CIV.3 CF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 23 mai 2013
Cassation partielle
M. TERRIER, président
Arrêt no 571 FS-P+B
Pourvoi no S 11-26.095
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société Informatique et sécurité, société à responsabilité limitée, dont le siège est Croissy-Beaubourg,
contre l'arrêt rendu le 14 juin 2011 par la cour d'appel de Toulouse (2e chambre, section 2), dans le litige l'opposant
1o/ à M. René Y,
2o/ à Mme Yvonne YX, épouse YX,
tous deux domiciliés Labastide-Saint-Sernin,
3o/ à la SCI Allegresse, société civile immobilière, dont le siège est Labastide-Saint-Sernin,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 avril 2013, où étaient présents M. Terrier, président, Mme Proust, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Fossaert, Feydeau, Masson-Daum, MM. Echappé, Parneix, Mmes Andrich, Salvat, M. Bureau, conseillers, Mme Pic, M. Crevel, Mmes Meano, Collomp, conseillers référendaires, M. Bailly, avocat général référendaire, Mme Bordeaux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Proust, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Informatique et sécurité, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. et Mme Y et de la SCI Allegresse, l'avis de M. Bailly, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 14 juin 2011), que par acte du 14 janvier 2004, la SCl Allegresse (la SCI), nu-propriétaire, et M. Y et Mme X, son épouse, usufruitiers, ont donné à bail de vingt-quatre mois à la société Informatique et sécurité (la société SIS) des locaux à usage commercial ; que la société SIS les a assignés en référé aux fins d'obtenir la remise en état du local ; que le juge des référés a saisi, en application de l'article 811 du code de procédure civile, le tribunal de grande instance devant lequel chacune des parties a sollicité la résiliation du bail aux torts de son co-contractant et l'allocation de diverses sommes ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé
Attendu qu'ayant souverainement retenu que si étaient établies des infiltrations d'eau de pluie en toiture de nature à troubler la jouissance paisible des lieux et dont les réparations incombaient au bailleur, l'activité avait pu se poursuivre dans les lieux loués, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs, sans dénaturation et sans être tenue d'effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que le non-paiement total des loyers n'était pas justifié ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen
Vu l'article 1290 du code civil ;
Attendu que la compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; que les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société SIS en dommages-intérêts pour troubles de jouissance, l'arrêt retient que l'arriéré locatif doit être arrêté à 19 054,02 euros, que le premier juge a apprécié le préjudice lié aux troubles de la jouissance comme équivalent au montant des loyers dus, les deux créances devant se compenser entre elles et la résistance du bailleur justifiant une indemnité de 5 000 euros, que compte tenu de l'absence d'insalubrité des locaux et des interventions tout de même diligentées par le gestionnaire, cette appréciation, qui revient à accorder quatre années d'occupation gratuite, ne peut être approuvée, que seule la créance indemnitaire pour troubles locatifs de la locataire peut être considérée comme compensée avec l'indemnité qu'elle doit pour la rupture du bail à ses torts et que la société SIS doit donc être condamnée à payer l'intégralité de l'arriéré locatif ;
Qu'en statuant ainsi, sans liquider préalablement les préjudices résultant, pour les bailleurs, de la rupture du bail aux torts de la preneuse, et, pour le preneur, des troubles de jouissance dont elle constatait l'existence, la cour d'appel a violé le texte sus-visé ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Informatique et sécurité à payer la somme de 19 054,02 euros au titre de l'arriéré locatif, et dit n'y avoir lieu à condamnation à dommages et intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 14 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée ;
Condamne la SCl Allegresse et M. et Mme Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCl Allegresse et M. et Mme Y à payer la somme globale de 2 500 euros à la société Informatique et sécurité ; rejette la demande de la SCl Allegresse et de M. et Mme Y ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Informatique et sécurité
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la résiliation du bail formé entre la Sté INFORMATIQUE ET SÉCURITÉ d'une part, et les époux Y et la SCI ALLEGRESSE d'autre part, aux torts exclusifs du preneur, de l'avoir condamné à payer la totalité de l'arriéré locatif, soit la somme de 19 054 euros, et de l'avoir débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE sur les troubles locatifs, par des motifs pertinents que la cour d'appel adopte, le premier juge a constaté l'inexécution par les bailleurs de leurs obligations résultant des articles 1719 et 1720 du code civil ; qu'en effet, plusieurs constats d'huissier dressés le 30 décembre 2005, 13 septembre 2006, 20 septembre 2006, 24 novembre 2006 établissent l'existence d'infiltrations d'eau de pluie, en toiture, de nature à troubler la jouissance paisible des lieux et dont la réparation incombe au bailleur en ce qu'elle relève des grosses réparations de l'article 606 du code civil ; que les bailleurs font valoir qu'ils ont remédié à ces infiltrations à plusieurs reprises notamment par un couvreur, le 3 avril 2006 ; que toutefois, les constats d'huissier postérieurs des 13 et 20 septembre 2006 puis du 24 novembre 2006 démontrent la réitération des fuites en toiture, ce qui signifie que la réparation d'avril 2006 n'a pas été suffisante ; que cependant, les troubles locatifs n'apparaissent pas d'une gravité telle qu'elle justifie le non paiement total des loyers et indemnités d'occupation ; que l'activité a pu se poursuivre dans les lieux et aucune procédure d'insalubrité n'a été engagée ; que le constat du 5 mai 2008 établit certes un important dégât des eaux en provenance de l'appartement du dessus mais le gestionnaire AGIFI établit avoir exécuté ses obligations en faisant rapidement intervenir un plombier qui a constaté que la fuite provenait du cumulus du voisin du dessus, fuite dont le bailleur n'est pas responsable ; que le constat dressé le 29 octobre 2008 après la départ de la Sté INFORMATIQUE ET SÉCURITÉ permet également de ramener à de plus justes proportions les troubles locatifs car il établit qu'une seule pièce est affectée par les infiltrations d'eau ; qu'au contraire, la Sté INFORMATIQUE ET SÉCURITÉ a quitté les lieux en laissant un important arriéré locatif sans préavis et sans même prévenir son bailleur ; que la résiliation sera prononcée à ses torts ; que compte tenu de l'absence d'insalubrité des locaux, seule la créance indemnitaire pour troubles locatifs de la locataire peut être considérée comme compensée avec l'indemnité qu'elle doit pour la rupture du bail à ses torts ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il est constant que les lieux ont été libérés en cours de procédure et en conséquence, le bail est résilié ; ...qu'en vertu des articles 2 et 5 du bail, les bailleurs ne se sont engagés qu'aux grosses réparations de l'article 606 du code civil ; mais l'article 2 par lequel il est indiqué que le preneur prendra les lieux loués dans l'état où ils se trouvent au jour de l'entrée en jouissance n'exclut pas l'application des articles 1719 et 1720 du code civil, à la charge des bailleurs ; qu'aux termes de ces textes, le bailleur s'oblige à délivrer la chose louée en bon état de réparation, de l'entretenir en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, et d'y exécuter toutes les réparations autres que locatives ainsi que d'en faire jouir paisiblement le preneur ; qu'or, il ressort suffisamment des quatre constats d'huissier produits aux débats en date des 30 décembre 2005, 13 et 20 septembre 2006, 24 novembre 2006 et 5 mai 2008, la preuve de l'existence des désordres affectant les lieux, leur gravité, et l'importance des conséquences sur l'usage auquel ils étaient destinés ; qu'en effet, il a été constaté de très nombreuses et importantes infiltrations d'eau, du sol aux plafonds, affectant également les murs et les huisseries ; que les photographies sont édifiantes sur ce point papiers peints décollés, enduits boursouflés, plafond effondré, traces importantes d'humidité et de moisissures au droit des installations électriques, et informatiques, et ce, malgré des réparations intérieures constatées dans le procès verbal, du 13 septembre 2006, ce qui démontre que la cause des infiltrations n'a jamais été traitée correctement ; que ces constats démontrent donc à l'évidence l'existence d'infiltrations d'eau de pluie en toiture et que ces réparations incombent au bailleur, en ce qu'elles relèvent des grosses réparations de l'article 606 du code civil ; que la SCI ALLEGRESSE et les époux Y ne le démentent pas puisqu'il est établi qu'ils ont fait intervenir un couvreur qui, au vu de sa facture du 3 avril 2006, a constaté que la fuite en toiture provenait d'une gouttière coupée en deux ; que toutefois, les constats d'huissier postérieurs des 13 et 20 septembre 2006 puis du 24 novembre 2006 démontrent la réitération des fuites en toiture, ce qui signifie que la réparation d'avril 2006 n'a pas été suffisante et que les bailleurs ont, une fois de plus, manqué à leur obligation d'entretien des lieux en l'état d'usage, auquel ils sont destinés conventionnellement ; qu'il résulte des nombreux courriers envoyés aux bailleurs dès le 27 septembre 2004 en LRAR des 18 janvier 2005, 21 décembre 2005, 21 septembre 2006, que la SCI ALLEGRESSE et les époux Y ont été avisés des désordres affectant les lieux dès l'origine ainsi que de leur gravité et leurs conséquences sur l'usage auquel ils étaient destinés ; que dès lors, c'est à bon droit que la Sté INFORMATIQUE ET SÉCURITÉ a opposé à ses bailleurs l'exception d'inexécution le manquement des bailleurs à l'obligation de délivrance des lieux en état de servir à l'usage auquel ils sont destinés à justifier le manquement de la locataire à son obligation de paiement des loyers, leur consignation ne valant pas paiement ; que la persistance des bailleurs dans leur manquement constitue une faute d'une gravité telle qu'elle justifie également la résiliation du bail à leurs torts ; que la résiliation a pris effet à la libération des lieux, le 1er octobre 2008 ;
1) ALORS QUE le preneur est en droit d'opposer au bailleur qui n'exécute pas son obligation de délivrer une chose conforme aux clauses du bail et de lui conférer une jouissance paisible de la chose louée une exception d'inexécution, dans l'attente de la réalisation des réparations nécessaires et de la remise en état des locaux loués ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que des constats d'huissier dressés entre décembre 2005 et novembre 2006 avaient établis que les locaux loués étaient affectés par des infiltrations persistantes provenant de la toiture qui constituaient des troubles locatifs ; qu'en statuant cependant comme elle l'a fait, sans rechercher si la persistance des troubles locatifs pendant une année et la perte d'usage des locaux loués, serait elle partielle, ne fondaient pas la suspension du paiement du loyer, le départ des lieux du preneur, ainsi que la suppression de l'obligation du preneur d'acquitter le loyer, faute de jouissance paisible des locaux loués, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1728 du code civil, ensemble l'article 1184 du même code;
2) ALORS QUE l'examen des constats d'huissier des 30 décembre 2005, 13 septembre et 20 septembre 2006 et 24 novembre 2006 révèle que les infiltrations provenant de la toiture affectaient non seulement l'entrée des locaux mais également la pièce à usage de bureaux, celle de réception de la clientèle et celle à usage de serveur informatique mais également, que le preneur, avant le constat du 13 septembre 2006, avait fait repeindre les murs, qui avaient été, à nouveau, infiltrés d'eau, que ces infiltrations, dans les mêmes pièces, s'étaient aggravées, mais encore, d'une part, qu'un tiers s'était branché sur le compteur électrique du preneur et que le 5 mai 2008, un voisin avait inondé le preneur, faisant tomber le plafond d'une des pièces tandis qu'une autre restait affectée par une humidité ruisselante ; qu'il ressort de ces constats d'huissier successifs d'une part, que les dommages avaient affecté les locaux loués, dans leur intégralité, d'autre part, que le preneur avait fait réaliser des travaux intérieurs pour y remédier mais en vain, et enfin, que la gravité des conséquences d'un dégât des eaux provenant d'un voisin était liée à l'imprégnation d'eau dans les plafonds ; qu'en affirmant, pour prononcer la résiliation du bail aux torts exclusifs de la Sté INFORMATIQUE ET SÉCURITÉ et lui imposer la paiement de la totalité de l'arriéré locatif, qu'une seule pièce avait été affectée par les troubles locatifs et relativiser, en conséquence ceux-ci, la cour d'appel a dénaturé les constats d'huissier produits aux débats, en violation de l'article 1134 du code civil ;
3) ALORS QUE faute pour le constat d'huissier du 29 octobre 2008 d'avoir été établi en présence de la Sté INFORMATIQUE ET SÉCURITÉ, cet acte qui ne présentait pas un caractère contradictoire, qui avait été dressé un mois après le départ du preneur, était dépourvu de valeur probante quant à l'étendue et à la gravité des dégâts ayant affecté les lieux loués pendant la durée du bail ; qu'en retenant toutefois que les troubles locatifs n'auraient affecté qu'une seule pièce et ne pouvaient pas fonder le refus de paiement du loyer, la cour d'appel qui n'a pas confronté ce constat aux constatations résultant des autres constats produits aux débats qui établissaient que le preneur avait remis les lieux en l'état et qu'ils s'étaient à nouveau dégradés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la Sté INFORMATIQUE ET SÉCURITÉ de sa demande en paiement de dommages intérêts par les époux Y et la SCI ALLEGRESSE, bailleurs, AUX MOTIFS QUE la Sté INFORMATIQUE ET SÉCURITÉ invoque une créance très importante de dommages intérêts, relativement aux atteintes aux matériels informatiques, perte de données des clients, perte de documents utiles à la fiscalité, préjudice commercial du fait de la perte de clientèle et d'atteintes à l'image, préjudices relatifs aux dysfonctionnements électriques ; que le premier juge a estimé à juste titre que la production de tableaux internes relatifs aux heures de travail et d'astreintes de ses salariés et à leurs salaires et primes ne justifient pas la somme exorbitante réclamée de 216 936 euros ; que de plus, le préjudice de perte de vente de formations allégué n'est pas recevable, les locaux ayant été loués pour une activité de services informatiques ; que le premier juge a cependant apprécié le préjudice lié aux troubles de la jouissance comme équivalent au montant des loyers dû, les deux créances devant se compenser entre elles et la résistance du bailleur justifiant une indemnité de 5000 euros ; que compte tenu de l'absence d'insalubrité des locaux et des interventions tout de même diligentées par le bailleur, cette appréciation qui revient à accorder quatre années d'occupation gratuite ne peut être approuvée ; que seule la créance indemnitaire pour troubles locatifs de la locataire peut être considérée comme compensée par l'indemnité due pour la rupture du bail à ses torts ;
ALORS QUE la compensation entre une créance indemnitaire pour troubles locatifs due par le bailleur au preneur et l'indemnité qui serait due en réparation de la rupture du bail aux torts du preneur impose, au préalable, l'évaluation de chacune des indemnités, à défaut de quoi, la compensation entre des indemnités incertaines et de surcroît, non liquidées ne peut être ordonnée ; qu'en se bornant à opérer une compensation entre les indemnités qui seraient dues par les deux parties en litige sans avoir statué sur le préjudice subi par le bailleur du fait de la libération volontaire et anticipée des locaux par le preneur ni sur le préjudice subi par ce dernier du fait de troubles locatifs subis au cours du bail, la cour d'appel, en statuant ainsi, a violé l'article 1291 du code civil ensemble le principe de la réparation intégrale.