COMM. CF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 22 mai 2013
Rejet
M. ESPEL, président
Arrêt no 520 FS-P+B
Pourvoi no X 11-23.961
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE,
FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1o/ la société Air France, société anonyme, dont le siège est Paris Roissy-Charles de Gaulle cedex,
2o/ la société Iberia Lineas Aereas de Espana, dont le siège est Calle Velasquez 130, Madrid (Espagne), société de droit étranger, ayant son établissement principal en France, Paris,
3o/ la société Tap Portugal, dont le siège est Paris,
4o/ la société Royal Air Maroc, dont le siège est Paris,
contre l'arrêt rendu le 28 juin 2011 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige les opposant
1o/ à M. Bertrand V, domicilié Bobigny, pris en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Voyages Wasteels,
2o/ à la société Thomas Cook, société par actions simplifiée, dont le siège est Clichy cedex, anciennement dénommée Voyages Wasteels,
3o/ à M. Philippe R, domicilié Bobigny, pris en qualité d'administrateur judiciaire de la société Voyages Wasteels,
4o/ à l'UNEDIC AGS CGEA Ile-de-France Est, dont le siège est Levallois-Perret cedex,
5o/ à M. Laurent T, domicilié Monaco
défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 9 avril 2013, où étaient présents M. Espel, président, Mme Schmidt, conseiller référendaire rapporteur, M. Gérard, conseiller doyen, Mmes Canivet-Beuzit, Levon-Guérin, M. Rémery, Mme Jacques, MM. Zanoto, Guérin, Mme Vallansan, conseillers, Mme Guillou, MM. Lecaroz, Arbellot, Mmes Robert-Nicoud, Texier, conseillers référendaires, Mme Pénichon, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Schmidt, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat des sociétés Air France, Iberia Lineas Aereas de Espana, Tap Portugal et Royal Air Maroc, de la SCP Boutet, avocat de M. V, ès qualités, de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Thomas Cook, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'UNEDIC AGS CGEA Ile-de-France Est,
l'avis de Mme Pénichon, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2011), que la société Voyages Wasteels ( la société débitrice), exerçant l'activité d'agence de voyages, a souscrit le 1er mai 1995 un contrat qui l'habilitait à vendre des billets d'avion pour le compte notamment des sociétés Air France, Royal Air Maroc, Tap Portugal et Iberia Lineas Aereas de Espana (les compagnies aériennes) ; que la société débitrice a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 30 octobre 2008 et 26 mars 2009 ; que les compagnies aériennes ont saisi le juge-commissaire d'une demande en restitution des sommes versées à la société débitrice au titre des billets émis pour leur compte durant la période du 1er septembre au 21 octobre 2008 ;
Sur le premier moyen
Attendu que les compagnies aériennes font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur requête en revendication, alors, selon le moyen
1o/ que dans le cadre d'une procédure collective, peuvent être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature, les biens meubles remis à titre précaire au débiteur ; que des biens fongibles peuvent faire l'objet d'une revendication à condition qu'ils soient individualisés et identifiables ; qu'il en va en particulier ainsi s'agissant de sommes d'argent appartenant à autrui que le débiteur n'a jamais détenues qu'à titre précaire et à charge de les restituer, faute que de tels biens fussent jamais entrés dans son patrimoine ; qu'au cas d'espèce, en repoussant par principe les revendications formées par les compagnies aériennes, en ce qu'elles portaient sur des sommes d'argent, quand il lui appartenait de se prononcer sur le point de savoir si les sommes d'argent, objet de la revendication, n'étaient pas individualisées et n'étaient pas détenues à titre précaire par la société débitrice, la cour d'appel a violé l'article L. 624-16 du code de commerce, ensemble les articles 544 et 2285 du code civil ;
2o/ que le dépositaire ne devient pas propriétaire de la chose fongible donnée en dépôt lorsque celle-ci est individualisée ; qu'au cas d'espèce, en repoussant par principe toute revendication portant sur une somme d'argent à l'encontre d'un débiteur en procédure collective, quand il lui appartenait de se prononcer sur le point de savoir si, en vertu du contrat du 1er mai 1995, la société débitrice n'avait pas la qualité de dépositaire s'agissant des sommes perçues pour le compte des sociétés de transport aérien, qui en étaient toujours demeurées propriétaires, la cour d'appel a violé l'article L. 624-16 du code de commerce, ensemble les articles 1915, 1932 et 1937 du code civil ;
Mais attendu qu'une demande de restitution de fonds ne peut être formée par voie de revendication, la seule voie ouverte au créancier d'une somme d'argent étant de déclarer sa créance à la procédure collective de son débiteur ; que c'est à bon droit que la cour d'appel en a déduit que les créances litigieuses étaient soumises à déclaration et rejeté les requêtes en revendication ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur la recevabilité du second moyen, contestée par la défense
Attendu que les compagnies aériennes font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande tendant à ce qu'il soit ordonné aux organes de la procédure collective de la société débitrice de communiquer copie des factures impayées par les clients ainsi que la liste des débiteurs concernés, alors, selon le moyen, qu'en matière de procédures collectives, la revendication en nature peut s'exercer sur des biens fongibles lorsque des biens de même nature et de même qualité se trouvent entre les mains du débiteur ou de toute personne les détenant pour son compte ; qu'au cas d'espèce, en repoussant la demande de communication tendant à obtenir copie de la part des organes de la procédure collective de la société débitrice des factures impayées et de la liste des débiteurs concernés, s'agissant des billets d'avion délivrés et non réglés, de façon à permettre aux sociétés d'exercer une action contre les clients concernés, sans donner aucun motif à l'appui de leur décision, les juges du second degré ont violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt, en dépit de la formule générale du dispositif qui " rejette toute autre demande " n'a pas statué sur la demande des compagnies aériennes tendant à la communication des factures impayées par les clients de la société débitrice dès lors qu'il ne résulte pas des motifs de la décision que la cour d'appel l'ait examinée ; que l'omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, le moyen n'est pas recevable ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Air France, Iberia Lineas Aereas de Espana, Tap Portugal et Royal Air Maroc aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour les sociétés Air France, Iberia Lineas Aereas de Espana, Tap Portugal et Royal Air Maroc
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté les requêtes en revendication des sociétés Air France, Royal Air Maroc, Tap Portugal et Iberia Lineas Aereas de Espana ;
AUX MOTIFS QUE les appelantes font valoir qu'elles ont confié à la société Wasteels, à titre de dépôt, conformément au contrat IATA du 1er mai 1995, des titres de transports qu'elle était chargée de vendre pour leur compte; que l'article 7-2 de ce contrat stipule que toutes les sommes encaissées par un agent de voyage pour le transport et les services annexes vendus sont la propriété du transporteur et que ces sommes doivent être gardées en dépôt par l'agent comme propriété du transporteur ou en son nom jusqu'à ce qu'il en ait été rendu compte à ce dernier de façon satisfaisante et que le règlement en ait été effectué; que la société Voyages Wasteels, qui a émis, du 1er septembre au 21 octobre 2008, des billets de passage pour un montant de 2.208.555,72 euros pour le compte de la société Air France, de 159 694 euros pour le compte de la société Royal Air Maroc, de 127 766,39 euros pour la société Iberia Lineas Aereas de Espana, et de 359 973,98 euros pour la société Tap Portugal, n'a pas restitué le produit de ces ventes qui ne lui appartenant pas, ne fait pas partie de son actif; que les sommes concernées sont aisément identifiables au plan comptable dans les livres de la société Wasteels pour la période antérieure au jugement d'ouverture et également pour la période postérieure, dès lors qu'elles ont demandé aux organes de la procédure collective de prendre toute mesure en vue de la création d'un compte séparé pour recevoir le produit des ventes de billets émis avant le 30 septembre 2008 ; qu'elles estiment donc être fondées, en application de l'article L 624-16 du code de commerce, à revendiquer ces sommes ; que Maître V, ès qualités, réplique que les dispositions relatives aux revendications ne sont pas applicables à une somme d'argent encaissée ou détenue par le débiteur, laquelle ne peut qu'être déclarée au passif ; qu'une demande de restitution de fonds ne peut être formée par voie de revendication; que toute demande portant sur une somme d'argent oblige à considérer son auteur, quel que soit son titre, comme un créancier, soumis comme tel à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et corrélativement astreint à déclarer sa créance antérieure au passif ; que la seule voie ouverte aux appelantes était donc la déclaration de leur créance à la procédure collective de leur débitrice, ce qu'elles n'ont, d'ailleurs, pas manqué de faire les 3, 12 et 22 décembre 2008 ; que la cour ne peut, dès lors, que rejeter les requêtes en revendication des sociétés Air
France, la société Royal Air Maroc, la société Tap Portugal, la société Iberia Lineas Aereas de Espana ;
1) ALORS QUE dans le cadre d'une procédure collective, peuvent être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature, les biens meubles remis à titre précaire au débiteur ; que des biens fongibles peuvent faire l'objet d'une revendication à condition qu'ils soient individualisés et identifiables ; qu'il en va en particulier ainsi s'agissant de sommes d'argent appartenant à autrui que le débiteur n'a jamais détenues qu'à titre précaire et à charge de les restituer, faute que de tels biens fussent jamais entrés dans son patrimoine ; qu'au cas d'espèce, en repoussant par principe les revendications formées par les sociétés Air France, Royal Air Maroc, Iberia et Tap, en ce qu'elles portaient sur des sommes d'argent, quand il lui appartenait de se prononcer sur le point de savoir si les sommes d'argent, objet de la revendication, n'étaient pas individualisées et n'étaient pas détenues à titre précaire par la société Voyages Wasteels, la cour d'appel a violé l'article L. 624-16 du code de commerce, ensemble les articles 544 et 2285 du code civil ;
2) ALORS QUE le dépositaire ne devient pas propriétaire de la chose fongible donnée en dépôt lorsque celle-ci est individualisée ; qu'au cas d'espèce, en repoussant par principe toute revendication portant sur une somme d'argent à l'encontre d'un débiteur en procédure collective, quand il lui appartenait de se prononcer sur le point de savoir si, en vertu du contrat du 1er mai 1995, la société Voyages Wasteels n'avait pas la qualité de dépositaire s'agissant des sommes perçues pour le compte des sociétés de transport aérien, qui en étaient toujours demeurées propriétaires, la cour d'appel a violé l'article L. 624-16 du code de commerce, ensemble les articles 1915, 1932 et 1937 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande formée par les sociétés Air France, Royal Air Maroc, Tap Portugal et Iberia Lineas Aereas de Espana tendant à ce qu'il soit ordonné aux organes de la procédure collective de la société Voyages Wasteels de communiquer copie des factures impayées par les clients ainsi que la liste des débiteurs concernés ;
ALORS QU'en matière de procédures collectives, la revendication en nature peut s'exercer sur des biens fongibles lorsque des biens de même nature et de même qualité se trouvent entre les mains du débiteur ou de toute personne les détenant pour son compte ; qu'au cas d'espèce, en repoussant la demande de communication formée par les sociétés Air France, Royal Air Maroc, Tap et Iberia tendant à obtenir copie de la part des organes de la procédure collective de la société Voyages Wasteels des factures impayées et de la liste des débiteurs concernés, s'agissant des billets d'avion délivrés et non réglés, de façon à permettre aux sociétés d'exercer une action contre les clients concernés, sans donner aucun motif à l'appui de leur décision, les juges du second degré ont violé l'article 455 du code de procédure civile.