particulière de sûreté s'imposant et la peine devant être exécutée dans les plus bref délais ;
"alors qu'en vertu de l'article 132-16-5 du code pénal, l'état de récidive légale ne peut être relevé d'office par la juridiction de jugement lorsqu'il n'est pas mentionné dans l'acte de poursuites qu'à la condition que la personne en soit informée au cours de l'audience et qu'elle ait été mise en mesure d'être assistée d'un avocat et de faire valoir ses observations ; que la cour d'appel qui avait rejeté la demande de renvoi du prévenu motivée par l'absence de son conseil à l'audience ne pouvait, dès lors, relever d'office l'état de récidive légale, qui n'avait pas été retenu dans l'acte de saisine du tribunal correctionnel" ;
Vu l'article 132-16-5 du code pénal ;
Attendu que, selon ce texte, si I'état de récidive légale peut être relevé d'office par la juridiction de jugement, même lorsqu'il n'est pas mentionné dans I'acte de poursuite, c'est à la condition qu'au cours de l'audience, la personne poursuivie en ait été informée et qu'elle ait été mise en mesure d'être assistée d'un avocat et de faire valoir ses observations ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt que, devant la cour d'appel, le ministère public a requis que soit constaté l'état de récidive légale du prévenu, invité à présenter ses observations sur cette circonstance aggravante, retenue par les juges du second degré ;
Mais attendu qu'en retenant cette circonstance, alors qu'elle n'avait pas été mentionnée dans l'acte de poursuite et que le prévenu qui avait sollicité la désignation d'un avocat commis d'office n'a pas pu en bénéficier, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs
CASSE et ANNULE, I'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 24 avril 2012, mais en ses seules dispositions relatives à la récidive et aux peines prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois mai deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;