COMM. SM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 23 avril 2013
Rejet
M. ESPEL, président
Arrêt no 428 F-P+B
Pourvoi no A 12-19.184
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE,
FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la trésorerie générale du Haut-Rhin, dont le siège est Colmar, représentée par le directeur départemental des finances publiques du Haut-Rhin, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques,
contre l'arrêt rendu le 13 mars 2012 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant
1o/ à la société Emmanuelle Hartmann, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est Mulhouse, venant aux droits de la société François Trensz-Emmanuelle Hartmann, prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Les Bandes Somos,
2o/ au procureur général près la cour d'appel de Colmar, domicilié, Colmar,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 26 mars 2013, où étaient présents M. Espel, président, M. Rémery, conseiller rapporteur, Mme Canivet-Beuzit, conseiller, M. Graveline, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Rémery, conseiller, les observations de Me Foussard, avocat de la trésorerie générale du Haut-Rhin, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Emmanuelle Hartmann, ès qualités, l'avis de Mme Bonhomme, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 13 mars 2012), que la société Les Bandes Somos (la société), a bénéficié, sous la forme d'une exonération fiscale temporaire, d'une aide publique estimée incompatible avec les règles du marché commun par la Commission européenne, qui en a exigé la récupération ; que la société, ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 19 novembre 2008 et 15 avril 2009, le trésorier général, aux droits duquel vient le directeur départemental des finances publiques, du département du Haut-Rhin, qui n'avait pas déclaré sa créance de restitution dans le délai légal, a demandé à être relevé de la forclusion encourue ; que le juge-commissaire ayant rejeté cette demande, le recours formé au nom de l'État a été déclaré irrecevable comme tardif ;
Attendu que le directeur départemental des finances publiques du Haut-Rhin fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen
1o/ qu'aucun obstacle ni délai lié aux règles de procédure nationales et à l'effet suspensif des recours introduits devant les juges ne peuvent rendre difficile ou impossible l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a procédé de la sorte à une interprétation erronée du droit européen pour être contraire aux décisions de la Commission européenne et à la jurisprudence européenne et cela sans avoir procédé par voie de questions préjudicielles ; qu'en jugeant ainsi, les juges du fond ont procédé par erreur de droit et violé l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (article 88 du Traité CE), ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit communautaire ;
2o/ que le droit communautaire s'oppose à l'application d'une disposition de droit national visant à consacrer le principe de l'autorité de chose jugée, en tant que son application fait obstacle à la récupération d'une aide d'Etat en violation du droit communautaire, et dont l'incompatibilité avec le marché commun a été constatée par une décision de la commission devenue définitive ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable le recours de la trésorerie générale du Haut-Rhin contre l'ordonnance du juge-commissaire du 23 mars 2010, les juges du fond ont par voie de conséquence consacré l'autorité de chose jugée et encore la force de chose jugée de cette décision conformément au droit national et ainsi ont violé, par refus d'application, l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (article 88 du Traité CE), l'article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) no 659/99 du Conseil du 22 mars 1999, ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit communautaire, et, par fausse application, l'alinéa 2 de l'article 500 du code de procédure civile ;
3o/ qu'en application des principes de primauté et d'applicabilité directe du droit communautaire, les dispositions des Traités constitutifs de l'Union européenne ont pour effet de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante ; qu'en conférant ainsi force de chose jugée à l'ordonnance du juge-commissaire du 23 mars 2010 qui a subordonné l'admission de la créance de l'État français, portant sur la restitution d'aides indues, au respect du délai de déclaration de sa créance au passif de la procédure ouverte contre la société Les Bandes Somos, les juges du fond ont violé, par refus d'application, l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (article 88 du Traité CE), l'article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) no 659/99 du Conseil du 22 mars 1999, ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit communautaire, et, par fausse application, l'article L. 622-24 du code de commerce ;
4o/ que, de la même manière, le droit communautaire commande de laisser inappliquée la disposition du droit national enfermant l'action en relevé de forclusion dans un certain délai ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont à nouveau violé, par refus d'application, l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (article 88 du Traité CE), ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit communautaire, et, par fausse application, l'article L. 622-26 du code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt relève que, régulièrement informé, par l'acte de notification de la décision de rejet de sa requête en relevé de forclusion, qu'il disposait d'un recours contre cette décision, l'État l'a exercé hors délai ; que c'est donc à bon droit, et sans porter aucune atteinte au droit communautaire, dès lors que, pour une entreprise liquidée, la récupération de l'aide illégale s'exécute par l'admission à son passif de la créance correspondante, lorsqu'elle est encore possible selon les règles du droit national relatives à la production des créances et au relevé de forclusion (arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, 13 novembre 2008, no C-214/07, motif no 56), que la cour d'appel a jugé irrévocable le refus du relevé de forclusion, même s'il en résulte l'impossibilité absolue d'exécuter la décision de la Commission ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le directeur départemental des finances publiques du Haut-Rhin aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Emmanuelle Hartmann, ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois avril deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils pour la trésorerie générale du Haut-Rhin
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QUE, conformément au jugement entrepris, il a rejeté la demande de relevé de forclusion présentée par la Trésorerie générale du Haut-Rhin, et refusé d'admettre la créance de l'État au titre de la restitution d'aides indues ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE " malgré l'indication du délai de 10 jours, conformément à l'article R 621-21 du Code de commerce, la Trésorerie générale n'a formalisé un recours que le 14 octobre 2010, soit bien postérieurement après l'expiration du délai procéduralement imparti ; que sur la base de l'expiration de ce délai, le Tribunal de grande instance de Mulhouse, a pris la décision d'irrecevabilité actuellement entreprise ; qu'il est exact que les règles européennes prescrivent de ne pas tenir compte des règles de procédure interne, dont l'application est reconnue cependant en principe, lorsqu'elles ont pour effet de ne pas rendre immédiate et effective la décision de récupération ; qu'il n'apparaît pas cependant à cette Cour que les délais de recours aient automatiquement et par eux-mêmes l'effet de rendre non immédiate ou non effective la décision de récupération... ; que la règle de procédure qui enferme le recours dans un délai de 10 jours n'est pas par elle-même contraire aux exigences d'exécution immédiate et effective ; qu'elle vise au contraire à accélérer la procédure, et que l'on comprend mal le retard de plus de six mois de la Trésorerie, lequel a amené d'ailleurs cette Cour à se demander s'il était réellement fortuit ; que quoiqu'il en soit, il ne paraît pas possible d'ignorer systématiquement toutes les règles de procédure au seul motif qu'elles ne conduiraient pas à une décision de récupération effective ; que cela conduirait à une ignorance générale des règles de procédure, lesquelles ne seraient applicables qu'à l'autre partie en dépit des exigences fondamentales de tout procès équitable ; qu'en réalité, seules les règles qui empêchent par elles-mêmes pi qio diffèrent par elles-mêmes l'action en récupération doivent être écartée ; que les autres règles, qui régissent la forme des actes de procédure et les modalités de procéder demeurent applicables ; que par ces motifs, cette cour est amenée à confirmer la décision du Tribunal, qui a reconnu le caractère tardif du recours de la Trésorerie Générale du Haut-Rhin ". "
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE " la Trésorerie Générale considère que les règles nationales ne sauraient priver d'effet, une décision de la commission européenne et qu'il appartient même, au juge national de laisser inappliquée une règle de droit interne qui conduirait à priver d'effet la décision européenne ; qu'elle rappelle que les autorités françaises ont pour obligation légale de procéder à la récupération des aides accordées à des entreprises et que la commission a déclaré illégales et incompatibles avec les règles communautaires ; que cependant, il convient de rappeler que le Règlement (CE) no 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, renvoie en application de son article 4 & 2 h, au droit interne de l'Etat d'ouverture pour la détermination de l'ensemble des règles relatives à la production des créances et à ses suites ; que la demanderesse considère que la récupération des ides devait se faire sans délai et conformément aux procédures de droit national, pour autant qu'elle permette l'exécution immédiate et effective de la décision ; que force est de constater que les règles de droit interne ne font nullement obstacle à la récupération des aides déclarées illégales et incompatibles avec le droit communautaire ni à l'exécution de la décision européenne ; que la Trésorerie ne saurait s'affranchir du respect des règles de procédure interne au seul motif que leur application l'empêcherait de procéder à la récupération de l'aide, s'octroyant ainsi un droit sans limite à agir ; qu'en réceptionnant l'ordonnance rendue par le juge commissaire, elle ne pouvait ignorer le délai de recours qui lui a été régulièrement notifié et qui lui est opposable ; que dès lors en application des règles du droit des procédures collectives applicables en l'espèce, le recours doit être déclaré irrecevable car formé après expiration des délais légaux ".
ALORS QUE, premièrement, aucun obstacle ni délai lié aux règles de procédure nationales et à l'effet suspensif des recours introduits devant les juges ne peuvent rendre difficile ou impossible l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a procédé de la sorte à une interprétation erronée du droit européen pour être contraire aux décisions de la Commission européenne et à la jurisprudence européenne et cela sans avoir procédé par voie de questions préjudicielles ; qu'en jugeant ainsi, les juges du fond ont procédé par erreur de droit et violé l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (art. 88 du Traité CE), ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit communautaire ;
ALORS QUE, deuxièmement, le droit communautaire s'oppose à l'application d'une disposition de droit national visant à consacrer le principe de l'autorité de chose jugée, en tant que son application fait obstacle à la récupération d'une aide d'Etat en violation du droit communautaire, et dont l'incompatibilité avec le marché commun a été constatée par une décision de la Commission devenu définitive ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable le recours de la Trésorerie Générale du Haut-Rhin contre l'ordonnance du juge-commissaire du 23 mars 2010, les juges du fond ont par voie de conséquence consacré l'autorité de chose jugée et encore la force de chose jugée de cette décision conformément au droit national et ainsi ont violé, par refus d'application, l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (art. 88 du Traité CE), l'article 14,
paragraphe 3, du règlement (CE) no 659/99 du Conseil du 22 mars 1999, ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit communautaire, et, par fausse application, l'alinéa 2 de l'article 500 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, troisièmement, en application des principes de primauté et d'applicabilité directe du droit communautaire, les dispositions des Traités constitutifs de l'Union européenne ont pour effet de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante ; qu'en conférant ainsi force de chose jugée à l'ordonnance du juge commissaire du 23 mars 2010 qui a subordonné l'admission de la créance de l'État français, portant sur la restitution d'aides indues, au respect du délai de déclaration de sa créance au passif de la procédure ouverte contre la société Les Bandes Somos, les juges du fond ont violé, par refus d'application, l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (art. 88 du Traité CE), l'article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) no 659/99 du Conseil du 22 mars 1999, ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit communautaire, et, par fausse application, l'article L. 622-24 du Code de commerce ;
ALORS QUE, quatrièmement, et de la même manière, le droit communautaire commande de laisser inappliquée la disposition du droit national enfermant l'action en relevé de forclusion dans un certain délai ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont à nouveau violé, par refus d'application, l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (art. 88 du Traité CE), ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit communautaire, et, par fausse application, l'article L. 622-26 du Code de commerce.